D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitement médical des tumeurs endocrines digestives Medical treatment of digestive endocrine tumours ● E. Mitry* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les analogues de la somatostatine sont le traitement de choix du syndrome carcinoïde. ■ En cas de forme lentement évolutive, les analogues de la somatostatine permettent une stabilisation tumorale dans environ la moitié des cas pendant plusieurs mois. ■ Les tumeurs endocrines bien différenciées du tube digestif sont peu chimiosensibles. ■ Les tumeurs endocrines peu différenciées sont des tumeurs agressives, chimiosensibles, mais de très mauvais pronostic. ■ La place de l’interféron reste discutée. es options thérapeutiques disponibles pour le traitement des tumeurs endocrines du tube digestif (TED) sont nombreuses. Le choix de la stratégie de traitement, décidé en réunion de concertation multidisciplinaire, dépendra des caractéristiques de la tumeur (siège, extension, type histologique et différenciation) et de son évolutivité. Dans tous les cas, un traitement symptomatique sera prioritaire en cas de forme fonctionnelle avec syndrome carcinoïde. Une exérèse chirurgicale devra également être systématiquement discutée. Plusieurs modalités sont possibles en cas de TED localement évoluée ou métastatique non accessible à un traitement chirurgical. En cas de tumeur bien différenciée non symptomatique, le premier temps consistera le plus souvent en une simple surveillance clinique, biologique et morphologique avec examens comparatifs à 2 ou 3 mois d’intervalle. Cette analyse comparative permettra de juger de l’évolutivité tumorale. En l’absence d’évolutivité, cette phase de surveillance pourra être prolongée. En cas de tumeur évolutive L * Hépato-gastroentérologie et oncologie digestive, CHU Ambroise-Paré, AP-HP, Boulogne. 110 ou symptomatique, un traitement devra être commencé. Trois options médicales sont discutées dans ce chapitre : analogues de la somatostatine, chimiothérapie systémique, interféron. ANALOGUES DE LA SOMATOSTATINE Le développement des analogues de la somatostatine a représenté un progrès majeur dans la prise en charge des TED (1). Récemment ont été mises sur le marché des formes retard d’octréotide ou de lanréotide présentant l’avantage de ne nécessiter qu’une injection mensuelle ou bimensuelle, ce qui permet d’améliorer l’observance thérapeutique et le confort des patients traités (2, 3). Traitement du syndrome carcinoïde L’intérêt des analogues de la somatostatine dans le traitement du syndrome carcinoïde est bien établi. Leur utilisation permet une amélioration très nette des symptômes chez 92 % des patients, avec une rémission complète dans 40 à 60 % des cas. Le lanréotide a une efficacité comparable à celle de l’octréotide (4). L’utilisation de formes retard améliore la qualité de vie des patients (4). Un échappement thérapeutique (tachyphylaxie) est relativement fréquent après quelques mois de traitement et nécessite une augmentation des doses pour maintenir l’effet symptomatique. Efficacité antitumorale L’action antitumorale des analogues de la somatostatine est démontrée in vitro mais reste discutée en situation clinique. Une stabilisation tumorale est observée chez environ 30 à 50 % des patients initialement progressifs pendant une durée médiane de 5 à 18 mois, mais le taux de réponses objectives reste faible, de l’ordre de 5 %. L’action antitumorale des analogues serait dose-dépendante, et une étude récente rapporte 75 % de contrôle tumoral pendant 12 mois après l’utilisation de fortes doses d’octréotide (5). Les tumeurs lentement évolutives sont plus souvent contrôlées que les tumeurs rapidement progressives (6). L’utilisation des analogues de la somatostatine expliquerait l’amélioration de survie des TED observée aux Pays-Bas (7). Cette série épidémiologique de 2 400 patients ayant une “tumeur carcinoïde” (bénigne ou maligne) diagnostiquée entre 1989 et 1996 rapporte un taux de survie relative à 5 ans de 93 % pour La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 D O S S I E R T H les tumeurs localisées, de 74 % en cas d’extension locorégionale et de 19 % en cas de forme métastatique. La survie à 3 ans des tumeurs métastatiques s’est améliorée au cours de la période d’étude, passant de 29 % à 66 %, et les auteurs suggèrent que cette amélioration serait secondaire à l’utilisation, depuis 1992, des analogues de la somatostatine. CHIMIOTHÉRAPIE Tumeurs bien différenciées (tableau I) Les essais thérapeutiques ayant évalué la chimiothérapie systémique dans les TED bien différenciées sont peu nombreux, souvent anciens et méthodologiquement critiquables. En monochimiothérapie, le 5 fluoro-uracile (5-FU) et l’adriamycine (ADR) ont donné les meilleurs résultats, avec respectivement 26 et 21 % de réponses tumorales objectives (RO). L’association 5-FU + streptozotocine (STZ), considérée comme la polychimiothérapie de référence dans cette indication, ne donne que 20 à 30 % de RO, avec un risque notable de toxicité rénale ou hépatique. L’association ADR + STZ a permis d’obtenir 40 % de RO dans un essai de phase II (8), mais semblait avoir une efficacité moindre que l’association 5-FU + STZ dans une étude de phase III, avec une toxicité plus importante (9). L’association étoposide-cisplatine (VP16-CDDP) n’a pas d’efficacité dans les tumeurs carcinoïdes bien différenciées (10). Compte tenu de ces résultats, on considère que les TED bien différenciées sont moins chimiosensibles que les tumeurs endocrines duodénopancréatiques, et que la chimiothérapie systémique n’est pas un traitement de première intention. Tumeurs peu différenciées (tableau II) La situation est tout à fait différente pour les TED peu différenciées, qui ont des caractéristiques histologiques et immunohisto- É M A T I Q U E chimiques proches de celles des carcinomes à petites cellules bronchiques. Ces tumeurs sont caractérisées par leur agressivité et leur évolution souvent rapide. Elles sont le plus souvent métastatiques d’emblée et non accessibles à un traitement chirurgical. L’association VP16-CDDP est considérée comme la chimiothérapie de référence dans cette situation. Le taux de RO varie selon les séries de 41 à 67 %, avec une survie médiane de l’ordre de 15 mois (10, 11). Malgré leur bonne chimiosensibilité, le pronostic des TED peu différenciées reste mauvais, avec une survie à deux ans inférieure à 20 %. INTERFÉRON L’effet antisécrétoire et symptomatique de l’interféron alpha est bien démontré. Il permet d’obtenir une diminution des flushs dans 60 à 80 % des cas et de la diarrhée dans un peu plus de 50 % des cas. L’effet antitumoral est moins important, avec environ 15 % de réponses objectives et 40 % de stabilisation tumorale (12). L’effet antitumoral de l’interféron est cependant difficile à évaluer en raison du possible remplacement des cellules tumorales par une fibrose qui empêche l’utilisation des critères morphologiques classiques de réponse tumorale (13). Deux études randomisées, de faible puissance et critiquables sur le plan méthodologique, sont en faveur d’un avantage de survie après traitement par interféron (14, 15). Une étude menée chez 23 patients a comparé l’interféron alpha 2 recombinant administré seul à l’interféron combiné à une chimiothérapie (ADR + STZ) et n’a retrouvé aucun avantage en faveur de l’association, qui était plus toxique (16). L’adjonction d’interféron chez des patients présentant un syndrome carcinoïdien résistant aux analogues de la somatostatine a permis un contrôle des symptômes dans un peu plus de la moitié des cas (17). Récemment, un essai randomisé a comparé un traitement par lanréotide, par interféron ou par l’association des deux sans mettre en évidence de différence Tableau I. Polychimiothérapie des tumeurs endocrines bien différenciées du tube digestif. Référence Protocole n RO (%) Survie médiane (mois) Frame, 1988 (8) ADR + STZ 33 40 11 Haller, 1990 (9) 5-FU + STZ 5-FU + ADR 67 75 16 13 24 16 Rougier, 1991 (18) 5-FU + ADR + CDDP 15 14 27 Bajetta, 2002 (19) 5-FU + ADR + DTIC 12 50 - 5-FU : 5 fluoro-uracile ; STZ : streptozotocine ; ADR : adriamycine ; CDDP : cisplatine ; DTIC : déticène. Tableau II. Chimiothérapie des tumeurs endocrines peu différenciées. Références Mayo Clinic (10) Institut Gustave-Roussy (11) Protocole Nombre de patients RO (%) Survie médiane (mois) VP16 130 mg/m2 IVPC de J1 à J3 + CDDP 45 mg/m2 IVPC J2 et J3 18 67 19 VP16 100 mg/m2 IV 1h J1 à J3 + CDDP 100 mg/m2 J1 41 41,5 15 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 111 D O S S I E R T d’efficacité entre les trois bras, mais avec une augmentation de la toxicité en cas de traitement combiné (12). Ces résultats font que l’interféron n’est pas considéré par la plupart des équipes comme un traitement de première intention des TED évolutives. CONCLUSION La prise en charge des TED est parfois complexe en raison des divers traitements disponibles et de la variabilité évolutive des tumeurs. C’est pourquoi la stratégie thérapeutique doit être discutée de façon individuelle en réunion de concertation multidisciplinaire. Les analogues de la somatostatine, de la chimiothérapie systémique et de l’interféron alpha sont des options thérapeutiques possibles. Les analogues de la somatostatine ont un intérêt majeur dans la prise en charge des formes symptomatiques avec syndrome carcinoïde et permettent un contrôle tumoral dans environ la moitié des cas dans les formes lentement évolutives. Dans cette situation, il s’agit souvent du traitement de première intention. En cas de tumeur évolutive (progression morphologique ou nouveaux sites métastatiques), un traitement antitumoral sera envisagé et l’indication d’une chimiothérapie systémique ou d’un traitement par interféron pourra être discutée, sachant que, pour les TED peu chimiosensibles, une chimioembolisation en cas de métastases hépatiques isolées ou prédominantes est souvent l’option privilégiée. ■ Mots-clés. Tumeurs endocrines du tube digestif - Analogues de la somatostatine - Chimiothérapie - Interféron alpha - Syndrome carcinoïde. Keywords. Neuroendocrine carcinoma - Somatostatin analogues Chemotherapy - Alpha interferon - Carcinoid syndrome. R 1. É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Lamberts SW, van der Lely AJ, de Herder WW, Hofland LJ. Octreotide. N Engl J Med 1996;334:246-54. 2. Ruszniewski P, Ducreux M, Chayvialle JA et al. Treatment of the carcinoid syndrome with the long-acting somatostatin analogue lanreotide: a prospective study in 39 patients. Gut 1996;39:279-83. 3. Rubin J, Ajani J, Schirmer W et al. Octreotide acetate long-acting formulation versus open-label subcutaneous octreotide acetate in malignant carcinoid syndrome. J Clin Oncol 1999;17:600-6. 112 H É M A T I Q U E 4. O’Toole D, Ducreux M, Bommelaer G et al. Treatment of carcinoid syndrome: a prospective crossover evaluation of lanreotide versus octreotide in terms of efficacy, patient acceptability, and tolerance. Cancer 2000;88:770-6. 5. Welin SV, Janson ET, Sundin A et al. High-dose treatment with a long-acting somatostatin analogue in patients with advanced midgut carcinoid tumours. Eur J Endocrinol 2004;151:107-12. 6. Aparicio T, Ducreux M, Baudin E et al. Antitumour activity of somatostatin analogues in progressive metastatic neuroendocrine tumours. Eur J Cancer 2001;37:1014-9. 7. Quaedvlieg PFHJ, Visser O, Lamers CBHW et al. Epidemiology and survival in patients with carcinoid disease in the Netherlands. Ann Oncol 2001;12: 1295-300. 8. Frame J, Kelsen D, Kemeny N et al. A phase II trial of streptozotocin and adriamycin in advanced APUD tumors. Am J Clin Oncol 1988;11:490-5. 9. Haller DG, Schutt A, Dayal Y et al. Chemotherapy for metastatic carcinoid tumors: an ECOG phase II-III trial. Proc Am Soc Clin Oncol 1990;9:102. 10. Moertel CG, Kvols LK, O’Connell MJ, Rubin J. Treatment of neuroendocrine carcinomas with combined etoposide and cisplatin. Cancer 1991;68:227-32. 11. Mitry E, Baudin E, Ducreux M et al. Treatment of poorly differentiated neuroendocrine tumours with etoposide and cisplatin. Br J Cancer 1999;81:1351-5. 12. Faiss S, Pape UF, Bohmig M et al. Prospective, randomized, multicenter trial on the antiproliferative effect of lanreotide, interferon alfa, and their combination for therapy of metastatic neuroendocrine gastroenteropancreatic tumors-The International Lanreotide and Interferon Alfa Study Group. J Clin Oncol 2003;21:2689-96. 13. Andersson T, Wilander E, Eriksson B et al. Effects of interferon on tumor tissue content in liver metastases of human carcinoid tumors. Cancer Res 1990;50:3413-5. 14. Jacobsen MB, Hanssen LE, Kolmannskog F et al. Interferon-alpha 2b, with or without prior hepatic artery embolization: clinical response and survival in mid-gut carcinoid patients. The Norwegian Carcinoid Study. Scand J Gastroenterol 1995;30:789-96. 15. Oberg K, Funa K, Alm G. Effects of leukocyte interferon on clinical symptoms and hormone levels in patients with mid-gut carcinoid tumors and carcinoid syndrome. N Engl J Med 1983;309:129-33. 16. Janson ET, Ronnblom L, Ahlstrom H et al. Treatment with alpha-interferon versus alpha-interferon in combination with streptozocin and doxorubicin in patients with malignant carcinoid tumors: a randomized trial. Ann Oncol 1992;3:635-8. 17. Tiensuu Janson EM, Ahlstrom H, Andersson T, Oberg KE. Octreotide and interferon alfa: a new combination for the treatment of malignant carcinoid tumours. Eur J Cancer 1992;10:1647-50. 18. Rougier P, Oliveira J, Ducreux M et al. Metastatic carcinoid and islet cell tumours of the pancreas: a phase II trial of the efficacy of combination chemotherapy with 5-fluorouracil, doxorubicin and cisplatin. Eur J Cancer 1991;27:1380-2. 19. Bajetta E, Ferrari L, Procopio G et al. Efficacy of a chemotherapy combination for the treatment of metastatic neuroendocrine tumours. Ann Oncol 2002;13:614-21. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 D O S S I E Les tumeurs endocrines gastriques R T H É M a plupart des tumeurs endocrines gastriques sont des tumeurs bien différenciées du fundus non sécrétantes, développées à partir des cellules ECL (1). Trois types sont distingués : – le type I , associé à une gastrite chronique auto-immune ; – le type II, associé à la NEM1 et au syndrome de Zollinger-Ellison ; – le type III, sporadique, sans hypergastrinémie ou gastrite chronique autoimmune. Dans les tumeurs des types I et II, il existe une hyperplasie des cellules endocrines fundiques associée soit à une gastrite atrophique fundique, soit à une muqueuse le plus souvent normale dans le syndrome de Zollinger-Ellison. Les tumeurs sont bien différenciées, le plus souvent petites (moins de 10-15 mm), multiples et d’évolution lente et de bon pronostic. Les métastases à distance sont rares, mais des métastases ganglionnaires peuvent être observées, notamment dans les tumeurs de type II. Les tumeurs de type I représentent exceptionnellement une cause de mortalité, alors que les tumeurs de type II sont responsables du décès dans 10 % des cas environ (1). Le type I représente environ 75 % des tumeurs endocrines gastriques, le type II 6 % et le type III 13 % (1). Les autres tumeurs endocrines gastriques sont très rares (tumeurs à cellules G de l’antre, tumeurs peu différenciées). Les tumeurs de type III ne sont pas associées à une hypergastrinémie. Elles sont uniques, infiltrantes et de mauvais pronostic. En effet, des métastases ganglionnaires et à distance sont présentes dans 70 % des cas (1). Les tumeurs endocrines bien différenciées fundiques (“EC-Lomes”) des types I et II surviennent dans un contexte d’hypergastrinémie, contrairement aux tumeurs de type III. Il est fondamental de différencier ces deux situations de prise en charge et de pronostic différents par des biopsies fundiques multiples en zone non tumorale et le dosage de la gastrinémie. Les facteurs associés à une évolution bénigne des tumeurs endocrines bien différenciées fundiques sont l’absence d’atteinte de la musculeuse, l’absence d’invasion vasculaire, un diamètre inférieur à 1 cm et la survenue dans un contexte d’hypergastrinémie. L’échoendoscopie est utile pour les tumeurs de plus de 1 cm, permettant d’apprécier B. Landi (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris) L La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005 A T I Q U E l’infiltration pariétale et l’éventuel envahissement ganglionnaire. La prise en charge thérapeutique dépend de plusieurs paramètres (2). Dans les tumeurs des types I et II, si le diamètre est inférieur ou égal à 1 cm, une surveillance ou une résection endoscopique par mucosectomie peuvent être proposées. Si le diamètre est supérieur à 1 cm ou si la tumeur s’étend au-delà de la musculeuse en échoendoscopie, une résection chirurgicale, endoscopique ou une antrectomie peuvent être discutées selon le terrain, l’extension des tumeurs et leur nombre. Les analogues de la somatostatine ont été proposés par certains comme alternative au traitement chirurgical. Dans les tumeurs de type III, une chirurgie carcinologique est recommandée si elle est possible. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Capella C, Solcia E, Sobin LH, Arnold R. Endocrine tumours of the stomach. In: Hamilton SR, Aaltonen LA (eds). WHO classification of tumours. Pathology and genetics of tumours of the digestive system. IARC Press 2000;53-7 2. Cadiot G, Baudin E, Partensky C, Ruszniewski P, pour la SNFGE. Thésaurus de bonnes pratiques en cancérologie digestive : tumeurs endocrines digestives et pancréatiques. 2002. www.snfge.asso.fr 113