Applications Biomédicales des Impulsions Electriques milli- et microsecondes CHRISTOPHE Y. CALVET 1, 2, 3 , LLUIS M. MIR 1, 2, 3 1 Université Univ Paris-Sud, Laboratoire de Vectorologie et Thérapeutiques Anticancéreuses, UMR 8203, Villejuif, 94805 CNRS, Villejuif, Laboratoire de Vectorologie et Thérapeutiques Anticancéreuses, UMR 8203, 94805 3 Gustave Roussy, Laboratoire de Vectorologie et Thérapeutiques Anticancéreuses, UMR 8203, Villejuif, 94805 2 Résumé : Tout organisme vivant est constitué de petites unités fonctionnelles, appelées cellules, délimitées par une membrane lipidique. L’application aux cellules de champs électriques intenses et très courts, de l’ordre de la milli- ou microseconde, trouve de nombreuses applications dans le domaine biomédical, en particulier dans le cadre de l’électrochimiothérapie antitumorale. En effet, ces impulsions électriques perméabilisent réversiblement (transitoirement) les cellules. Elles permettent alors d’augmenter la pénétration de l’agent anticancéreux dans les cellules cancéreuses et donc d’améliorer son activité toxique. Des impulsions électriques similaires sont utilisées pour internaliser des molécules d’ADN dans les cellules d’un organisme vivant et ainsi modifier leurs comportements en leur faisant produire des protéines d’intérêt, utiles par exemple pour l’activation ou la stimulation du système immunitaire dans le cadre d’un traitement antitumoral ou anti-infectieux. L’internalisation d’ADN dans les cellules peut également être réalisée sur un prélèvement de tissus de patient afin de « réinitialiser » les cellules de ce tissu, les spécialiser en un type cellulaire d’intérêt et les ré-administrer au patient dans le but de remplacer des cellules mortes ou endommagées. Enfin, les impulsions électriques qui induisent une perméabilisation irréversible (permanente) des cellules, et donc leur mort, ont des applications évidentes en cancérologie. En résumé, les applications biomédicales des impulsions électriques milli- et microsecondes sont nombreuses et permettent la prise en charge de pathologies variées telles que le cancer, les infections, les maladies neurodégénératives ou cardiovasculaires. La facilité du procédé, la bonne efficacité, la sûreté et la bonne tolérance de l’électroperméabilisation laissent à penser que cette technique verra ses applications biomédicales étendues au traitement ou à la prévention d’une grande variété de pathologies. 1. Introduction Les cellules constituent les plus petites unités fonctionnelles de notre organisme. Bien qu’autonomes, elles fonctionnent de manière coordonnée au sein des tissus. Une membrane lipidique, appelée membrane plasmique, délimite l’intérieur de chaque cellule du milieu extérieur. Cette membrane est une zone d’échange qui permet à la cellule de communiquer avec son environnement, grâce à la réception et à l’envoi de signaux, et de réguler les flux de molécules entrantes ou sortantes. Ainsi, les molécules hydrophobes peuvent diffuser librement au travers de la membrane, tandis que les molécules hydrophiles utilisent des transporteurs ou des pores protéiques assurant les échanges entre la cellule et le milieu extérieur. Dans le domaine biomédical, les impulsions électriques sont utilisées pour stimuler les cellules (défibrillation cardiaque, traitement de la dépression, …) ou afin de les rendre « perméables ». Dans le présent article, nous nous focaliserons sur les impulsions électriques capables de perméabiliser la membrane plasmique des cellules, réversiblement ou de manière permanente. De part et d’autre de la membrane plasmique d’une cellule, il existe en permanence une différence de potentiel transmembranaire (dite de repos) due à des concentrations en ions différentes à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule. Lorsqu’un champ électrique est appliqué, une différence de potentiel transmembranaire induite est générée. Au-delà d’une valeur seuil de la différence absolue de potentiel transmembranaire, la membrane plasmique se perméabilise. Ce phénomène est appelé électroperméabilisation (ou électroporation). Figure 1 : Electroperméabilisation d’une cellule par des impulsions électriques. t : durée de l'impulsion (classiquement t=100 µs) ; f : fréquence de répétition des impulsions ; n : nombre d'impulsions (classiquement n=8) ; E : amplitude du champ électrique. Malgré la forte implication des scientifiques travaillant dans ce domaine, les mécanismes exacts de l’électroperméabilisation restent peu connus. La communauté scientifique s’accorde cependant à penser que des changements conformationnels et physicochimiques des lipides constitutifs de la membrane plasmique sont induits par le champ électrique, permettant une perte de l’imperméabilité membranaire et donc un échange de molécules avec le milieu extérieur (voir figure 1). La nature et l’intensité du champ électrique dictent une perméabilisation réversible ou permanente. 2. Electrochimiothérapie perméabilisation transitoire des cellules cancéreuses, et donc l’entrée massive et rapide de bléomycine, qui peut alors générer des lésions sur l’ADN (voir figure 2). De plus, ces dommages ne sont létaux que lorsque les cellules se multiplient, ce qui est le cas pour les cellules cancéreuses et non pour les cellules saines avoisinant la tumeur, qui se divisent relativement peu (on dit qu’elles sont quiescentes). De ce fait, malgré la perméabilisation et l’entrée de la bléomycine dans ces deux types de cellules situées dans la zone traitée, seules les cellules cancéreuses subiront une mort cellulaire rapide induite par la bléomycine. Ainsi, à l’échelle de la tumeur, on observe une régression nette, et très souvent complète, de la taille de la tumeur traitée. 2.1 Principe L’électrochimiothérapie (ECT) anti-tumorale est probablement le meilleur exemple d’utilisation chez l’Homme d’impulsions électriques dans le cadre d’une approche thérapeutique. Elle consiste en l’association d’impulsions électriques et d’une chimiothérapie (administration d’une molécule toxique), en particulier la bléomycine, pouvant causer des dommages irréversibles à l’ADN des cellules qu’elle pénètre. [1]. La bléomycine est un antibiotique naturel (fabriqué par la bactérie Streptomyces verticillus) et présentant des propriétés anti-tumorales. De par sa structure et ses propriétés physico-chimiques, la bléomycine est incapable de diffuser à travers la membrane plasmique de la cellule. Lorsqu’ elle est administrée dans la circulation sanguine du patient, elle n’est donc pas capable de détruire les cellules qu’elle rencontre, dans la mesure où elle n’a pas accès à leur ADN. Cependant, l’application d’impulsions électriques délivrées localement sur la tumeur à traiter permet une 2.2 Le rôle des vaisseaux sanguins Un blocage de la circulation sanguine dans les vaisseaux nourrissant la tumeur a également été observé suite à l’application d’un champ électrique [2]. Ainsi, la bléomycine, préalablement transportée jusqu’à la tumeur par la circulation sanguine, se retrouve piégée dans la zone soumise au champ électrique, ce qui favorise son action. De plus, les cellules qui forment la couche intérieure des vaisseaux (cellules endothéliales) de la tumeur sont, tout comme les cellules cancéreuses, des cellules à division rapide, et sont par conséquent impactées par le traitement [3]. En parallèle à l’activité toxique sur les cellules cancéreuses, l’électrochimiothérapie permet donc également l'interruption des processus mis en place par la tumeur pour se nourrir et se développer. Figure 2 : Electrochimiothérapie anti-tumorale avec le générateur d'impulsions électriques Cliniporator (IGEA), marqué CE, utilisé actuellement en routine dans l'Union Européenne 2.3 L’impact du système immunitaire L’activité propre anti-tumorale de l’ECT est probablement complétée par le système immunitaire. En effet, des études ont montré que des cellules immunitaires sont recrutées dans la zone traitée [4]. La libération de signaux inflammatoires induite par le champ électrique [5], et la présence de cellules cancéreuses mortes pourraient jouer un rôle attracteur vis-à-vis de ces cellules immunitaires. Celles-ci ont pour mission d’éliminer les cellules mortes de la zone traitée et d’éduquer le système immunitaire à reconnaître et détruire les cellules cancéreuses. De ce fait, ceci augmente les effets de l’ECT, et peut induire des effets anti-tumoraux à distance du site traité, notamment si des agents stimulant la réponse immunitaire sont administrés après l'électrochimiothérapie [6], [7]. 2.4 La réalité de la clinique Deux types de générateurs d’impulsions électriques ont été utilisés jusqu’à présent pour le traitement des patients : le Cliniporator (IGEA, Carpi, Italie) et le Medpulser (Harvard Bioscience Inc, Holliston, EtatsUnis). Huit impulsions électriques de 100 µs sont délivrées à une fréquence de 1 Hz. Un champ électrique de 1300 V/cm est appliqué à l’aide d’électrodes non invasives pour le traitement de tumeurs superficielles, tandis que les tumeurs plus profondes sont traitées avec des électrodes invasives et un champ électrique de 1000 V/cm. Ce champ électrique est plus faible que celui utilisé dans le cas des électrodes non invasives, car ces dernières ne traversant pas la peau, le champ électrique doit être plus élevé pour compenser l’effet isolant de la couche externe de la peau, l’épiderme. Les premiers essais cliniques chez l’Homme ont été réalisés à l’Institut Gustave-Roussy en 1991 [8]. Aujourd’hui, cette technique est utilisée dans plus de 100 centres de traitement du cancer en Europe, principalement pour des indications palliatives (pour soulager des malades au stade terminal), et lorsque les approches thérapeutiques classiques (radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie) se sont avérées inefficaces [9]. L’électrochimiothérapie est indiquée pour le traitement des lésions cancéreuses cutanées et souscutanées (métastases de mélanome, sarcome de Kaposi, récidives locales des tumeurs du sein, ...). C’est également un traitement de choix lorsqu’une ablation par chirurgie s’avèrerait trop inesthétique (tumeur faciale) ou lorsque la masse tumorale est trop importante. Dans ce dernier cas, l’électrochimiothérapie est utilisée dans un premier temps en vue de diminuer la taille des tumeurs. Des études cliniques, particulièrement l’étude ESOPE [10], ont permis de définir des procédures opérationnelles standard d’utilisation de l’électrochimiothérapie par les médecins. Une régression complète des tumeurs est observée dans 74% des cas traités et le taux de « réponse objective » (c'est-à-dire incluant les patients présentant une régression totale ou partielle de la masse tumorale) atteint 85% après le traitement de tumeurs cutanées et sous-cutanées chez l’Homme (voir figure 3). Des résultats similaires ont été observés dans le cas de tumeurs traitées sur des chiens, des chats et des chevaux [11]. La bléomycine possédant une très forte activité cytotoxique, de très faibles doses sont nécessaires, ce qui limite drastiquement l’apparition d’effets secondaires. Une anesthésie locale ou générale, selon le cas, permet de limiter l’inconfort, voire la douleur, associée à l’application des impulsions électriques. Une contraction musculaire au niveau de la zone traitée peut aussi être ressentie comme désagréable par les patients. Des essais cliniques sont en cours afin de délivrer des impulsions électriques au sein de tumeurs plus profondes telles que des tumeurs du sein, de l’os, du cerveau, du foie, du pancréas et du colon (clinicaltrials.gov). Figure 3 : Évolution d’une tumeur traitée par électrochimiothérapie (avec la permission de J. Gehl, Ugeskrift de Laeger, 2005) 3. Electrogenethérapie L’ADN contenu dans le noyau des cellules est le support de l’information génétique, et contrôle le fonctionnement cellulaire. En effet, l’ADN est composé de gènes qui sont décryptés et dont l’information qu’ils contiennent est traduite en protéines effectrices. Ainsi, ajouter des informations génétiques à une cellule au moyen d’ADN exogène (ADN extérieur à l’organisme) permet de modifier son fonctionnement ou de lui faire produire une nouvelle protéine. Il y a maintenant plus de 30 ans, l’équipe du Pr. Neumann a démontré que la pénétration d’ADN exogène à l’intérieur des cellules est possible grâce à l’application d’un champ électrique court et intense [12]. Ces molécules d’ADN, du fait de leur hydrophilie, sont incapables de traverser la membrane plasmique hydrophobe des cellules. L’application d’un champ électrique, induisant une perméabilisation temporaire de la membrane plasmique, permet donc l’entrée des molécules d’ADN dans les cellules. Dans de nombreux tissus tels que la peau et le muscle, la taille et l'hydrophilie des molécules d'ADN sont des facteurs limitant leur accès aux cellules cibles. Dans ce cas, les types d’impulsions électriques délivrées pour assurer un transfert de gènes efficace sont de deux types. Premièrement, des impulsions électriques courtes (100 µs) et intenses (environ 1000 V/cm), appelées HV (comme High Voltage), permettent une perméabilisation de la membrane plasmique, tandis que des impulsions électriques longues (quelques centaines de ms) et peu intenses (environ 100 V/cm), appelées LV (comme Low voltage), permettent d’amener l’ADN au contact des cellules électroperméabilisées, facilitant ainsi son entrée à l’intérieur de ces dernières [13]. L’électrogènethérapie est donc une approche thérapeutique qui vise à ajouter un ou plusieurs gènes à une cellule ou un tissu au moyen d’impulsions électriques. Les applications concernent, par exemple, la thérapie génique, la vaccination génétique ou encore la génération de cellules souches. 3.1 Les approches de thérapie génique La thérapie génique vise à introduire un gène dans l’organisme d’un patient afin de remplacer un gène défectueux ou produire une protéine d’intérêt thérapeutique. Les applications possibles concernent le traitement du cancer, de l’hémophilie, de la mucoviscidose, du diabète de type 1, de certains déficits immunitaires, … Le transfert de gènes dans le tissu d’un patient peut être réalisé par des méthodes virales (utilisant des virus) ou non virales. Les méthodes virales présentent des risques biologiques dus à l’utilisation de virus, bien qu’ils soient inactivés [14]. Par ailleurs, l’injection au patient de particules virales induit fréquemment des réactions immunitaires qui réduisent grandement l’efficacité du traitement lors d’administrations répétées. En effet, lors de la première injection de virus, le système immunitaire du patient apprend à reconnaître et à éliminer ces particules étrangères. Lors des administrations suivantes, les particules virales sont rapidement reconnues et éliminées par l’organisme, avant même de pouvoir délivrer aux cellules cibles le gène d’intérêt qu’elles contiennent. Afin de contourner les risques et les inconvénients rencontrés lors de l’utilisation de virus, les méthodes non virales de transfert de gènes sont privilégiées. Parmi celles-ci, l’électrotransfert de gènes est une méthode de choix qui allie une bonne efficacité de transfert de gènes, une bonne tolérance et une facilité d’utilisation notable. A ce jour, l’interleukine-12 (IL-12) est le meilleur candidat pour le traitement de certains cancers cutanés par une approche de thérapie génique [15]. Le transfert du gène de l’IL-12, réalisé directement dans les cellules tumorales du patient, permet d’activer le système immunitaire et permet ainsi à l’organisme de lutter contre la prolifération des cellules cancéreuses. De plus, il prévient également la formation des vaisseaux sanguins nourrissant la tumeur. L’IL-12 a fait l’objet du premier essai clinique sur l’électrotransfert de gènes. Cette approche de thérapie génique concerne le traitement du mélanome. L'essai de Phase 1 visant à évaluer la tolérance de ce traitement a été publié en 2008 [16]. L'évaluation clinique est toujours en cours, tout comme celles visant à traiter d’autres cancers cutanés tels que les lymphomes et les carcinomes à cellules de Merkel (clinicaltrials.gov). 3.2 Vaccination génétique La vaccination est un procédé visant à induire une protection de l’organisme par une stimulation du système immunitaire au moyen d’une protéine reconnue comme anormale ou étrangère, ou de ses fragments appelés épitopes [17]. Deux approches sont possibles. L’approche classique consiste à injecter les protéines ou les épitopes directement dans l’organisme. Cependant, la production de protéines ou d’épitopes peut être longue, laborieuse, et implique des coûts importants de purification. Par ailleurs, la stabilité des protéines doit être assurée par leur maintien à basse température, sans rupture de la chaîne du froid. Une nouvelle approche vise à introduire, dans des cellules du patient, le gène qui code pour l’épitope nécessaire à l’induction d’une réponse immunitaire. Les avantages majeurs sont la facilité et le faible coût de production de l’ADN, et des conditions de transport et de stockage peu contraignantes. Les applications possibles sont le traitement du cancer ou des maladies infectieuses. Par ce biais, les cellules ayant reçu l’ADN vaccinant décryptent celui-ci afin de produire l’épitope analogue à celui d’un pathogène ou d’une cellule cancéreuse. Le système immunitaire reconnaît cet épitope comme étranger ou anormal, et développe des stratégies spécifiques de défense de l’organisme contre le pathogène ou les cellules cancéreuses présentant cet épitope. Ainsi, dès que la présence de cet épitope à la surface d’un pathogène ou d’une cellule cancéreuse est détectée par le système immunitaire, celui-ci mettra en œuvre sa stratégie de défense afin de détruire ces cibles indésirables (voir figure 4). De plus, l’électroperméabilisation favorise l’efficacité de la vaccination [5]. Non seulement elle est indispensable à l’entrée de l’ADN dans les cellules, mais elle induit également la libération de signaux inflammatoires qui recrutent les cellules du système immunitaire au niveau de la zone électroperméabilisée. Ainsi, ces dernières s’activeront lors de la détection de l’épitope à la surface des cellules électroperméabilisées, et se mettront activement à la recherche des pathogènes ou des cellules cancéreuses présentant le même épitope. L’injection de l’ADN vaccinant se réalise de manière identique à celle des vaccins « classiques » à base de protéines, c’est-à-dire dans le muscle ou dans la peau. Le muscle présente l’avantage de produire de grandes quantités de protéines, pendant plusieurs mois, à la suite d’un seul électrotransfert de gènes. La peau, quant à elle, est un tissu riche en cellules immunitaires qui seront donc directement activées par la présence locale des épitopes produits après l’électrotransfert. A la différence des vaccins « classiques », qui sont le plus souvent préventifs, la vaccination génétique est testée chez l’Homme pour des traitements curatifs. Des essais sont en cours pour la prise en charge du cancer de la prostate, du colon, des ovaires, des testicules et du mélanome (clinicaltrials.gov). Dans ces cas-là, l’ADN injecté code pour un épitope spécifique ou très largement représenté dans les cellules tumorales, par comparaison aux cellules saines. Des études similaires sont réalisées pour le traitement des infections par le parasite du paludisme et par les virus du SIDA ou de l’hépatite B. Figure 4 : Vaccination génétique anti-tumorale au moyen d'un électrotransfert de gènes dans le muscle. Classiquement, HV=700 V/cm, 100 µs et LV=100 V/cm, 400 ms. 3.3 Génération de cellules électrotransfert de gènes souches par La thérapie cellulaire consiste à traiter le patient avec des cellules permettant de restaurer ou d’aider au fonctionnement d’un organe ou d’un tissu malade. L’utilisation de cellules souches (pouvant se spécialiser dans une fonction au sein d’un tissu donné) permet de générer le type de cellules désirées pour le remplacement des cellules malades ou absentes du patient. Pour des raisons éthiques, l’utilisation de cellules souches provenant d’embryons humains est proscrite en France. Une alternative consiste à prélever des cellules spécialisées de la peau d’un patient et à leur ajouter des informations génétiques (ADN) de déspécialisation, appelées facteurs de reprogrammation, par des méthodes de transfert de gènes (voir figure 5) [18]. Cette méthode a été décrite pour la première fois en 2007 par le Dr. Yamanaka [19], prix Nobel de médecine 2012. Ces cellules reprogrammées, appelées cellules souches pluripotentes induites, peuvent être modifiées afin de réparer un gène défectueux. Elles sont ensuite multipliées puis re-spécialisées vers le type cellulaire désiré (par exemple, des cellules cardiaques) avant d’être ré-administrées au patient en vue du remplacement du tissu ou de l’organe malade (dans notre exemple, le cœur). Les risques de rejet de greffe sont limités du fait de l’utilisation des propres cellules du patient. Les applications sont nombreuses et concernent, entre autres, la prise en charge de l’infarctus du myocarde ou des maladies neurodégénératives et neuromusculaires. Un essai clinique est en cours pour le traitement de patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge (clinicaltrials.gov). Malgré le fort potentiel thérapeutique de cette technique, le risque principal est la formation de tumeurs. En effet, les informations génétiques ajoutées aux cellules dans le but de les reprogrammer sont semblables à celles des cellules cancéreuses. Cependant, ce risque est limité, car les informations génétiques nouvelles sont gardées transitoirement par la cellule avant d’être éliminées lorsque des méthodes non virales, telle que l’électrotransfert, sont utilisées. Ceci est d’ailleurs une condition nécessaire pour permettre une bonne re- spécialisation dans le type cellulaire désiré. Par ailleurs, les cellules souches pluripotentes induites et re-spécialisées en laboratoire peuvent être utilisées pour modéliser une pathologie et tester l’action de molécules thérapeutiques dont l’efficacité sera de fait démontrée sur les propres cellules du patient. De nos jours, les cellules souches pluripotentes induites sont obtenues par transfert de l’ADN de reprogrammation réalisé à l’aide de virus. Des études sont en cours dans le but de substituer la méthode virale par une méthode non virale. L’électrotransfert de gènes est le candidat idéal. Figure 5 : Génération de cellules souches par transfert de gènes dans un but de restauration des fonctions cardiaques. 4. Electropermeabilisation irréversible A la différence de l’électrochimiothérapie, qui vise à perméabiliser transitoirement la membrane plasmique, l’électroperméabilisation irréversible crée des dommages permanents et irréversibles de la membrane cellulaire grâce à des impulsions électriques très intenses et/ou répétées (voir figure 6) [1]. Le nombre et l’intensité des impulsions électriques dépendent grandement du tissu à traiter. Ainsi, 8 impulsions de 100 µs associées à un champ électrique d’environ 1700 V/cm électroperméabilisent irréversiblement des cellules de foie de porc, tandis que 90 impulsions de même type sont nécessaires à l’électroperméabilisation irréversible des cellules de rein de ce même animal. Cette technique n’est pas associée à des effets thermiques comme cela est le cas lors de l’utilisation d’autres techniques d’ablation tissulaire telles que la cryochirurgie ou l’ablathermie (ablation de la tumeur en refroidissant ou en chauffant). L’électroperméabilisation irréversible est utilisée industriellement pour stériliser de la nourriture et des liquides. Elle trouve également une application évidente en cancérologie, où l’utilisation de telles impulsions permet d’éviter le recours à une chimiothérapie. Les seules impulsions électriques délivrées sont suffisantes pour détruire les cellules cancéreuses. De manière identique aux impulsions électriques délivrées dans le cas de l’électrochimiothérapie, celles associées à l’électroperméabilisation irréversible induisent aussi un blocage de la circulation sanguine au niveau de la zone traitée. Ainsi, les cellules ayant éventuellement résisté au champ électrique meurent par dénutrition ou manque d’oxygène. Des modèles animaux de tumeurs mammaires et cutanées ont vu leur masse tumorale diminuer dans 90% des cas, sans l’apparition d’effets indésirables [20]. Cependant, la capacité de ce traitement à détruire les cellules cibles ne semble pas être associée à une activation du système immunitaire comme cela a été suggéré dans le cas de l’électrochimiothérapie. Ainsi, les patients atteints de cancer et dont le système immunitaire a été affaibli par les chimiothérapies et les radiothérapies devraient pouvoir bénéficier de cette technique à titre palliatif. Cette approche est en cours d’évaluation chez l’Homme pour le traitement de lésions cancéreuses localisées sur la prostate, le foie et les reins (clinicaltrials.gov). D’autres applications de l’électroperméabilisation irréversible concernent le traitement de maladies cardiaques telles que la resténose (rétrécissement d’une artère suite à une angioplastie ou à la pose d’un stent), ou la fibrillation atriale (trouble du rythme cardiaque). Figure 6 : Electroperméabilisation irréversible. De manière générale, 1000 V/cm < E < 2500 V/cm et 1 < n < 90 A la différence de l’électrochimiothérapie, qui cible spécifiquement les cellules en division telles que les cellules tumorales, l’électroperméabilisation irréversible détruit l’ensemble des cellules tumorales et saines placées dans le champ électrique. La zone précise à traiter doit donc être déterminée préalablement à l’intervention. Les effets indésirables identifiés sont des contractions musculaires, des troubles du rythme cardiaque, et des douleurs locales. De ce fait, une anesthésie générale est indiquée, un électrocardiogramme est réalisé pendant l’intervention, et les impulsions électriques sont synchronisées avec le rythme cardiaque du patient. 5. Conclusion L’électroperméabilisation satisfait à de nombreuses applications biomédicales. L’une d’entre elles, l’électrochimiothérapie anti-tumorale, est utilisée depuis plusieurs années en Europe, et de nombreux essais cliniques sont en cours afin d’élargir son utilisation. D’autres approches thérapeutiques incluant la thérapie génique, la génération de cellules souches pluripotentes induites pour la thérapie cellulaire, la vaccination génétique et l’électroperméabilisation irréversible, sont en cours d’évaluation chez l’Homme. La facilité du procédé, la bonne efficacité, la sûreté et la bonne tolérance de l’électroperméabilisation laissent à penser que cette technique verra ses applications biomédicales étendues au traitement ou à la prévention d’une grande variété de pathologies. 6. Remerciements Les illustrations ont été réalisées grâce à Servier Medical Art (www.servier.fr). Le générateur d'impulsions électriques et les électrodes utilisés dans les illustrations des figures 2 et 3 sont commercialisés par IGEA (Carpi, Italie) 7. Références [1] M. Breton and L. M. 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