Restauration du colombier de l`ancienne abbaye de Floreffe

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Les Cahiers de l’Urbanisme N° 77
Décembre 2010
52
52-56
Bruno Collard
Service public de Wallonie
DGO4
Département du Patrimoine
Direction de la Restauration
du patrimoine
Attaché
Restauration du colombier
de l’ancienne abbaye de Floreffe
De l’importance de l’analyse des sources et données
iconographiques et techniques dans la détermination
des options de restauration01.
Vue de l’abbaye de Floreffe
par Jacob Van Liender
(18e siècle).
© Musées royaux des
Beaux-arts, Bruxelles
Données
Données historiques
01
Je tiens à remercier
Monsieur Olivier Berckmans
et Madame Ghislaine Lomba
pour leur collaboration
aux recherches
archéologiques, historiques
et archivistiques.
Ni les comptes, ni les archives de l’abbaye de
Floreffe ne mentionnent la construction du
colombier dans sa configuration actuelle. Celle-ci
serait liée aux travaux entrepris par l’abbé Charles
de Severi (1641-1662) qui commanda l’aménagement des terrasses qui surplombe actuellement
les rues Giroul et du Séminaire. Ces terrasses sont
d’ailleurs ponctuées de trois tourelles dont les
couvertures de toitures baroques sont semblables à celle du colombier.
Les données iconographiques, par contre, nous
confirment la présence d’un édicule coiffé d’une
simple toiture à quatre pans construit sur un
plan d’eau, et ce, dès 1604. L’orientation prise par
l’illustrateur Adrien de Montigny tend à prouver
que le plan d’eau est bien le vivier et réservoir du
moulin et que son emplacement pourrait être celui du colombier. Cette configuration est reprise à
nouveau par Montigny quelques années plus tard.
Il faut attendre le 18e siècle et les gravures et
dessins de Nicole et de Remacle Leloup pour voir
apparaître le colombier tel que nous le connaissons. Comme dans l’illustration de Montigny, le
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colombier est bâti sur un îlot tantôt circulaire,
tantôt de forme carrée, avec ou sans végétation
mais coiffé de sa toiture baroque.
Restauration
Motivation du demandeur
La plus belle représentation de l’abbaye est sans
nul doute celle de Jacob Van Liender datant du
milieu du 18e siècle. Elle en présente un point une
de vue inédit. L’ensemble du dessin est d’une
remarquable précision et l’on distingue clairement
le colombier. Il s’agit donc d’un petit édifice carré
de style traditionnel en brique et pierre bleue couvert d’une toiture complexe. L’îlot est également
carré et ses berges sont maçonnées. Chacune des
façades visibles est percée, dans sa partie haute,
d’une baie équipée d’une aire d’envol sur consoles
de pierre en quart de rond.
Initialement, le projet de la commune était
d’installer l’office du tourisme dans une nouvelle annexe à accoler au colombier. Pour des
questions de budget, ce projet est abandonné au
profit de la restauration et remise en valeur du
colombier. Celui-ci deviendra un élément phare
d’une balade-découverte à travers le bourg et le
long du ruisseau. La surface limitée du colombier
(+/- 15m²) offre peu de possibilité dès lors qu’on
souhaite ne pas dénaturer sa silhouette.
Évolution du bâti
Dès lors que le comité d’accompagnement, dans
le cadre de la délivrance du certificat de patrimoine, avait admis l’option proposée par la commune, les différents intervenants se sont concentrés sur la restauration du bâtiment. L’analyse
des sources iconographiques a mis en évidence
la disposition du colombier : sur un îlot au milieu
d’un étang . Cette disposition a été confirmée par
des sondages réalisés à l’intérieur et à l’extérieur
de la bâtisse. Ils ont mis à jour plusieurs éléments
qui ont orienté le projet dont la présence d’arcs
surbaissés en brique reposant sur de fort piliers
de pierres ainsi que deux fois deux paires d’ancres
qui tendent à prouver que la structure de support
du plancher était composée de poutres en bois.
Par contre, aucune trace des berges de l’îlot n’a
été mise à jour lors de ces sondages.
L’analyse des différents documents iconographiques permet de situer la construction du colombier dans le courant du 17e siècle et il semble
avoir conservé sa situation et sa silhouette
jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
À la Révolution française, les chanoines sont
chassés et l’abbaye est vendue comme bien national. Par chance, elle est rachetée dès 1796 par
les anciens religieux qui la transforment en petit
séminaire à partir de 1818.
Les premières informations relatives à la nouvelle
affectation du colombier sont précisées dans les
plans et la matrice cadastrale de 1839 : il s’agit
d’une «remise» située au milieu d’un étang.
C’est après la mutation de 1912 que le colombier
est repris comme habitation. Cette situation est
confirmée par plusieurs cartes postales anciennes. L’étang a perdu près de la moitié de sa
surface et le colombier apparaît sur la terre ferme.
Projet
La projection en élévation d’un colombier avec
ses arcades dégagées a fini par convaincre les
membres du comité d’accompagnement sur la
nécessité de le dégager et de profiler le vivier pour
permettre au colombier d’être à nouveau les pieds
dans l’eau et de retrouver tout son élancement.
À cette époque, une première annexe est bâtie
contre le mur est et le colombier subit plusieurs
transformations : la porte d’accès et les aires
d’envol sont murées et une grande baie est ouverte dans la façade ouest. Une seconde annexe
est construite vers 1939.
Avec la diminution de la surface du vivier à la
fin du 19e siècle, un grand terrain est libéré et
affecté au potager du petit séminaire. De la fin
des années 1930 jusqu’aux travaux de la N 90 vers
1970, le lieu est occupé par la famille Moreaux. Un
certain Maurice Servais leur succédera comme
jardinier. Les difficultés commencent pour le
colombier vers la fin des années 1970. En effet,
plusieurs locataires occupent les lieux jusqu’à la
mise en vente aux enchères du bâtiment en septembre 1992. Une seconde mise en vente a lieu en
novembre de la même année. Le bien n’est plus
occupé et se dégrade. À nouveau mis en vente en
1997, il est squatté et vandalisé. En 1999, un incendie ravage l’annexe mais épargne le colombier.
La commune se rend acquéreur du bien en 2002
et entame le processus de restauration qui est en
voie d’achèvement.
Colombier avant travaux en
juillet 2007.
Photo Bruno Collard, © SPW
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Les colombiers
Les pigeonniers ou colombiers sont connus
et utilisés depuis la haute Antiquité, de
nombreux témoignages et traces iconographiques attestent de la présence de bâtiments
spécifiquement dédiés à l’élevage de ces volatiles. Cette tradition séculaire se perpétue
d’ailleurs en Égypte, dans des colombiers dont
la forme ne s’éloigne guère de ce que l’on peut
voir dans les gravures, mosaïques et dessins
anciens.
Dans nos régions, la présence de colombier
est attestée au Moyen Âge, notamment
grâce aux textes qui en règle la possession et
l’usage. Le droit coutumier précise que seuls
les seigneurs ont le droit de posséder des
«colombiers à pied»02, l’usage de volière03 étant
réservé aux paysans disposant de la surface de
terrain suffisante pour les nourrir.
Depuis toujours, les pigeons sont élevés avant
tout pour leur chair. En effet, le pigeon présente le gros avantage de se reproduire rapidement04 et de fournir, quasiment toute l’année,
de la viande fraîche tout en se nourrissant
quasiment seul. Le colombier est également
une source de revenu financier et en nature
pour celui qui le loue et pour celui qui en
dispose. En effet, la vente des pigeonneaux sur
les marchés apporte au vendeur des liquidités
immédiatement.
Le nombre de personnes affectées à l’entretien des colombiers est fonction du nombre
de boulins05. Sachant qu’un boulin accueille
un couple d’oiseau, on mesure l’étendue de la
richesse des grands domaines06 où les boulins
pouvaient être au nombre de 3.000. Ce sont
donc, dans ce cas, 4 à 5 serviteurs qui sont
chargés de son entretien en permanence. Il
ne faut pas oublier l’autre grande richesse
produite par les pigeons : la colombine.
Celle-ci, composée des fientes des oiseaux, a
longtemps été considérée comme le meilleur
des engrais. Riche en azote et en acide
phosphorique elle était utilisée pour fumer
les terres. Cependant, son caractère volatile
et son odeur nauséabonde ont orienté sont
utilisation vers les cultures exigeant beaucoup
d’engrais ou dans les jardins.
Au regard de ce qui précède on comprend le
soin apporté à la construction des colombiers.
Symbole de puissance, de richesse et de pouvoir, ils sont également une pièce importante
dans l’exploitation d’un domaine agricole.
La construction des colombiers est abondamment reprise et illustrée dans les traités
d’architecture. Ces derniers prescrivent
de construire des tours circulaires. Cette
forme présente le double intérêt de limiter
l’accès des rats qui ne pourraient escalader
les pierres dans les angles et parce que cela
limite justement l’utilisation de pierres
taillées, plus onéreuse, pour la réalisation
desdits angles. De plus, la forme ronde à
l’intérieur facilite l’accès aux boulins depuis
l’échelle pivotante installée dans l’axe du
bâtiment. Plusieurs autres dispositifs sont
installés pour limiter l’accès des nuisibles :
les maçonneries extérieures doivent être
barrées par un ou plusieurs cordons larmiers
en pierres lisses, les murs intérieurs sont
enduits pour boucher les trous et fentes
qui pourraient leur servir d’accès et les
premiers rangs de boulins sont construit à
une hauteur de 80cm pour empêcher le saut
des rongeurs.
L’implantation du colombier a également
une grande importance. Le bâtiment doit
être implanté à l’abri du vent, du bruit et des
grands arbres qui peuvent servir de repaires
aux rapaces. Les baies, ou lucarnes sont ouvertes du côté du levant et jamais orientées
vers les vents dominants. Elles sont fermées
par un panneau dans lequel sont ménagés les
trous d’accès et elles sont dotées d’une aire
d’envol en saillies de la muraille. Un épi de
faîtage vient généralement couronner la couverture de toiture et souligner, par un décor
spécifique, la destination du bâtiment.
Vue des boulins du tambour
à la suite du démontage de
la couverture de toiture et
du voligeage – mai 2009.
Photo Olivier Berckmans,
© SPW
02
Édifice généralement
en forme de tour, dont
l’intérieur est tapissé de
niches ou boulins. Ces
bâtiments sont détachés
des autres constructions.
03
Les volières ont en règle
générale un nombre limité
de boulins et concerne
les édifices construits
sur piliers, ou à même les
bâtiments de la ferme :
grange, porche, combles.
04
On compte généralement
6 à 7 nichées de mars
à septembre de 1 à 2
pigeonneaux. Les jeunes
se reproduisent au bout de
6 mois.
05
Le boulin est la niche de
l’oiseau. En fonction des
régions, le nid peut être
fabriqué en osier, sous
forme de panier ou de
demi-sphère ; en terre
cuite, sous forme de pot
que l’on superpose ou que
l’on maçonne ; en torchis
ou encore, pour les plus
durables, en brique, réalisé
dans l’épaisseur de la
maçonnerie.
06
Le droit coutumier précise
qu’il faut posséder entre
50 et 100 arpents de terres
(soit entre 17 et 51 ha)
minimum pour posséder un
colombier et qu’un arpent
donne droit à 1 ou 2 boulins.
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L’absence de représentations iconographiques
donnerait à penser que le piétement était enterré
dans l’île : interprétation peu plausible car cette
disposition priverait le bâtiment d’une ventilation
indispensable en terrain humide et déforcerait le
dispositif anti-rongeur. Cette absence peut être
due à une imprécision du dessin ou à une obturation des arcades au 18e siècle comme le suggèrent
les vestiges des maçonneries découvertes lors
des terrassements.
Chantier
Le chantier de restauration a connu quatre grande
phases qui, toutes, ont apporté leur découverte.
Il s’agit de la restauration de la charpente et de
la toiture, les travaux relatifs à la maçonnerie,
le dégagement et la découverte des piliers, les
terrassements périphériques.
Le démontage de la couverture de toiture et du
voligeage était rendu nécessaire par cinquante
ans d’absence d’entretien, un trou béant côté
sud-ouest et des infiltrations d’eau depuis l’épi
de faîtage. L’état de la charpente était préoccupant car à peu près un quart de la structure
présentait de graves désordres mettant en
cause la stabilité de l’ensemble. La mise en place
d’un échafaudage parapluie a permis un travail de restauration dans des conditions optimales. Plusieurs découvertes importantes ont
agrémenté cette phase du travail. La première
concerne la structure des boulins situés au
niveau du tambour. Ceux-ci sont visibles depuis
la première enrayure 07, mais le démontage des
voliges a donné accès à l’arrière des niches
découvrant les cloisonnements : les poteaux
de la structure du tambour servent de divisions verticales dans lesquels sont engravés de
petites planchettes peintes. Des portes mobiles
barraient l’accès de certains boulins et permettaient sans doute de gérer le nombre d’oiseaux
présents dans le colombier. Un autre dispositif
d’accueil des boulins était installé dans la partie
inférieure de la toiture : des baguettes délardées
clouées sur les arbalétriers étaient disposées sur
tout le pourtour de la toiture.
Nous l’avons écrit plus haut, les façades du
colombier ont été malmenées. En plus de la
grande fenêtre côté ouest, un passage vers les
annexes a été percé côté est. Les maçonneries
enterrées ont souffert et de nombreuses briques
ont dû être remplacées. Des quatre aires d’envol
initiales, seules deux étaient encore en place. Les
pierres de la troisième ont été retrouvées sur le
site. Elles servaient d’encadrement à un soupirail de l’annexe. La quatrième a été reconstituée.
Lors de la construction de la première annexe, la
façade est du colombier, devenu mur intérieur, a
été enduite. Le projet prévoyant la démolition des
annexes, cette façade a été décapée laissant apparaître des traces rougeâtres qui, après analyse,
se sont révélées être les pigments d’un badigeon.
La direction de chantier a décidé de repeindre
les façades du colombier. Ce choix se justifie
d’un point de vue archéologique mais également
Détail de l’arrière des
boulins du tambour –
vue du cloisonnement.
Photo Olivier Berckmans,
© SPW
technique (l’environnement humide est particulièrement agressif pour les maçonneries de
brique) et esthétique.
Lors des sondages, les piliers sont apparus
dans un état de conservation satisfaisant. Mais
après les avoir entièrement dégagés, la direction
de chantier a constaté qu’ils présentaient de
multiples désordres : pierres fissurées ou sorties
de leur logement, affaissement, desquamation,
délitement, etc. Bien que grâce aux douze micropieux qui ont été placés, la stabilité du colombier
est garantie, il convenait de restaurer ces piliers,
d’autant plus qu’il était prévu de les remettre
dans l’eau.
Bibliographie
Floreffe, 850 ans d’Histoire,
Floreffe, 1973.
GEMOB, Les colombiers de
l’Oise, Paris, 1991.
L’ancienne abbaye de
Floreffe, 1121-1996 dans
Études et Documents,
Monuments et sites, MRW,
Namur, 1996.
D. LETELIER, Pigeonniers
de France, Édition Privat,
Toulouse, 1991.
J. LOMBET, L’abbaye de
Floreffe, Floreffe, 1989.
Le réaménagement des berges du vivier a permis
la mise à jour de l’infrastructure de l’îlot confirmant la situation décrite dans les sources iconographiques.
Conclusion
Bien que la restauration du colombier proprement dit soit terminée, la remise sous eau
a d’abord nécessité la vidange du vivier. Le
bouchon prévu à cet effet a malheureusement
été bétonné lors de travaux de réfection d’une
berge. Celle-ci a dû être détruite pour permettre
l’évacuation de l’eau. Cette opération a révélé
l’état d’envasement de l’étang. Ce sont près de
6000 m3 de boue qui doivent maintenant être
évacuées pour permettre la finalisation du projet.
Le remise à l’eau de l’édifice est donc temporairement reportée.
07
Il s’agit d’un assemblage
de pièces qui forme la
base horizontale d’une
charpente.
56
Colombier en novembre
2010.
Photo Guy Focant, © SPW
Nom
Colombier de l’ancienne
Abbaye de Floreffe
Adresse : Rue du Séminaire
5150 Floreffe
Classement
comme monument
08 novembre 1977 :
«Sont classés, en raison
de leur valeur historique
et artistique, a) comme
monument : (…) le bâtiment
proche du vivier (…)
Objet des travaux
Restauration du colombier
de l’ancienne Abbaye
de Floreffe
Maître de l’ouvrage :
Commune de Floreffe
Auteur de projet : Atelier
d’architecture Th. Lanotte
Entreprises
Lot 1 : restauration
du monument :
entreprises Bajart sa
Lot 2 : aménagement
des abords :
entreprises Bajart sa
Certificat de patrimoine
31 mars 2008
Permis d’urbanisme
10 juillet 2008
Coût du projet
351.391,60€ TVAC hors
honoraires et suppléments
Montage financier
SPW-DGO4 –
Département du
Patrimoine, Direction
de la restauration : 95%
des postes subsidiables
(montant total du subside,
TVA, majoration et frais
généraux compris :
369.110,21€), Province de
Namur 1%, commune de
Floreffe 4%.
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