capitalisme puisque l'accumulation ε impose la conquête de marchés extérieurs. Les niches sont une
condition à la pérennité de l'accumulation. La famille comme mode de reproduction social légitime
permet l'héritage et inscrit la propriété lucrative dans le lignage – elle est donc essentielle au
fonctionnement du capital comme accumulation et, comme l'accumulation est mortelle au capital,
elle en est à la fois l'ennemi principal, pour paraphraser Delphy. Les niches de la famille échappent
à la violence capitaliste et s'inscrivent dans une autre forme de violence ; elles construisent des
individus dotés de qualités (toutes détestables qu'elles soient). Les qualités de ces individus, le fait
qu'ils maîtrisent une langue maternelle, des habitus culturels, qu'ils s'inscrivent et puissent
fonctionner dans une société, qu'ils puissent acquérir les propriétés utiles à fonctionner dans une
société dont le capitalisme n'a pas aboli les codes sociaux. Le capitalisme se nourrit même des
codes sociaux, ils sont des extérieurs sur lequel l'extension des marchés capitalistes peut compter.
Bref, les familles nourrissent les qualités de l'individu, elles permettent l'héritage et le lignage, elles
investissent de sens et de liens culturels les objets de culture de masse et ouvrent la consommation
au sens culturel, elles construisent la libido, le fonctionnement psychique de l'être, elles construisent
une individualité, des aspirations qui feront fonctionner l'appareil industriel – que ce soit en
stimulant la consommation ou en opérationnalisant la production.
L'extension du capital ronge la cellule familiale et réclame l'intégration de la femme en particulier et
du domestique en général dans la sphère économique de la violence sociale sans qualité. En
intégrant le féminin – et, de la même façon, le masculin – en tant qu'éléments culturels structurant la
violence sociale de naissance dans la sphère commerciale, la société capitaliste se prive des
ressources du foyer – de ses névroses ou de ses injustices, certes – et, ce faisant, obère sa
reproduction en tant que société (des humains sans qualité ne sont pas motivés à s'insérer, à faire
comme tout le monde, à travailler ou à consommer) et en tant qu'économie. Nous avons vu que
l'économie abstraite vampirisait, vivait au détriment de l'économie concrète. Or, le domestique est,
par définition, le lieu de l'économie concrète sans contrepartie abstraite. C'est parce que des femmes
ont fait le lit, nettoyé, élevé les enfants, fait le ménage ou cuisiné que les mineurs, que les ouvriers
fordistes ont pu et peuvent produire à travers le monde ce qu'ils produisent alors que ces tâches
ménagères, ce travail concret pour ainsi dire pur – dans l'état de déliquescence sociale avancée où
en est le monde de l'emploi, il ne faut pas négliger l'attrait de la reconnaissance sociale d'un statut
de naissance de femme, reconnaissance qui, dans la société du management par la haine, pourrait
presque apparaître comme un paradis perdu, elle qui a inspiré et inspire les combats les plus
courageux et les plus légitimes – n'a, lui, jamais eu besoin de l'aide du travail abstrait. C'est le
travail abstrait, le travail économiquement reconnu qui vit au dépend du travail concret, domestique
et non l'inverse. En s'étendant à la sphère domestique, le capital sape les motivations extérieures des
travailleurs-consommateurs à participer à son système.
Le capital met alors en scène une représentation de la famille (et de la femme, de l'homme) qui est
égalitaire – pour que tous les membres puissent travailler et consommer au maximum de leurs
potentialités – et inégalitaire – pour que les membres de la famille puisse trouver un intérêt à la
propriété privative, qu'ils puissent en tirer profit. De nouvelles familles apparaissent, dans lesquelles
le lignage et l'héritage demeurent. Elles tiennent un rôle d’agrégat d'individus sans qualité, ces
individus sont en concurrence sociale au sein de leur famille. La famille devient alors le lieu d'une
mise en concurrence des individus, elle est un lieu de socialisation spectaculaire, individualiste.
L'individu sans qualité s'affiche dans la famille qui lui sert de contexte, de fond à l'affirmation d'un
statut social – ce qui rend la famille insupportable aux « ratés », à ceux qui ne font pas carrière –
sans qu'elle ne soit plus le siège de quelque interaction, le milieu de quelque individuation. Pour ces
« ratés », il ne reste qu'à endosser la lourde tunique du patient désigné, de l'original, de l'excentrique
pour se défausser de la conformation du regard d'autrui.
Les membres de la société sont de plus en plus égaux, atomisés et isolés. Leurs relations se
réduisent à la concurrence. Mais, de manière paradoxale, l'étiquette sociale perd de son sens à