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L
a variabilité interindividuelle constitue un véritable
problème en pratique clinique, puisqu’elle peut aussi
bien conduire à un sous-dosage et à un risque d’in-
efficacité thérapeutique qu’à un surdosage responsable
d’une toxicité médicamenteuse. La variabilité pharmaco-
logique d’un individu à l’autre s’explique en partie par l’âge,
par la fonction rénale et/ou hépatique, par la prise conco-
mitante d’autres médicaments ou, encore, par le mode de
vie (consommation d’alcool et/ou de tabac, par exemple).
Cependant, ces facteurs ne permettent pas toujours de com-
prendre la variabilité des réponses d’un individu à l’autre,
et la génétique pourrait apporter là un certain nombre de
réponses. Le polymorphisme génétique est lié à une muta-
tion, à la perte ou à l’ajout d’un ou de plusieurs nucléo-
tides d’un gène, responsables d’une modification des struc-
tures protéiques (un acide aminé au moins).
La pharmacogénomique examine comment un ou plusieurs
gènes peuvent interagir avec l’efficacité et la tolérance d’un
médicament. Les variations génétiques pourraient ainsi expli-
quer de 20 à 95 % des variations observées entre les indivi-
dus en ce qui concerne les courbes doses-réponses à de
nombreux médicaments. Cette variabilité peut avoir une
influence sur le métabolisme d’un agent pharmacologique,
par exemple au niveau du cytochrome P450 ou sur la liaison
du médicament sur sa cible, qu’il s’agisse d’un récepteur
membranaire ou d’un transporteur. La pharmacocinétique
et la pharmacodynamie des agents, notamment anesthésiques,
peuvent ainsi être influencées par le polymorphisme géné-
tique. Une session spéciale du congrès de l’ASA, en colla-
boration avec la revue Anesthesiology,a d’ailleurs été
consacrée à la pharmacogénomique en anesthésie.
Polymorphisme génétique, douleur
et morphiniques
Dahan et al. (abstract A-1598) ont étudié le récepteur µ aux
opioïdes qui présente un polymorphisme génétique du fait
d’une possible mutation du nucléotide 118 (adénine rem-
placée par guanine) responsable d’un changement du qua-
rantième acide aminé (asparagine remplacée par acide
aspartique). Ce polymorphisme est retrouvé chez 11 % de
la population et semble être associé à une diminution des
besoins analgésiques en morphine-6-glucuronide (M6G).
Les courbes doses-réponses du M6G en termes d’hypoxie
et de tolérance à la douleur ont été étudiées chez 20 volon-
taires (12 homozygotes A118A et 8 hétérozygotes A118G).
Les sujets porteurs de la mutation A118G ont montré une
sensibilité plus marquée pour les effets analgésiques de M6G
(Cmax diminuée de 45 %). Cependant, les effets de M6G sur
la respiration ont été similaires chez tous les patients, porteurs
ou non de la mutation (figure 1). Ces données pourraient
ainsi expliquer la variabilité interindividuelle observée dans
la consommation de morphine postopératoire.
De manière parallèle, Hung et al. (abstract A-983) ont étudié
la relation entre tolérance à la douleur (test préopératoire
par algomètre et application de pressions croissantes) et
consommation de morphine au premier jour postopératoire.
Figure 1. Polymorphisme du récepteur µ aux opioïdes et courbe dose-
réponse pour la tolérance à la douleur et pour la réponse à l’hypoxie.
D’après Dahan et al. (abstract A-1598).
Tolérance à la douleur Réponse à l,hypoxie
Concentration M6G
1
1,6
Variation/contrôle
1 000
0
1,0
1 000
A118A A118G
Pharmacogénomique
CHAPITRE 14
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La tolérance à la douleur après une injection de 2 µg/kg de
morphine a été évaluée chez 40 patientes programmées pour
une chirurgie gynécologique. Les auteurs ont trouvé que
plus les malades ont supporté une pression élevée en pré-
opératoire sur l’algomètre, moins elles ont consommé de
morphine pendant les 24 premières heures (figure 2) et
plus les scores EVA étaient bas au premier jour (r = 0,52 ;
p<0,01).
En anesthésie, la sensibilité des roux aux opioïdes a aussi
été étudiée par Dahan et al. (abstract A-1601). Cinquante
volontaires (30 ayant une mutation sur le gène de MCR)
ont reçu une injection de 0,3 mg/kg de M6G (deux tiers
en bolus et un tiers sur une heure). Les 15 femmes rousses
ont présenté une sensibilité à M6G plus importante que les
10 femmes du groupe contrôle (aire sous la courbe de la
tolérance : 1,57 ± 0,31 vs 1,22 ± 0,17 mA ; p < 0,05). Les
rousses semblent ainsi présenter une sensibilité accrue aux
opioïdes.
Polymorphisme génétique
et anesthésie
Les patients roux sont porteurs d’une mutation sur le gène
du récepteur à la mélanocortine (MCR). Ce polymorphisme
est associé à une augmentation des besoins en halogénés
de 19 % (Liem et al., Anesthesiology 2004;101:279-83) et
aux benzodiazépines (Chua et al. Can J Anaesth 2004;
51:25-30). D’une manière schématique, les roux semblent
présenter une résistance accrue aux agents anesthésiques,
à l’exception des opiacés.
Le propofol
Doufa et al. (abstract A-1605) ont étudié les besoins en pro-
pofol chez 40 femmes volontaires saines, dont 20 patientes
rousses. La concentration en propofol était augmentée pro-
gressivement par palier pour obtenir un score de sédation
OAA/S 1 (perte du contact lors d’une secousse modérée).
Les concentrations en propofol n’ont pas été statistique-
ment différentes (1,95 ± 0,43 vs 2,19 ± 0,60 µg/ml ;
p=0,19), même si les besoins ont été augmentés de 12 %
chez les personnes rousses (figure 3). L’étude de plus grands
collectifs est néanmoins nécessaire avant d’apporter une
conclusion définitive sur l’absence d’interaction du phéno-
type roux sur les besoins en propofol.
Les anesthésiques locaux
La sensibilité aux anesthésiques locaux a également été étu-
diée chez les patients roux par Liem et al. (abstract A-1599).
Soixante volontaires saines, dont 30 femmes rousses, ont reçu
à la fois une infiltration sous-cutanée de lidocaïne à 1 %,
l’application de crème EMLA®et un placebo dans trois zones
distinctes de l’avant-bras non dominant. Les seuils de tolé-
rance à la douleur lors d’une stimulation standardisée à
5Hz (fibres C), 250 Hz (fibres Aδ) et 2 500 Hz (fibres Aα)
ont été étudiés. Au niveau des zones contrôles (placebo),
Figure 2. Relation entre tolérance préopératoire à la douleur et
consommation à la douleur. D’après Hung et al. (abstract A-983).
100 Tolérance à une pression réalisée
en préopératoire après fentanyl (kPA)
5
35
450
p < 0,002
r = - 0,484
Consommation de morphine à J1 (mg)
Figure 3. Concentration moyenne en propofol et couleur des cheveux
(phénotype roux vs non-roux). D’après Liem et al. (abstract A-1599).
1,0
4,5
roux non roux
Concentration effet propofol (µg/mL)
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les seuils de perception de la douleur et de sa tolérance ont
été identiques chez les roux et les non-roux. La lidocaïne
sous forme de liposome (crème EMLA®) paraissait moins
efficace chez les roux, mais de manière non statistiquement
significative. Pour l’infiltration sous-cutanée de lidocaïne,
les seuils de tolérance à la douleur à 5, 250 et 2 500 Hz
étaient significativement plus bas chez les roux.
Le protoxyde d’azote (N2O)
Les effets du N2O et sa toxicité ont été étudiés chez l’animal
et chez l’homme sous l’angle de la pharmacogénomique
par Hogan et al. (abstract A-1604) et Sato et al. (abstract
A-1608). Il existe un polymorphisme au niveau des enzymes
du métabolisme du folate (méthionine synthase, méthio-
nine synthase réductase et 5,10-méthylènetétrahydrofolate
réductase ou MTHFR et cystathionine ß-synthase) respon-
sable d’une hyperhomocystéinémie. Hogan et al. ont étudié
85 patients opérés pendant au moins deux heures avec une
administration de plus de 50 % de N2O. Quatorze patients
étaient porteurs d’une mutation à l’état homozygote ou
hétérozygote sur l’un des gènes du métabolisme précité et
avaient un taux d’homocystéine supérieur à 10 µmol/L en
préopératoire. Sous N2O, le taux d’homocystéine a aug-
menté de manière identique chez les malades, porteurs ou
non d’une mutation. L’inhibition par N2O de l’activité des
enzymes du métabolisme du folate ne semble pas être plus
importante chez les sujets à risque d’hyperhomocystéinémie.
L’interaction entre N2O et le récepteur NMDA (N-méthyl-
D-aspartate) a été étudiée chez des souris dont le gène pour
la sous-unité epsilon 1 du récepteur a été invalidé (knock-
out). Sato et al. ont étudié la concentration alvéolaire mini-
male (MAC) du sévoflurane avec et sans N2O chez des sou-
ris au phénotype sauvage et knock-outpour cette sous-unité
du récepteur NMDA (figure 4). La MAC était équivalente
pour les deux types de souris en l’absence d’administration
de N2O. À l’inverse, les souris mutantes avaient une MAC
plus élevée lors de l’administration d’un mélange N2O-
sévoflurane. Ces données confirment l’interaction du N2O
avec le récepteur NMDA, également étudiée dans un autre
modèle expérimental. L’inhibition du récepteur NMDA per-
mettant de prévenir les phénomènes d’hyperalgésie, Richebé
et al. (abstract A-977) ont étudié l’hyperalgésie retardée
après injection de carragénine dans la patte du rat et injec-
tion sous-cutanée de fentanyl. Les rats exposés pendant
quatre heures à un mélange équimoléculaire d’oxygène et
de N2O n’ont pas développé d’hyperalgésie retardée. Ces
données montrent ainsi que le N2O possède des propriétés
antihyperalgésiques, comme la kétamine, dont le mécanisme
pourrait passer par l’inhibition du récepteur NMDA.
Polymorphisme génétique
et cytochrome P450
Le cytochrome (CY) P450 est largement impliqué dans les
mécanismes d’efficacité et de toxicité des médicaments à
métabolisme hépatique. Le polymorphisme génétique du
cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) est l’un des mieux docu-
mentés, et l’on connaît plus de 70 variants alléliques du
gène, dont un certain nombre ne sont pas fonctionnels. À
côté de ces variants, il peut exister des délétions complètes
du gène, responsables d’un déficit complet de l’activité ou,
inversement, des amplifications géniques (présence de
plusieurs copies du gène) associées à un phénotype ultra-
rapide : 10 % des personnes de type caucasien ont un phéno-
type métaboliseur limité et 10 % un phénotype métaboliseur
ultrarapide. Ce polymorphisme explique par exemple
l’inefficacité de la codéine chez environ 10 % des patients,
puisque cet agent n’est efficace qu’après transformation
en morphine.
Dans un autre domaine thérapeutique, tous les sétrons
sont métabolisés par le CYP2D6, mais de manière plus ou
moins importante. Les conséquences cliniques n’en sont
pas négligeables : chez les patients atteints de cancer et
porteurs de plusieurs copies CYP2D6, l’ondansétron a de
fait une efficacité réduite. Les patients sous chimiothérapie
avec un phénotype métaboliseur ultrarapide ont égale-
Figure 4. Concentration alvéolaire moyenne en sévoflurane et souris
avec phénotype sauvage ou muté (knock-out :KO) pour l’unité epsilon
du récepteur NMDA. D’après Sato et al. (abstract A-1608).
0
N
2
O 0 % N
2
O 50 % N
2
O 75 %
0,5
MAC sévoflurane (%)
1
1,5
2
2,5
3NS
p = 0,01 p = 0,001
Souris sauvage Souris KO
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ment plus de nausées et de vomissements sous tropisétron,
en raison d’une concentration plasmatique plus basse.
Candiotti et al. (abstract A-1611) ont étudié le nombre de
copies du CYP2D6 chez 250 femmes opérées sous anes-
thésie générale et recevant systématiquement 4 mg d’ondan-
sétron 30 minutes avant extubation. Durant les quatre pre-
mières heures postopératoires, 88 patientes (36 %) ont
nécessité l’utilisation d’un autre traitement antiémétique
et 36 ont présenté au moins un épisode de vomissements.
Les patientes ayant au moins trois copies du gène présentaient
plus fréquemment des NVPO malgré la prophylaxie par
ondansétron (p < 0,05).
Le dolasétron est métabolisé préférentiellement par le
CYP2D6, à la différence du granisétron, métabolisé par le
CYP3A4. Janicki et al. (abstract A-1606) ont étudié le géno-
type de 150 adultes opérés sous anesthésie générale avec
un score d’Apfel supérieur à 3. Les patients ont reçu 4 mg
de dexaméthasone puis, de manière randomisée, en double
aveugle, soit 12,5 mg de dolasétron, soit 1 mg de granisétron.
L’efficacité thérapeutique, c’est-à-dire l’absence de NVPO,
a été similaire dans les deux groupes (dolasétron : 82 % vs
granisétron : 88 % ; p > 0,05). Cependant, les patients avec
un phénotype métaboliseur rapide ou ultrarapide ont eu
plus fréquemment des NVPO.
Au sommaire
Les douleurs du travail obstétrical : une prise en charge en équipe
D. Benhamou (Le Kremlin-Bicêtre)
Alter algo : ces médecines que l’on dit alternatives
J.J. Eledjam (Montpellier)
La douleur de l’accouchement
Le point de vue de la sage-femme – C. Lathoud, A. Chilin (Genève)
Le point de vue de l’obstétricien – L. Ribordy, M.A. Morales (Genève)
Le point de vue de l’anesthésiste – R. Landau (Genève)
Mésothérapie : une utilisation rationnelle en algologie
P. Lecomte (Rennes)
Utilisation de la lidocaïne intraveineuse
et imagerie PET
A. Cahana (Genève)
Les patchs transcutanés de morphine
F. Dixmérias-Iskandar et al. (Bordeaux)
du deuxième numéro de l’année 2005 (juin)
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