Que peut-on dire de la durée optimale du traitement
des troubles anxieux ?
What can we say about the optimal duration of treatment of anxiety disorders?
B. Lucas*, P. Thomas*
* Service de psychiatrie, hôpital M. Fontan, CHRU de Lille.
troubles anxieux pose évidemment le problème de la durée opti-
male du traitement médicamenteux. Nous allons ici tenter de
décrire l’état des connaissances sur ce point.
UTILISATION DES BENZODIAZÉPINES
Les benzodiazépines sont le plus souvent le traitement de pre-
mière intention dans les exacerbations des pathologies anxieuses,
du fait de leur rapidité d’action. Cependant, leur efficacité pour-
rait varier selon les troubles anxieux. Leur intérêt est reconnu
dans le trouble anxiété sociale. Elles sont également efficaces
dans le traitement du trouble anxieux généralisé (TAG), même si
les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) semblent
supérieurs. Dans l’état de stress post-traumatique (ESPT), des
recherches indiquent que les benzodiazépines seraient peu utiles
à la prise en charge (1). Les limites d’utilisation de ces molécules
sont liées à leurs nombreux effets indésirables (sédation, dépen-
dance, effets amnésiants, risque de chute chez le sujet âgé, inter-
actions médicamenteuses) qui apparaissent d’autant plus que les
règles d’utilisation ne sont pas respectées. Ces règles impliquent
notamment la durée la plus courte possible, l’emploi d’une poso-
logie minimale efficace, l’évaluation attentive de l’apparition
d’une surconsommation et d’une addiction. Il faut également
signaler la fréquence des syndromes confusionnels chez les per-
sonnes âgées lors de l’introduction, du sevrage ou des modifica-
tions de doses. C’est pourquoi la durée maximale de prescription
dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est
de trois mois et elle inclut le temps de sevrage qui doit être très
progressif (2-4). De plus, toutes les études sur les benzodiazé-
pines sont de courte durée et l’on ne dispose pas de données
quant à leur efficacité à long terme.
Nous nous interrogeons sur les données actuelles de la littérature
concernant la durée optimale du traitement au long cours pour
chaque troubles anxieux.
RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT
AU LONG COURS DU TROUBLE ANXIEUX GÉNÉRALISÉ
Le TAG est un trouble commun avec une prévalence de 4 à 7 %
dans la population générale. Ce trouble se caractérise par une
La plupart des troubles anxieux ont une évolution chronique
émaillée d’accès paroxystiques. Leur traitement pharmaco-
logique repose essentiellement sur les benzodiazépines et les
inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Si les experts
s’accordent pour une durée minimale de 12 à 24 mois de trai-
tement pour la majorité des troubles anxieux, peu de données
expérimentales sont à notre disposition pour définir la durée
optimale du traitement.
Mots-clés : Troubles anxieux – Durée du traitement.
R É S U M É
R É S U M É
Most of anxiety disorders have a chronic evolution with acute
phases. Treatment of anxiety disorders consist in use of ben-
zodiazepines and selective serotonin reuptake inhibitors.
12 to 24 months are recommended by the experts as a mini-
mal duration of treatment. Nevertheless, there is a lack of
data to establish an optimal duration of treatment for anxiety
disorders.
Keywords: Anxiety disorders – Duration of treatment.
SUMMARY
SUMMARY
L’
évolution des troubles anxieux est en général chro-
nique et émaillée d’accès aigus. La prise en charge
médicamenteuse comporte donc deux aspects : le trai-
tement des accès aigus, qui privilégie les anxiolytiques, en parti-
culier la classe des benzodiazépines, et le traitement de fond pour
lequel les antidépresseurs, notamment les inhibiteurs de la recap-
ture de la sérotonine ou de la sérotonine et de la noradrénaline,
sont les chefs de file. L’évolution naturelle au long cours des
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006 39
DOSSIER THÉMATIQUE
Mise au point
inquiétude ou une anxiété incontrôlable et excessive à propos
d’un certain nombre d’événements ou d’activités. Le début des
symptômes intervient généralement durant les vingt premières
années. L’évolution clinique du TAG est souvent chronique avec
40 % des patients rapportant que la durée de la maladie est supé-
rieure à cinq ans. Cette pathologie est souvent associée à un han-
dicap fonctionnel prononcé. Les benzodiazépines sont fréquem-
ment prescrites pour le traitement du TAG. Pourtant, elles ne sont
pas recommandées pour le traitement à long terme pour les rai-
sons que nous avons évoquées auparavant (5). Actuellement,
seules la venlafaxine d’action prolongée et la paroxétine ont reçu
l’AMM pour le traitement de trouble anxieux. La venlafaxine a
démontré son efficacité contre placebo dans deux essais théra-
peutiques randomisés d’une durée de six mois. La paroxétine a
démontré sa supériorité par rapport au placebo dans des essais à
court terme, puis dans la prévention de la rechute à six mois, et
des recherches sont en cours pour évaluer l’utilisation d’autres
IRS. La fréquence des rechutes chez les répondeurs au traitement
curatif reste importante : 6 % à six mois, 20 % à deux ans, 28 %
à cinq ans. Cela met en lumière la nécessité de stratégies théra-
peutiques à long terme. Cependant, il n’existe actuellement
aucune donnée concernant le traitement au long cours (au-delà
de six mois), notamment sur l’efficacité de ces stratégies de
prévention du suicide, des comorbidités et du fonctionnement
social des patients anxieux (6).
RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT
À LONG TERME DU TROUBLE PANIQUE
Le trouble panique est une maladie chronique, invalidante. Les
symptômes clés sont des attaques de panique récurrentes cou-
plées à une anxiété anticipatoire et à des conduites d’évitement
et de réassurance. Ce trouble est souvent comorbide avec l’ago-
raphobie, et la dépression majeure. Les IRS sont reconnus
comme le traitement présentant le meilleur rapport bénéfice
risque. Actuellement, le traitement de maintenance est recom-
mandé pour une période minimale de 12 à 24 mois et dans cer-
tains cas, de façon indéfinie (7). Il n’y a pas de recommandation
définissant des critères pour l’arrêt du traitement.
RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT
AU LONG COURS DE LA PHOBIE SOCIALE
La phobie sociale est le trouble anxieux le plus commun avec une
fréquence rapportée allant de 3 à 18 %. La symptomatologie est
caractérisée par une peur persistante et marquée d’être observé ou
évalué par autrui dans des situations d’interactions sociales ou de
performance et est associée à des symptômes physiques, cognitifs
et comportementaux. Le début de la maladie intervient durant
l’enfance et l’adolescence. L’évolution est habituellement chro-
nique, sans rémission et associée à un handicap social significa-
tif. La phobie sociale montre un haut degré de comorbidités avec
les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et la dépendance ou
l’abus de substance. L’efficacité, la tolérance et la sécurité des IRS
en font les agents de première ligne de traitement. Le traitement
de la phobie sociale nécessite d’être poursuivi pendant plusieurs
mois pour consolider la réponse et achever une rémission la plus
complète possible. Les IRS ont montré un bénéfice dans les essais
thérapeutiques dits à long terme, ce qui correspond pour la plu-
part à des durées de 12 semaines de traitement. En regard de la
chronicité de la phobie sociale et du taux élevé de rechute après
des thérapies à court terme, il est actuellement recommandé de
poursuivre le traitement efficace pendant au moins 12 mois.
Cependant, nous manquons de données pour préciser combien de
temps un traitement de maintenance doit être administré (8) et sur
quels arguments cliniques il peut être arrêté.
RECOMMANDATIONS POUR LA PRISE EN CHARGE AU LONG
COURS DU TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF (TOC)
Le TOC est un trouble relativement commun avec une prévalence
approximative de 2 % en population générale. Il a souvent un
début précoce, dans l’enfance ou l’adolescence, et devient fré-
quemment chronique. Le TOC est caractérisé par la présence
d’obsessions et de compulsions qui entraînent une perte signifi-
cative de temps, causent une détresse marquée ou interfèrent
significativement dans le fonctionnement de la personne. La plu-
part des patients font l’expérience de leurs symptômes à travers
leur vie et bénéficient de traitement au long cours. Les options
pharmacologiques incluent les antidépresseurs tricycliques (clo-
mipramine) et les IRS (citalopram, fluoxétine, fluvoxamine, ser-
traline). Ils ont tous montré un bénéfice dans les essais en aigus.
La clomipramine, la fluvoxamine, la fluoxétine et la sertraline ont
aussi démontré une efficacité dans les essais thérapeutiques au
long cours, c’est-à-dire d’au moins 24 semaines. Les recomman-
dations actuelles pour la durée du traitement médicamenteux sont
d’un minimum de un à deux ans avant qu’une diminution pro-
gressive puisse être envisagée (9).
RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT
AU LONG COURS DE L’ESPT
Ce trouble intervient chez les patients exposés à des traumatismes
sévères, et la prévalence peut atteindre 12 % d’une population.
S’il reste non traité, l’ESPT peut perdurer pendant des années
après le traumatisme, et résulte en un handicap fonctionnel et
émotionnel importants, et une réduction dramatique de la qualité
de vie. Les traitements pharmacologiques de l’ESPT incluent les
IRS, les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de la mono-
amine oxydase. Seuls les IRS ont montré leur efficacité et leur
sécurité dans des essais contrôlés randomisés. Les recommanda-
tions actuelles pour l’ESPT sont actuellement en faveur d’une
durée minimale de traitement de 12 à 24 mois (10). Cependant,
ici encore, les questions portant sur la durée optimale de traite-
ment et sur les candidats qui pourraient bénéficier de traitements
à long terme restent encore sans réponse définitive (11).
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
DOSSIER THÉMATIQUE
Mise au point
40
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
Mise au point
41
CONCLUSION
La pratique courante, fondée sur des données empiriques et sur
la constatation de l’évolution le plus souvent chronique de ces
troubles, amène souvent le clinicien à prescrire les traitements de
fond principalement représentés par les IRS au long cours. Mais
comme on le voit, les données correspondant à la durée optimale
des traitements dans les différents troubles anxieux sont peu
nombreuses. Les panels d’experts recommandent une durée mini-
male de 12 à 24 mois de traitement pour la plupart des troubles
anxieux. Nous manquons cruellement d’essais thérapeutiques sur
des périodes plus longues que 24 semaines. Cela est, bien
entendu, lié à la difficulté et au coût qu’engendrent ces études
menées sur de longues périodes. Cependant, elles seront à l’ave-
nir nécessaires afin de répondre clairement à la question de la
durée du traitement dans les troubles anxieux.
R
ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Davidson JR. Use of benzodiazepines in social anxiety disorder, generalized
anxiety disorders, and posttraumatic stress disorder. J Clin Psychiatry 2004;65
(Suppl.5):29-33.
2.
Gourion D. Les traitements médicamenteux des troubles anxieux. Ann Med
Psychologiques 2003;161:255-9.
3.
Stevens JC, Pollack MH. Benzodiazepines in clinical practice: consideration of
their long-term use and alternative agents. J Clin Psychiatry 2005;66
(Suppl.2):21-7.
4.
O’Brien CP. Benzodiazepine use, abuse and dependence. J Clin Psychiatry
2005;66(Suppl.2):28-33.
5.
Allgulander C, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the
long-term of generalized anxiety disorder. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):53-61.
6.
Rouillon F. Long term therapy of generalized anxiety disorder. Eur Psychiatry
2004;19:96-101.
7.
Pollack MH, Allgulander C, Bandelow B et al. WCA recommendations for the
long-term treatment of panic disorder. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):18-30.
8.
Van Ameringen M, Allgulander C, Bandelow B et al. WCA recommendations
for the long-term treatment of social phobia. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):40-52.
9.
Greist JH, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the long-
term treatment of obsessive-compulsive disorders in adults. CNS Spectr 2003;8
(Suppl.1):7-16.
10.
Stein DJ, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the
long-term treatment of posttraumatic stress disorder. CNS Spectr 2003;
8(Suppl.1):31-9.
11.
Davidson JR. Long-term treatment and prevention of posttraumatic stress
disorder. J Clin Psychiatry 2004;65(Suppl.1):44-8.
Le programme de “La Psychiatrie dans tous ses états” est routé avec ce numéro.
Les articIes publiés dans “La Lettre du Psychiatre” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois
Dépôt légal à parution - © Mars 2005 - EDIMARK SAS.
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !