O S S I E R T H É M A T I Q U E a u p o i nt D Mi s e Que peut-on dire de la durée optimale du traitement des troubles anxieux ? What can we say about the optimal duration of treatment of anxiety disorders? ● B. Lucas*, P. Thomas* R R É É S S U U M M É É La plupart des troubles anxieux ont une évolution chronique émaillée d’accès paroxystiques. Leur traitement pharmacologique repose essentiellement sur les benzodiazépines et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Si les experts s’accordent pour une durée minimale de 12 à 24 mois de traitement pour la majorité des troubles anxieux, peu de données expérimentales sont à notre disposition pour définir la durée optimale du traitement. Mots-clés : Troubles anxieux – Durée du traitement. SUMMARY SUMMARY Most of anxiety disorders have a chronic evolution with acute phases. Treatment of anxiety disorders consist in use of benzodiazepines and selective serotonin reuptake inhibitors. 12 to 24 months are recommended by the experts as a minimal duration of treatment. Nevertheless, there is a lack of data to establish an optimal duration of treatment for anxiety disorders. Keywords: Anxiety disorders – Duration of treatment. évolution des troubles anxieux est en général chronique et émaillée d’accès aigus. La prise en charge médicamenteuse comporte donc deux aspects : le traitement des accès aigus, qui privilégie les anxiolytiques, en particulier la classe des benzodiazépines, et le traitement de fond pour lequel les antidépresseurs, notamment les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine et de la noradrénaline, sont les chefs de file. L’évolution naturelle au long cours des L’ * Service de psychiatrie, hôpital M. Fontan, CHRU de Lille. La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006 troubles anxieux pose évidemment le problème de la durée optimale du traitement médicamenteux. Nous allons ici tenter de décrire l’état des connaissances sur ce point. UTILISATION DES BENZODIAZÉPINES Les benzodiazépines sont le plus souvent le traitement de première intention dans les exacerbations des pathologies anxieuses, du fait de leur rapidité d’action. Cependant, leur efficacité pourrait varier selon les troubles anxieux. Leur intérêt est reconnu dans le trouble anxiété sociale. Elles sont également efficaces dans le traitement du trouble anxieux généralisé (TAG), même si les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) semblent supérieurs. Dans l’état de stress post-traumatique (ESPT), des recherches indiquent que les benzodiazépines seraient peu utiles à la prise en charge (1). Les limites d’utilisation de ces molécules sont liées à leurs nombreux effets indésirables (sédation, dépendance, effets amnésiants, risque de chute chez le sujet âgé, interactions médicamenteuses) qui apparaissent d’autant plus que les règles d’utilisation ne sont pas respectées. Ces règles impliquent notamment la durée la plus courte possible, l’emploi d’une posologie minimale efficace, l’évaluation attentive de l’apparition d’une surconsommation et d’une addiction. Il faut également signaler la fréquence des syndromes confusionnels chez les personnes âgées lors de l’introduction, du sevrage ou des modifications de doses. C’est pourquoi la durée maximale de prescription dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est de trois mois et elle inclut le temps de sevrage qui doit être très progressif (2-4). De plus, toutes les études sur les benzodiazépines sont de courte durée et l’on ne dispose pas de données quant à leur efficacité à long terme. Nous nous interrogeons sur les données actuelles de la littérature concernant la durée optimale du traitement au long cours pour chaque troubles anxieux. RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT AU LONG COURS DU TROUBLE ANXIEUX GÉNÉRALISÉ Le TAG est un trouble commun avec une prévalence de 4 à 7 % dans la population générale. Ce trouble se caractérise par une 39 O S S I E R T H É M A T I Q U E Mi s e a u p o i nt D inquiétude ou une anxiété incontrôlable et excessive à propos d’un certain nombre d’événements ou d’activités. Le début des symptômes intervient généralement durant les vingt premières années. L’évolution clinique du TAG est souvent chronique avec 40 % des patients rapportant que la durée de la maladie est supérieure à cinq ans. Cette pathologie est souvent associée à un handicap fonctionnel prononcé. Les benzodiazépines sont fréquemment prescrites pour le traitement du TAG. Pourtant, elles ne sont pas recommandées pour le traitement à long terme pour les raisons que nous avons évoquées auparavant (5). Actuellement, seules la venlafaxine d’action prolongée et la paroxétine ont reçu l’AMM pour le traitement de trouble anxieux. La venlafaxine a démontré son efficacité contre placebo dans deux essais thérapeutiques randomisés d’une durée de six mois. La paroxétine a démontré sa supériorité par rapport au placebo dans des essais à court terme, puis dans la prévention de la rechute à six mois, et des recherches sont en cours pour évaluer l’utilisation d’autres IRS. La fréquence des rechutes chez les répondeurs au traitement curatif reste importante : 6 % à six mois, 20 % à deux ans, 28 % à cinq ans. Cela met en lumière la nécessité de stratégies thérapeutiques à long terme. Cependant, il n’existe actuellement aucune donnée concernant le traitement au long cours (au-delà de six mois), notamment sur l’efficacité de ces stratégies de prévention du suicide, des comorbidités et du fonctionnement social des patients anxieux (6). RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT À LONG TERME DU TROUBLE PANIQUE Le trouble panique est une maladie chronique, invalidante. Les symptômes clés sont des attaques de panique récurrentes couplées à une anxiété anticipatoire et à des conduites d’évitement et de réassurance. Ce trouble est souvent comorbide avec l’agoraphobie, et la dépression majeure. Les IRS sont reconnus comme le traitement présentant le meilleur rapport bénéfice risque. Actuellement, le traitement de maintenance est recommandé pour une période minimale de 12 à 24 mois et dans certains cas, de façon indéfinie (7). Il n’y a pas de recommandation définissant des critères pour l’arrêt du traitement. RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT AU LONG COURS DE LA PHOBIE SOCIALE La phobie sociale est le trouble anxieux le plus commun avec une fréquence rapportée allant de 3 à 18 %. La symptomatologie est caractérisée par une peur persistante et marquée d’être observé ou évalué par autrui dans des situations d’interactions sociales ou de performance et est associée à des symptômes physiques, cognitifs et comportementaux. Le début de la maladie intervient durant l’enfance et l’adolescence. L’évolution est habituellement chronique, sans rémission et associée à un handicap social significatif. La phobie sociale montre un haut degré de comorbidités avec les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et la dépendance ou 40 l’abus de substance. L’efficacité, la tolérance et la sécurité des IRS en font les agents de première ligne de traitement. Le traitement de la phobie sociale nécessite d’être poursuivi pendant plusieurs mois pour consolider la réponse et achever une rémission la plus complète possible. Les IRS ont montré un bénéfice dans les essais thérapeutiques dits à long terme, ce qui correspond pour la plupart à des durées de 12 semaines de traitement. En regard de la chronicité de la phobie sociale et du taux élevé de rechute après des thérapies à court terme, il est actuellement recommandé de poursuivre le traitement efficace pendant au moins 12 mois. Cependant, nous manquons de données pour préciser combien de temps un traitement de maintenance doit être administré (8) et sur quels arguments cliniques il peut être arrêté. RECOMMANDATIONS POUR LA PRISE EN CHARGE AU LONG COURS DU TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF (TOC) Le TOC est un trouble relativement commun avec une prévalence approximative de 2 % en population générale. Il a souvent un début précoce, dans l’enfance ou l’adolescence, et devient fréquemment chronique. Le TOC est caractérisé par la présence d’obsessions et de compulsions qui entraînent une perte significative de temps, causent une détresse marquée ou interfèrent significativement dans le fonctionnement de la personne. La plupart des patients font l’expérience de leurs symptômes à travers leur vie et bénéficient de traitement au long cours. Les options pharmacologiques incluent les antidépresseurs tricycliques (clomipramine) et les IRS (citalopram, fluoxétine, fluvoxamine, sertraline). Ils ont tous montré un bénéfice dans les essais en aigus. La clomipramine, la fluvoxamine, la fluoxétine et la sertraline ont aussi démontré une efficacité dans les essais thérapeutiques au long cours, c’est-à-dire d’au moins 24 semaines. Les recommandations actuelles pour la durée du traitement médicamenteux sont d’un minimum de un à deux ans avant qu’une diminution progressive puisse être envisagée (9). RECOMMANDATIONS POUR LE TRAITEMENT AU LONG COURS DE L’ESPT Ce trouble intervient chez les patients exposés à des traumatismes sévères, et la prévalence peut atteindre 12 % d’une population. S’il reste non traité, l’ESPT peut perdurer pendant des années après le traumatisme, et résulte en un handicap fonctionnel et émotionnel importants, et une réduction dramatique de la qualité de vie. Les traitements pharmacologiques de l’ESPT incluent les IRS, les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de la monoamine oxydase. Seuls les IRS ont montré leur efficacité et leur sécurité dans des essais contrôlés randomisés. Les recommandations actuelles pour l’ESPT sont actuellement en faveur d’une durée minimale de traitement de 12 à 24 mois (10). Cependant, ici encore, les questions portant sur la durée optimale de traitement et sur les candidats qui pourraient bénéficier de traitements à long terme restent encore sans réponse définitive (11). La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006 p o i nt La pratique courante, fondée sur des données empiriques et sur la constatation de l’évolution le plus souvent chronique de ces troubles, amène souvent le clinicien à prescrire les traitements de fond principalement représentés par les IRS au long cours. Mais comme on le voit, les données correspondant à la durée optimale des traitements dans les différents troubles anxieux sont peu nombreuses. Les panels d’experts recommandent une durée minimale de 12 à 24 mois de traitement pour la plupart des troubles anxieux. Nous manquons cruellement d’essais thérapeutiques sur des périodes plus longues que 24 semaines. Cela est, bien entendu, lié à la difficulté et au coût qu’engendrent ces études menées sur de longues périodes. Cependant, elles seront à l’avenir nécessaires afin de répondre clairement à la question de la durée du traitement dans les troubles anxieux. 3. Stevens JC, Pollack MH. Benzodiazepines in clinical practice: consideration of R Psychologiques 2003;161:255-9. É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Davidson JR. Use of benzodiazepines in social anxiety disorder, generalized anxiety disorders, and posttraumatic stress disorder. J Clin Psychiatry 2004;65 (Suppl.5):29-33. their long-term use and alternative agents. J Clin Psychiatry 2005;66 (Suppl.2):21-7. 4. O’Brien CP. Benzodiazepine use, abuse and dependence. J Clin Psychiatry 2005;66(Suppl.2):28-33. 5. Allgulander C, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the long-term of generalized anxiety disorder. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):53-61. 6. Rouillon F. Long term therapy of generalized anxiety disorder. Eur Psychiatry 2004;19:96-101. 7. Pollack MH, Allgulander C, Bandelow B et al. WCA recommendations for the long-term treatment of panic disorder. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):18-30. 8. Van Ameringen M, Allgulander C, Bandelow B et al. WCA recommendations for the long-term treatment of social phobia. CNS Spectr 2003;8(Suppl.1):40-52. 9. Greist JH, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the longterm treatment of obsessive-compulsive disorders in adults. CNS Spectr 2003;8 (Suppl.1):7-16. 10. Stein DJ, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the long-term treatment of posttraumatic stress disorder. CNS Spectr 2003; 8(Suppl.1):31-9. 11. Davidson JR. Long-term treatment and prevention of posttraumatic stress disorder. J Clin Psychiatry 2004;65(Suppl.1):44-8. Le programme de “La Psychiatrie dans tous ses états” est routé avec ce numéro. Les articIes publiés dans “La Lettre du Psychiatre” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal à parution - © Mars 2005 - EDIMARK SAS. La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006 41 a u 2. Gourion D. Les traitements médicamenteux des troubles anxieux. Ann Med Mi s e CONCLUSION