Leucoencéphalopathie au cours d’un lupus érythémateux systémique C OBSERVATION

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Leucoencéphalopathie au cours d’un lupus
érythémateux systémique
J. Cohen-Solal1, C. Sordet1, C. Bouvet1, J.M. Woehl2, J.L. Dietmann3, J.L. Kuntz1, J. Sibilia1
OBSERVATION
1a
Madame G. , 44 ans, a été hospitalisée en urgence pour des
troubles des fonctions supérieures.
La patiente était suivie pour un syndrome de Gougerot-Sjögren
p ri m a i re avec anti-Ro/SS-A et anti-La/SS-B associé à un
syndrome des antiphospholipides sans signe de lupus, en dehors
de la présence isolée et intermittente d’anti-ADN natif et d’une
neutropénie périphérique sans complication infectieuse significative. Son affection s’était, jusqu’alors, essentiellement caractérisée par une asthénie, un syndrome sec et une polya rt h rite
(mains, pieds) sans synovite majeure.
En janvier 2003, sont ap p a rus progressivement un syndrome cérébelleux, un syndrome extrapyramidal et une altération de l’état
g é n é ral avec une grab at i s ation et des tro u bles de l’élocution.
Son traitement comportait, depuis trois ans, une antivitamine K,
de la prednisolone (10 mg/j), du méthotrexate (15 mg/sem. per
os) et de l’acide folique (15 mg/j).
À l’ex a m e n , il n’y avait pas de fièvre, ni de point d’ap p e l
infectieux, pas de signe de vascularite, pas d’organomégalie ou
d’adénopathie. La patiente était normotendue, il n’y avait aucun
antécédent d’intox i c ation éthylique ou d’autres prises de toxiques
La biologie a révélé :
– un syndrome infl a m m at o i remodéré : VS 36 mm/h, fibrinogène
5,19 g/l, CRP 17 mg/l ;
– une neutropénie (500/mm3) et une lymphopénie (300/mm3) sans
thrombopénie ;
– des anti-Ro/SS-A et des anti-La/SS-B ainsi que des anti-ADN
natifs (> 200 UI/ml) ;
– des anticardiolipides IgG à 37 UGPL, mais sans anti-ß2GP1 et
sans anticoagulant circulant ;
– une diminution isolée de la fraction C4 du complément
(0,11 g/l, N > 0,15) ;
– l’absence de cryoglobuline ;
– la négativité des séro l ogies virales (VHB, VHC, VIH, EBV,
HSV, CMV) et de la sérologie de Lyme ;
– une discrète hyperprotéinorachie à l’analyse du LCR, sans élément en faveur d’une synthèse intrat h é c a l e. Il n’y avait pas
d’acide nu cléique viral (JC viru s , HSV, VZV, EBV et CMV).
L’IRM cérébrale (fi g u re 1a) mettait en évidence des lésions
hypo-intenses en T1, non rehaussées par le gadolinium, hyper1. Service de rhumatologie, CHU de Strasbourg.
2. Service de médecine interne , hôpital Pasteur, Colmar.
3. Service de radiologie II, CHU de Strasbourg.
La Lettre du Rhumatologue - n° 304 - septembre 2004
1b
Fi g u re 1. IRM séquence T2 FLAIR. Plages de démyélinisations
confluantes périventriculaires à prédominance postéri e u re. IRM
initiale (a) et à 9 mois (b).
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intenses en T2 FLAIR et en imagerie de diffusion, compatibles
avec des lésions œdémateuses intracellulaires. La topographie
était essentiellement périventriculaire diffuse à prédominance
postérieure, avec toutefois une atteinte de la capsule intern e.
Des lésions sous-tentorielles étaient également visibles. On
notait aussi une prise de contraste nodulaire au niveau de la tête
du noyau caudé, qui semblait être indépendante des lésions
périventriculaires.
Dans un premier temps, le méthotrexate a été arrêté et un traitement par bolus de corticoïdes (1g/j pendant 3 jours) a été
instauré, mais sans aucune amélioration de l’état clinique,qui s’aggravait progre s s ivement. Cette évolution a motivé des perfusions
mensuelles d’immu n og l o bulines (4 jours à 0,4 g/kg/j), commencées 2 mois après le début des symptômes. Ce tra i t e m e n t ,
conjointement à la rééducation, a permis la disparition progressive mais complète des signes cliniques en 6 mois. Au contrôle
biologique, on notait la régression du syndrome inflammatoire.
Après 9 mois de traitement, l’IRM de contrôle a objectivé une
discrète régression des lésions périventriculaires (figure 1b). Le
traitement associant du Cortancyl® à 15 mg/j, une antivitamine
K et des perfusions mensuelles d’Ig i.v. est poursuivi pour l’instant au long cours , permettant de contrôler les manife s t ations
articulaires et, potentiellement, de consolider l’amélioration de
l’état neurologique.
DISCUSSION
Cette observation a plusieurs aspects ori ginaux. Le tableau
clinique était particulièrement “bruyant”, avec une grabatisation et une importante altération des fonctions supéri e u re s
(troubles de l’élocution et du comportement). L’ i m age rie IRM
a révélé des lésions œdémateuses diffuses de la substance
blanche.
Plusieurs arguments plaident contre une origine lymphomat e u s e.Ainsi, l ’ atteinte bilat é rale et symétri q u e, l ’ absence de pri s e
de contraste, l’hypersignal en diffusion et la non-régression sous
corticoïdes sont autant d’éléments permettant d’écarter un
lymphome intracérébral.
Une étiologie infectieuse est systématiquement évoquée dans
ce contexte de maladie dysimmunitaire traitée par immunosuppresseurs. Cependant, l’aspect IRM et l’absence d’anomalie du
LCR n’ont pas permis de confirmer cette hypothèse. La leucoencéphalopathie mu l t i focale progre s s ive (LEMP), liée à une
infection par le JC virus, a été décrite au cours de lupus et chez
des immunodéprimés (1, 2). La recherche par PCR du JC virus
dans le LCR s’est avérée négative dans notre observation. De
plus, la topographie et la répartition des lésions, classiquement
asymétriques, sont autant d’éléments qui s’opposent à ce
diagnostic. D’autres agents infectieux ont été rapportés, en particulier le VIH (leucoencéphalopathie subaiguë), le virus Herpes
simplex, Borrelia burgdorferi... mais aucun de ces agents n’a été
identifié dans cette observation.
L’aspect est donc celui d’une leucoencéphalopathie à prédominance postéri e u re. Cette entité doit fa i re discuter plusieurs
possibilités diagnostiques.
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1 - Une leucoencéphalopathie postérieure régressive
La leucoencéphalopathie postéri e u rerégressive (LEPR) peut être
secondaire à une hypertension artérielle souvent associée à une
insuffisance rénale ou à un traitement immu n o s u p p resseur (cicl osporine, tacrolimus, interféron α, etc.) (3). La symptomatologie
est habituellement régressive en deux semaines si le traitement
des fa c t e u rs favorisants est effi c a c e. Les lésions IRM peuvent
persister de six mois à un an.
La LEPR pourrait aussi être d’origine dysimmunitaire. En effet,
plusieurs observations de LEPR associées à une HTA et une insuffisance rénale surviennent au cours de lupus (4). De plus, quelques
observations de lupus sans HTA ni insuffisance rénale ont également été rapportées. Dans une série de 58 patients avec ou sans
manifestation neuropsychiatrique, 8 avaient une atteinte caractérisée par une démy é l i n i s ation postéri e u re et pariéto-occipitale
évoquant une LEPR (5). Le plus souvent, les manifestations cliniques sont des céphalées, une confusion, des troubles visuels,
des crises d’épilepsie et une hémiparésie. L’évolution peut être
spontanément favorabl e, mais des fo rmes persistantes et/ou récurrentes sont décrites. L’aspect IRM se caractérise par des signaux
hy p e rintenses corticaux et sous-corticaux. Cet aspect est bien
différent de notre observation où les lésions ont une topographie
périventriculaire sans atteinte corticale ou sous-corticale immédiate permettant d’écarter le diagnostic de LEPR.
2 - Une leucoencéphalopathie toxique
L’Aracytine® et le méthotrexate (6-8) ont souvent été impliqués,
en particulier lors des traitements à haute dose, en intraveineux
ou en intrathécal dans des indications en onco-hématologie. La
présence de calcifi c ations sous-cort i c a l e s , absentes dans notre
o b s e rvat i o n , a u rait pu orienter le diagnostic (9). Dans cert a i n s
cas, l ’ e n c é p h a l o p ath ie est d’évolution défavo rable. Plusieurs
hypothèses phy s i o p at h o l ogiques ont été évoquées, notamment
un vasospasme ou une neurotoxicité directe (10).
Une seule observation rapporte un accident semblable avec du
méthotrexate faible dose, en prise hebdomadaire, chez un patient
atteint de polyarthrite rhumatoïde (11). Ce type de complication
semble rare car le méthotrexate est fortement ionisé et insoluble
dans les lipides, ce qui rend son passage de la barrière hématoencéphalique difficile. Il est intéressant de noter que le patient en
question présentait une mononévrite multiplex en rapport avec
une vasculite rhumatoïde, pouvant expliquer une altération de la
barrière hémato-encéphalique. L’évolution s’est stabilisée à l’arrêt du méthotrex ate sans que l’on puisse noter d’améliorat i o n .
Dans notre observation, le dosage du méthotrexate dans le LCR,
qui n’a pu être réalisé, aurait pu apporter un argument en faveur
de l’ori gine tox i q u e. L’ hypothèse que la leucoencéphalopat h i e
soit liée à la conjonction du traitement par méthotrexate et d’une
lésion dysimmunitaire qui aurait “fragilisé” la barrière hématoencéphalique n’est pas ex cl u e, mais elle ne peut pas être
documentée.
3 - Une leucoencéphalopathie spécifique
Une atteinte spécifique, liée au syndrome de Gougerot-Sjögren
ou à un lupus, ne peut être écart é e. En effe t , le cara c t è re non
régressif à l’arrêt du méthotrexate et le fait que très peu d’observations soient rap p o rtées après utilisation de méthotrex ate à faible
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dose, doivent faire évoquer une origine inflammatoire propre à
l’affection dysimmunitaire de la patiente.
Dans notre observation, le diagnostic initial était celui de
syndrome de Gougerot-Sjögren associé à un SAPL. Néanmoins,
l’évolution a fait évoquer une fo rme de passage ve rs un lupus
systémique. Il est intéressant de noter l’absence d’insuffisance
rénale et d’HTA. Dans ce contexte dysimmunitaire, l’imagerie
cérébrale (IRM) a permis d’éliminer (12) :
– des lésions ischémiques liées à un SAPL ;
– des lésions de microangiopathie thrombotique ou de vascularite ;
– des lésions de démy é l i n i s ation de type scl é rose en plaques
(lupoid sclerosis).
De plus, la patiente était anticoagulée et les bolus de corticoïdes
n’ont eu aucune infl u e n c e, ni sur la symptomat o l ogi e, ni sur
l’imagerie.
Une encéphalopathie lupique spécifique a été évoquée par Kaye
et al. (13). Leur observation, d atant de 1992, rap p o rte le cas d’une
jeune femme présentant un ralentissement psych o m o t e u r, une
dysarthrie et une ataxie associée à des signes cutanéo-muqueux
et un bilan immu n o l ogique évo c ateur de lupus. L’IRM alors
réalisée montrait des signaux hyperintenses en T2, périventriculaires, semblables à notre observation. L’évolution a été défavorable avec une extension des lésions et une aggravation de la
symptomatologie jusqu’au décès, malgré une corticothérapie et
du cy clophosphamide et des plasmaphérèses. Notons que, à
l’époque, la recherche de JC virus n’a pu être réalisée. Une biopsie stéréotaxique à l’aiguille a été effectuée, montrant une perte
de myéline périvasculaire et une gliose astrocytaire. On ne notait
ni infi l t rat inflammatoire ni microthrombus, ni atteinte va s c u l a i re.
En admettant la similitude de cette observation avec celle de notre
patiente,une telle atteinte anatomopat h o l ogique pourrait expliquer
l’hypersignal en imagerie de diffusion.
En l’absence de diagnostic formel, la stratégie thérapeutique a
été conduite en fonction des deux hypothèses diagnostiques les
plus pro b abl e s : leucoencéphalopathie toxique ou atteinte infl a mmatoire spécifi q u e. Cep e n d a n t , la symptomatologie n’a pas
régressé à l’arrêt du méthotrexate et sous corticoïdes forte dose.
En revanche, un traitement par Ig i.v. a été commencé, ce qui a
e n t raîné une amélioration spectaculaire des signes cliniques avec
une disparition complète des manifestations après 6 mois de traitement. L’utilisation d’Ig i.v. avait déjà été rapportée avec succès dans le traitement d’une forme résistante de LEPR (4), mais
pour l’instant, ces observations isolées ne permettent pas de
conclure à l’efficacité de ce traitement, en particulier en raison
de l’évolution naturelle souvent favorable de la LEPR.
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CONCLUSION
La leucoencéphalopathie pourrait être une forme rare de neurolupus. De diagnostic diffi c i l e,il convient d’évoquer soit une complication infectieuse ou tox i q u e,soit une manifestation dy s i m mun i t a i rede la maladie. Pa rmi les étiologies toxiques, le méthotrexate
est souvent incriminé, ex c eptionnellement à faible dose rhumat ologi q u e. L’ a rrêt du traitement ne suffit pas toujours à la régre s s i o n
de la symptomatologie. L’utilisation d’Ig i.v., pourrait être une
alternative thérapeutique dont l’intérêt ne repose pour l’instant
que sur la description empirique de quelques observations.
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