n° 6 fiche médecine du sport Sous la responsabilité de son auteur P. Le Goux* Les présentations cliniques de l’épaule chez le tennisman © Photos P. Le Goux © Photo P. Le Goux Figure 1. Examen du conflit sous-acromial : tests de Hawkins et de Yocum. * Rhumatologue médecin du sport, praticien attaché de l’hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt ; médecin de la Fédération française de tennis, consultant à l’Institut national du sport et de l’éducation physique (INSEP). Figure 2. Examen du conflit postéro-supérieur à l’armer. F I C H E À D É T A C H E R L es tendinopathies et conflits mécaniques sont fréquents chez le tennisman au membre supérieur dominant, notamment à l’épaule, qui symbolise l’articulation impliquée dans le geste du lancer. L’examen clinique de l’épaule cible diverses pathologies propres au joueur de tennis en fonction de son âge et de son niveau de jeu. Cet examen programmé donnera une orientation intéressante vis-à-vis des examens complémentaires d’imagerie, qui pourront être demandés en première intention comme la radiographie standard et l’échographie des tendons de la coiffe, ou en deuxième ligne comme l’IRM et l’arthroscanner, afin d’effectuer un bilan lésionnel plus précis. On dissociera l’examen de l’épaule du joueur senior (figures 1 et 2), qui a sollicité son épaule au travers de nombreux matches, et celui de l’épaule du jeune joueur de haut niveau, qui présente les caractéristiques spécifiques encore plus marquées d’une épaule de lanceur. • L’épaule du tennisman senior, de 35 ans et plus, peut être douloureuse par atteinte des tendons de la coiffe et présenter des conflits (extra- ou intra-articulaires), plus rarement être instable. Comme dans tout sport de lancer, la pathologie neurologique de type microtraumatique (nerf sus-scapularis, nerf grand dentelé) attestée par EMG peut s’associer à ces diverses atteintes. Le service est bien sûr le geste qui sollicite le plus les différentes structures anatomiques de l’épaule et peut être le facteur déclenchant de ces diverses pathologies. Ainsi, les conflits douloureux sont d’une grande fréquence chez le tennisman senior et sont liés à un dysfonctionnement de l’épaule (1) : – en premier lieu, le conflit sous-acromial ou antéro-supérieur, favorisé par la distension du plan capsulo-ligamentaire antérieur et la pseudo-instabilité antérieure de la tête humérale lors du service. Les douleurs se situent à la face antérieure ou supéro-latérale de l’épaule (espace sous-acromial, articulation acromio-claviculaire). Ce conflit, décrit initialement par Neer, peut également se manifester lorsque le bras est en élévation et rotation interne au moment de la frappe de la balle ; – un autre conflit par impingement intra-articulaire (2), dû aux forces compressives engendrées à la partie postérieure de l’épaule par l’hyper­rotation externe sur le labrum postéro-supérieur. Des lésions de la face articulaire de la coiffe (supra-spinatus, infra-spinatus) peuvent s’associer à ce conflit, mais elles seraient la conséquence de l’hyper-sollicitation de la coiffe lors du mouvement de rotation interne forcée à la fin du service. La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010 | 33 – les mouvements répétitifs de l’armer (figure 3) étirent progressivement les formations ligamentaires et capsulaires antérieures, ce qui provoque une instabilité par avancée antéro-supérieure de la tête humérale, génératrice de conflit sous-acromial ; – pour certains auteurs (6), la capsule postérieure est le siège de forces de distraction lors de la fin du mouvement de service. Le muscle infraspinatus, qui travaille essentiellement en excentrique dans cette phase, freine la rotation interne (figure 4). Il se crée alors, sur cette partie postérieure de la coiffe, un stress anatomique à sa face profonde qui aboutit à une fibrose cicatricielle rigide modifiant la mobilité de l’épaule en rotation interne (6). La mesure comparative de la force musculaire des rotateurs interne et externe de chaque épaule au moyen de tests répétitifs montre que celle-ci est significativement plus importante à l’épaule dominante pour les rotateurs internes, alors qu’il n’y a pas de différence de puissance pour les rotateurs externes. On retrouve une différence significative concernant le rapport rotation externe sur rotation interne, au détriment du côté dominant. Ce déficit des rotateurs externes semble être à l’origine de la pathologie de l’épaule du joueur de tennis de haut niveau. Dans le mouvement de service, à la fin du service, après le “fouetté”, vers la fin de la rotation interne effectuée de façon violente, le muscle infra-spinatus travaille en excentrique pour freiner celle-ci et semble alors vulnérable dans ce travail. La prévention des blessures chez ces joueurs de haut niveau passe certainement par l’entretien de la mobilité articulaire et la restauration de la force des rotateurs externes. Le travail des fixateurs de la scapula est également primordial. ■ Figure 3. Armer : mise en jeu des rotateurs © Photo FFT externes et des fixateurs de la scapula. © Photo FFT Figure 4. Frappe avec pronation de l’avant-bras : mise en jeu des rotateurs internes et travail excentrique des rotateurs externes. Références bibliographiques 5. Kibler WB, Chandler TJ. Effect of age and years of tournament play. Am J Sports Med 1996;24:279-85. E H C A T É D I C 6. Burkhart SS, Morgan CD, Kibler WB. The disabled throwing shoulder: spectrum of pathology. Part II. Arthroscopy 2003;19. À 4. Brasseur JL, Lucidarme O, Tardieu M et al. Ultrasonic rotator cuff changes in veteran tennis players: the effect of hand and dominance and comparison with clinical findings. Eur Radiol 2004;14(5):857-64. E 3. Montalvan B, Parier J, Brasseur JL et al. Confrontation des données cliniques et constatations échographiques de l’épaule du tennisman vétéran. J Traumatol Sport 2002;19:197-207. H 2. Budoff JE, Nirschl RP, Ilahi OA, Rodin DM. Internal impingement in the etiology of rotator cuff tendinosis revisited. Arthroscopy 2003;19(8):810-4. R 1. Van der Hoeven H, Kibler WB. Shoulder injuries in tennis players. Br J Sports Med 2006;40:435-40. F fiche médecine du sport n°6 • Chez le joueur de tennis de la cinquantaine et plus, on observe, sur le plan épidémiologique, une augmentation progressive de la fréquence de la pathologie de coiffe liée à la fois à une hyperutilisation et à une dégénérescence tendino-musculaire (lésions partielles ou transfixiantes). Les lésions transfixiantes, dont la fréquence augmente significativement à partir de 55 ans, ne sont pas toutes symptomatiques et ne répondent pas nécessairement à un parallélisme anatomo-clinique. Ainsi, une étude échoclinique (3, 4), ouverte, menée comparativement sur les coiffes de 150 joueurs seniors âgés de 35 à 77 ans (85 joueurs et 65 joueuses âgés en moyenne de 57 ans et 52 ans respectivement) a permis de préciser certains aspects spécifiques rencontrés chez le tennisman : – à l’examen clinique, une douleur est retrouvée 10 fois plus souvent à l’épaule dominante, et le service est le coup le plus douloureux dans 55 % des cas ; – on note à 9 reprises une amyotrophie de la fosse infra- ou supra-spinatus, témoin de l’atteinte du nerf sus-scapularis. Le décollement de l’omoplate en relation avec l’atteinte du nerf de Charles Bell est retrouvé à 26 reprises du côté dominant, contre 7 du côté opposé ; – on retrouve, au bras dominant, une limitation significative de l’ampli­tude en rotation interne rétropulsion par rapport au côté opposé ; – l’échographie montre 43 lésions du supra-spinatus du côté dominant (20 transfixiantes et 23 partielles, réparties sur les 2 versants de la coiffe), contre 16 lésions (3 complètes et 13 partielles) du côté non dominant ; – seules 3 ruptures partielles du sub-scapularis sont retrouvées du côté dominant, et aucune lésion du tendon infra-spinatus n’est constatée ; – on note 8 cas de rupture du tendon long biceps, tous du côté dominant ; – l’épaississement de la bourse séreuse sous-acromiale (20 % des joueurs) est 3 fois plus fréquent du côté dominant ; – le test de Jobe a une valeur prédictive assez faible dans la détection de ces lésions (35 %), tandis que le test de rotation isométrique en position RE1, habituellement utilisé pour tester l’infra-spinatus, semble donner ici un résultat plus intéressant (50 %) ; – les lésions constatées au bras dominant, malgré la présence d’une douleur à l’examen chez 22 % des joueurs ou d’un antécédent douloureux chez 33 % d’entre eux, n’empêchent aucunement la pratique du tennis de compétition ; – les lésions transfixiantes, qui touchent 13 % des joueurs, sont exceptionnelles avant 45 ans et augmentent après 55 ans (18 %) pour atteindre 30 % à partir de 65 ans, ce qui est comparable à la population générale. • Chez le joueur de tennis de haut niveau ou le joueur professionnel, les données de l’examen sont typiquement celles d’une épaule de lanceur : on constate sur l’épaule dominante, comparativement au côté opposé, un déficit de mobilité en rotation interne et une augmentation de la rotation externe (5). Le rapport de force musculaire entre rotateurs internes et externes est en revanche déséquilibré, au détriment des rotateurs externes sur l’épaule dominante, d’où les risques de blessure. Les positions extrêmes lors du service (abduction rotation externe à l’armer), la violence à l’impact de la balle, la fin de geste en rotation interne forcée sont des facteurs traumatisants pour l’épaule, notamment pour les structures intra- et extra-articulaires, capsulo-ligamentaires, osseuses, musculaires ou encore neurologiques. L’inspection du joueur, de dos, évalue la position de la scapula au repos et de façon dynamique, lors de l’élévation antérieure complète des 2 bras. Le rôle de la scapula est essentiel pour un bon fonctionnement de l’épaule, notamment au service. Sa position permet une orientation de la glène, avec une stabilisation optimale de la tête humérale pendant toute la durée du service. À l’examen, il faut juger de manière comparative sa position au repos puis à l’effort et détecter un décollement autour de 90 degrés d’élévation du bras. La mobilité de l’articulation gléno-humérale donne le schéma suivant chez le joueur de tennis de haut niveau : diminution de la rotation interne, augmentation de la rotation externe, mais diminution globale de l’arc de rotation de l’épaule. La reproductibilité de ces mesures reste néanmoins difficile et l’importance de ces modifications peut varier selon les cas. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer notamment le déficit de rotation interne au bras dominant chez le tennisman professionnel : 34 | La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010