D O S S I E R Intérêt et indications du typage viral dans les dysplasies cervicales " J.C. Boulanger* D epuis vingt-cinq ans, les preuves en faveur de la responsabilité de certains types de papillomavirus (HPV) dans la genèse du cancer du col utérin se sont accumulées. À mesure que les méthodes de détection sont devenues plus sensibles, il est apparu que les cancers HPV négatif, que l’on estimait encore à 15 % il y a dix ans, n’existaient peut-être pas. Les derniers chiffres de F.X. Bosch retrouvent ce type de cancer dans 99,8 % des cas, si bien que l’on considère actuellement l’HPV comme la condition nécessaire au développement des cancers du col utérin (9). Le cancer du col devient donc le premier cancer solide viro-induit. RAPPEL DU RÔLE PATHOGÈNE DE L’HPV Plus de 120 génotypes de HPV ont été identifiés. Ils sont classés en fonction de leur tropisme et de leur potentiel oncogène (1). Une quarantaine infectent les muqueuses ano-génitales. Parmi ceux-ci, certains, dits oncogènes ou à haut risque, sont impliqués dans la carcinogenèse du col utérin : 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 66, 68... D’autres sont non oncogènes ou à bas risque : 6, 11, 30, 34, 40, 42, 43, 44, 53, 54, 55, 61, 62, 64, 67, 69, 70, 71, 72, 74, 79, 81, 82, 84, 85, 8... Enfin, il en est dont la biologie est mal connue : 73, 83… MOYENS DE DÉTECTION DES HPV Ce sont des techniques de biologie moléculaire basées sur la détection de l’ADN viral. Le Southern-Blot, très spécifique, longtemps méthode de référence, le Dot-Blot, le Northern-Blot sont abandonnés en pratique quotidienne, car complexes et difficiles à mettre en œuvre. L’évolution actuelle est à l’utilisation de : ! La PCR, réalisée soit avec amorces consensus pour le diagnostic de groupe, soit avec des séquences spécifiques pour le diagnostic de type. ! L’hybridation en phase liquide, Hybrid Capture (HC), méthode de réalisation simple, rapide, reproductible, qui utilise des sondes ARN capables de mettre en évidence 18 types d’HPV : 5 à bas risque (6, 11, 42, 43, 44) et 13 à haut risque (16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 68). Ces deux méthodes permettent des recherches qualitatives, mais aussi quantitatives, appréciant la charge virale. En Europe, les HPV le plus souvent rencontrés en pathologie cervicale sont le 16 (50 %), le 18 (15 %), puis le 45 et le 31, et les pluri-infections sont fréquentes. RAPPEL ÉPIDÉMIOLOGIQUE L’infection à HPV est très fréquente et varie entre 1 et 48 % selon les populations étudiées. Dans une étude que nous avons menée l’année dernière avec HC2, non encore publiée, la fréquence du portage dans une population tout-venant soumise au dépistage est de 14,7 %, variable selon l’âge (figure 1). 21,68 % 15,38 % 15-19 15,53 % 17,26 % 15,45 % 20-24 25-29 30-34 35-39 14,22 % 40-44 12,56 % 12,84 % 10,66 % 45-49 50-54 55-59 8,99 % 60-64 Ans Figure 1. Répartition en pourcentage par classe d’âge (Amiens 2001 3 256 cas). Si cette infection est fréquente, le risque de cancer est pourtant faible, puisque l’on admet actuellement que le risque pour une femme d’avoir un cancer du col au cours de sa vie est de 1,2 %. Les évaluations comparant la prévalence de l’HPV et l’incidence du cancer du col permettent de conclure qu’au maximum 3 % des femmes HPV+ développeront un cancer. Cela s’explique par la durée du portage de l’HPV. Quatrevingts pour cent des infections sont transitoires. Or, ce sont les infections persistantes qui favorisent la dysplasie et peuvent conduire au cancer. En cas de pathologie cervicale, le portage d’HPV est étroitement lié à sa gravité, comme l’indique le tableau I, emprunté à Koutski (5). Tableau I. HPV ± cytologie. Normal Dysplasie “très” légère Dysplasie légère Dysplasie moyenne Dysplasie sévère Cancer in situ et infiltrant 3,4 % 25,8 % 67,8 % 83,6 % 94,6 % 91,7 % (11/12) * Service de gynécologie, 1, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens Cedex 1. 10 La Lettre du Gynécologue - n° 278 - janvier 2003 D LES INDICATIONS POTENTIELLES DE LA RECHERCHE D’HPV ONCOGÈNES SONT NOMBREUSES Dépistage La recherche d’HPV peut avoir un intérêt en dépistage. Si l’absence de frottis de dépistage est le facteur de risque principal de cancer du col, le pourcentage de cancers invasifs survenant chez les femmes correctement dépistées augmente régulièrement (30 à 40 % selon les travaux récents) (6). Les études de Wallin et de Ylitalo montrent la présence d’HPV dans les frottis dix ans avant que n’apparaisse un cancer in situ ou invasif (10, 11), d’où l’idée de l’utiliser en dépistage. L’intérêt du typage en dépistage a été testé par plusieurs équipes. La sensibilité pour la détection des lésions précancéreuses de haut grade et des cancers est, selon les études récentes, supérieure à 90 %, et toujours supérieure au frottis. On pourrait utiliser le typage soit seul, soit en combinaison avec le frottis. Seul. L’écueil est représenté par la faible spécificité et surtout la faible valeur prédictive positive, inférieures à celles de la cytologie. Il faudrait reconvoquer pour colposcopie toutes les femmes HPV oncogènes positifs, si l’on se base sur l’étude épidémiologique réalisée en Picardie (14,7 %), ce qui n’est bien entendu pas envisageable. Il y a deux solutions pour y remédier : ne tenir compte de la présence d’HPV que chez la femme au-delà de 35 ans ; se baser sur la charge virale. " ! L’utilisation chez la femme au-delà de 35 ans a été proposée par Cuzick (3) et par l’équipe de Walboomers (8). C’est tout à fait rationnel, puisque, dans leurs séries, le portage est de 4-5 % après 35 ans. Mais, dans les séries françaises, le portage ne diminue pas de façon aussi importante avec l’âge. Ainsi, dans notre série, c’est encore 15 % entre 35 et 45 ans, 12 % entre 45 et 60 ans et encore9 % au-delà de 60 ans. Les chiffres de l’étude de Clavel réalisée en Champagne-Ardenne sont comparables (2). ! L’utilisation de la charge virale paraissait plus appropriée. Plusieurs études le démontrent. – Celle de Cuzick, qui étudie trois cut off différents : 1, 2 et 4 pg/ml. La sensibilité pour détecter les lésions de haut grade est identique avec, bien entendu, une valeur prédictive positive très différente. – Celle de Clavel note une diminution de la sensibilité, passant de 97,6 à 87,8 %, mais restant supérieure à celle de la cytologie par étalement et égale à celle de la cytologie en phase liquide. – Notre étude n’a pas permis de confirmer cette notion. " En combinaison avec le frottis. Walboomers et Meijer ont émis l’hypothèse selon laquelle un dépistage tous les 8 à 10 ans associant frottis et recherche d’HPV serait plus efficace qu’un frottis tous les 3 à 5 ans, avec, en outre, cinq autres avantages : moins de prélèvements, moins de patientes référées, moins de traitements inutiles, moins d’erreurs de screening et, enfin, moindre coût. Cette hypothèse n’a pas encore été confirmée pour valider un tel espacement du dépis- La Lettre du Gynécologue - n° 278 - janvier 2003 O S S I E R tage, mais, dès maintenant, on pourrait y trouver un intérêt en réduisant les faux négatifs des frottis. Le deuxième intérêt serait de sélectionner une population à risque, comme le montre le travail de Rozendaal (7). Cet auteur a suivi pendant 4 ans 1 985 femmes à frottis normal : 5 % d’entre elles étaient HPV+ ; elles développeront un CIN3 dans 8 % des cas. Quatre-vingt-quinze pour cent de ces femmes étaient HPV- : elles ne développeront un CIN3 que dans 0,05 % des cas : l’odds-ratio est de 116. C’est la démonstration de l’intérêt de l’hypothèse de Walboomers et Meijer. Le couplage du typage viral au frottis au-delà de 35 ans permettrait : – de rattraper les faux négatifs du dépistage en réalisant une colposcopie chez les femmes avec frottis négatif et HPV oncogène positif ; – de sélectionner une population à haut risque : femmes avec frottis négatif, HPV oncogène positif et colposcopie normale, pour laquelle le dépistage devrait être poursuivi annuellement ; – de sélectionner une population à bas risque : frottis normal, HPV oncogène négatif, pour laquelle le dépistage pourrait être considérablement espacé et arrêté à partir de 65 ans, voire de 60 ans. Le triage des anomalies cytologiques mineures est l’indication principale aux États-Unis C’est un problème important puisque ces anomalies cytologiques mineures d’une part sont très fréquentes (225 000/an en France, 3 000 000/an aux États-Unis) d’autre part correspondent en moyenne dans 30 % des cas, lorsqu’il s’agit de bas grade et dans 10 % des cas lorsqu’il s’agit d’ASCUS, à des lésions de haut grade et même, exceptionnellement, à des cancers invasifs (4). C’est la circonstance de découverte de 60 % des lésions de haut grade. Pour les détecter, il existe trois possibilités : ! Une colposcopie immédiate : elle a la meilleure sensibilité. On lui reproche sa pauvre spécificité, génératrice de biopsies et de traitements inutiles. ! Le frottis de contrôle après 3 à 6 mois expose à un retard inacceptable dans les exceptionnelles lésions invasives. Certes, les lésions invasives sont rares (0 à 1 %), mais il est tout de même très gênant de ne faire le diagnostic que 6 mois plus tard sur un frottis de contrôle franchement positif, en supposant qu’il le devienne. ! C’est la raison pour laquelle on a proposé le typage viral dans cette indication. Les études postérieures à 1999 (pour ne tenir compte que des études faites avec des tests de la génération actuelle) que nous avons colligées montrent une moyenne de sensibilité de 91 % et de VPN de 98,65 % ; la capacité de détection est donc devenue meilleure que celle de la cytologie pour un coût finalement moindre si l’on a utilisé la cytologie en phase liquide, puisqu’il n’est pas nécessaire de reconvoquer les patientes. On reprochera au typage viral son manque de spécificité, étant donné la fréquence du portage d’HPV chez la femme jeune, et surtout sa fréquence considérable dans les lésions de bas 11 D O S S I E R grade. En cas de frottis ASCUS, 56 % des femmes sont HPV+ ; c’est plus d’une femme sur deux qui sera envoyée en colposcopie, mais on peut dire aussi que c’est seulement une femme sur deux. En cas de frottis de bas grade, l’intérêt est mineur, car 80 % seront HPV HR+. Ce ne sont pas les seules indications ; ce sont les principales. Il en est d’autres : surveillance du col traité, argument pronostique, suivi des cols équivoques. CONCLUSION Le typage viral suscite un grand intérêt en pathologie cervicale. Il est encore difficile d’accès, car relativement onéreux et non remboursé. Mais si les premiers travaux donnaient des résultats souvent discordants ayant entraîné un certain degré de scepticisme parmi les cliniciens, l’évolution récente est considérable. Depuis ces trois dernières années, l’amélioration des techniques de détection en fait un outil fiable dont les indications potentielles sont nombreuses. Son emploi est limité par la fréquence de son portage dans la population. Néanmoins, il nous semble devoir devenir rapidement incontournable en pratique quotidienne. # 12 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Boulanger JC, Naepels P, Sevestre H, Najas S, Gondry J, Harlicot JP. Intérêt et indications du typage viral HPV. Mises à jour en gynécologie-obstétrique 2001 ; 235-60. 2. Clavel C, Masure M, Bory JP et al. HPV testing in primary screening for the detection of high grade cervical lesions : a study of 7 932 women. Br J Cancer 2001 ; 84 : 1616-23. 3. Cuzick J, Beverley E, Ho L et al. HPV testing in primary screening for older women. Br J Cancer 1999 ; 81, 3 : 554-8. 4. Kinney WK, Manos MM, Hurley LB, Ransley JE. Where’s the high-grade cervical neoplasia ? The importance of minimally Papanicolaou diagnoses. Obstet Gynecol 1998 ; 91, 6 : 973-6. 5. Koutski L. Communication orale. Economic and clinical implications of HPV testing. Genève, February 2001. 6. Reid R, Cox JT. HPV testing major advance or scientific hoax. In : Intraepithelial neoplasia of the lower genital tract. D.M. Luesley, J. Jordan, R.M. Richart. London. Churchill Livingstone 1999 ; 197-220. 7. Rozendaal L, Walboomers JM, Van der Linden JC et al. PCR-based high-risk HPV test in cervical cancer screening gives objective assessment of women with cytomorphologically normal cervical smears. Int Cancer 1996 ; 68, 6 : 766-9. 8. Walboomers JM, de Roda Husman AM, Snijders PJF et al. Human papillomavirus in false negative archival cervical smears : implications for screening for cervical cancer. J Clin Pathol 1995 ; 48 : 728-32. 9. Walboomers JM, Jacobs MV, Manos MM et al. Human papillomavirus is a necessary cause of invasive cervical cancer world-wide. J Pathol 1999 ; 189 : 12-9. 10. Wallin KL, Wiklund F, Angstrom T et al. Type-specific persistence of human papillomavirus DNA before the development of invasive cervical cancer. N Engl J Med 1999 ; 341, 22 : 1633-8. 11. Ylitalo N, Sorensen P, Josefsson AM et al. The Lancet 2000 ; 355 : 2194-8. La Lettre du Gynécologue - n° 278 - janvier 2003