Médecine
& enfance
CAS CLINIQUE
Vous recevez une jeune patiente de sept
ans, deuxième d’une fratrie de trois, ac-
tuellement scolarisée en CP, qu’elle re-
double. La grossesse et l’accouchement
ont été normaux. L’enfant a eu un déve-
loppement psychomoteur sans anoma-
lie. Vous ne trouvez pas d’antécédents
personnels ni familiaux particuliers.
Les parents vous consultent après avoir
été alertés par l’institutrice, qui a noté
des difficultés d’apprentissage de la lec-
ture et de l’écriture chez cette petite
fille. Quand vous reprenez en détail l’in-
terrogatoire, vous apprenez que
quelques difficultés avaient déjà été
constatées à l’école maternelle. La ma-
man vous assure qu’aucun autre antécé-
dent n’existe en dehors de taches sur la
peau présentes depuis la période néo-
natale et dont certaines se sont agran-
dies. A l’examen, vous les retrouvez ai-
sément (figure 1). Le reste de votre exa-
men neurologique est normal.
QUE SUSPECTEZ-VOUS ?
Vous évoquez une neurofibromatose de
type 1 (NF1). C’est l’association de
taches café au lait avec un trouble d’ap-
prentissage qui vous la fait suspecter.
L’association entre NF1 et troubles co-
gnitifs est fréquente ; elle concerne 30 à
40 % des patients atteints de NF1.
La NF1 est une maladie neurocutanée
héréditaire, autosomique dominante,
multisystémique, dont la prévalence est
estimée entre 1/4000 et 1/5 000. Son
expression est très variable, y compris
au sein d’une même famille.
Les enfants atteints de NF1 sont sou-
vent sujets à des troubles d’apprentissa-
ge, d’où l’importance d’un examen cli-
nique complet dans cette situation.
Concernant les difficultés scolaires, on
retrouve souvent un syndrome de défi-
cit de l’attention avec ou sans hyperacti-
vité. Ces troubles peuvent fortement gê-
ner la scolarité de l’enfant, et une prise
en charge précoce est nécessaire.
QUELLE EST VOTRE ÉVALUATION
INITIALE ?
Il est indispensable de réaliser un inter-
rogatoire précis et un examen de la fa-
mille (arbre généalogique, recherche de
sujets atteints) afin de rechercher les
critères diagnostiques de la NF1. L’ob-
jectif de l’examen initial est aussi de re-
chercher d’autres symptômes de la ma-
ladie.
Les critères diagnostiques de la NF1
sont clairement définis. On peut établir
le diagnostic de NF1 chez un patient si
au moins deux des critères suivants sont
présents :
au moins six taches café au lait, de
plus de 5 mm dans leur plus grand dia-
mètre chez l’enfant prépubère, et d’au
moins 15 mm chez les patients pu-
bères ;
deux (ou plus) neurofibromes de
n’importe quel type ou un neurofibrome
plexiforme ;
des éphélides axillaires ou ingui-
nales ;
un gliome des voies optiques ;
deux (ou plus) nodules de Lisch (ha-
martomes iriens) ;
une lésion osseuse caractéristique,
comme une dysplasie sphénoïde ou un
amincissement de la corticale des os
longs avec ou sans pseudarthrose ;
un parent du premier degré atteint
de NF1 suivant les critères précédents.
Toutes les investigations nécessaires à
la recherche de ces critères diagnos-
tiques doivent être menées. En pra-
tique, on demande une IRM cérébrale
comprenant une injection de gadoli-
nium et un examen ophtalmologique.
Les autres éléments sont retrouvés à
NEUROLOGIE
Rubrique dirigée par S. Auvin
Difficultés scolaires
et anomalies cutanées
B. Desnous, S. Auvin, service de neurologie
pédiatrique, hôpital Robert-Debré, Paris
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l’examen clinique. Les pseudarthroses
sont le plus souvent connues et déjà
prises en charge. Il est inhabituel de fai-
re réaliser des radiographies osseuses
dans un objectif diagnostique. L’analyse
génétique n’est pas nécessaire pour af-
firmer le diagnostic, qui reste clinique.
L’évaluation clinique doit être poursui-
vie au-delà de la recherche des critères
diagnostiques pour éliminer d’autres
manifestations de la maladie. L’examen
complet doit comprendre la mesure du
poids, de la taille, du périmètre crânien
et de la pression artérielle. Un examen
neurologique précis sera réalisé et on
insistera sur la recherche de mouve-
ments anormaux. L’examen dermatolo-
gique doit être minutieux. L’utilisation
d’une lampe de Wood n’est pas indis-
pensable pour rechercher les signes de
la maladie tels que taches café au lait,
éphélides, neurofibromes sous-cutanés,
neurofibromes plexiformes. On s’atta-
chera à noter la taille et l’évolutivité de
ces derniers. Un examen orthopédique
visera à dépister une éventuelle cyphos-
coliose. Une évaluation du développe-
ment pubertaire est également intéres-
sante afin d’identifier d’éventuelles ano-
malies.
Dans le cas de notre patiente, un exa-
men ophtalmologique (acuité visuelle,
lampe à fente, fond d’œil, champ visuel)
et une évaluation neuropsychologique
doivent être faits pour caractériser les
troubles de l’apprentissage.
L’EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE
RÉVÈLE L’EXISTENCE D’UNE
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE DE
L’ŒIL DROIT. QUELLE EST VOTRE
PRISE EN CHARGE ?
Vous faites réaliser une IRM cérébrale,
qui met en évidence un gliome des voies
optiques droites (figure 2).
50 % des patients atteints de NF1 ont
un examen ophtalmologique anormal
lors du diagnostic. Une action thérapeu-
tique ne s’envisage qu’en cas de gliome
des voies optiques symptomatique ou
évolutif. En effet, les gliomes des voies
optiques associés à la NF1 sont la plu-
part du temps stables durant des années
après le diagnostic ; ils ne nécessitent
qu’une simple surveillance par IRM cé-
rébrale et un examen ophtalmologique
qui sera répété tous les trois mois pen-
dant six mois, puis tous les six mois
pendant un an, puis une fois par an jus-
qu’à la puberté.
Une prise en charge en oncologie pédia-
trique doit être organisée pour cette
jeune patiente présentant un gliome des
voies optiques symptomatique.
LA MAMAN VOUS DIT QU’ELLE
EST ENCEINTE DE DEUX MOIS.
QUE FAITES-VOUS ?
Vous proposez un conseil génétique
afin d’envisager un diagnostic de NF1
en anténatal. Les tests génétiques sont
longs et coûteux car le gène de la NF1
est de grande taille et il existe un grand
nombre de mutations. Actuellement
90 % des mutations sont détectées.
LA NEUROFIBROMATOSE
DE TYPE 1
La neurofibromatose de type 1 (NF1) est
la plus fréquente des maladies autoso-
miques dominantes. Le gène de la NF1,
situé sur le chromosome 17q11.22, code
pour la neurofibromine, protéine inter-
venant dans le contrôle de la proliféra-
tion et de la différenciation cellulaire.
La NF1 est caractérisée par la présence
de tâches café au lait (TCL), de nodules
de Lisch, d’éphélides, de neurofibromes
cutanés, sous-cutanés et plexiformes,
d’anomalies osseuses. Les TCL sont fré-
quentes dans la population générale (1
à 2 %). L’examen clinique est donc fon-
damental pour savoir s’il s’agit de TCL
isolées ou d’une neurofibromatose. Au
moindre doute, il faudra réaliser les in-
vestigations pour affirmer ou infirmer
ce diagnostic.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
DE LA NF1
Les TCL apparaissent très tôt au
cours de la maladie, rarement après
l’âge de deux ans, et sont présentes
dans plus de 90 % des cas à l’adolescen-
ce. Leur localisation est aléatoire. Les
critères de nombre et de taille sont pri-
mordiaux.
Les éphélides ou lentigines apparais-
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Figure 1
Taches café au lait
Figure 2
IRM cérébrale montrant un gliome des voies optiques à
droite
A : image axiale en séquence
FLAIR. B : image axiale en
séquence T2. C : image frontale en
pondération T1 avec injection de
gadolinium ; on note
l’augmentation de diamètre du
nerf optique droit en comparaison
avec le nerf optique gauche.
D : image axiale en pondération
T1 avec injection de gadolinium.
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sent entre trois et cinq ans. Typique-
ment localisées au niveau des plis axil-
laires, inguinaux et sous-mammaires,
elles peuvent également toucher la
nuque, l’espace sous-mentonnier ou en-
core être diffuses.
Les nodules de Lisch ou hamartomes
iriens sont pathognomoniques de la
NF1. Ils n’affectent pas la vision et ap-
paraissent entre cinq et dix ans. Leur
mise en évidence nécessite un examen à
la lampe à fente par un ophtalmologiste
expérimenté.
Les neurofibromes sont des tumeurs
bénignes. Il en existe trois sous-types :
– les neurofibromes cutanés n’apparais-
sent qu’à la puberté. Ce sont des petites
tumeurs molles, mobiles avec la peau,
sessiles ou pédiculées ;
les neurofibromes sous-cutanés n’ap-
paraissent que dans la seconde enfance
et se développent à partir des troncs
nerveux. Ils sont plus palpables que vi-
sibles et toujours sensibles ou doulou-
reux à la pression ;
les neurofibromes plexiformes sont
présents dès la naissance mais peuvent
continuer à apparaître à l’adolescence
et à l’âge adulte. Ce sont des tuméfac-
tions cutanées et sous-cutanées ; leur
risque de dégénérescence n’est pas né-
gligeable.
Les anomalies osseuses : scoliose,
dysplasie sphénoïde ou des os longs.
ÉVOLUTION ET COMPLICATIONS
La NF1 peut être associée à un gliome
des voies optiques, à des troubles cogni-
tifs, à une scoliose et à d’autres anoma-
lies osseuses. La morbidité et la mortali-
té de la NF1 sont liées à la survenue de
nombreuses complications multisysté-
miques. L’enjeu majeur de la prise en
charge d’un patient atteint de NF1 est la
détection la plus précoce possible de ces
différentes complications. Cette prise
en charge est donc multidisciplinaire, et
un planning d’examens complémen-
taires et d’évaluations répétées doit être
mis en place.
Les complications les plus fréquentes de
la NF1 sont d’ordre neurologique. Le glio-
me des voies optiques est la tumeur in-
tracérébrale la plus fréquemment asso-
ciée à la NF1. Le dépistage d’apparition
d’un gliome des voies optiques nécessite
la réalisation d’une IRM cérébrale an-
nuelle avant l’âge de six ans, âge avant
lequel un examen ophtalmologique
comprenant une évaluation fiable du
champ visuel est difficilement obtenu.
Après six ans, un examen ophtalmolo-
gique annuel de suivi est recommandé.
C’est une altération du champ visuel qui
fera alors réaliser une IRM à la re-
cherche de cette complication. Le traite-
ment par chimiothérapie ou chirurgie
ne concernera que les gliomes évolutifs
ou symptomatiques. La radiothérapie
est actuellement contre-indiquée. Outre
le gliome des voies optiques, on peut
observer des astrocytomes (le plus sou-
vent pylocitiques).
Dans la phase diagnostique, une IRM
cérébrale est le plus souvent réalisée en
dehors de tout symptôme évoquant une
complication neurologique. Cette ima-
gerie initiale est souvent conservée
comme une référence. Les patients at-
teints de NF1 peuvent présenter des
anomalies de la substance blanche ap-
pelées OBNI (objets brillants non iden-
tifiés) ; ces lésions sont plus fréquem-
ment localisées au niveau des noyaux
gris centraux et de la fosse postérieure.
Elles apparaissent chez l’enfant et dis-
paraissent à l’âge adulte (figure 3).
Les neurofibromes sous-cutanés peu-
vent devenir compressifs (compression
médullaire, nerveuse périphérique)
lorsqu’ils sont massifs et multiples.
Enfin sur le plan cognitif, on peut obser-
ver un syndrome de déficit de l’atten-
tion associé ou non à une hyperactivité.
Cette atteinte est très fréquente et né-
cessite une évaluation et une prise en
charge en neurologie pédiatrique.
D’autres troubles des apprentissages
pouvant aller d’un trouble spécifique à
une déficience cognitive peuvent être
observés. Une évaluation neuropsycho-
logique sera alors réalisée afin de
mettre en place une prise en charge pré-
coce.
Des complications endocriniennes peu-
vent survenir. Elles seront évoquées de-
vant des signes de puberté précoce ré-
vélant un gliome des voies optiques ou
une hypertension et des malaises révé-
lant un phéochromocytome le plus sou-
vent surrénalien qui peut être associé à
la NF1.
L’hypertension artérielle n’est pas rare
chez le patient atteint de NF1. Il faut
donc penser à faire une mesure systé-
matique et utiliser des courbes de ten-
sion artérielle adaptées à l’enfant. Les
causes d’hypertension artérielle chez
l’enfant peuvent être une dysplasie arté-
rielle pariétale fibromusculaire tou-
chant l’artère rénale ou un phéochro-
mocytome comme signalé ci-dessus.
SURVEILLANCE
L’évaluation annuelle systématique
d’un patient atteint de neurofibromato-
se doit comprendre un examen clinique
complet afin de rechercher des signes
de complications selon l’âge du patient.
La mesure de la tension artérielle ne
doit pas être oubliée. Un examen oph-
talmologique annuel est recommandé.
Les autres investigations sont réalisées
en fonction de l’orientation clinique : bi-
lan neuropsychologique devant un
trouble des apprentissages, échogra-
phie abdominale avec doppler des ar-
tères rénales en cas d’hypertension…
Pour en savoir plus
PINSON S., CREANGE A, BARBAROT S., STALDER J.F., CHAIX
Y. et al. : « Neurofibromatose 1 : recommandations de prise en
charge »,
Arch. Pédiatrie,
2002 ;
9:
49-60.
WILLIAMS V.C., LUCAS J., BABCOCK M.A., GUTMANN D.H.,
KORF B., MARIA B.L. : « Neurofibromatosis type 1 revisited »,
Pe-
diatrics,
2009 ;
123 :
124-33.
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Figure 3
IRM cérébrale montrant des OBNI
(objets brillants non identifiés).
A : image axiale FLAIR avec hypersignaux dans
la substance blanche cérébelleuse. B : image
axiale FLAIR montrant des hypersignaux sus-
tentoriels proches des noyaux gris centraux.
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