QUELS SONT LES VACCINS ACTUELLEMENT

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D I T O R I A L
Faut-il vacciner
contre la borréliose de Lyme ?
● F.X.
Limbach*, J. Sibilia*, X. Puéchal**
L
a borréliose de Lyme pose de réels problèmes de santé
publique dans les zones d’endémie. En effet, la manifestation cutanée initiale (érythème migrant) est généralement facilement reconnue et de traitement aisé, mais
les atteintes articulaires et neurologiques ultérieures entraînent des coûts diagnostiques et thérapeutiques significatifs.
Ces dépenses sont encore majorées par la fréquence des
diagnostics par excès (séropositivité asymptomatique) et
par la prise en charge de manifestations chroniques résistantes à l’antibiothérapie (environ 10 % des formes articulaires). Les coûts indirects (absentéisme, reclassement professionnel) sont difficiles à évaluer, en particulier dans les
syndromes “post-Lyme” de type fibromyalgique. En
prenant en compte ces différents paramètres, la
prévention de la maladie semble être l’approche la plus rationnelle du problème. Cette
prévention peut s’envisager de trois
manières :
✔ éradiquer la bactérie responsable de
l’infection, ce qui paraît illusoire actuellement ;
✔ empêcher le contact entre le vecteur
(la tique du genre Ixodes) et l’homme par
des moyens répulsifs ;
✔ procéder à une vaccination protégeant
de la borréliose de Lyme.
Du point de vue du patient, le vaccin représenterait la protection idéale contre la maladie, car il implique une attitude passive vis-àvis du vecteur. Cela explique les pressions
qu’exercent certaines associations de malades américaines sur le corps médical pour une vaccination systématique. Ce phénomène est encore marginal en Europe, mais
ne doutons pas que la multiplication des sources d’informations médicales et “paramédicales” nous confrontera
bientôt à ce type de demande. Quelles sont alors les réponses,
en l’état actuel des connaissances, que nous devons
y apporter ?
* Service de rhumatologie, CHU Strasbourg Hautepierre, 67098 Strasbourg
Cedex.
** Service de rhumatologie, centre hospitalier du Mans, 72037 Le Mans
Cedex 1.
La Lettre du Rhumatologue - n° 280 - mars 2002
QUELS SONT LES VACCINS ACTUELLEMENT
DISPONIBLES ?
En France, il n’y en a aucun sur le marché. Deux vaccins
contenant une forme recombinante de la protéine OspA ont
été évalués chez l’homme : LYMErix®, de SmithKline Beecham Pharma, et ImuLyme®, d’Aventis Pasteur Limited.
Ces vaccins ont un mode d’action original puisqu’ils agissent sur Borrelia avant son passage chez l’homme. En effet,
la protéine de surface OspA de Borrelia est préférentiellement exprimée dans l’intestin des tiques et très peu chez
l’homme, du moins aux phases initiales de l’infection.
Ainsi, les anticorps induits par le vaccin OspA vont
être ingurgités par la tique au cours de son repas
sanguin et détruire Borrelia dans son intestin.
Un des corollaires de ce mode d’action vaccinal est la nécessité de taux sériques élevés d’anticorps OspA pour assurer une
protection efficace. Ainsi, après 12 mois
et 24 mois, seuls 56 % et 42 % des vaccinés respectivement ont des taux d’anticorps protecteurs.
À l’heure actuelle, seul LYMErix® est
commercialisé aux États-Unis et au
Canada. Il assure une protection de 76 %
après trois injections et de 88 % en excluant
les personnes de plus de 65 ans. Les effets
indésirables de la vaccination sont essentiellement des réactions au site d’injection, un syndrome pseudo-grippal (< 3,2 %) et des arthralgies.
Récemment, des cas d’arthrites destructrices ont été
signalés chez des hamsters vaccinés avec la protéine OspA
puis infectés par Borrelia, ce qui a déclenché une polémique
sur les dangers de la vaccination. Cette polémique est amplifiée par l’existence d’une communauté antigénique entre
OspA et LFA-1 (protéine d’adhésion leucocytaire humaine)
ou d’autres déterminants antigéniques qui pourraient, en
théorie, induire une réaction auto-immune. Les essais de
phase III n’ont pas mis en évidence de différence dans l’incidence des troubles rhumatologiques ou neurologiques
entre les vaccinés et les témoins du groupe placebo au cours
d’une période d’observation de deux ans. Néanmoins, en
raison d’un lien possible entre l’immunoréactivité de OspA
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et la résistance aux traitements des arthrites de Lyme, le
vaccin est contre-indiqué chez les patients aux antécédents
d’arthrite de Lyme résistante aux traitements. On ne dispose pas de données cliniques en ce qui concerne les enfants
de moins de 15 ans, les adultes de plus de 75 ans, les immunodéprimés, les femmes enceintes et les patients souffrant
d’un rhumatisme inflammatoire chronique. Le vaccin
recombinant OspA n’est donc pas actuellement recommandé pour ces populations. Indépendamment de ces
risques théoriques, le vaccin OspA présente deux inconvénients majeurs : il nécessite de fréquentes injections de rappel, car le titre d’anticorps doit être élevé pour agir dans
l’intestin des tiques, et il ne serait que faiblement efficace
en Europe en raison de la grande variabilité de la protéine
OspA dans les différentes espèces pathogènes identifiées.
QUI DOIT OU DEVRAIT ÊTRE VACCINÉ ?
Il n’y a pas de réponse univoque à cette question, car les
critères d’évaluation épidémiologique sont complexes.
Néanmoins, une étude américaine, dont la méthodologie
peut être discutée, estime que la vaccination serait économiquement recommandée pour les individus ayant une probabilité d’infection supérieure à 1 %. En extrapolant ces
résultats, la vaccination systématique serait injustifiée en
France et elle ne concernerait que des populations très
ciblées (ayant des activités forestières professionnelles ou
de loisir) dans les zones de forte endémie. Un autre argument contre la vaccination de masse est le fait que celle-ci
ne permettrait pas une éradication de la maladie. En effet,
les réservoirs principaux de Borrelia sont les animaux (rongeurs, cervidés et oiseaux), et la population de spirochètes
dans une région ne serait pas affectée par la vaccination
humaine. Cela explique l’intérêt des essais d’insecticides,
de répulsifs à tiques sur les réservoirs (rongeurs, cervidés)
et les études sur les vaccinations animales, comme par
exemple un recombinant de OspA intégré dans le génome
de E. coli qui peut être administré par voie orale, ou un vaccin multiantigénique. Enfin, un élément essentiel contre une
vaccination systématique est qu’elle ne protège pas des
autres infections bactériennes (ehrlichiose, rickettsioses),
virales (encéphalite à tique) ou parasitaires (babésiose)
transmises par les tiques, pour lesquelles les mesures de
prévention primaire visant à éviter la contamination ont
démontré leur efficacité.
QUELS SONT LES DANGERS D’UN VACCIN ?
Les risques d’effets indésirables neurologiques ou articulaires après la vaccination ne sont actuellement que théoriques, sans confirmation clinique. Néanmoins, la vaccina4
tion ne semble pas souhaitable chez des patients aux
antécédents de borréliose chronique et/ou résistante au
traitement.
La protection vaccinale n’étant pas absolue, des sujets vaccinés peuvent présenter des formes atténuées ou atypiques
de la maladie, ce qui peut retarder le traitement. En outre,
la présence d’anticorps vaccinaux anti-Borrelia peut compliquer l’interprétation de résultats sérologiques de type
ELISA. Néanmoins, ce problème peut être aisément surmonté, puisque tout test douteux doit être confirmé par un
Western-Blot, pour lequel la réactivité OspA n’est pas un
critère diagnostique.
Un des inconvénients majeurs de la vaccination est sa protection incomplète, du moins pour le vaccin actuellement
disponible (et probablement pour les vaccins futurs). Cela
risque, à terme, d’entraîner un oubli des mesures de prévention primaire, et aussi d’augmenter l’incidence des
infections dues à d’autres agents précédemment cités.
CONCLUSION
On peut affirmer qu’il n’existe pas de vaccin efficace actuellement disponible en Europe. Des travaux sont en cours à
la recherche de protéines vaccinales immunogènes qui
seraient communes aux différentes espèces. Ainsi, OspC
est évalué comme antigène candidat, mais sa grande variabilité interespèce ne permettra probablement pas une protection suffisamment large en Europe. D’autres études portant sur l’association de protéines de surface, comme par
exemple OspA et dbpA, ont déjà montré des résultats encourageants chez l’animal, mais doivent être confirmées chez
l’homme. La vaccination anti-Borrelia, lorsqu’elle sera disponible en Europe, ne concernera que des populations bien
ciblées et ne doit pas faire omettre les mesures de prévention primaire qui visent à éviter l’infection due à Borrelia
ou à d’autres pathogènes, et dont l’efficacité a été validée
en zone d’endémie.
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Bibliographie
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La Lettre du Rhumatologue - n° 280 - mars 2002
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