CAS CLINIQUE

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Médecine
& enfance
Difficultés scolaires
et anomalies cutanées
NEUROLOGIE
B. Desnous, S. Auvin, service de neurologie
pédiatrique, hôpital Robert-Debré, Paris
CAS CLINIQUE
Vous recevez une jeune patiente de sept
ans, deuxième d’une fratrie de trois, actuellement scolarisée en CP, qu’elle redouble. La grossesse et l’accouchement
ont été normaux. L’enfant a eu un développement psychomoteur sans anomalie. Vous ne trouvez pas d’antécédents
personnels ni familiaux particuliers.
Les parents vous consultent après avoir
été alertés par l’institutrice, qui a noté
des difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez cette petite
fille. Quand vous reprenez en détail l’interrogatoire, vous apprenez que
quelques difficultés avaient déjà été
constatées à l’école maternelle. La maman vous assure qu’aucun autre antécédent n’existe en dehors de taches sur la
peau présentes depuis la période néonatale et dont certaines se sont agrandies. A l’examen, vous les retrouvez aisément (figure 1). Le reste de votre examen neurologique est normal.
QUE SUSPECTEZ-VOUS ?
Rubrique dirigée par S. Auvin
Vous évoquez une neurofibromatose de
type 1 (NF1). C’est l’association de
taches café au lait avec un trouble d’apprentissage qui vous la fait suspecter.
L’association entre NF1 et troubles cognitifs est fréquente ; elle concerne 30 à
40 % des patients atteints de NF1.
La NF1 est une maladie neurocutanée
héréditaire, autosomique dominante,
multisystémique, dont la prévalence est
estimée entre 1/4 000 et 1/5 000. Son
expression est très variable, y compris
au sein d’une même famille.
Les enfants atteints de NF1 sont souvent sujets à des troubles d’apprentissage, d’où l’importance d’un examen clinique complet dans cette situation.
Concernant les difficultés scolaires, on
retrouve souvent un syndrome de défiseptembre 2011
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cit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Ces troubles peuvent fortement gêner la scolarité de l’enfant, et une prise
en charge précoce est nécessaire.
QUELLE EST VOTRE ÉVALUATION
INITIALE ?
Il est indispensable de réaliser un interrogatoire précis et un examen de la famille (arbre généalogique, recherche de
sujets atteints) afin de rechercher les
critères diagnostiques de la NF1. L’objectif de l’examen initial est aussi de rechercher d’autres symptômes de la maladie.
Les critères diagnostiques de la NF1
sont clairement définis. On peut établir
le diagnostic de NF1 chez un patient si
au moins deux des critères suivants sont
présents :
첸 au moins six taches café au lait, de
plus de 5 mm dans leur plus grand diamètre chez l’enfant prépubère, et d’au
moins 15 mm chez les patients pubères ;
첸 deux (ou plus) neurofibromes de
n’importe quel type ou un neurofibrome
plexiforme ;
첸 des éphélides axillaires ou inguinales ;
첸 un gliome des voies optiques ;
첸 deux (ou plus) nodules de Lisch (hamartomes iriens) ;
첸 une lésion osseuse caractéristique,
comme une dysplasie sphénoïde ou un
amincissement de la corticale des os
longs avec ou sans pseudarthrose ;
첸 un parent du premier degré atteint
de NF1 suivant les critères précédents.
Toutes les investigations nécessaires à
la recherche de ces critères diagnostiques doivent être menées. En pratique, on demande une IRM cérébrale
comprenant une injection de gadolinium et un examen ophtalmologique.
Les autres éléments sont retrouvés à
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l’examen clinique. Les pseudarthroses
sont le plus souvent connues et déjà
prises en charge. Il est inhabituel de faire réaliser des radiographies osseuses
dans un objectif diagnostique. L’analyse
génétique n’est pas nécessaire pour affirmer le diagnostic, qui reste clinique.
L’évaluation clinique doit être poursuivie au-delà de la recherche des critères
diagnostiques pour éliminer d’autres
manifestations de la maladie. L’examen
complet doit comprendre la mesure du
poids, de la taille, du périmètre crânien
et de la pression artérielle. Un examen
neurologique précis sera réalisé et on
insistera sur la recherche de mouvements anormaux. L’examen dermatologique doit être minutieux. L’utilisation
d’une lampe de Wood n’est pas indispensable pour rechercher les signes de
la maladie tels que taches café au lait,
éphélides, neurofibromes sous-cutanés,
neurofibromes plexiformes. On s’attachera à noter la taille et l’évolutivité de
ces derniers. Un examen orthopédique
visera à dépister une éventuelle cyphoscoliose. Une évaluation du développement pubertaire est également intéressante afin d’identifier d’éventuelles anomalies.
Dans le cas de notre patiente, un examen ophtalmologique (acuité visuelle,
lampe à fente, fond d’œil, champ visuel)
et une évaluation neuropsychologique
doivent être faits pour caractériser les
troubles de l’apprentissage.
L’EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE
RÉVÈLE L’EXISTENCE D’UNE
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE DE
L’ŒIL DROIT. QUELLE EST VOTRE
PRISE EN CHARGE ?
Vous faites réaliser une IRM cérébrale,
qui met en évidence un gliome des voies
optiques droites (figure 2).
50 % des patients atteints de NF1 ont
un examen ophtalmologique anormal
lors du diagnostic. Une action thérapeutique ne s’envisage qu’en cas de gliome
des voies optiques symptomatique ou
évolutif. En effet, les gliomes des voies
optiques associés à la NF1 sont la plupart du temps stables durant des années
après le diagnostic ; ils ne nécessitent
Figure 1
Taches café au lait
Figure 2
IRM cérébrale montrant un gliome des voies optiques à
droite
A : image axiale en séquence
FLAIR. B : image axiale en
séquence T2. C : image frontale en
pondération T1 avec injection de
gadolinium ; on note
l’augmentation de diamètre du
nerf optique droit en comparaison
avec le nerf optique gauche.
D : image axiale en pondération
T1 avec injection de gadolinium.
qu’une simple surveillance par IRM cérébrale et un examen ophtalmologique
qui sera répété tous les trois mois pendant six mois, puis tous les six mois
pendant un an, puis une fois par an jusqu’à la puberté.
Une prise en charge en oncologie pédiatrique doit être organisée pour cette
jeune patiente présentant un gliome des
voies optiques symptomatique.
LA MAMAN VOUS DIT QU’ELLE
EST ENCEINTE DE DEUX MOIS.
QUE FAITES-VOUS ?
Vous proposez un conseil génétique
afin d’envisager un diagnostic de NF1
en anténatal. Les tests génétiques sont
longs et coûteux car le gène de la NF1
est de grande taille et il existe un grand
nombre de mutations. Actuellement
90 % des mutations sont détectées.
LA NEUROFIBROMATOSE
DE TYPE 1
La neurofibromatose de type 1 (NF1) est
la plus fréquente des maladies autososeptembre 2011
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miques dominantes. Le gène de la NF1,
situé sur le chromosome 17q11.22, code
pour la neurofibromine, protéine intervenant dans le contrôle de la prolifération et de la différenciation cellulaire.
La NF1 est caractérisée par la présence
de tâches café au lait (TCL), de nodules
de Lisch, d’éphélides, de neurofibromes
cutanés, sous-cutanés et plexiformes,
d’anomalies osseuses. Les TCL sont fréquentes dans la population générale (1
à 2 %). L’examen clinique est donc fondamental pour savoir s’il s’agit de TCL
isolées ou d’une neurofibromatose. Au
moindre doute, il faudra réaliser les investigations pour affirmer ou infirmer
ce diagnostic.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
DE LA NF1
첸 Les TCL apparaissent très tôt au
cours de la maladie, rarement après
l’âge de deux ans, et sont présentes
dans plus de 90 % des cas à l’adolescence. Leur localisation est aléatoire. Les
critères de nombre et de taille sont primordiaux.
첸 Les éphélides ou lentigines apparais-
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sent entre trois et cinq ans. Typiquement localisées au niveau des plis axillaires, inguinaux et sous-mammaires,
elles peuvent également toucher la
nuque, l’espace sous-mentonnier ou encore être diffuses.
첸 Les nodules de Lisch ou hamartomes
iriens sont pathognomoniques de la
NF1. Ils n’affectent pas la vision et apparaissent entre cinq et dix ans. Leur
mise en évidence nécessite un examen à
la lampe à fente par un ophtalmologiste
expérimenté.
첸 Les neurofibromes sont des tumeurs
bénignes. Il en existe trois sous-types :
– les neurofibromes cutanés n’apparaissent qu’à la puberté. Ce sont des petites
tumeurs molles, mobiles avec la peau,
sessiles ou pédiculées ;
– les neurofibromes sous-cutanés n’apparaissent que dans la seconde enfance
et se développent à partir des troncs
nerveux. Ils sont plus palpables que visibles et toujours sensibles ou douloureux à la pression ;
– les neurofibromes plexiformes sont
présents dès la naissance mais peuvent
continuer à apparaître à l’adolescence
et à l’âge adulte. Ce sont des tuméfactions cutanées et sous-cutanées ; leur
risque de dégénérescence n’est pas négligeable.
첸 Les anomalies osseuses : scoliose,
dysplasie sphénoïde ou des os longs.
ÉVOLUTION ET COMPLICATIONS
La NF1 peut être associée à un gliome
des voies optiques, à des troubles cognitifs, à une scoliose et à d’autres anomalies osseuses. La morbidité et la mortalité de la NF1 sont liées à la survenue de
nombreuses complications multisystémiques. L’enjeu majeur de la prise en
charge d’un patient atteint de NF1 est la
détection la plus précoce possible de ces
différentes complications. Cette prise
en charge est donc multidisciplinaire, et
un planning d’examens complémentaires et d’évaluations répétées doit être
mis en place.
Les complications les plus fréquentes de
la NF1 sont d’ordre neurologique. Le glio-
me des voies optiques est la tumeur intracérébrale la plus fréquemment asso-
Figure 3
IRM cérébrale montrant des OBNI
(objets brillants non identifiés).
A : image axiale FLAIR avec hypersignaux dans
la substance blanche cérébelleuse. B : image
axiale FLAIR montrant des hypersignaux sustentoriels proches des noyaux gris centraux.
ciée à la NF1. Le dépistage d’apparition
d’un gliome des voies optiques nécessite
la réalisation d’une IRM cérébrale annuelle avant l’âge de six ans, âge avant
lequel un examen ophtalmologique
comprenant une évaluation fiable du
champ visuel est difficilement obtenu.
Après six ans, un examen ophtalmologique annuel de suivi est recommandé.
C’est une altération du champ visuel qui
fera alors réaliser une IRM à la recherche de cette complication. Le traitement par chimiothérapie ou chirurgie
ne concernera que les gliomes évolutifs
ou symptomatiques. La radiothérapie
est actuellement contre-indiquée. Outre
le gliome des voies optiques, on peut
observer des astrocytomes (le plus souvent pylocitiques).
Dans la phase diagnostique, une IRM
cérébrale est le plus souvent réalisée en
dehors de tout symptôme évoquant une
complication neurologique. Cette imagerie initiale est souvent conservée
comme une référence. Les patients atteints de NF1 peuvent présenter des
anomalies de la substance blanche appelées OBNI (objets brillants non identifiés) ; ces lésions sont plus fréquemment localisées au niveau des noyaux
gris centraux et de la fosse postérieure.
Elles apparaissent chez l’enfant et disparaissent à l’âge adulte (figure 3).
Les neurofibromes sous-cutanés peuvent devenir compressifs (compression
médullaire, nerveuse périphérique)
lorsqu’ils sont massifs et multiples.
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Enfin sur le plan cognitif, on peut observer un syndrome de déficit de l’attention associé ou non à une hyperactivité.
Cette atteinte est très fréquente et nécessite une évaluation et une prise en
charge en neurologie pédiatrique.
D’autres troubles des apprentissages
pouvant aller d’un trouble spécifique à
une déficience cognitive peuvent être
observés. Une évaluation neuropsychologique sera alors réalisée afin de
mettre en place une prise en charge précoce.
Des complications endocriniennes peuvent survenir. Elles seront évoquées devant des signes de puberté précoce révélant un gliome des voies optiques ou
une hypertension et des malaises révélant un phéochromocytome le plus souvent surrénalien qui peut être associé à
la NF1.
L’hypertension artérielle n’est pas rare
chez le patient atteint de NF1. Il faut
donc penser à faire une mesure systématique et utiliser des courbes de tension artérielle adaptées à l’enfant. Les
causes d’hypertension artérielle chez
l’enfant peuvent être une dysplasie artérielle pariétale fibromusculaire touchant l’artère rénale ou un phéochromocytome comme signalé ci-dessus.
SURVEILLANCE
L’évaluation annuelle systématique
d’un patient atteint de neurofibromatose doit comprendre un examen clinique
complet afin de rechercher des signes
de complications selon l’âge du patient.
La mesure de la tension artérielle ne
doit pas être oubliée. Un examen ophtalmologique annuel est recommandé.
Les autres investigations sont réalisées
en fonction de l’orientation clinique : bilan neuropsychologique devant un
trouble des apprentissages, échographie abdominale avec doppler des artères rénales en cas d’hypertension… 첸
Pour en savoir plus
PINSON S., CREANGE A, BARBAROT S., STALDER J.F., CHAIX
Y. et al. : « Neurofibromatose 1 : recommandations de prise en
charge », Arch. Pédiatrie, 2002 ; 9 : 49-60.
WILLIAMS V.C., LUCAS J., BABCOCK M.A., GUTMANN D.H.,
KORF B., MARIA B.L. : « Neurofibromatosis type 1 revisited », Pediatrics, 2009 ; 123 : 124-33.
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