Traitement neurochirurgical de la névralgie du trijumeau M

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Traitement neurochirurgical de la névralgie du trijumeau
● T. Faillot*
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■ Décompression neurovasculaire et techniques percutanées font preuve d’une efficacité initiale équivalente.
■ La décompression neurovasculaire semble procurer un soulagement plus durable, au prix d’un geste
chirurgical plus lourd.
■ L’innocuité des procédures percutanées les rend
possibles chez le sujet âgé ou en mauvais état général.
■ Le risque de séquelle sensitive cornéenne après
procédure percutanée doit faire préférer une décompression neurovasculaire en cas de névralgie atteignant le V1.
■ La radiochirurgie semble intéressante mais doit
trouver sa place au sein de l’arsenal thérapeutique.
L
e traitement de la névralgie du trijumeau
(NT) est avant tout médical et repose principalement sur les antiépileptiques (carbamazépine, clonazépam, phénytoïne) et le baclofène. Le traitement chirurgical ne se discute qu’en cas d’échec et fait
appel soit à des techniques percutanées (thermocoagulation ou compression par ballonnet du ganglion de Gasser,
injection de glycérol), soit à une décompression neurovasculaire par abord microchirurgical. Ces deux méthodes,
d’efficacité initiale équivalente, diffèrent en revanche en
ce qui concerne l’efficacité à long terme et les complications éventuelles. La place au sein de l’arsenal thérapeu* Service de neurochirurgie, hôpital d’instruction des Armées
du Val-de-Grâce, Paris.
La Lettre du Neurologue - n° 5 - vol. IV - octobre 2000
tique de l’irradiation en condition stéréotaxique (radiochirurgie), d’utilisation plus récente, reste à définir.
HISTORIQUE
Les premières tentatives “neurochirurgicales” virent le
jour dès la fin du XIXe siècle, justifiées par l’absence de
traitement médical efficace et les échecs des neurotomies
périphériques. Les quelques succès obtenus dès 1890,
après ablation du ganglion de Gasser (Roos, Hartley,
Krause), le furent au prix d’une mortalité et d’une morbidité lourdes. La section rétrogassérienne des fibres du trijumeau, décrite par Frazier en 1901, fut reprise par voie
intradurale par Dandy en 1925. La meilleure connaissance de l’organisation des fibres nerveuses et l’avènement des techniques de microchirurgie permirent ensuite
une destruction nerveuse plus sélective (la section partielle de la pars major du V à son entrée dans la protubérance
est encore parfois pratiquée).
Les premières tentatives d’alcoolisation du ganglion de
Gasser par voie percutanée remontent au début du siècle
(Härtel), et c’est dans les années 1930 qu’apparurent les
premières interventions percutanées de thermolésion du
ganglion de Gasser (Kirschner). Les progrès techniques
permirent, là encore, l’évolution vers la méthode actuelle,
décrite par Sweet.
Pendant la même période, d’autres techniques virent le
jour et connurent des fortunes diverses (décompression du
cavum de Meckel, tractotomie bulbospinale du trijumeau).
L’un des tournants majeurs dans l’histoire du traitement
chirurgical de la NT fut la mise en application au milieu
des années 1970 par Janetta (1) de la théorie du conflit
neurovasculaire, suggérée en 1932 par Dandy et redécouverte dès le début des années 1960 par Gardner pour le
traitement de l’hémispasme facial.
LA THÉORIE DU CONFLIT NEUROVASCULAIRE
Dans sa conception initiale, cette théorie incriminait une
compression pulsatile d’origine artérielle du nerf crânien
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au niveau de sa zone d’entrée ou de sortie du tronc cérébral, sur un trajet de quelques millimètres. La décompression neurovasculaire, par séparation du nerf et de
l’artère (DNV), a par la suite vu son champ d’application s’élargir progressivement aux conflits d’origine veineuse et à d’autres indications (névralgie glosso-pharyngée, hoquet, maladie de Ménière, voire hypertension
artérielle essentielle).
Malgré la qualité des résultats obtenus par décompression
neurovasculaire dans la névralgie du trijumeau, des zones
d’ombre subsistent quant aux bases physiopathologiques
de la théorie du conflit et au mode d’action exact de la
DNV (2). La fréquence d’un contact anatomique étroit
entre nerf trijumeau et artère (le plus souvent une branche
de l’artère cérébelleuse supérieure) peut atteindre 60 %
dans les études anatomiques “tout venant”, et cette disposition anatomique est bilatérale dans 20 % des cas. Cela
ne rend compte ni de la relative rareté de l’affection, ni
de son caractère le plus souvent unilatéral. Le caractère
permanent des rapports nerf-artère n’explique pas non
plus l’évolution par poussées de la NT.
Par ailleurs, l’exploration chirurgicale ne retrouve pas
toujours un conflit artériel : celui-ci peut être alors d’origine veineuse, voire absent. Dans ce dernier cas, on peut
s’étonner des succès de l’intervention, tout comme des
résultats équivalents obtenus lors de conflits artériels
avec ou sans interposition de matériel (3). On comprend
également mal le mécanisme des récidives douloureuses
après DNV, et a fortiori, en cas de conflit veineux,
lorsque la veine a été coagulée.
Les quelques succès de la DNV en cas de névralgie secondaire à une sclérose en plaques sont encore plus étonnants.
Outre la décompression proprement dite, la libération de
brides arachnoïdiennes, les micro-traumatismes occasionnés
au nerf lors de la dissection, ou une néocompression par
l’interposition de matériel sont autant d’explications possibles de l’efficacité remarquable de l’intervention (2, 3).
LES TECHNIQUES
Procédures percutanées (PPC) et DNV sont à l’heure
actuelle les interventions les plus communément pratiquées. Les principaux inconvénients des PPC (taux relativement élevé de récidive et possibilité de complications
sensitives) ont grandement contribué à l’engouement suscité par l’abord direct du trijumeau. Plusieurs séries
récentes portant sur les résultats à long terme des différentes techniques ont permis de relancer le débat (3, 4, 5,
6). Plus récemment encore, plusieurs publications ont
rapporté les premiers résultats obtenus par l’irradiation en
conditions stéréotaxiques.
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Les procédures percutanées
La ponction sous amplificateur de brillance du trou ovale
est relativement aisée et permet d’introduire un trocart
dans le ganglion de Gasser.
La thermocoagulation différentielle par radiofréquence
est la plus répandue et – en théorie – la plus sélective :
compte tenu de la somatotopie des fibres au sein du ganglion, il est possible, en positionnant correctement la
pointe de l’électrode, de ne faire porter la coagulation
que sur les fibres provenant du territoire douloureux ; les
fibres rencontrées après l’entrée dans le trou ovale sont
d’abord celles du territoire V3 (et de la branche masticatrice), puis, en progressant vers la profondeur, celles du
territoire V2 et enfin celles du territoire V1 (voir
schéma). De plus, les températures de lésion utilisées (70
à 75°) permettent en théorie de ne détruire que les fibres
Aδ et C, en respectant les fibres myélinisées de plus fort
calibre. L’hypoesthésie – le plus souvent modérée – est
toutefois fréquente (5) et considérée par certains auteurs
comme un gage d’efficacité.
V1
Vm
V3
V2
TO
T
V1 : nerf ophtalmique de Willis. V2 : nerf maxillaire
supérieur. V3 : nerf mandibulaire. Vm : nerf masticateur.
TO : trou ovale. T : trocart
Schéma illustrant la somatotopie des fibres trigéminales dans le ganglion
de Gasser et la possibilité d’une lésion sélective en fonction du positionnement de la pointe de l’électrode (d’après Sindou et Kéravel) (7).
L’injection de glycérol ou la compression du ganglion de
Gasser par ballonnet, de réalisation moins courante, donnent des résultats un peu moins bons en termes d’analgésie. De plus, les récidives et les séquelles sensitives
graves après injection de glycérol sont deux fois plus fréquentes qu’après thermocoagulation (5).
Ces PPC sont réalisées sous sédation très légère, car elles
nécessitent la collaboration du patient. Elles sont donc
possibles avec un minimum de risques chez les sujets
âgés – qui constituent la grande majorité des patients – et
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ne nécessitent qu’une très courte hospitalisation. Leur
caractère parfois pénible peut maintenant être atténué par
l’utilisation de drogues anesthésiques rapidement réversibles (propofol).
Décompression neurovasculaire
Cette intervention nécessite une anesthésie générale. Par
une craniectomie rétromastoïdienne limitée, exposant le
dièdre formé par le sinus transverse et le sinus sigmoïde, la
dure-mère est ouverte le long des sinus, et le pôle antérosupérieur de l’hémisphère cérébelleux est écarté vers le
bas et l’arrière, découvrant le trijumeau à son entrée dans
la protubérance. Sous microscope opératoire, le nerf est
soigneusement exploré sur tout son trajet, et le vaisseau
responsable du conflit est identifié puis séparé du nerf (1,
7). L’interposition d’un fragment de teflon n’est pas systématique (3). En cas de compression par une veine,
celle-ci est coagulée et interrompue.
mais des difficultés de dissection ou l’absence de conflit
manifeste peuvent empêcher de la mener à son terme
dans 15 % environ des cas, ce qui fait tomber son taux de
succès initial à 83 % (5). Les résultats sont moins bons en
cas de conflit veineux ou d’absence de conflit.
Après radiochirurgie, à l’exception d’un article (8), le
taux d’“excellents” résultats se situe autour de 75 % (9).
C’est à moduler en raison de l’efficacité parfois retardée
de l’irradiation.
Récidive
La fréquence des récidives, qui peuvent survenir après
PPC comme après DNV, ainsi que leur délai de survenue
sont très variables selon les séries.
La thermocoagulation percutanée comporte un risque global de 20 % de récidive, grossièrement comparable à celui
de la compression par ballon. Le taux de récidive est nettement supérieur après injection de glycérol (54 %) (5).
Après DNV, la fréquence globale de récidive semble un
peu inférieure (15 %), avec des variations de 8 à 46 %, et
des délais compris entre 4 et 8 ans (3, 4, 5, 6, 7).
Faute d’un recul suffisant, les données concernant le taux
de récidive après radiochirurgie (5 à10 %), sont difficilement interprétables et susceptibles d’évoluer (9).
Irradiation en conditions stéréotaxiques (radiochirurgie)
Elle consiste à délivrer, en une séance, 70 à 80 grays sur
la partie proximale du nerf trijumeau avant son entrée
dans la protubérance. Les résultats publiés jusqu’à maintenant sont obtenus à l’aide du “Gamma Knife”, qui fait
converger 201 faisceaux de photons sur un isocentre de
4 mm, aucune tentative ne semblant avoir été faite avec
Complications
un accélérateur linéaire, qui donne des résultats équiva● Complications sensitives
lents dans d’autres indications de la radiochirurgie.
Une hypoesthésie, même si elle est le plus souvent peu
L’avantage de la technique est son apparente innocuité,
gênante, est retrouvée chez la majorité des patients traités
particulièrement intéressante chez les patients
très âgés. Malheureusement, il n’existe à l’heure
actuelle qu’un “Gamma Knife” en France, ce Tableau. Résultats et complications en pourcentages observés sur plusieurs séries de la
qui en limite l’accès et pose le problème de la littérature (d’après TAHA) (5).
faisabilité de la méthode dans des délais accepThermocoagulation Glycérol Ballon Décompression
tables pour un patient en poussée douloureuse.
neurovasculaire
Les résultats immédiats sont intéressants mais
le faible recul ne permet pour le moment aucuSoulagement
98
91
93
98
ne conclusion quant à leur pérennité (8, 9).
initial
Récidive
RÉSULTATS (VOIR TABLEAU)
Efficacité immédiate
Le taux de succès immédiat de la thermocoagulation percutanée est de 98 %. Il est un peu plus
faible dans le cas des autres procédures percutanées (91 et 93 % respectivement pour l’injection de glycérol et la compression par ballonnet) (5).
La DNV permet d’enregistrer, elle aussi, d’excellents résultats initiaux (98 %) (3, 4, 5, 7)
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20-23
54
21
Hypoesthésie
98
60
72
2
Dysesthésies
mineures
9 à 14
11
14
2
Dysesthésies
majeures
2 à 10
5
5
0,3
Anesthésie
douloureuse
0,2 à 1,5
1,8
0,1
0
0,6 à 1
1,8
0
0
Kératite
15
241
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par une PPC. Sa fréquence après thermocoagulation est
très variable mais peut atteindre 98 %. Elle est plus faible
après injection de glycérol (60 %) ou compression par
ballonnet (72 %).
Des dysesthésies mineures sont rapportées dans 14 % des
cas, et elles sont majeures chez 5 à 10 % des patients.
Une anesthésie douloureuse est observée dans 1,5 % des
cas. L’atteinte de la sensibilité cornéenne, perturbée chez
1,5 à 7 % des patients, n’entraîne de complication ophtalmologique grave (kératite) que dans 0,6 à 1 % des cas.
La rareté des complications sensitives après DNV est un
argument majeur en sa faveur. La fréquence globale de
l’hypoesthésie est de 2 %, mais elle peut atteindre 17 %
(22). Les dysesthésies sont quasi absentes (0,2 à 0,3 %) ;
anesthésie douloureuse et complications oculaires sont
inexistantes.
Après radiochirurgie, la fréquence de l’hypoesthésie et des
paresthésies varie de 2,7 à 10 % (8, 9). Il n’est mentionné ni
atteinte sensitive sévère ni complication ophtalmologique.
● Atteinte des autres nerfs crâniens
Après une PPC, les rares atteintes oculomotrices, liées à
la proximité des loges caverneuses, sont transitoires.
Après DNV, une paralysie faciale ou une hypoacousie
permanente, liées à l’écartement du cervelet, surviennent
dans environ 3 % des cas (5).
● Mortalité et morbidité périopératoires
Elles sont inexistantes après radiochirurgie. La mortalité
après une PPC est quasi nulle et les très rares complications sont liées à l’âge et au terrain.
Les complications observées après DNV (10 % des cas)
sont le plus souvent des incidents relativement bénins
(infection de cicatrice, fuite liquidienne, méningite) mais
des accidents majeurs peuvent survenir, responsables
d’une mortalité de 0,6 % sur l’ensemble des séries :
thrombose veineuse profonde, accidents ischémiques ou
hémorragiques du tronc cérébral ou du cervelet, complications respiratoires ou cardiovasculaires.
QUE CHOISIR ?
La radiochirurgie est d’utilisation encore trop récente et
d’accès trop restreint pour qu’on puisse la considérer
comme une intervention de routine.
En pratique courante, patient et neurochirurgien ont donc
à leur disposition deux méthodes : l’une, simple et relativement légère, comporte un risque important de séquelle
sensitive et de récidive. L’autre, à moindre risque de
troubles sensitifs et de récidive, mais plus invasive, n’est
pas dénuée de complications.
La décision tient compte de l’âge et de l’état général du
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patient – préalablement informé des avantages et des
inconvénients de chaque technique – ainsi que du territoire
douloureux et, à un moindre degré, des données neuroradiologiques (angio-IRM).
À un patient âgé ou en mauvais état général, on proposera plus volontiers une PPC, tandis que pour un patient
plus jeune, en l’absence de contre-indication majeure à
une anesthésie générale, la préférence ira à la DNV.
En cas de névralgie affectant le V1, le faible risque d’atteinte sensitive cornéenne après DNV conduit à préférer
cette dernière à une PPC. Toutefois, si l’anesthésie générale n’est pas envisageable, on pourra proposer une compression par ballonnet du ganglion en raison de la rareté
des altérations graves de la sensibilité cornéenne (5).
En cas de récidive après une PPC, la relative innocuité de
ce type d’intervention permet de la répéter, avec toutefois
un risque accru de séquelles sensitives. Après échec tardif
d’une DNV, l’intérêt d’un nouvel abord direct est très
discuté.
La place du traitement neurochirurgical en cas de névralgie trigéminale secondaire est discutée. Les résultats
obtenus après thermocoagulation sont moindres que dans
le cas d’une névralgie essentielle mais restent intéressants
si la composante paroxystique occupe le devant de la
scène. Bien qu’elle ne paraisse pas logique sur le plan
physiopathologique, la DNV a été proposée en cas de
névralgie secondaire à une sclérose en plaques, avec des
résultats jugés satisfaisants (10).
La radiochirurgie semble donner des résultats similaires à
ceux obtenus dans les névralgies essentielles.
■
R É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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