Angio fév. 98 22/04/04 12:19 Page 4813 Les explorations microcirculatoires dans les acrosyndromes vasculaires François Becker* uid des explorations vasQ culaires dans les acrosyndromes vasculaires liés au froid ? G. Mégret avec son allant contumier me demande un article free style sur le sujet et plus particulièrement sur les explorations microcirculatoires. Exercice périlleux car, doppler de poche et capillaroscopie péri-unguéale mis à part, je ne fais quasi plus d’exploration instrumentale dans les acrosyndromes vasculaires en dehors de cas très particulirs (protocole d’évaluation thérapeutique, expertise). * Service d’Angiologie, Hôpital du Bocage, CHU, 21034 Dijon Cedex. Dans la forme anatomo-clinique type des acrosyndromes vasculaires des mains sans lésion occlusive sur les gros troncs artériels (pouls normalement perçus, auscultation sous-clavio-axillaire normale), je cois qu’en routine l’exploration fonctionnelle vasculaire est en pratique d’abord et essentiellement d’ordre clinique. – Saluer le patient en lui tendant la main est source d’informations précieuses : main chaude et sèche ou froide et moite, tonique ou molle... autant d’informations sur le tonus vasomoteur de base et la personnalité du patient. Un regard sur les mains note érythrose, pâleur, acrocyanose, ou un patchwork de ces états. Une petite pression du pouce sur le dos de la main du patient renseigne sur les modalités de recoloration de la pastille ainsi réalisée et la tonicité des plexus veinulaires cutanés et sous-cutanés. En quelques secondes une première évaluation fonctionnelle est réalisée. – L’interrogatoire précis, sans être trop orienté, permet de classer l’acrosyndrome en permanent ou (et) paroxystique, avec vasconstriction ou vasodilatation, avec ou sans sudation. L’inspection fine des pulpes et des rebords unguéaux recherche des stigmates de lésions ischémiques pulpaires ou cutanées. – La manœuvre d’Allen élargie à l’étude globale de la main permet d’évaluer le tonus vasoconstricteur, le potentiel de vasodilatation réactionnelle et l’existence de lésions occlusives des artères digitales par analyse de la recoloration cutanée en hyperémie réactionnelle post-ischémique. 1) On demande au patient de lever la poing en l’air et/ou de serrer très fort le poing pour vidanger les veines, puis on comprime la radiale et la cubitale au poignet. 2) On demande au patient de faire une dizaine de mouvements d’ouverture et de fermeture de la main jusqu’à ce 4813 qu’elle devienne assez uniformément pâle. 3) La main et l’avant-bras étant ramenés à l’horizontale sans effort musculaire, on libère alors la compression radiale et cubitale déclenchant une hyperhémie réactionnelle qui progressera plus ou moins vite en fonction de la résistance à l’écoulement. 4) La progression de la vague d’érythrose délimitera alors les éventuelles oblitérations de collatérales digitales). Le jeu des arcades palmaires est évalué selon le même principe en gardant comprimée une artère et en libérant l’autre (compression de la radiale, libération de la cubitale pour le jeu cubitopalmaire - compression de la cubitale, libération de la radiale pour le jeu radio-palmaire). Outre le fonctionnement des arcades palmaires, une oblitération de la cubitale au canal de Guyon apparaît également clairement par ce simple test. – Si l’interrogatoire oriente vers une symptomatologie positionnelle, ou de principe, la recherche d’un syndrome de la traversée thoraco-brachiale s’appuie d’abord sur l’auscultation sus et sous-claviculaire en abduction-rotation externe du bras en position assise (complétée en remplaçant le stéthoscope par une sonde doppler 4 MHz) et sur la manœuvre du chandelier de Baujean. Etant très sceptique sur les relations acrosyndromes/traversée thoraco-brachiale, je ne vais pas plus loin si la manœuvre d’Allen est normale, c’est-àdire en l’absence d’artériopathie digitale, surtout si la palpation du creux susclavier n’apporte pas d’argument en faveur d’une côte cervicale, plus rare mais à risque plus élevé qu’une simple pince costo-claviculaire (en cas de doute, on demande une radiographie de la région thoraco-cervicale à la recherche d’une de ces côtes cervicales en crochet source de traumatismes répétés de la sous-clavière, directement Angio fév. 98 22/04/04 12:19 Page 4814 ou par l’intermédiaire de ses puissants ligaments costo-pleuraux). – Si l’acrosyndrome est un phénomène de Raynaud, voire en cas d’acrocyanose atypique, l’examen est poursuivi par une capillaroscopie au lit de l’ongle à la recherche d’anomalies pouvant orienter vers une maladie de système. La cible essentielle de cette indication de capillaroscopie étant la recherche d’un signe de sclérodermie, je crois comme Ranfdt que l’inspection du lit de l’ongle à l’aide d’une loupe ou d’un ophtalmoscope a quasi même valeur pour la recherche de mégacapillaires. – Dans le cas particulier de travailleurs manuels exposés aux traumatismes répétés de la paume ou du talon de la main, si la symptomatologie est celle d’un phénomène de Raynaud et/ou d’une ischémie pulpaire limités à certains doigts comme l’index, si la manœuvre d’Allen oriente vers une artériopathie digito-palmaire ou seulement digitale, un examen écho-doppler couleur est réalisé à la recherche d’un anévrysme sur la distalité de l’artère cubitale. Il s’agit pratiquement, dans mon expérience, de la seule indication d’échodoppler couleur dans les acrosyndromes. Au quotidien, je ne vais pas plus loin dans les investigations vasculaires. En ce qui concerne le diagnostic d’artériopathie digitale, la mesure de pression digitale, quelle qu’en soit la méthode, ne m’apporte rien de plus que la manœuvre d’Allen qui, sous réserve du respect du protocole d’examen, est très compétitive vis-à-vis de l’artériographie de la main (par ailleurs tout aussi sujette aux conditions d’examen). Dans quelques cas, il est nécessaire de faire la preuve d’un acrosyndrome vasculaire au froid et/ou de quantifier la réaction au froid. Des examens longs et délicats tentent de répondre à ces questions avec plus ou moins de pertinence. Le plus simple d’entre eux pourrait être le déclenchement d’un phénomène de Raynaud par stress ou par exposition au Act. Méd. Int. - Angiologie (14) n° 240, Février 1998 froid. En fait, le déclenchement d’un phénomène de Raynaud est assez aléatoire et il n’est rien de plus irritant que d’avoir essayé vainement de déclencher un phénomène de Raynaud et de voir la patiente en déclencher un superbe sur le pas de la porte en vous quittant... La mise en évidence d’une hypersensibilité au froid est plus intéressante, même si la multiplication des tests et des protocoles tend à montrer qu’aucun n’est parfait. Le principe de base est de soumettre la main et les doigts au froid humide, soit par bain d’eau froide (de 10-12° à la température de la glace fondante) soit par chambre thermique, puis de mesurer et suivre la vasoconstriction cutanée ou le vasospasme digital par thermométrie cutanée (gradient température digitale vs température ambiante), par mesure de pression digitale (cooling), par capillaroscopie au lit de l’ongle, voire par laser-doppler. L’ampleur de la variation négative du paramètre testé, la forme de la courbe de retour à la normale et le temps de retour à 90 % des valeurs basales mesurent l’intensité de la réaction au froid et peuvent parfois même orienter sur l’étiologie du trouble vasomoteur (dans un travail ancien utilisant la thermométrie cutanée, le vasospasme idiopathique était en règle violent et de récupération rapide alors qu’en cas de maladie de système la chute thermique était moins violente mais de récupération plus lente. De même, en cas de phénomène de Raynaud secondaire à un traumatisme digital, ce doigt se démarquera nettement des autres quant à l’intensité de la réponse négative au froid, il pourra même être le seul à présenter une réaction anormale). Au niveau des pieds, le problème est moins fréquent, souvent plus simple, mais parfois également plus compliqué. Le plus souvent, il s’agit de sensation de pied froid unilatéral en rapport avec une épine irritative lombaire, d’une acrorhigose, d’une acrocyanose (souvent associée à une adipocyanose) voire d’enge- 4814 lures ou de microtraumatismes digitaux qui ne nécessitent qu’un peu de rigueur clinique. Parfois, il sera difficile de différencier une engelure ou un trouble trophique par microtraumatisme d’un trouble trophique ischémique par lésions artérielles in situ ou d’origine embolique. La manœuvre d’Allen du pied et une pléthysmographie digitale, réalisées très méthodiquement, seront alors de premier intérêt, parfois il faudra aller au bout des examens non invasifs et rechercher une lésion emboligène en échodoppler sans oublier de vérifier la crase sanguine pour trancher. Enfin, il me paraît utile d’évoquer les troubles vasomoteurs du pied chez certains patients porteur d’une artériopathie des membres inférieurs qu’il s’agisse de formes débutantes avec instabilité vasomotrice ou de lésions plus évoluées compensées par une bonne adaptation du réseau microcirculatoire à la chute de pression distale. Les extrémités concernées sont souvent assez sensibles aux variations climatiques. Si l’on a pris soin d’évaluer la microcirculation cutanée de ces membres dans des conditions normales (mesure des gradients de pression cheville-orteil, thermométrie cutanée, évaluation du tonus vasomoteur en pléthysmographie et en laser-doppler) il est relativement fréquent de constater par temps froid et humide une aggravation des signes fonctionnels sans chute de pression à la cheville, aggravation qui pourra être réduite en agissant sur le chaussant (chaussettes et chaussures sans synthétique). Au total, comme il est dit que la “culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié”, les explorations microcirculatoires en matière d’acrosyndromes vasculaires liés au froid me paraissent d’abord ce qui reste quand on a tout oublié des aléas et des déboires de trop d’examens peu utiles voire inutiles au quotidien, c’est-à-dire leur substratum physiopathologique appliqué à la clinique.