emploi - Le Monde

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ECONOMIE
MARDI 18 NOVEMBRE 2003
UNE PUISSANCE AFFIRMÉE
Evolution annuelle du PIB, en %
8
7
7
6
5
4,9
4
4,4
3
94
96
98
Source : Banque mondiale
00
02 03*
* prévisions
reconduit
au pouvoir,
junichiro koizumi
promet des
mesures libérales
qui inquiètent
le pays
BOUSSOLE
FOCUS
L’Inde renoue
avec une croissance
record cette année.
Progressivement,
le sous-continent
s’intègre à l’économie
mondiale et attire
les investisseurs
p. IV
Les Français ne cessent
de faire grossir
leur bas de laine.
Le taux d’épargne
des ménages a atteint
17 %, en hausse
de 2 points depuis
le début de l’année p. V
DEPUIS SEPTEMBRE, L'ACTIVITÉ REPREND...
Production industrielle, en points
104
102
100
98
96
94
92
90
88
86
98
00
99
01
02
03
Source : Bloomberg
...MAIS LES MÉNAGES RESTENT PRUDENTS
Consommation en volume, glissement annuel, en %
8
6
4
2
0
-2
-4
90
91
92
93
94
95 96
97
98 99
00
01
02
03
Sources : Datastream, Buba, Cabinet Office
F
OFFRES
D’EMPLOI
SPÉCIAL COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES. Le 86e congrès
des maires de France, du 18 au 20 novembre
à Paris, s’intéressera notamment à
la décentralisation en matière de politique
de l’emploi. Une responsabilité
que revendiquent de plus en plus les élus p. VII
Dirigeants b Finance, administration,
juridique, RH b Banque, assurance
b Conseil, audit b Marketing, commercial, communication b Santé b Industries et technologies b Carrières internationales b Multipostes b Collectivités territoriales
p. IX à XIV
b
b
Le Japon va mieux,
les Japonais moins bien
UNE REPRISE FRAGILE
ort de la majorité qu’a
conservée la coalition
gouvernementale aux
élections du 9 novembre, et en dépit du recul
de sa formation politique, le Parti libéral démocrate
(PLD), le premier ministre Junichiro
Koizumi a annoncé qu’il poursuivrait sa politique de « réformes
structurelles ». La montée de l’opposition et les divergences apparues
au sein de sa formation indiquent
pourtant que ce n’est pas ce qu’attend une bonne partie de l’opinion.
Une discordance révélatrice de la
situation économique et sociale
contrastée du Japon. Depuis l’été,
celui-ci, rompant avec une décennie
EMPLOI
de dépression, a renoué avec la
croissance et devrait voir son produit intérieur brut croître de 2,5 %
sur l’ensemble de l’année, plaçant
l’archipel parmi les économies mondiales en expansion. Une performance qui atténue l’annonce par Sony
de la suppression de 20 000 emplois
sur trois ans. La plupart des entreprises cotées en bourse ont enregistré
des profits en 2002, et l’indice Nikkei a bondi de 30 % en bourse, dopé
par les achats des investisseurs
étrangers. « Make no mistake : Japan
is back » (Ne vous y trompez pas ; le
Japon est de retour), estime Jesper
Koll, économiste en chef chez Merrill Lynch. Assurément. Et pourtant,
selon les sondages, l’incertitude
pour l’avenir tenaille l’opinion et
chaque jour la presse se fait l’écho
de petits drames qui témoignent de
cette anxiété diffuse. En pendant au
Japon qui recouvre son dynamisme
industriel, celui des poches de luxe
ostentatoire et de la consommation
frénétique des marques, existe un
autre Japon où la sortie de crise ne
se mesure pas au redressement des
indices et à l’augmentation du nombre des faillites.
La reprise est réelle, mais contrastée. Elle est moins due à la politique
réformiste de M. Koizumi qu’aux
restructurations (délocalisations,
réduction des effectifs, plus grande
flexibilité de l’emploi par l’augmentation du travail précaire) auxquel-
les a procédé le secteur privé qui
ont permis à la plupart des grandes
entreprises de renouer avec les profits. Une reprise qui repose sur des
bases plus solides qu’un éphémère
rebond provoqué, comme précédemment, par des plans de relance
et l’injection de fonds publics. Mais
c’est une reprise en « peau de léopard » : des îlots de prospérité émergent, phares de la croissance pour
les marchés, dans une mer étale. Les
entreprises qui font des profits
n’emploient que 10 % du salariat
total et contribuent à seulement
19 % du produit intérieur brut.
Au-delà du débat sur la fragilité
d’une reprise tirée par les exportations et vulnérable par conséquent
à l’évolution de marchés porteurs
(Etats-Unis et Chine), la question
qui préoccupe les Japonais est la
détérioration des équilibres sociaux
sur la toile de fond d’un vieillissement qui pèse sur l’avenir des retraites. A une plus grande précarité de
l’emploi, à l’aggravation des inégalités sociales en termes de revenus,
mais aussi en fonction de l’âge, du
sexe ou du niveau d’éducation
s’ajoutent les disparités entre les
régions. Le taux de chômage régresse (5,1 % en septembre contre 5,5 %
en début d’année), mais il se double
d’une destruction nette d’emplois.
« Réformes » est le slogan du premier ministre qui a mué en « forces
de résistance » ceux qui s’y opposent ou critiquent ses priorités. De
quelles réformes s’agit-il ? De la privatisation de l’épargne postale et
des régies des autoroutes. Non seulement ces réformes n’ont pas progressé en deux ans, mais elles sont
sans effet sur la situation économique. La politique d’assainissement
du système bancaire très endetté,
est loin d’être cohérente : vouloir
privatiser les postes lorsqu’on nationalise de fait les banques en difficulté par des injections de fonds
publics n’a pas grand sens. Selon un
sondage préélectoral du quotidien
Asahi Shimbun, 60 % des personnes
interrogées n’étaient pas favorables
à ces réformes et la progression de
l’opposition aux élections du
9 novembre est un avertissement :
le gouvernement Koizumi néglige le
coût social de la crise.
La mondialisation, l’éclatement
de la bulle spéculative et les restructurations ont bouleversé le
compromis social de la période de
Haute Croissance (décennies
1960-1980). Le passage du Japon à
l’ère post-industrielle impose des
réformes pour rendre le marché
plus transparent et enrayer le gaspillage des fonds publics qui a
ruiné l’Etat : tous les partis sont
d’accord sur le diagnostic. Mais ils
divergent entre eux (et en leur
sein) sur les méthodes : « En se
focalisant sur le marché, on accroît
les disparités et, à terme, on entame
la cohésion sociale. Les réformes doivent au contraire contribuer à compenser les effets négatifs du marché
par la mise en place d’une société
équitable afin d’éviter les phénomènes d’exclusion », observe l’économiste Takamitsu Sawa. Le secteur
tertiaire est-il capable d’absorber le
surplus de main-d’œuvre rejeté par
le secteur manufacturier ? Vraisemblement non, poursuit-il, annon-
Dix « années perdues », se lamentent les productivistes. Certainement pas. La crise a fait sauter le carcan de la Haute Croissance qui
pesait sur une société arc-boutée
sur la production. Par sa lenteur, la
crise s’est traduite en une période
d’incubation sans rupture du lien
« Les réformes doivent contribuer
à compenser les effets négatifs du marché
par la mise en place d’une société équitable
afin d’éviter les phénomènes d’exclusion »
 , 
çant une reprise sans emplois. Une
des causes de la stagnation serait l’insuffisance de demande, fait-il valoir,
mais ne s’agit-il pas plutôt d’une inadéquation de l’offre à une demande
sociale qui n’est pas satisfaite en termes de bien-être et de protection
sociale ? « Le petit commerce ferme,
mais les hôpitaux sont surchargés »,
constate une autre économiste,
Sawako Takeuchi. L’incapacité – ou
l’absence de volonté politique – du
gouvernement de procéder aux arbitrages sociaux qu’impose le passage
à l’ère postindustrielle est une source d’anxiété supplémentaire.
social vers d’autres équilibres. La
société est devenue plus diversifiée,
plus ouverte, plus mobile, avec des
effets positifs et négatifs : regain
d’initiatives et accroissement des
disparités. Mais le politique est à la
traîne de ces mutations : de nouveaux relais démocratiques sont
apparus au niveau local, mais ils ne
peuvent assumer la mission régulatrice de l’Etat de redéployer l’offre
vers une demande sociale en contribuant à rétablir une confiance dont
dépend la consommation.
Philippe Pons
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
7€
II/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003
DOSSIER
QUESTIONS-RÉPONSES
Conjoncture
PRÉVISIONS OPTIMISTES
Evolution des résultats nets des
principales banques japonaises,
en milliards de yens
700*
2 000
0
- 2000
- 4000
- 6000
89/90
Source : Fitch
1
93/94 97/98 01/02
*Prévisions 2004/2003
Le redressement
de l’économie
est-il assuré ?
Le Japon, deuxième économie
mondiale forte de 127 millions
d’habitants, devrait afficher cette année un taux de croissance
de 2,5 %, après 0,2 % seulement
en 2002 et 0,4 % au cours des
douze mois précédents.
Si l’on met de côté le court rebond
de l’année 2000 lorsque le produit intérieur brut (PIB) nippon
avait augmenté, de façon éphémère de 2 %, il faut remonter à 1996
pour enregistrer un pareil redémarrage qui, cette fois, pourrait
mettre un terme à treize ans de
dépression – consécutive à l’éclatement de la bulle immobilière
spéculative – et à la quasi-faillite
du système bancaire pour cause
de créances douteuses. Cette reprise, marquée par une hausse exceptionnelle de 3,9 % au deuxième trimestre, est tirée en grande partie
par les exportations (selon le
Fonds monétaire international
[FMI] elles devraient croître de
7,7 % cette année) qui, délaissant
un temps les Etats-Unis, se sont
réorientées vers la zone asiatique,
en particulier vers la Chine.
Mais la bonne performance de l’investissement privé (+ 6,2 % en
base annuelle) est aussi à signaler, preuve que les entreprises
japonaises ont repris leurs investissements productifs alors que la
consommation privée ne devrait
croître que de 1,1 % cette année,
après une augmentation de 1,4 %
en 2002.
Autre bonne nouvelle, le redressement de la Bourse. Depuis le
mois d’avril, l’indice Nikkei de
225 valeurs a progressé de plus
de 30 %, l’une des meilleures performances à l’échelon mondial.
Celle-ci s’accompagne d’un net
redressement des marges bénéficiaires des entreprises nippones
qui, pour nombre d’entre elles,
revoient à la hausse leurs perspectives de résultats.
L’automobile japonaise redresse
la tête jusqu’à vendre davantage aux Etats-Unis que quelquesuns des constructeurs locaux
comme Chrysler. L’électronique
affiche également de belles performances. En revanche, certains fleurons baissent la garde.
C’est le cas de Sony qui, après
avoir accusé une baisse de 25 %
de ses résultats trimestriels, a
décidé la suppression de
20 000 emplois (13 % de ces
effectifs mondiaux) en trois ans,
dont 7 000 au Japon.
2
Quels sont
les points noirs
qui demeurent ?
La principale préoccupation réside dans le taux de chômage qui
refuse de descendre au-dessous
de 5 % (il devrait être de 5,5 %
cette année, contre 5,4 % en
2002), signe que la reprise s’effectue encore sans véritable
création d’emplois. Comparé
aux taux de chômage que
connaît l’Europe (près du double), celui du Japon peut paraître faible mais, outre que le
pays a été longtemps habitué à
un taux historiquement beaucoup plus bas, il faut aussi tenir
compte d’un chômage potentiel
caché, résultant de multiples
emplois non productifs encore
préservés pour des raisons de
cohésion sociale.
Longtemps considéré comme un
impératif, le nettoyage des
bilans bancaires a été entrepris
depuis plusieurs années. Mais
de l’avis des spécialistes, beaucoup reste à faire. Au cours de
l’exercice 2002-2003, les créances douteuses du secteur bancaire ont été ramenées à l’équivalent de 220 milliards d’euros. Un
mieux, certes, mais le chiffre reste impressionnant. Prudente,
l’agence de notation Fitch se
contente de prendre acte de l’engagement de retour à la rentabilité pris par les grands établissements bancaires.
3
Quelles sont
les conséquences
de « l’effet yen » ?
Le yen fort – il se négocie actuellement autour de 108 yens pour
un dollar – commence à handicaper les entreprises exportatrices
nippones. Si ce raffermissement
devait se poursuivre, jusqu’à
voir la monnaie japonaise grimper à 105 yens pour un dollar,
l’impact – négatif – sur la croissance pourrait atteindre 0,5 %,
estime la firme Daiwa. Certains
spécialistes considèrent cependant que le véritable seuil d’alerte se situe à 100 yens pour un
dollar.
L’écart entre gagnants et perdants
de l’économie nipponne se creuse
les salariés en fin
de carrière qui
se croyaient
protégés par
l’emploi à vie ont
été laminés par les
restructurations
R
TOKYO
de notre correspondant
écemment, à Nagoya,
grande ville industrielle du centre du Honshu, un contractuel de
52 ans, qui avait pris
en
otage
des
employés de l’entreprise de transport pour laquelle il travaillait, a
provoqué une explosion, faisant
trois morts et trente-quatre blessés. Il réclamait le paiement de
trois mois de salaire non versé.
Déséquilibré, il l’était assurément.
Son acte n’en est pas moins révélateur des zones d’ombre du corps
social : le monde des gagne-petit,
dont beaucoup tirent le diable par
la queue, jusqu’au moment où certains craquent. Le contractuel de
Nagoya faisait partie de cette
armée d’anonymes, broyés par
une crise qui tend à faire de la solvabilité le seul critère de reconnaissance sociale.
Longtemps, l’étranger et le discours officiel national ont fait des
équilibres sociaux des années
1960-1980 des invariants culturels.
Et se sont forgés les grands
« mythes » de Japan Inc. : société
consensuelle et appartenance de la
majorité des Japonais à la classe
moyenne. Le compromis social de
l’époque était le fruit de l’histoire
particulière de l’industrialisation
dans l’Archipel, mais il reposait aussi sur une redistribution relativement égalitaire des fruits de la prospérité, aiguillonnée par de puissants contrepoids (syndicats, mouvements sociaux, etc.) au pouvoir
économique. Avec certes des inégalités, chacun voyait son niveau de
vie s’améliorer. La majorité se sentait portée par le même courant et
est né, à l’époque, le sentiment d’appartenir à une vaste classe moyenne moins définie en termes de revenus que de participation à la
consommation de la société de masse naissante et d’adoption des
modèles culturels qu’elle véhiculait.
Depuis la bulle spéculative des
années 1980, marquée par l’apparition d’une ostentation dans le luxe
inconnue auparavant, puis son éclatement au début de la décennie suivante, c’est le partage des eaux.
L’écart entre gagnants et perdants
se creuse.
La crise sociale a progressé à un
rythme plus lent que la crise économique mais elle se fait davantage
sentir aujourd’hui sur les plus faibles, même si le lien social est maintenu. Derrière une façade paisible,
les inégalités se sont accrues et,
avec elles, des symptômes de malaise : le nombre des suicides, dont
beaucoup sont dus à des facteurs
économiques (faillites, pertes d’emploi), sont en augmentation (30 000
par an) ; la petite criminalité se développe et, bien que l’Archipel reste
un des pays les plus sûrs du monde,
les braquages, cambriolages avec
violence et vols à la tire progressent
à un rythme inquiétant.

Le taux de chômage (5,5 %), en
légère régression, est enviable pour
d’autres pays, mais il donne une
image partielle de la situation de
l’emploi. Dans les grandes agglomérations, une pléthore de petits boulots permet à beaucoup de se
débrouiller et de ne pas émarger
sur les statistiques du chômage. En
province, la situation est plus difficile. Partout, la précarisation de l’emploi s’accroît et le nombre des salariés ayant un statut permanent
diminue. Les employés non réguliers (contrat périodiquement
renouvelable ou temps partiel)
représentent désormais un quart
du salariat, soit 14,5 millions de personnes en 2002 (un nombre qui a
doublé par rapport à 1987). Les femmes, qui constituent le gros contingent des employées à temps partiel,
reçoivent un salaire équivalent à
60 % de celui d’une employée à statut permanent. Un diplôme n’est
plus le passeport pour un emploi.
Autre disparité : alors que les
hauts revenus ne sont pas, ou peu,
touchés par la crise, celui des ménages à statut intermédiaire diminue.
Selon une enquête de l’agence
nationale de la fiscalité, en 2002 le
salaire annuel moyen d’un salarié
du secteur privé se chiffrait à
4 478 000 yens (35 180 euros), soit
62 000 yens de moins que l’année
précédente (cinquième baisse d’affilée depuis 1997). Beaucoup de salariés en fin de carrière, qui se
croyaient protégés par l’emploi à
vie, ont été laminés par les restructurations et ont vu leur revenu drastiquement réduit en perdant leur
travail. Cette baisse généralisée du
revenu disponible engendre un phénomène nouveau : la désépargne.
Les Japonais ont longtemps eu la
réputation d’être de gros épargnants. Le montant de l’épargne
reste considérable : 1 400 000 milliards de yens en mars 2002, mais il
a diminué de 2 % par rapport à l’année précédente. La déflation pallie
partiellement cette diminution du
revenu mais le taux d’épargne des
ménages n’en est pas moins en baisse : il est passé de 11 % en 1998 à
6,6 % en mars 2002. La diminution
du revenu disponible conduit les
Japonais à puiser dans leurs économies pour maintenir leur niveau de
vie.
Conjuguées aux inquiétudes
pour les retraites en raison du
vieillissement rapide de la population, ces nouvelles disparités entament le compromis social qui a prévalu au cours de la période de prospérité. Chaque jour se pose de
manière plus aiguë au Japon le
dilemme équité-efficacité.
Philippe Pons
Les petits boulots séduisent les jeunes bohèmes
TOKYO
correspondance
   , le bureau de l’Agence
nationale pour l’emploi nipponne réservé aux moins
de trente ans, tout est fait pour séduire une population qui n’a pas vraiment l’habitude de pointer au
chômage : mobilier neuf, ordinateurs et guichets de
consultation tranchent avec les locaux plus ternes
des autres locaux.
Créée il y a deux ans, l’agence de Tokyo, l’une des
quatre du pays, est située à Shibuya, quartier jeune
par excellence, juste en face du magasin de disques
Tower Records, et reçoit environ 500 visiteurs par
jour, dont la grande majorité a entre 23 et 25 ans. Le
tiers seulement a déjà un emploi, et, deux fois sur
trois, il s’agit d’un arubaïto (de l’allemand Arbeit, travail), ces petits boulots qui sont légion dans le secteur des services et qui servent d’amortisseur aux
ravages de la crise. « Le but de l’agence, justement,
c’est d’essayer d’apporter des solutions alternatives
aux petits boulots, on s’est aperçu qu’il n’était pas vraiment souhaitable qu’il y ait trop de freeters », reconnaît Hirotaka Nakazato, de Young Hello Work.
Les freeters (de free et arubaïter) désignent les jeunes qui vivent intégralement de petits boulots, devenus le passeport pour un mode de vie alternatif. Syno-
nyme de zapping et de mobilité, la culture de l’arubaïto fait partie intégrante de la vie des jeunes Nippons, qu’ils y aient recours pour gagner de l’argent de
poche tout en poursuivant leurs études, qu’il s’agisse
de repousser l’entrée dans la vie active de quelques
années, ou simplement de gagner de quoi vivre tout
en s’adonnant à une passion, sportive ou artistique.
«   ’ ’ »
Bible du petit boulot, l’hebdomadaire Arubaïto
News va jusqu’à classer les offres d’arubaïto en des
dizaines de rubriques différentes : « Jobs où l’on
s’amuse », « Jobs où l’on ne fait pas grand-chose »,
« Jobs où on gagne bien », « Jobs pour travailler le
week-end », etc. La perspective de passer une grande partie de sa vie dans la même entreprise et la
rigidité du monde du travail rebutent toute une
catégorie de jeunes, qui se reconnaissent de moins
en moins dans le modèle du salarié victime de restructurations en fin de carrière.
Le prolongement de la récession a toutefois rendu plus réalistes les candidats à la bohème. Foulard noir autour du front, pieds nus dans des espadrilles multicolores, Naoki, 25 ans, est inscrit dans
une agence d’intérim pour petits boulots : « On
donne un coup de fil la veille, on nous dit où aller.
Hier, on était trois pour vider un appartement. On
est payé 800 yens de l’heure, ça fait dans les
6 000 yens (50 euros) la journée », raconte-t-il. Sorti d’un IUT d’informatique, il a travaillé cinq ans
dans une entreprise, mais enchaîne les petits boulots depuis six mois.
En cassant le mythe de l’emploi à vie, la crise a
rendu toute relative la sacro-sainte loyauté de l’employé vis-à-vis de l’entreprise. Ryo, 26 ans, a fait
des études d’assistant social, mais cherche à travailler dans la publicité. En deux ans, il a changé six
fois d’employeur. « Mon objectif est d’acquérir des
compétences, je veux pouvoir me spécialiser afin de
mieux me protéger des plans sociaux », dit-il, pragmatique. Les rêves d’enrichissement de leurs aînés
ont laissé place à d’autres aspirations. Après l’université, Yoshimichi, 23 ans, est parti voyager trois
mois en Asie avec l’argent de ses arubaïto. Venu de
province, il loue à Tokyo un studio pour
50 000 yens et cherche, depuis un mois, un emploi
stable dans la publicité. « Il y a le problème des assurances sociales. Et il faut aussi s’occuper des parents.
Mais, à côté de ça, je veux faire du bénévolat dans
une organisation non gouvernementale… » dit-il.
Brice Pedroletti
Les « bébés Yamazaki » donnent naissance à une réforme des retraites
La capitalisation
d’entreprise
est en plein
marasme
L
e système japonais des
retraites est complexe. Il
comporte un régime de
base universel, un régime
complémentaire
obligatoire pour les salariés du privé et des régimes spéciaux pour la fonction publique.
Pour la capitalisation d’entreprise,
les pécules de fin de carrière sont
très répandus et les grandes entreprises ont, en plus, mis en place
des fonds de pension.
Le système n’a plus très bonne
réputation : 92 % de Japonais se
disent inquiets. Les régimes d’Etat
qui disposent de réserves sont
saufs. Mais la capitalisation d’entreprise (pécules et fonds de pension) garantissant, au yen près, la
prestation future est, elle, en plein
marasme. Une situation intenable
après treize ans d’instabilité bour-
sière, de croissance atone et de
départs en retraite plus fréquents.
Des dizaines de milliards d’euros
partent en fumée pour boucher le
trou creusé par le postulat : « le
marché paiera » !
Rien que pour les fonds de pension, le constat est sévère :
entre 1996 et 2002, le nombre de
fonds est passé de 1 883 à 1 651 et
les salariés affiliés de 12 à 10,8 millions. De 1999 à 2001, les actifs ont
baissé de 62 200 milliards de yens
à 57 000 milliards de yens. Tout
cela au passif de la bulle financière
des années 1980 et de son implosion : les fonds d’Etat rapportaient
alors 8 % contre 3 % désormais
(1 % il y a encore six mois), et l’indice Nikkei a été divisé par quatre !
A entendre François Fillon,
ministre des affaires sociales, du
travail et de la solidarité, venu présenter, fin octobre, sa réforme à la
Maison
franco-japonaise
de
Tokyo, le projet français d’un rendez-vous quinquennal pour réviser les régimes s’inspire du Japon.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) créé en 1999 présente,
d’ailleurs, un air de famille avec
les Comités consultatifs (shingikai), rouage essentiel des réformes
dans l’Archipel, associant hauts
fonctionnaires, parties intéressées
et monde académique. Des éléments centraux de la réforme des
retraites au Japon qui ont été au
cœur du débat des élections du
9 novembre se retrouvent dans la
réforme Fillon : pas d’augmentation importante du taux de cotisation ; confirmation du rôle de la
répartition ; maintien du pouvoir
d’achat des pensions par indexation sur les prix (et non plus sur les
salaires). Au calendrier francojaponais figure d’ailleurs le projet
deux fois les actifs de la capitalisation privée. Et le paritarisme
ne concerne que les fonds de pension, alors que les régimes d’Etat
sont gérés directement par des
fonctionnaires. On note, aussi, la
convergence du traitement des
salariés du secteur privé et de la
fonction publique, alors qu’en
France ce sujet très délicat n’a pu
être qu’ébauché. Enfin, la réforme de 2004 devrait relever la part
du budget de l’Etat dans le financement de la retraite de base,
On s’assure pour chaque année que les bébés
viennent au monde avec un système de
retraite équilibré pour les quatre-vingt-quinze
prochaines années. Et on joint un ajustement
glissant d’« équilibre automatique »
de convention bilatérale de Sécurité sociale, annoncée pour début
2004.
A la différence de la France,
cependant, la répartition au
Japon n’exclut pas la constitution de réserves : celles-ci excèdent 1 000 milliards d’euros, soit
d’un tiers à la moitié. Ce qui
rebondit sur le débat fiscal…
Mais c’est l’expérience pratique
de la réforme qui distingue le
mieux l’Archipel de l’Hexagone.
Réussir la première grande réforme des retraites en France est un
exploit ; au Japon, celle-ci est per-
manente. La révision est quinquennale : même dans l’Archipel, il faut
bien cinq ans pour concocter,
négocier, rédiger, faire voter et
mettre en place une réforme des
retraites. La mouture 2004 introduit une rupture conceptuelle
importante. Jusqu’à la réforme de
1999 comprise, l’objectif était de
maintenir le montant des réserves.
Quand on ne pouvait plus augmenter le taux de cotisation, on réduisait les prestations par les leviers
classiques : allongement de la
durée de cotisation et augmentation de l’âge de départ, avec retraite à taux plein.
Mais le dogme du maintien des
réserves vient de tomber car on ne
peut impunément leur sacrifier les
prestations. Entrent alors en scène
les « bébés Yamazaki », du nom
de Nobuhiko Yamazaki, leur
concepteur – intellectuel –, appartenant à l’équipe des actuaires du
ministère des affaires sociales.
L’idée est simple : on s’assure pour
chaque année que les bébés
viennent au monde avec un système de retraite équilibré pour les
quatre-vingt-quinze prochaines
années. Et on joint un ajustement
glissant d’« équilibre automatique » qui, chaque année, recalcule
l’équilibre nécessaire pour les
quatre-vingt-quinze prochaines
années. On ajuste, alors, en fonction de paramètres constatés tels
que la natalité, la mortalité et la
survie, l’évolution des salaires
pour l’assiette et des prix pour la
prestation, modulant l’évolution
démographique et la croissance
économique. Si nécessaire, on
puise dans les réserves : en quatrevingt-quinze
ans,
celles-ci
devraient passer de cinq ans à une
année de prestations, tout en
maintenant une hausse très progressive des cotisations, qui, à
13,58 % actuellement, seront à
20 % en… 2099 !
Si cet « équilibre automatique »
ne pouvait plus garantir l’avenir
des retraites, l’ensemble du système sera remis en cause et un nouveau paradigme sera construit.
Sans geindre sur le « vieillissement de la population », ni parier
sur la « croissance miracle », le
Japon introduit avec créativité et
pragmatisme un système lucide et
flexible.
Jean-François Estienne,
Président de l’Association
franco-japonaise pour l’étude
des retraites
LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003/III
DOSSIER
Masaru Kaneko, professeur d’économie à l’université Keio de Tokyo
« Le gouvernement protège les banquiers,
en cachant l’ampleur des mauvaises créances »
MASARU KANAKO
f Spécialiste des finances publiques,
Masaru Kanako, né en 1952,
est professeur d'économie à l'université
Keio à Tokyo.
f Connu comme un critique
de la politique du gouvernement
de Junichiro Koizumi,
il est l'auteur de plusieurs ouvrages
récents à succès :
Antiglobalisation, la stagnation
à long terme (tiré à 75 000 exemplaires)
et La Grande Transformation économique,
(publié en octobre et déjà vendu
à 35 000 exemplaires), non disponibles
en France.
Même si l’archipel nippon
connaît une reprise conjoncturelle qui se traduit par l’amélioration des résultats de quelques
grandes entreprises et de meilleures performances à l’exportation,
rien n’a fondamentalement changé dans la situation économique
japonaise. Comment expliquezvous, alors, le regain d’intérêt
actuel des investisseurs étrangers
pour le pays ?
En réalité, tout dépend de l’analyse à court terme, ou à long terme,
qui est faite de la situation.
Si on se place dans le long terme,
les pays avancés sont entrés dans
une période de chute de la croissance depuis les crises pétrolières du
début des années 1970. Cette baisse
se conjugue à une libéralisation du
secteur financier qui incite les capitaux excédentaires à chercher des
profits rapides (Bourses, bons
d’Etat, immobilier…). La volatilité
des marchés s’explique par ces
déplacements de fonds et par la
bulle économique américaine. De
crise financière en crise financière,
l’économie américaine chevauche
les « bulles » et leur éclatement grâ-
ce au jeu habile du président de la
Réserve fédérale américaine, Alan
Greenspan, sur les taux d’intérêt.
Les Etats-Unis ayant asséché les
autres marchés, nous assistons à un
retour des investisseurs vers le
Japon qui entraîne un rebond de la
Bourse. Pour autant, tout optimisme sur la santé de l’économie japonaise me paraît prématuré.
A court terme, la reprise actuelle
est favorisée par l’essor du marché
chinois et le rebond américain. Mais
cette éclaircie risque d’être éphémère : l’euphorie actuelle pourrait disparaître dès l’année prochaine.
Les Etats-Unis pratiquent, en
effet, une politique de double déficit, commercial et budgétaire. Cette
situation risque de forcer l’administration Bush à une dévalorisation
abrupte du dollar qui mettra l’économie japonaise en grave difficulté.
Outre les effets négatifs sur les
exportations à destination des EtatsUnis, la baisse du billet vert entraînera celle du yuan chinois (les deux
monnaies sont liées) qui pèsera, à
son tour, sur les exportations japonaises sur le continent. L’embellie
conjoncturelle que connaît le Japon
est dépendante de l’étranger et les
problèmes internes de l’économie
ne sont pas résolus pour autant.
Le gouvernement de Junichiro
Koizumi essaye néanmoins de
remédier aux problèmes des
mauvaises créances des banques
qui « plombent » toute reprise
durable…
Il existe, à l’étranger, un grand
malentendu sur la politique financière du cabinet Koizumi et de son
ministre de l’économie et des services financiers, Heizo Takenaka. Il ne
fait guère de doute que l’apurement
des mauvaises créances des banques
est essentiel. Mais la politique actuelle manque de cohérence et de transparence. Beaucoup d’éléments sont
délibérément cachés par les autorités financières. En mai, par exemple,
le gouvernement a décidé d’injecter
2 000 milliards de yens (15,7 milliards d’euros) pour recapitaliser la
banque Resona. Pourquoi Resona
alors que Mitsui Trust est dans une
situation bien pire ? Et pourquoi un
montant aussi colossal ? Vraisemblablement – mais cela n’a pas été dit –
parce que l’évaluation de la situation
comptable de Resona réalisée deux
mois auparavant par les autorités
financières avait été largement sousestimée.
La politique financière menée
montre que le gouvernement cherche à protéger les dirigeants des
banques, en cachant l’ampleur des
mauvaises créances. D’un côté, il
sauve des banques en les nationalisant de facto par des injections de
fonds publics (comme dans le cas
de Resona) et, de l’autre, il annonce
son intention de privatiser les postes, c’est-à-dire l’énorme « pactole » de l’épargne postale. C’est un
peu contradictoire.
Le Japon s’engage-t-il sur la
voie du néolibéralisme prônée
par les Anglo-Saxons ?
Depuis les années 1980, les économistes formés aux Etats-Unis dominent la scène, au Japon comme en
Corée du Sud. Leur qualité est jugée
au nombre d’articles qu’ils publient
dans les revues américaines.
Les thèses néolibérales ont été
importées ici sans le moindre esprit
critique – en particulier par l’actuelle équipe au pouvoir –, et encensées
simplement parce qu’elles étaient
d’origine américaine. La solution
miracle à tous les problèmes est la
privatisation. Par exemple celle des
régies des autoroutes, l’un des chevaux de bataille du cabinet de Junichiro Koizumi. Il vaudrait mieux, à
mon sens, examiner les mécanismes de corruption qui ont conduit à
leur énorme déficit et y remédier
plutôt que de les privatiser.
La crise que traverse le Japon
depuis plus d’une décennie a eu
pour effets d’aggraver les inégalités sociales. Qu’en pensez-vous ?
Les inégalités sociales sont la
conséquence la plus préoccupante
de la crise actuelle. Mais c’est aussi une question qui est largement
passée sous silence : 20 % des
ménages n’ont aucune épargne, il
y a 3,3 millions de chômeurs, 2 millions de travailleurs précaires âgés
de 15 à 20 ans et, si on ajoute à ce
chiffre les femmes, on arrive à
plus de 10 millions de travailleurs
précarisés !
Plus encore que la question de
l’écart des revenus, c’est celle des
inégalités croissantes entre les
tranches d’âge, les sexes et l’éducation qui est grave. Il apparaît au
Japon une fragmentation sociale
qui fait que les intérêts individuels ne parviennent plus à
converger vers des revendications
communes. Le rôle des corps
intermédiaires (syndicats, coopératives, associations, etc.) s’amenuise, tandis que les médias présentent une image schématisée
de la réalité, réduite à quelques
dichotomies simplifiées.
Les classes moyennes sont sur la
défensive et ce sentiment d’inquiétude se diffuse, nourrissant un
« petit nationalisme » qui est à l’origine de réactions émotionnelles.
« Le problème actuel de l’Archipel est qu’il
ne parvient pas à concilier le marché et une
forme de social-démocratie. Cet écartèlement
est à l’origine des fortes tensions
qui traversent aussi bien la majorité libéraledémocrate que l’opposition démocrate »
Le néolibéralisme au Japon est
une combinaison du culte du
« tout-marché » et de la « diplomatie des faucons », qui dans les
deux cas emboîtent le pas aux
néoconservateurs américains. Le
problème actuel du Japon est
qu’il ne parvient pas à concilier le
marché et une forme de socialdémocratie. Cet écartèlement est
à l’origine des fortes tensions qui
traversent aussi bien la majorité
libérale-démocrate que l’opposition démocrate.
Prenez l’exemple de l’enlèvement
de Japonais par la Corée du Nord.
L’opinion applaudit au durcissement de l’attitude du gouvernement vis-à-vis de Pyongyang ou
lorsque tombent des têtes de
bureaucrates. Mais personne ne
propose une véritable politique de
rechange tenant compte de la crise
sociale et fondée sur un projet de
bien-être social.
Propos recueillis par
Philippe Pons
Menaces sur la « société de bien-être à la japonaise »
l’état n’est pas
prêt à développer
une politique
sociale
cohérente
S
i l’on veut prendre la
mesure des menaces qui
pèsent sur les mécanismes de solidarité et de
protection sociale japonais, il est nécessaire de
revenir sur une idée reçue selon
laquelle la politique industrielle
menée avec succès par l’Etat japonais ne fut pas contrebalancée
par une politique sociale digne de
ce nom. Si la crise financière se
double de sérieux doutes sur la
viabilité du système de développement économique du pays, c’est
parce qu’un certain type de politique sociale est aujourd’hui remis
en cause.
Cette politique sociale, le Parti
libéral démocrate (PLD) au pouvoir l’avait élaborée dès 1979,
avec la formule de « société de
bien-être à la japonaise ». En utilisant le terme de « société de
bien-être », il évitait de parler
d’« Etat providence » et, en précisant « à la japonaise », le pays
affirmait qu’il ne voulait pas suivre
le chemin de la social-démocratie
européenne.
La priorité fut donnée à la solidarité au sein de la famille et de l’entreprise. Pour compenser les insuffisances de cette solidarité communautaire, le citoyen a été invité à
s’en remettre aux assurances privées, la protection sociale publique n’étant pensée que comme un
recours ultime. La tentation est
grande de voir dans cette insistance sur la solidarité communautaire soit l’expression d’un simple
conservatisme social soit le résultat du poids politique des organisations patronales, soucieuses de
contenir le niveau des prélèvements obligatoires. Elle reflète un
compromis social ancien qui est
remis en cause sans qu’une solution de rechange n’apparaisse.
Dès les années 1920, les élites
commencèrent à promouvoir
l’idéologie du « familialisme »
dans l’entreprise qui offrait un
mode d’intégration sociale fondée sur les corps intermédiaires, à
savoir l’entreprise et la famille.
Ce mode d’intégration se révéla
être une réponse viable et de long
terme à la question sociale et un
fondement solide pour le développement économique du pays, en
répondant à des besoins essentiels des acteurs de la société
industrielle. Ainsi, pour les entreprises, l’élaboration de systèmes
de rémunération et de promotion
récompensant l’engagement à
long terme du salarié permit de
créer des liens de dépendance qui
se trouvèrent être un mode de
rationalisation du travail particulièrement efficace. Pour le travailleur, elle offrait une certaine
sécurité financière et un statut respectable dans la société.
Jusqu’à ces dernières années,
l’Etat favorisa ce mode d’intégration sociale afin de compenser les
insuffisances d’un filet de sécurité
sociale public qui n’a jamais
atteint les niveaux européens,
tout en cherchant à garantir le
plein emploi par des investissements massifs dans les travaux
publics, des incitations financières à l’embauche et au maintien
de l’emploi, conjugué à une protection des petites et moyennes
entreprises (PME).
  
A partir des années 1950, l’urbanisation et la quasi-disparition en
ville de la famille de trois générations, conjuguées au recul de la
norme de la femme au foyer
depuis une vingtaine d’années,
ont progressivement sapé les
bases idéologiques et matérielles
de cet édifice. Surtout, depuis
l’éclatement de la bulle financière
au début des années 1990, les
grandes entreprises ont commencé à nourrir des doutes sur la validité de la « gestion à la japonaise » et ont eu tendance à rompre
les termes du compromis social,
ouvrant une crise, non seulement
dans les mécanismes de solidarité, mais plus largement dans les
modes d’intégration sociale.
Aujourd’hui, l’Etat ne semble
pas avoir une politique cohérente et à la hauteur des enjeux de
ce qu’il faut bien appeler une
« nouvelle question sociale ».
L’importance des déficits publics,
le vieillissement de la population
et l’effondrement de l’opposition socialiste dissuadent le gouvernement d’aller plus loin dans
le développement d’un Etat providence, destiné à prendre le
relais de corps intermédiaires
déficients.
En s’en remettant à une politique de dérégulation et en voulant
augmenter la part des assurances
privées et des fonds de pension,
le premier ministre Junichiro Koizumi affirme sa foi en un marché
autorégulateur. Dans le même
temps, il donne des gages aux
politiciens qui, soucieux de maintenir leurs réseaux de financement, poussent à un soutien de
l’emploi par des subventions et
des investissements publics et à
un renflouement du système bancaire, qui contribuent à aggraver
les déficits des finances publiques
et à désorienter encore davantage l’opinion.
Bernard Thomann,
chercheur à la Maison
franco-japonaise et chercheur
invité à l’Institut des sciences
sociales de l’université de Tokyo
CHRONIQUE
par Serge Marti
Dites 35 !
 17 , dernier
jour pour payer la taxe d’habitation, une facture qui s’est alourdie pour les impôts locaux dans
l’ensemble
de
l’Hexagone
(+ 2,2 % en moyenne) avec des
pics de hausse bien supérieurs
dans certains départements tels
que le Gers (+ 21 %) ou encore les
Alpes-de-Haute-Provence
(+ 15 %). La raison de cette envolée ? En partie, bien sûr, le transfert des charges de l’Etat vers les
collectivités locales, induit par la
décentralisation. Mais Patrick
Devedjian, le ministre délégué
aux libertés locales, a trouvé une
autre explication à laquelle on
n’avait pas encore songé. C’est la
faute des 35 heures, « responsables, à elles seules, de 45 % de
l’augmentation »,
affirme-t-il
dans un entretien au quotidien
France-Soir.
La responsabilité, selon lui,
incombe « aux transferts non
financés de l’Etat vers les collectivités locales, effectués sous le gouvernement précédent, et non à la
décentralisation, qui n’est pas
encore mise en œuvre », assure-t-il. Toujours les 35 heures,
pauvre Martine Aubry ! Il y a quelques semaines, au plus fort de la
vive offensive lancée par une partie de la majorité parlementaire
contre la réduction du temps de
travail (RTT), l’essayiste Nicolas
Baverez estimait, au détour d’un
entretien consacré à son best-seller sur le « déclinisme », à savoir
La France qui tombe (Perrin), que
la réduction du temps de travail
était, en partie, responsable de…
l’augmentation de l’alcoolisme
et des violences domestiques ! Le
propos a été ultérieurement
démenti par l’intéressé. En revanche, dans la bouche d’un ancien
conseiller spécial d’un ministre
ministre délégué, l’accusation,
fortement polémique, a une
autre signification.
C’est le moment – involontaire
– choisi par les économistes de
la Caisse des dépôts et consignations (CDC-Ixis) pour publier une
étude sur le sujet prudemment
titrée : « Un essai d’analyse sans
a priori des effets des 35 heures
en France ». De ce document, il
ressort que « les lois de Martine » ont constitué « une politique
contracyclique assez puissante »
qui a généré la création de quelque 310 000 emplois pour la seule période 1999 à 2001 inclus,
« financés par l’argent public »
d’une manière « assez coûteuse »
puisque le coût d’un emploi créé
« est de l’ordre de grandeur du
salaire par tête ».
Estimant « qu’en aucun cas » le
passage aux 35 heures « ne peut
avoir provoqué la crise cyclique
présente », ce qui n’exclut pas,
cependant, un effet « appauvrissant » dans la perspective du
vieillissement de la population,
les auteurs de l’étude considè-
rent qu’il s’agit là d’un mécanisme qui va réduire de 2,5 %, environ, le niveau de production
(mais pas la croissance potentielle) à partir de la date de retour
du taux de chômage à son
niveau d’équilibre.
Dans le détail, on relève que la
réduction effective du travail en
France (de 7,5 % entre le début
1999 et la fin de 2001) a débouché sur « une absence de freinage
visible du rapport salaire réel/tête
mais sur un accroissement de la
productivité horaire de cinq
points environ, par rapport à la
tendance générale, avec, en parallèle, une réduction de 2,5 points
environ de la productivité par
tête. Il en résulte que, grâce aux
gains de productivité horaire,
environ les deux tiers des effets
dus à la baisse de la durée du travail ont été compensés par une
hausse de la productivité horaire ».

Admettant que la RTT est
« une politique chère », au
même titre que toutes les politiques de soutien de l’emploi par
la baisse des charges sociales,
les rédacteurs de ce document
« sans a priori » concluent sur
trois remarques. D’abord, le passage aux 35 heures étant, de fait,
une politique « violemment
contracyclique de créations d’emploi », il était « adapté aux situations de recul conjoncturel de l’activité » de ces dernières années.
Ensuite, que le nombre d’heures
travaillées « est devenu beaucoup plus faible en France qu’au
Japon et dans les pays anglosaxons », un élément qui vient
s’ajouter à un départ à la retraite plus précoce qu’ailleurs dans
notre pays.
Enfin, pour ce qui est de l’avenir, « le problème avec les 35 heures est leur irréversibilité », admettent-ils, expliquant que « lorsqu’on passe d’une situation de
sous-emploi (2001-2004) à celle,
escomptée, du plein emploi (à partir de 2008 ?), on voudrait être
capable d’accroître l’offre de travail alors que les 35 heures l’ont
irrémédiablement réduite ».
Une série de constatations,
non polémiques, qu’il faudrait
exporter en Allemagne, où le
débat sur le temps de travail a
pris une vigueur particulière ces
derniers jours, non seulement
entre économistes et personnel
politique, mais aussi entre les
industriels favorables à une
réduction destinée à préserver
l’emploi (c’est le cas du constructeur automobile Opel, qui est passé aux 30 heures) et la majorité
des chefs d’entreprise qui, au
contraire, voudraient l’allonger
jusqu’à 43 ou 45 heures par
semaine. Un détail : personne n’a
pensé à interroger Martine sur le
sujet.
IV/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003
BOUSSOLE
europe
LES INDICATEURS ÉCONOMIQUES INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT
UE 15
Production industrielle
FORTE RÉDUCTION DE LA FLOTTE DE PÊCHE DE L'UNION
Nombre de bateaux en 2002 et évolution par rapport à 1997 (en %)
ESPAGNE
FRANCE
ITALIE
PAYS-BAS ROY.-UNI
– 0,1
0,1
– 1,2
– 4,0
0,4
– 1,9
1,7
– 0,7
– 1,3
n. d.
n. d.
– 0,4
– 2,1
– 1,7
– 0,7
– 0,9
0,1
3,5
– 0,9
n. d.
n. d.
1,9*
2,1*
1,1
1,7
3,0
2,3*
3,0*
2,2*
1,4
2,3
– 0,5
0,3*
0,3*
– 0,2
0,2
0,2
0,5*
0,8*
n. d.
0,3
0,3
0,0
0,5
0,0
0,2
– 0,1
– 0,2
– 0,1
0,8
– 0,1
2,3
0,7
– 0,3
– 0,3
0,4
– 0,1
– 1,2
– 0,6
2,0
0,6
2,5
0,8
3,0
1,0
– 1,9
– 2,2
– 3,5
0,1
0,1
– 3,1
– 2,3
– 1,6
– 1,5
– 3,2**
– 8,0**
62,3
69
60,8
105,8
53,8
59
106,7
52,4
38,5
60,3**
141,9**
(juillet 03)
(juillet 03)
(juillet 03)
(juin 03)
1,3
6,5
– 3,7
1,6
2,7
2,4
– 5,0
0,8
0,0
– 1,5
– 0,4
1,2
PIB en volume
(2e trimestre 2003, en %) : sur un an
-12
130
-10
932
1 448 +12
(août)
Solde budgétaire (en %)
2002
Dette publique/PIB (en %)
a L'IRLANDE se distingue des Etats membres de l'UE, en enregistrant une
augmentation de la dimension de sa flotte au cours de la période tant en
nombre de bâtiments (+ 12 %) qu’en puissance (+ 8 %).
pays en transition
Solde commercial
extracommunautaire
(en milliards d'euros,
août 2003)
0,4
Investissement (FBCF)
sur trois mois
– 0,1
– 0,2
0,2
2,7
(T2/03)
Pouvoir d'achat des ménages
Commerce extérieur
10
(en millions d'euros)
Contribution des fondations à la recherche, en pourcentage du PIB
n
po
Ja
0,8 %
0,9 %
(T2/03)
(T2/03 - T3/02)
756
– 12,1 %
– 29
– 12
(août 03)
Enquête mensuelle sur le moral
des ménages *
(oct. 03)
99
00
01
02
03
a LA CROISSANCE DES PAYS DE L’EST, futurs membres de l’Union européenne
(UE), ne souffre pas trop du ralentissement en Europe de l’Ouest : le produit intérieur brut (PIB) devrait augmenter en moyenne de 3,5 % en 2003
et en 2004. Ce dynamisme s’explique, outre le maintien de la demande
intérieure, par la vigueur des exportations.
a LES EXPORTATIONS se font pour les deux tiers à destination de l’UE. Mais
le retour des flux internes à la zone (13 % du total aujourd’hui) est un
bon signe pour la région, qui a su également, depuis un an, tirer parti de
la reprise aux Etats-Unis – presque 5 % des exportations (CDC-Ixis).
Le baromètre allemand
ZEW, qui mesure les prévisions
de conjoncture à horizon de six
mois dans le secteur financier,
a fortement rebondi en novembre, à son plus haut niveau
depuis juillet 2002. L’indice a
augmenté de 6,9 points, à
67,2 points. Une progression
plus importante que prévu par
les analystes, qui tablaient sur
une avancée de 4,7 points, à
65 points, selon une étude
publiée par la banque UBS.
L’optimisme retrouvé du secteur financier « est nourri surtout par l’ampleur surprenante
de la progression des entrées de
commandes industrielles en septembre », après deux mois de
stagnation, a commenté l’institut de conjoncture dans un
communiqué.
« Le
récent
rebond des marchés boursiers et
un euro affaibli » ont également dopé l’indice, poursuit le
ZEW.
La hausse du baromètre de
conjoncture semble confirmer
le redémarrage de l’économie
allemande, qui devrait avoir
enregistré à nouveau une légère croissance de juillet à fin
septembre.
– 37 %
(entre avril 03
et oct. 03)
+ 5,9 %**
26 635
Source : ministère de la recherche
a DANS DE NOMBREUX PAYS, la recherche, et en particulier la recherche
médicale, canalise des fonds privés de particuliers ou d’entreprises par le
biais de fondations.
(sept. 03)
Défaillances d'entreprises
+ 2,4 %**
2 949
par date de publication
(mai 03)
*Solde de réponses, CVS, en %
** en glissement
Source : Insee, Douanes
a EN FRANCE, l’Institut Pasteur, l’Institut Curie ou l’Association française
contre les myopathies (AFM) suivent ce modèle, mais cette forme juridique
est encore peu développée. La loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux
associations et aux fondations étend les avantages fiscaux des fondations et
de leurs donateurs, tandis qu’un « statut type » de « fondation à caractère
scientifique » ou de « fondation de recherche » est créé.
L’Inde renoue avec une croissance record
L
’échec de la cinquième
conférence ministérielle
de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), tenue à Cancun
(Mexique) en septembre, a flatté le sentiment national
indien. Depuis la précédente conférence de Doha (Qatar), en 2001,
New Delhi avait clairement choisi
de sortir de son habituel isolement.
C’est donc logiquement qu’à Cancun elle s’est retrouvée parmi le
groupe des 21 – composé du Brésil,
de la Chine, de l’Afrique du Sud, et
de dix-sept autres pays –, pour
dénoncer les subventions aux agriculteurs de l’Union européenne
(UE) et des Etats-Unis, et s’opposer
aux « questions de Singapour »
portant sur les investissements, la
politique de la concurrence, la facilitation des échanges et la transparence des marchés publics.
En jouant la carte de la rupture à
Cancun, l’Inde a signifié qu’elle préférait un échec momentané à un
mauvais compromis. Pourtant, à
long terme, le pays entend moins
affaiblir l’institution genevoise que
d’y modifier les rapports de force.
Mettre en cause les négociations
commerciales en cours ne l’empê-
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
du milieu des années 1990.
38 L’inflation, de l’ordre de 4 % 39
en 2003,
demeure maîtrisée et les40réserves
de devises atteignent près 41
de 90 milliards de dollars pour un
42 revenu
national qui a franchi la 43
barre des
500 milliards de dollars. Après
des
44
années de sécheresse, 45
la bonne
mousson de 2003 devrait46relancer
fortement la production47
agricole,
tirant elle-même la production
48
49
50
UNE PUISSANCE COMMERCIALE DE PLUS EN PLUS AFFIRMÉE
Volume des exportations,
en milliards de dollars
571
8
6
5
4,9
4
461
7
7
593
Evolution annuelle du PIB,
en pourcentage
399
che pas, dans le même temps,
de
1
chercher à attirer les investisse2
ments étrangers. En visite 3
officielle
en France, début novembre,
le
4
ministre du commerce et de5l’industrie, Arun Jaitley – très en pointe
de
6
la fronde à Cancun –, a vanté
aux
7
industriels français les atouts
de
8
son pays : croissance, confiance,
9
réformes, opportunités. 10
Alors que les échéances11
électorales se rapprochent, le plébiscite
des
12
investisseurs étrangers représente
13
un enjeu essentiel pour la croissance
14
et l’emploi. Début décembre,
15 quatre
Etats de l’Union indienne16
iront aux
urnes, et 2004 verra les17
élections
générales, au terme du mandat
du
18
gouvernement d’Atal Bihari
19 Vajpayee. Pour quel bilan ? 20
Côté croissance, les indicateurs
21
sont positifs. Après le ralentisse22
ment enregistré ces 23
dernières
années, le pays s’apprête,24
avec une
croissance de l’ordre de 25
7 % cette
année selon les dernières
26 prévisions, à renouer avec ses
27records
412
le pays s’intègre
à son rythme,
à l’économie
mondiale
et attire
les investisseurs
386
c’est la hausse,
en points,
du baromètre
conjoncturel zew
en allemagne,
en novembre
Créations d'entreprises
– 21
(oct. 03)
384
+ 6,9
Opinion des chefs d'entreprise
sur les perspectives générales de production
293
UN CHIFFRE
Enquête mensuelle dans l'industrie *
257
Source : FMI
98
e
gn
ta
e
r
-B
de
ce
n
a
an
r
r
G
F
s
ni
-U
s
at
Et
e
èd
Su
4
97
2,6
0,04
50
1,8
LA FONDATION POUR LA RECHERCHE, UN OUTIL NÉGLIGÉ
0,11
6
3,8
innovation
8
55
(avril 03)
43,5
0,16
12
– 0,5 %
(T2/03 - T3/02)
16 %
Taux d'épargne
14
60
+ 3,9 %
(sept. 03)
70
65
Variation
sur un an
+ 3,4 %
Consommation des ménages
Exportations en milliards de dollars
(échelle de droite)
16
(avril 03)
(juillet 03)
* provisoire, **estimations
Dernier mois
connu
75
(juillet 03)
(1er trimestre
2003)
(2e trimestre 2003, en % ) :
LES INDICATEURS FRANÇAIS
LES PAYS DE L'EST COMMERCENT DAVANTAGE ENTRE EUX
Part de l'UE, en %
(échelle de gauche)
14,2
0,10
a LA GRÈCE compte le plus grand nombre de bâtiments de pêche (19 747),
mais, en termes de puissance (calculée en kilowatt), ce sont l'Italie (1,3 million de KW), l'Espagne (1,3 million) et la France (1,1 million) qui viennent
en tête. Le nombre de bateaux a le plus chuté en Suède, puis en Espagne, au
Danemark et en Italie. L'Italie, l'Espagne et la Finlande ont enregistré les
diminutions les plus notables en termes de puissance (– 15 % chacun).
2002
0,24
a EN 2002, on dénombrait 91 000 bateaux de pêche dans les Etats membres
de l’Union européenne (UE), soit 11 % de moins que les 102 000 bateaux
recensés en 1997.
96
JAPON
– 0,4
sur trois mois
Source : Eurostat
95
É.U.
sur un mois
sur un mois
1 820 -20
-4
2 247
3 571
3 874
7 379
BELG.
(août 2003, en %) : sur un an
(septembre 2003, en %) : sur un an
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10 427
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Prix à la consommation
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14 887
16 045
19 747
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EURO 12
4,4
3
94
96
98
Source : Banque mondiale
00
02 03*
94 95 96 97 98 99 00 01 02
* prévisions
industrielle, tandis que les services
– industries du logiciel, délocalisations de services informatisés de
multinationales – poursuivent leur
montée en puissance. Les investissements étrangers sont aussi à la
hausse : longtemps voisins de 2 milliards l’an, ils étaient de 4 milliards
Après des années de sécheresse, la bonne
mousson de 2003 devrait relancer fortement
la production agricole, tirant elle-même
la production industrielle…
en 2002 (6 milliards avec les investissements de portefeuille).
Reste à confirmer les prévisions
dans la durée. Deux points restent
inquiétants. D’une part, la dette
publique totale équivaut au produit national brut (PNB), et les déficits publics s’aggravent. En corollaire, les investissements publics continuent de baisser, malgré de grands
équipements routiers en cours.
En dépit des avancées mises en
lumière par les autorités, nombre
d’analystes indiens et étrangers
soulignent les lenteurs des « réformes de seconde génération », les
plus sensibles politiquement. Les
privatisations (partielles le plus souvent) ont rapporté 3 milliards de
dollars depuis 2000, avec en tête les
cessions de VSNL (télécoms), Maruti (automobile), IPCL (produits
pétroliers), Balco (aluminium). Les
critiques soulignent moins les opérations conclues que les atermoiements ou les obstacles dans la poursuite du processus. Ainsi, la décision de la Cour suprême de renvoyer devant le Parlement les privatisations des sociétés Hindustan
Petroleum et Bharat Petroleum,
pourrait bien bloquer toute nouvelle avancée. Il n’existe, en effet,
aucun consensus sur les privatisations, pas même au sein de la coalition au pouvoir, dominée par le Parti du peuple indien du premier
ministre Atal Bihari Vajpayee.
En fait, la reprise de la croissance
indienne illustre les limites du libé-
ralisme que prône le dernier rapport de la Banque mondiale sur
l’Inde en souhaitant confiner le
rôle du gouvernement à deux
tâches essentielles : une bonne politique fiscale et la modernisation
des infrastructures de base, comptant pour le reste sur les investisseurs privés, étrangers inclus. C’est
omettre que, dans un régime démocratique, les logiques économiques
doivent s’accommoder d’impératifs politiques voire électoralistes.
Contre l’option ultralibérale, jugée
socialement trop risquée, le gouvernement choisit une voie moyenne. Il repousse à plus tard la réforme du droit du travail et rejette
l’élargissement de l’assiette de l’impôt, tout en soulignant certaines
avancées structurelles : baisse de la
pauvreté (de 36 % à 28 % en dix
ans), hausse tendancielle du revenu national, hausse de la production industrielle (+ 67 % en neuf
ans), ouverture accrue à l’économie mondiale, nouvelle confiance
face à la Chine.
Contre les analystes qui ne
jugent le pays qu’au crible de critères comme les privatisations ou les
investissements étrangers, mais
aussi contre les opposants altermondialistes, qui animeront le
Forum social mondial de Bombay
en janvier 2004, le gouvernement
indien avance à son rythme. Les
électeurs en jugeront bientôt. Il
n’est pas sûr qu’une autre coalition
politique bouleverse vraiment une
stratégie qui, depuis 1991, combine changements irréversibles et
prudence politique.
Jean-Luc Racine,
directeur de recherche au CNRS,
centre d’études de l’Inde
et de l’Asie du Sud
LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003/V
FOCUS
Les multiples raisons qui incitent
les Français à grossir leur bas de laine
en hausse
de deux points
depuis le début
de l’année,
le taux
d’épargne
des ménages
a atteint 17 %
DES COMPARAISONS TROMPEUSES
Taux d'épargne des ménages, en % du revenu disponible brut (RDB)
Etats-Unis (net)
L
Allemagne (net)
20
16
12
8
4
0
1980 82
a France va mal, la France tombe », lançait il y a
quelques jours, dans le
quotidien Les Echos, l’ancien ministre de l’économie et des finances,
Dominique Strauss-Kahn. « Le gouvernement ponctionne les classes
moyennes qui consomment, pour
redistribuer aux contribuables aisés,
qui ont tendance à davantage épargner. Résultat mécanique : la
consommation baisse en France,
pour la première fois depuis plus de
dix ans, et le taux d’épargne s’élève
à des niveaux jamais atteints depuis
1974. » Rapporté au revenu disponible brut, le taux d’épargne des
Français s’établit juste au-dessus
de 17 %, ce qui le situerait parmi
les plus élevés des grands pays
industrialisés. Il ne faudrait pas
chercher plus loin l’origine des
maux de l’économie française et
de ses contre-performances en
matière de croissance : déficit de
consommation et excédent d’épargne. Les Français seraient trop
fourmis et pas assez cigales. Le
contraire des Américains.
Sauf que ce taux de 17 %, et plus
encore sa comparaison avec celui
d’autres grandes nations, doit être,
selon les économistes, considéré
avec prudence. Comme le notent
les experts de l’Insee dans une étude consacrée au taux d’épargne
des ménages français, « les chiffres
officiels, publiés directement par les
instituts nationaux de statistique,
font apparaître une très forte hétéro-
France (brut)
84
86
88
90
92
94
96
98
00
02
Source : Datastream, Insee comptes trimestriels, CDC Ixis
généité des taux d’épargne entre
pays. Toutefois, une analyse approfondie de la mesure du taux d’épargne montre que la lecture n’est pas
simple. D’une part, plusieurs mesures coexistent, d’autre part, elles peuvent être fortement conditionnées
par les règles institutionnelles des
pays ». C’est le taux d’épargne brute qui fait référence en France,
mais c’est le taux d’épargne nette
(c’est-à-dire diminuée de l’amortissement du capital fixe des ménages) qui est retenu aux Etats-Unis
ou en Allemagne.
 
La façon dont on intègre ou pas
les dépenses de protection sociale
au revenu disponible induit, aussi,
d’importantes différences. « Si les
transferts sociaux en nature sont
inclus dans le revenu, rappelle
l’Insee, celui-ci est plus élevé mais
l’épargne reste inchangée car la
consommation des ménages est également augmentée des mêmes montants : le taux d’épargne est donc
révisé à la baisse. » Patrick Artus,
chef économiste chez CDC-Ixis,
estime pour sa part qu’il y a « un
biais statistique qui réduit la mesure du taux d’épargne des ménages
dans les pays où une partie importante des dépenses de santé et
d’éducation est privée et réellement
à la charge des ménages ».
Au total, selon l’Insee, « en adoptant une mesure unique, commune
à tous les pays et retenue pour être
la plus robuste, le taux français
occuperait une position médiane au
sein du groupe des grands pays
industrialisés ». En 2001, selon l’Organisation de coopération et de
développement
économiques
(OCDE), le taux d’épargne des
ménages français s’inscrivait à
11,4 %, un niveau nettement supérieur à celui des Etats-Unis (2,3 %),
mais comparable à celui de la plupart des autres pays européens
(10,1 % en Allemagne, 11,2 % aux
Pays-Bas). Par conséquent, il n’y
aurait pas, en matière d’épargne,
d’exception française, et donc d’inquiétude particulière à avoir sur
son niveau général. En revanche,
son évolution récente – avec près
de deux points de hausse depuis le
début de l’année – serait plus préoccupante.
Pour expliquer cette progression, plusieurs pistes sont évoquées. La première est celle de la
détérioration de la situation économique, notamment sur le front de
l’emploi. Celle-ci inciterait les
ménages à augmenter leur épargne de précaution. « La confiance
des ménages s’est effondrée au premier semestre, soulignent les économistes du Crédit commercial de
France (CCF). Elle reste affaiblie
par la mauvaise santé du marché
du travail. » Ce phénomène serait
d’autant plus fort que le chômage
aurait commencé à toucher des
catégories plus aisées, dont la capacité d’épargne est plus grande.
S’ajouterait à cela le manque de
lisibilité de la politique économi-
que gouvernementale, notamment en matière fiscale. « Les
signaux envoyés par le gouvernement sont contradictoires », explique-t-on au CCF. Conjointement
aux baisses d’impôts, une augmentation de certaines taxes (tabac,
essence) est annoncée. Ce brouillage peut retarder le retour de la
confiance, indispensable pour un
rebond de la consommation. Le
maintien d’une épargne de précaution élevée risque d’être privilégié,
d’autant que les incertitudes structurelles (retraites, financement
des déficits) n’ont pas disparu.
L’analyse est à peu près la
même à l’Observatoire français
des conjonctures économiques
(OFCE), qui évoque une « France
emmêlée » et souligne « la faible
confiance des ménages, un marché
du travail dégradé et des politiques
restrictives et confuses ». « Il n’est
pas sûr que la politique fiscale de
diminution d’impôts sur le revenu
redonne confiance aux ménages et
les incite à consommer, insiste
l’OFCE. La baisse de 3 % sur le
revenu va profiter surtout aux
ménages les plus aisés qui, comme
en 2002, l’utiliseront majoritairement pour gonfler leur épargne. »
Le maintien d’un niveau d’inflation relativement élevé (+ 2,2 % en
septembre) – et surtout le sentiment vécu par les ménages d’une
progression des prix bien plus rapide encore, en raison notamment
du passage à l’euro – contribuerait
à la remontée du taux d’épargne.
« Une inflation forte pousse à épargner davantage pour compenser la
perte de valeur réelle des actifs détenus non indexés sur l’inflation »,
rappelle M. Artus.
Enfin, des économistes évoquent l’effet d’« équivalence ricardienne » : les dérapages budgétaires et le non-respect par la France
du Pacte de stabilité inciteraient
les ménages à augmenter leur
épargne en prévision de la hausse
future des impôts destinée à éponger les déficits actuels. Même si
elles sont difficiles à évaluer précisément, les raisons d’épargner ne
manqueraient pas.
Pierre-Antoine Delhommais
L’économie de Fidji au beau fixe… pour l’instant
le tourisme
est aujourd’hui
le premier
pourvoyeur
de devises,
avec 285 millions
d’euros en 2002
L
SUVA (Fidji)
de notre envoyé spécial
es grues encombrent à
nouveau le ciel de Suva,
la capitale de Fidji. « En
deux ans, le visage de la ville a changé, explique un
diplomate. On voit des
bureaux, des résidences et des commerces apparaître ici et là. Un centre
commercial va bientôt ouvrir ses portes. » Le nombre de permis de
construire a augmenté de 29 %
entre 2001 et 2002. Ce boom immobilier s’explique en partie par l’essor
du tourisme. La première pierre
d’un hôtel Four Seasons de
800 chambres devrait être prochainement posée. Le nombre de visiteurs étrangers devrait approcher
cette année le record enregistré en
1999. « Le coup d’Etat de mai 2000 a
stoppé net l’arrivée de touristes, se
souvient Patrick-Antoine Decloitre,
un Français qui diffuse sur Internet
un bulletin quotidien d’information
intitulé Flash d’Océanie. Mais les Fidjiens se sont mis au boulot et ont
remonté la pente. »
Le tourisme est aujourd’hui le premier pourvoyeur de devises, avec
285 millions d’euros en 2002 contre
190 millions huit ans plus tôt. Australiens et Néo-Zélandais viennent
toujours en masse dans ce superbe
pays perdu au milieu du Pacifique
sud, où les habitants sont parmi les
plus accueillants de la planète, mais
le nombre de visiteurs asiatiques,
américains et européens est également en hausse constante. Tirée par
l’immobilier et le tourisme, la croissance du produit intérieur brut
(PIB) devrait atteindre cette année
5,1 %, et près de 4 % ces deux prochaines années. Des chiffres à faire
pâlir d’envie de nombreux pays
européens…
« Le pays est parti de tellement bas
après le coup d’Etat qu’il ne lui était
pas bien difficile de vite décoller »,
souligne Philippe Liege, conseiller
de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Suva.
Parce que le coup d’Etat visait à écarter du pouvoir le premier ministre
d’origine
indienne
Mahendra
Chaudhry, la plupart des membres
de cette « minorité », qui représente en fait 40 % des 830 000 habitants
du pays, ont longtemps refusé d’investir par peur de se voir une nouvelle fois menacés d’expulsion. « Les
coffres des banques débordent de
liquidités, déclare Amraiya Naidu,
l’ambassadeur itinérant du premier
ministre, Laisenia Qarase. Mais
l’amélioration du climat politique a
ramené la confiance et commence à
débloquer l’investissement. »
La bonne santé de l’économie fidjienne s’explique également par la
croissance des transferts de fonds
d’émigrés partis nombreux tenter
leur chance à l’étranger : 110 millions d’euros en 2003, quatre fois
plus qu’en 1994. Une grande partie
de cette somme est versée par des
militaires en mission sous le casque
bleu de l’Organisation des Nations
unies (ONU), et par les joueurs de
rugby recrutés en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe.
Mais plusieurs écueils menacent
la bonne santé de l’économie fidjienne. Pour éponger son déficit budgétaire, l’Etat a emprunté 470 millions
d’euros au Fonds de pension national auquel les salariés sont obligés
de cotiser, le Fiji National Provident
Fund. « Il sera incapable de rembourser ses obligations lorsqu’elles viendront à échéance d’ici cinq à huit
ans », prévient un professeur de
l’Université du Pacifique sud (USP).
 
Par ailleurs, les entreprises étrangères restent réticentes à investir dans
ce pays politiquement instable. « Les
investissements étrangers ne représentent même pas 10 % du PIB », relève
un diplomate en poste à Suva. L’attitude assez « désinvolte » de nombreux salariés effraie aussi les
employeurs potentiels. « Un de mes
amis dirige une société de 200
employés qui fabrique des chaussures,
raconte Philippe Liege. Chaque
semaine, la moitié d’entre eux disparaissent dans la nature après avoir touché leur salaire hebdomadaire, et
reviennent après avoir tout dépensé.
Reste que, tous les lundis, il faut recruter cent nouveaux salariés ! »
L’industrie textile traverse également une période difficile après plusieurs années d’embellie qui ont vu
son chiffre d’affaires passer de 77 à
133 millions d’euros entre 1994 et
2002. « L’Etat a attiré beaucoup de
sociétés étrangères en leur promettant
de ne pas payer d’impôt pendant treize ans, explique Joni Madraiwiwi, un
des plus grands avocats de Suva. Cet
abattement atteint aujourd’hui son
terme, et de plus en plus d’usines ferment leurs portes. »
La crise de l’industrie sucrière reste
toutefois le plus grave danger qui
menace le développement du pays.
Près d’un quart de la population vit
de la culture de la canne à sucre, dont
la production représente une valeur
de 116 millions d’euros en 2003. Or la
productivité de cette activité ne cesse
de chuter. « Au début des années
1980, nous étions parmi les plus productifs au monde, avec un rendement
de 8 tonnes à l’hectare. Ce chiffre est
aujourd’hui de 4,9 tonnes…, se lamente Charles Walker, le président du
comité de réforme sur le sucre mis en
place par le gouvernement. Les planteurs reçoivent de l’Union européenne
des subventions en fonction du poids
de canne produit, et non pas de sa
teneur en sucre. Ils ne cherchent donc
pas à cultiver des plantes de bonne
qualité. » Ce système, qui coûte 1 million d’euros par semaine à Bruxelles,
devrait prendre fin en 2007. « D’ici là,
nous devons absolument devenir compétitifs », prévient M. Walker.
Un objectif qui sera difficile à remplir sans une réforme du droit foncier. La terre appartient en effet aux
Fidjiens de souche, qui louent leurs
champs à des planteurs presque
tous d’origine indienne. Mais une
majorité des baux ne sont pas
renouvelés, les propriétaires préférant laisser leurs terres en friche. Le
poids du sucre dans l’économie ne
cesse ainsi de chuter. La volonté du
gouvernement de développer le
cinéma (le tournage d’Anaconda II
vient de se terminer sur l’île de Viti
Levu) ou le commerce d’acajou (Fidji possède la plus grande forêt de
cette essence au monde) ne pourra
jamais compenser la disparition de
l’industrie sucrière, qui aurait des
conséquences sociales catastrophiques. De sombres nuages pourraient bientôt apparaître au-dessus
des plages de sable fin…
Frédéric Therin
HISTOIRE ÉCONOMIQUE
par Jacques-Marie Vaslin
Trente ans après
le choc pétrolier
 1973, les membres de l’Organisation des pays exportateurs de
pétrole (OPEP) provoquaient une
crise dont, aujourd’hui encore, on
a du mal à mesurer les conséquences. La forte hausse du prix du
brut, le 16 octobre de cette annéelà, mettait subitement fin à la prospérité des « trente glorieuses ». Ce
n’était que le révélateur d’une crise plus profonde.
A l’époque, les pays occidentaux
connaissent pourtant une croissance soutenue depuis 1945. La France
est entrée dans la société de
consommation. Le paysage industriel, social et démographique a
changé radicalement. Les conditions de vie s’améliorent avec l’aug-
te, l’Iran, l’Irak et le Koweït. Ils
représentent alors 40 % de la production mondiale d’or noir. L’objectif est de s’affranchir des compagnies étrangères pour contrôler
pleinement la rente pétrolière.
Les conflits du Moyen-Orient
vont permettre à l’Organisation de
montrer sa capacité d’action. Le
pétrole devient une arme politique. En 1971, le cartel exige et
obtient une hausse des royalties. Il
renouvelle ses exigences à la suite
des dévaluations du dollar de 1971
et de 1973. Mais le sommet sera
atteint lors de la guerre du Kippour.
Le 6 octobre 1973, les armées
égyptiennes et syriennes lancent
« Dès 1974, les faillites
augmentent de 17 % en France,
la production baisse, l’inflation
atteint 15 % et le chômage
massif fait une brusque
apparition. Le choc est aussi
psychologique »
mentation des revenus et la diffusion des innovations. Chaque foyer
se trouve équipé en matériels électroménagers dernier cri. En trente
ans, le nombre de voitures circulant sur les routes de France a été
multiplié par quinze et demi.
Cette croissance, généralisée à
tous les pays développés, s’accompagne d’un boom sans précédent
de la demande d’énergie. Le charbon cède la place au pétrole, dont
la consommation est multipliée
par six durant cette période. Les
produits dérivés comme le plastique, les engrais et les détergents
sont plébiscités. L’industrie et le
consommateur deviennent tributaires de l’or noir. La croissance est
telle que la production américaine
de pétrole, pourtant la première
au monde, ne répond plus aux
besoins domestiques dès 1948.
Du côté de l’offre, le marché est
contrôlé par sept multinationales,
les « sept sœurs » : BP, Chevron,
Esso, Gulf, Mobil, Royal Dutch Shell
et Texaco. Dès 1928, elles avaient
décidé de figer leur position dans
le monde et de maîtriser les prix.
Cette entente avait pour but d’éviter les luttes fratricides, ainsi que
l’arrivée de nouveaux concurrents.
Les majors maintenaient leur
contrôle du puits à la pompe. C’est
un modèle parfait d’intégration
verticale.
Jusqu’en octobre 1973, les prix
– bas – sont fixés par les compagnies au départ du port de chargement. Les pays producteurs sont
délibérément exclus de ce scénario, même s’ils réussissent à obtenir le partage équitable des bénéfices de l’extraction de pétrole en
guise de royalties, à partir de 1950.
Malgré la forte croissance de la
demande, la découverte de nouveaux champs de pétrole permet
de stabiliser les prix. Le Nigeria
voit ainsi sa production passer de
1 million à 113 millions de tonnes
par an entre 1960 et 1974. Alors
que la première goutte de pétrole
n’est découverte qu’en 1959 en
Libye, la production atteint déjà
160 millions de tonnes en 1970.
Les exportations de ces nouveaux
venus vont compenser la forte
hausse de la demande, pour le
plus grand bonheur des pays
industriels.
L’offre s’organise. L’OPEP naît discrètement en 1960 et réunit cinq
pays : le Venezuela, l’Arabie saoudi-
une attaque surprise contre Israël.
Deux jours plus tard, les pays de
l’OPEP demandent aux compagnies un doublement du prix du
pétrole. Malgré leur refus, les Etats
du Golfe imposent cette hausse,
dès le 16 octobre. Ils seront suivis
par l’ensemble des pays producteurs d’or noir. On assiste, alors, à
un renversement de situation : les
pays pétroliers sont désormais en
mesure d’imposer leur prix. Le bras
de fer tourne à leur avantage.
L’OPEP maîtrise une arme qui s’avère être redoutable. Le temps béni
du pétrole bon marché a rendu les
pays occidentaux fortement dépendants de cette source d’énergie.
La fin du conflit armé le 26 octobre 1973 ne signifie pas pour
autant un retour à la situation
antérieure. Si l’embargo décrété
envers les pays qui soutiennent
Israël ne dure que quelques semaines, l’OPEP profite de la situation
pour doubler à nouveau le prix du
pétrole le 23 décembre.
En deux mois, l’or noir est passé
de 3 à 12 dollars le baril. Les pays
industriels découvrent alors que
l’énergie a un prix… La page des
« trente glorieuses » se tourne
brusquement. Dès 1974, les faillites augmentent de 17 % en France,
la production baisse, l’inflation
atteint 15 % et le chômage massif
fait une brusque apparition. Le
choc est aussi psychologique. On
s’aperçoit que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, il
va falloir faire des économies.
Mais le pétrole ne doit pas pour
autant occulter des problèmes
plus profonds. La société de
consommation est, en effet, proche de la saturation, la demande
s’essouffle. Les équipements industriels, trop voraces en énergie et en
main-d’œuvre, ont subitement
pris un coup de vieux. Cette période marque en même temps la fin
de la stabilité monétaire, avec les
deux dévaluations du dollar
en 1971 et 1973. On entre désormais dans une ère d’instabilité de
l’emploi, des prix et des monnaies.
Le monde du travail en paiera le
plus lourd tribut.
Jacques-Marie Vaslin est maître
de conférences à l’IAE d’Amiens
et chercheur au Centre de recherche sur l’industrie, les institutions
et les systèmes économiques
d’Amiens (Criisea).
VI/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003
TRIBUNES
L’énigme du « miracle
économique chinois »
LIVRES
par Quentin Domart
Débat
stratégique
> GUERRE ET ÉCONOMIE, sous la direction de Jean-François Daguzan
et Pascal Lorot (Ellipses, 220 p., 17 ¤)
> À QUI PROFITE LA GUERRE ?, de Pascal Lorot (Editions 1, 216 p., 17 ¤)
    qui unissent guerre et économie ? Deux
ouvrages pour une même interrogation et un but avoué : « remettre cette question qui dérange au
cœur du débat stratégique ». Et
réhabiliter par la même occasion,
aux yeux des décideurs, les économistes de la défense, « relégués au
fond de la salle, où il leur est difficile de se faire entendre ». Deux
ouvrages complémentaires : une
production collective, académique
et conceptuelle d’un côté ; un
essai plus concret et accessible à
tous, de l’autre.
Respectivement professeur à
l’université Paris-II et directeur de
l’institut Choiseul pour la politique
internationale et la géo-économie,
Jean-François Daguzan et Pascal
Lorot estiment d’emblée que
« l’économie influe sur la guerre
comme la guerre sur l’économie. Un
mariage forcé, le plus souvent pour
le pire », qui fait aujourd’hui son
retour sur le devant de la scène.
Il serait toutefois réducteur
pour ces deux spécialistes d’assimiler l’ensemble des conflits à la
seule poursuite, par certains nantis, de sombres enjeux économiques, ne serait-ce qu’en raison du
caractère éminemment humain et
idéologique de tout affrontement.
Ainsi dénoncent-ils l’amalgame
qui est souvent fait entre la crise
irakienne et le pétrole : « Ce n’est
pas une guerre pour le pétrole,
mais un conflit avec enjeu pétrolier », nuancent-ils.
Pour Liliane Bensahel et Jacques
Fontanel de l’université PierreMendès-France de Grenoble, « guerre
et économie sont tour à tour fins et
moyens », selon les cas, mais la
guerre reste « avant tout un concept
polysémique ». Larvée, ouverte, civile, mondiale, ethnique, religieuse,
coloniale ou d’indépendance, froide,
d’influence et commerciale, « phénomène récurrent et permanent, la
guerre a souvent changé dans son
apparence », écrit Pascal Lorot dans
son essai.
 ’
Avec la chute du mur de Berlin
et l’éclatement de l’URSS,
d’aucuns avaient prédit la « fin de
l’Histoire », c’est-à-dire une paix
mondiale. Quinze ans après, la
situation est tout autre. « Les guerres périphériques étaient des guerres télévisuelles, analyse Pascal
Lorot, (…), banalisées dans leur horreur même. » Jusqu’à la rupture du
11 septembre 2001 – « défaite de la
tolérance, du dialogue et de la pensée » – par le biais de laquelle est
« venue s’ajouter une dimension
globalisée inédite à la violence
conflictuelle endémique qui existait déjà auparavant ». Le terrorisme, s’il n’est pas nouveau, se décline maintenant « à la mesure de la
mondialisation ». Et ouvre une
nouvelle ère d’instabilité, « où le
vainqueur est celui qui tirera le premier. (…) La guerre est devenue ce
que nous en avons fait ».
« Une guerre est plus ou moins le
reflet de la société au sein de laquelle elle prend naissance », avance
Georges Ayache, historien. Aujourd’hui, la dimension économique
devient de plus en plus prégnante,
même si ce chercheur juge qu’une
telle empreinte « ne saurait se prévaloir des grands principes qui fondent des relations internationales
civilisées ». « Le capitalisme porte en
lui la guerre comme la nuée l’orage », professait Jean Jaurès.
L
a République populaire
de Chine est un pays en
pleine transition difficile
entre deux systèmes économiques et politiques.
Les
contradictions
monumentales abondent. En fait,
aucune autre nation d’importance
internationale ne doit faire face à
autant de questions à résoudre sur
ses principes régulateurs et ses structures. Pourtant, ce qui rend l’avenir
de la Chine si difficile à prévoir ne
tient pas uniquement aux développements récents, qui ont si souvent
défié les prévisions, mais plutôt au
fait que tous les scénarios, quand ils
restent sensés, sont possibles,
mêmes s’ils sont contradictoires !
La Chine est apparue ces quinze
dernières années comme le paradigme de la vitalité économique, de la
détermination et du progrès. Peu de
zones géographiques ailleurs dans
le monde ont été perçues comme
une zone de « miracle économique » sur une aussi longue période.
Contre vents et marées, Pékin a réussi à maintenir des taux de croissance
particulièrement élevés.
Au début des années 1990, la
Chine a surmonté la fin du miracle
économique japonais ; le pays a
maintenu un cap régulier lors de la
crise économique asiatique de la fin
de la décennie 1990. En 2003, il a surmonté l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Aujourd’hui, il semble avoir repoussé les
efforts américains exigeant une réévaluation du yuan, sa monnaie.
Quiconque a visité les principales
métropoles chinoises récemment a
dû être impressionné par l’énergie,
le rythme et l’échelle des développements survenus. Les nombreux projets, depuis les autoroutes, les ports,
les chemins de fer, les aéroports jusqu’aux gratte-ciel, aux logements en
développement et aux infrastructures de télécommunication en passant par les zones industrielles,
créent même chez les plus sceptiques un sentiment extatique.
Cependant, sous les horizons
éblouissants et les statistiques
QUINZE + DIX, LE GRAND ÉLARGISSEMENT,
de Jean-Dominique Giulani
Président de la Fondation Robert-Schuman et ex-directeur de cabinet de
René Monory, président du Sénat de 1992 à 1998, Jean-Dominique Giulani
se vit en européen convaincu. A sept mois de l’élargissement de l’Union
européenne (UE) à 25 et huit mois des élections au Parlement européen, il
entend faire œuvre pédagogique, en présentant les dix nouveaux pays.
Son livre se veut un « guide rapide et concret » pour aider les personnes
désireuses de s’y retrouver dans ce grand chambardement à venir. Il s’appuie, d’ailleurs, sur l’Atlas des nouveaux membres que la Fondation RobertSchuman avait publié en novembre 2002. Par ailleurs, dans un chapitre intitulé « Un demi-plan Marshall en seize ans », il donne des chiffres sur le
coût de l’élargissement qui vont alimenter le débat. Selon lui, « chaque
Français a consacré moins de 5 euros par an, depuis 1990, à aider les nouvelles démocraties ». Pour la période 2004-2006, ce coût montera à
« 14,8 euros par Français et par an ». Un gros reproche toutefois, l’absence
de cartes qui permettraient de visualiser les pays de l’UE et leurs voisins
(Fondation Robert-Schuman/Albin Michel, 280 p., 19 ¤).
A. B.-M.
a
LE NOUVEAU CAPITALISME, de Dominique Plihon
A chaque révolution industrielle correspond une nouvelle étape du capitalisme. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont accéléré le processus de globalisation financière, à l’échelle
de la planète. Dominique Plihon, professeur d’économie à l’université ParisNord, décrit ce nouveau capitalisme actionnarial dont la mise en place s’accompagne, comme dans les phases précédentes, de soubresauts et de scandales boursiers. Créateur de richesses, ce nouveau capitalisme modifie dans
le même temps, en profondeur, les relations sociales. Dans le dernier chapitre, l’auteur s’interroge sur la pertinence du modèle actuel, se demande si
l’économie mondiale peut être régulée et considère que le néolibéralisme
n’est pas la seule conception possible de la mondialisation (La Découverte,
coll. « Repères », no 370, 128 p., 7,95 ¤).
A. B.-M.
a SORTIR DE LA JUNGLE. POUR UNE GOUVERNANCE
DES MARCHÉS MONDIAUX, de Frédéric Jenny
Ce n’est pas une nouvelle contribution d’un militant altermondialiste sur
la régulation mondiale que propose ce dernier numéro de la revue d’En
temps réels, mais celle, moins fréquente, d’un fonctionnaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Frédéric Jenny qui, depuis des années,
conduit à Genève le groupe de travail sur le commerce international et la
concurrence, estime en effet que l’instauration de règles internationales est
indispensable en ce domaine.
Le décalage entre la mondialisation des marchés et leur régulation juridique laisse, selon lui et exemples à l’appui, la place à la « constitution de cartels dont les principales victimes sont les pays du sud ». Ces pays sont pourtant
loin d’en être convaincus puisque – et c’est une des raisons de l’échec de la
conférence ministérielle de l’OMC à Cancun – ils refusent de mettre le sujet
de la concurrence à l’ordre du jour des négociations commerciales multilatérales (Les cahiers d’En Temps réels, numéro 10 septembre 2003, 52 p.,
www.entempsreel.org).
L. C.
impressionnantes, se dévoile une
autre réalité, bourrée de problèmes
non résolus dont le nombre ne fait
qu’augmenter et qui suggèrent de
sombres scénarios. Attardons-nous
sur quelques faits :
– La Chine doit créer quelque 12 à
15 millions d’emplois chaque année
pour rester en harmonie avec la
croissance de sa population.
– Le gouvernement doit gérer
quelque 270 millions de chômeurs
ou de personnes n’occupant pas un
emploi à plein temps.
– La « population flottante » (journaliers ruraux dépossédés, venus en
ville pour trouver du travail) aujourd’hui de 100 à 150 millions, croît chaque année de 5 % environ et représente la plus large migration de l’histoire de l’humanité. Ces migrants
subsistent sans sécurité d’emploi,
sans logement à long terme ni accès
aux soins médicaux.
trop longtemps à flots les entreprises nationalisées, elles sont généralement insolvables. Standard and
Poor’s estime à 518 milliards de
dollars (40 % du produit intérieur
brut, PIB) les fonds nécessaires au
règlement de leurs emprunts peu
rentables.
– La dégradation de l’environnement, causée par l’industrialisation
rapide, la surpopulation et l’exploitation des ressources hors de tout
contrôle, est extrême et, du fait de
la pression pour maintenir des taux
de croissance élevés, très difficile à
endiguer.
– Depuis 1998, le gouvernement
s’appuie davantage sur des émissions d’actions de plus en plus
importantes pour stimuler l’économie, développant une dette qui pèsera sur les générations à venir.
– Les estimations portant sur les
obligations gouvernementales (det-
« Le vrai test reste la capacité du pays à survivre
au cycle inévitable des récessions,
des chocs politiques ou des soulèvements sociaux
qui défient forcément toute nation,
surtout lorsqu’elle est en développement »
– 800 millions de paysans ont été
oubliés par le dernier boom économique chinois, qui a créé des attentes toujours plus frustrantes.
– La Chine ne dispose pas de système de retraite et en créer un coûterait
des centaines de milliards de dollars.
– Les nouvelles places boursières
ne sont bien trop souvent que des
casinos manipulés par les élites locales, laissant le pays sans capacité à
former le genre de groupes d’investissement locaux dont le capitalisme
a besoin pour nourrir son propre
développement.
– Les banques d’Etat doivent
fournir 98 % de tous les financements locaux nécessaires aux créations d’entreprises. Pourtant, du
fait de leur habitude de maintenir
te bancaire, plans de retraite non
encore financés, passifs des obligations pour les projets d’infrastructures, etc.) vont de 70 % à plus de
150 % du PIB.
– La capacité de Pékin à faire rentrer les impôts sur le revenu reste
faible et ne rapporte que 15 % du
PIB.
De nombreux experts redoutent
un effondrement semblable à celui
survenu dans la Silicon Valley à la
fin des années 1990 : ils s’inquiètent de la création d’une bulle sur
le marché des investissements, réalisés hors de tout contrôle, de toute réflexion et de manière trop
anarchique. Ces inquiétudes sont
aggravées par le fait que le gouvernement de parti unique, désormais
à la merci de son « miracle économique » pour se légitimer, ne montre que peu de signes de réformes
politiques pour venir compléter les
réformes économiques.
Or, de quelles ressources disposeraient les autorités si les taux de
croissance chutaient – même au
niveau respectable de 3 % à 4 %, si
l’agitation montait chez les chômeurs, si les paysans en colère
assiégeaient les organismes locaux
de gouvernement, si les factions
réveillaient une crise du parti, si le
conflit explosait dans le détroit de
Taïwan ou encore si l’économie
mondiale restait en récession ?
La Chine a peut-être pris le visage du « miracle » ces derniers
temps, mais ce ne sont pas les
années de performance économique qui mettent à l’épreuve un système politique. Le vrai test reste
sa capacité à survivre au cycle inévitable des récessions, des chocs
politiques ou des soulèvements
sociaux qui défient forcément toute nation, surtout lorsqu’elle est
en développement.
Les économistes et les observateurs politiques qui demeurent
sceptiques sur la longévité du
« miracle économique » chinois
dénoncent le système politique
sclérosé du pays, la faiblesse de
ses institutions économiques,
l’équilibre précaire dans lequel survivent des centaines de millions de
personnes marginalisées et le fait
que l’économie s’appuie sur des
capitaux étrangers. Ils ont raison
de s’inquiéter de la survie du
« miracle » face aux chocs qui ont
secoué dans ses fondements
mêmes une grande partie de l’Asie
par le passé. La Chine a essuyé
bien des tempêtes, mais l’épreuve
de vérité reste à venir.
Orville Schell, auteur de nombreux
ouvrages sur la Chine, est doyen de
l’université de Californie à Berkeley.
© Project Syndicate,
novembre 2003. Traduit de l’anglais
par Catherine Merlen.
Personnes âgées :
de l’aide aux services
parutions
a
par Orville Schell
O
par Jean-Louis Laville
n a aujourd’hui
envie de crier
« assez ! »
devant la soudaine
découverte
des
problèmes
posés par le vieillissement dans
notre société. Assez de paroles
convenues et de sollicitude tardive ! Sachant que les phénomènes
sociodémographiques sont parmi
les plus prévisibles, la question à
se poser est : comment en est-on
arrivé là ?
Un constat s’impose alors.
D’abord, il n’a pas été possible
d’aborder collectivement ce sujet
tabou ; ensuite, les politiques
publiques, accaparées par l’ampleur du chômage, ont réduit les
« vieux » à un gisement d’emplois : à partir de la préférence
affirmée pour l’aide à domicile, les
décideurs ont conclu qu’on avait
dans ce domaine un potentiel
d’emplois à concrétiser. Comme il
est bien tard, il n’en est que plus
urgent de remettre en cause cette
focalisation sur l’emploi. Si l’on
veut que les personnes âgées aient
demain pleinement droit de cité, il
est indispensable de lancer un large débat public autour de la
construction d’un véritable réseau
de services appropriés. Citons
trois axes de ce débat.
Sélection naturelle ou égalité
d’accès. L’isolement et la pauvreté
sont les premiers obstacles à une
prise en compte décente des réalités vécues. Devant le maquis des
mesures et des aides, les familles
les moins pourvues en ressources
financières et culturelles se trouvent démunies. Elles renoncent à
faire valoir des droits qu’elles ne
connaissent pas toujours. Dans ce
contexte, la restauration d’une
véritable égalité devant les services passe par une action publique
de proximité qui aille à la rencontre des personnes, avec le souci de
remédier aux vulnérabilités les
plus criantes. Pour que ces services ne soient pas la source de nouvelles inégalités, ils doivent devenir un levier pour renforcer le lien
social.
Marché ou citoyenneté. Les
personnes âgées ne sont pas seulement des consommateurs, mais
aussi des citoyens. Les services
qui leur sont destinés peuvent,
comme le montrent diverses expériences, développer de nouvelles
formes de participation à la résolution des problème.s de la vie
quotidienne.
Volume
ou
dignité
des
emplois. L’emploi à tout prix a produit tant d’effets pervers qu’il faut
admettre que l’existence de services adaptés passe par la reconnaissance d’emplois de droit commun,
durables et professionnalisés. La
plus ou moins grande légitimité
des emplois n’est pas sans effet sur
la division sexuelle des activités, en
en faisant soit des tâches relevant
de qualités féminines soi-disant
« innées », soit des tâches pouvant
faire l’objet d’apprentissages professionnels, et en cela plus valorisées socialement.
En résumé, les services aux personnes âgées posent des problèmes économiques spécifiques :
l’acte d’achat n’a pas la même
signification quand il concerne l’acquisition d’une automobile ou
d’un réfrigérateur et quand il
concerne la prestation de tels services. Beaucoup d’intervenants dans
le maintien à domicile des personnes âgées ont pu constater qu’il
pouvait exister une demande compulsive de services qui n’est jamais
comblée : plus on obtient des services, plus on en veut de nouveaux,
parce que derrière cette demande,
qui paraît rationnelle, se cache un
appel au secours pour rompre la
solitude ou pour sortir de relations
familiales devenues invivables.
tiatives qui conçoivent les services
non pas « pour » les personnes
âgées, mais « avec » elles, doivent
être identifiées comme « un plus »
par les partenaires publics.
En somme, l’aide aux personnes
âgées ne peut plus relever d’une
logique d’assistance. Le défi est de
concevoir une nouvelle approche,
cohérente avec les attentes actuelles et à venir, et selon laquelle la
concurrence par les prix est moins
décisive que la confiance construite entre l’intervenant et l’usager.
« Il convient de préférer à une logique d’effets
d’annonce, une logique plus modeste
d’élargissement
des capacités et des synergies
des réseaux d’acteurs »
Une réponse appropriée passe
alors, non pas par la réponse aux
besoins exprimés, mais par un
travail collectif sur la demande
associant le prestataire de service,
l’usager, sa famille et ses proches.
Sinon les « asymétries informationnelles » mises en évidence par
les recherches dans ce champ peuvent déboucher sur des échecs du
marché, le prestataire étant amené à réaliser un sur-profit au détriment de l’usager.
Mais les problèmes posés ne
sont pas qu’économiques, ils sont
aussi sociopolitiques, d’où l’importance que revêt le soutien public
aux services qui défendent un
modèle de société solidaire. Les ini-
Les effets pervers des politiques
publiques déjà menées viennent
pour une large part de la méconnaissance du tissu des initiatives
existantes. Pour y remédier, il
convient de préférer à une logique
d’effets d’annonce, une logique
plus modeste d’élargissement des
capacités et des synergies des
réseaux d’acteurs. Il faudrait pour
cela commencer par les écouter, de
façon à définir des actions locales
fondées sur la réalité du terrain.
Jean-Louis Laville (LSCI-CNRS)
est l’auteur de L’Aide aux personnes
âgées – les services sociaux
entre association, Etat et marché
(éd. La Découverte).
EMPLOI
le 86e congrès
des maires
de france, du 18
au 20 novembre
à paris, portera
en grande partie
sur les effets
de la prochaine
décentralisation
en matière
de politique
de l’emploi
dont les élus
revendiquent
de plus en plus
leur part
de responsabilité
Les élus locaux veulent gérer
les politiques de l’emploi
I
l sera beaucoup question
d’emploi durant les débats
du 86e Congrès des maires
et des présidents de communauté de France qui se
tient à Paris, du 18 au
20 novembre, sur le thème « réussir
la décentralisation avec les maires ».
Pourtant, jusqu’à la fin des années
1980, l’implication des élus locaux
dans la politique de l’emploi était
faible. Il y avait peu de gratification
électorale à en attendre. Toutefois,
l’ampleur du drame du chômage a
accéléré leur prise de conscience.
A partir des années 1990, on a
donc assisté à une floraison d’initiatives, encouragées par l’Etat qui ne
savait comment s’y prendre pour
inscrire dans les territoires sa politique de l’emploi. Les communes ont
accouché des missions locales et
des maisons de l’emploi, elles ont
encouragé les associations d’insertion. Au niveau départemental, le
revenu minimum d’insertion (RMI)
a été le dispositif central d’aide aux
exclus. Au niveau régional, la politique « jeunes » a donné à la politique d’insertion une forte connotation formatrice.
Impossible pourtant de faire le
bilan de cette effervescence un peu
brouillonne d’une vingtaine d’années ! Le ministère des affaires
sociales n’a jamais pu faire la somme des dépenses des collectivités
territoriales dans ce domaine, ni la
moindre évaluation des politiques
que celles-ci ont conduites, tant
elles étaient hétéroclites.
Au seuil de l’année 2004, qui verra l’acte II de la décentralisation renforcer les compétences du département sur un RMI remodelé en revenu minimum d’activité (RMA), et
consacrer la région comme acteur
unique du développement économique et de la formation, les maires constatent qu’ils ont été
oubliés, eux qui se considèrent comme les coordonnateurs par excellence des actions destinées à faire
retrouver le chemin de l’emploi aux
plus fragiles de leurs administrés.
Il existe parmi eux, pour simplifier, deux attitudes. La première
est incarnée, par exemple, par
André Laignel, maire (PS) d’Issoudun (Indre), qui « n’aime pas
trop les petites structures qui ne
débouchent pas sur du concret » et
Dans le Choletais,
la mobilisation a payé
une plate-forme
de reconversion
professionnelle
coordonne
les actions de
tous les acteurs
E
CHOLET (Maine-et-Loire),
de notre envoyé spécial
n 1999, l’hémorragie
chronique qui affecte le
secteur de la chaussure
dans la région de Cholet
prend une tournure dramatique. Cette annéelà, les multiples « usines à la campagne » qui ont fleuri dans les Mauges
industrieuses ont licencié 1 200 salariés, près de 15 % de leurs effectifs.
Première région productrice de
France, les Pays de la Loire et le Choletais en particulier ne peuvent, malgré le faible niveau des salaires, faire face à la concurrence étrangère,
asiatique d’abord. Des entreprises
historiques comme Gep-La Fourmi,
Polygone ou Pindière cèdent à un
rythme accéléré. Seul Eram, qui possède son propre réseau de distribution, résiste à la tourmente. « C’est
une catastrophe sociale et économique », commente alors André Lardeux, le président (UMP) du conseil
général. Aucun espoir d’amélioration ne semble se dessiner, bien au
contraire. Ce surcroît de crise arrive
au plus mauvais moment : Bruxelles vient de déclarer illégales les
aides Borotra, qui allégeaient les
charges sociales de ces entreprises à
la marge de manœuvre exiguë.
L’autre fleuron de la région, la
confection, connaît des difficultés
similaires.
La question du réemploi des victimes de cette crise sans fin est délicate. Ce sont en premier lieu des femmes – qui représentent les deux tiers
des licenciés, la plupart peu qualifiées et qui plus est peu mobiles. Les
usines se sont installées dans un
milieu rural dense, peuplé de
familles nombreuses dont les exploitations agricoles étaient devenues
trop petites. On est prêt à se reconvertir hors de la chaussure, mais
pas hors de son canton. « Nous
avons cherché à aller au-delà des
dispositifs classiques d’aide au
reclassement, qui ne fonctionnaient
pas bien dans ce cas d’espèce, explique Hervé de Charette, vice-président (UDF) du conseil régional et
député angevin. La crise n’était pas
localisée à une seule entreprise,
mais disséminée dans un grand
nombre d’entre elles. »
Un comité de pilotage pour le
développement de l’économie choletaise est créé, coprésidé par le
conseil général, le conseil régional
et l’Etat, en la personne du sous-préfet de Cholet. Le comité d’expansion, le syndicat mixte, la Ville de
Cholet, la communauté d’agglomération et les communautés de communes des neuf cantons concernés
y sont associés. « Ainsi, personne ne
cherche à tirer la couverture à soi »,
relève l’ancien ministre des affaires
étrangères.
On est prêt
à se reconvertir
hors de la chaussure,
mais pas
hors de son canton
Le 1er mai 2000, ce comité lance
une plate-forme dite « de reconversion professionnelle des industries
de la mode du Choletais ». Pilotée
par Pierre Emeriau, conseiller à
l’Agence nationale pour l’emploi
(ANPE) engagé à plein temps dans
cette opération, cette structure coordonne l’ensemble des cellules mises
en place dans les entreprises. Dans
la région, certains métiers sont déficitaires en main-d’œuvre, comme le
transport ou l’agroalimentaire.
Mais l’équation n’est pas mathématique. « 70 % des licenciés sont
des femmes, note M. Emeriau. Or les
emplois proposés sont plutôt destinés
aux hommes. » Le préambule consiste donc « à mesurer l’écart entre les
candidats et les postes afin de proposer des formations adéquates ». Le
conseil régional complétera de
façon conséquente les budgets de
qui ne « veut pas se contenter d’un
travail d’insertion ». Il a donc joué
les « naisseurs » (sic) d’emplois en
ouvrant 24 immeubles ou hôtels
d’entreprise dédiés à l’industrie ou
aux métiers d’art sur la communauté de communes du pays d’Issoudun. Il n’en soutient pas moins
une entreprise d’insertion, Trem-
« Tous les acteurs
attendent de l’Etat
une forte implication
dans l’évaluation
et la validation
des politiques menées »
plin, grâce à laquelle 200 personnes effectuent des heures de travail dans le jardinage et l’entretien
de la maison.
La deuxième politique privilégie,
elle, l’insertion. La forme la plus
achevée en est le plan local pour
l’insertion et l’emploi (PLIE), un
dispositif lancé il y a une dizaine
d’années. Les élus qui l’ont adopté
se retrouvent dans l’association
Alliance Villes Emploi, présidée par
le maire de Rueil-Malmaison
(Hauts-de-Seine) Jacques Baumel
(UMP) et, par délégation, par le premier adjoint PS au maire de Lille,
Pierre de Saintignon. Unique interlocuteur qui analyse la situation du
chômeur en difficulté, le PLIE l’accompagne dans une démarche de
retour à l’emploi en réunissant l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes
(AFPA), l’Agence nationale pour
l’emploi (ANPE), les travailleurs
sociaux et les entreprises durant
deux ans. « Financés par des fonds
publics locaux et européens, ils ont
permis, à l’échelle nationale, de procurer un emploi à 37 533 personnes
sur la période 2000-2002, mais
37 823 en sont sortis sans solution »,
rappelle Marie-Pierre Establie, déléguée générale d’Alliance Villes
Emploi.
A Mulhouse, par exemple, le syndicat intercommunal des transports, la région Alsace et le département du Haut-Rhin ont confié au
PLIE le pilotage d’une cellule chargée de faire embaucher de 100 à
150 chômeurs sans qualification
par les entreprises chargées de
construire deux voies ferrées. L’AFPA formera ces personnes aux
métiers de la voirie et du béton
armé.
Trois convictions semblent faire
l’unanimité des spécialistes de l’insertion, qu’ils soient issus du suffrage universel ou techniciens. La première est que les élus municipaux,
surtout les plus impliqués dans l’intercommunalité, réclameront de
plus en plus souvent un rôle de
chef de file, même si la loi ne le
leur reconnaît pas. La deuxième
conviction est que les politiques de
l’emploi ne seront efficaces que s’il
existe un dialogue entre région,
département et commune. Troisième certitude : tous les acteurs
attendent de l’Etat une forte implication dans l’évaluation et la validation des politiques menées, afin de
sortir des tâtonnements du passé,
et d’éviter à l’avenir d’éventuelles
inégalités territoriales.
Al. F.
DES PLANS QUI ONT FAIT LEURS PREUVES
Personnes ayant retrouvé un emploi, en %
Répartition des plans locaux pour l'insertion
et l'emploi (PLIE) par niveau de qualification
en %
2000 2001 2002 Total
formation classiques, trop limités.
C’est grâce à cet appui notamment
qu’une vingtaine de femmes deviendront aides-soignantes.
La plupart des situations sont étudiées au cas par cas. En mettant
autour d’une même table tous les
acteurs, la plate-forme aplanit facilement les difficultés entre administrations, collectivités et entreprises. De
son côté, le conseil général propose
des aides aux déplacements ; mais
elles seront peu sollicitées. Joseph
Fonteneau, responsable CFDT du
secteur cuir habillement de la
région, où son organisation est leader, déplore cependant de ne pas
avoir été associé aux décisions.
Mais il reconnaît que les salariés ont
été « bien accueillis » et que la plateforme a « fonctionné ».
Après trois ans de ce régime, les
résultats sont positifs. Sur les
1 416 personnes suivies, pour quelque 2 000 licenciements (desquels
il faut soustraire les préretraites),
50 % ont trouvé une solution
jugée définitive : contrat à durée
indéterminée, création d’entreprise, congé parental, formation longue durée. D’autres sont en
contrat à durée déterminée ou en
intérim, mais sont actifs. Seuls
210 cas sont considérés comme
non résolus.
Sur sa lancée, le comité de pilotage a allumé de nouveaux feux en
créant des zones industrielles et
en initiant un fonds de soutien à
l’industrie de l’habillement. Ces initiatives ne seront pas de trop. En
dix ans, la chaussure choletaise a
perdu 5 700 emplois sur 12 700.
Grâce à ces dispositifs, le taux de
chômage a été contenu autour de
6 % dans l’arrondissement, un
niveau bien inférieur à la moyenne
nationale. Mais depuis un an, il est
en hausse. La chaussure a encore
licencié 500 personnes depuis le
printemps. Et d’autres vagues sont
attendues. « Hélas, commente Pierre Emeriau, on aura encore besoin
de nous. » A la question de savoir
si la formule est transposable
ailleurs, la réponse est prudente.
« Le Choletais reste le pays des usines à la campagne, tempère le
conseiller ANPE. Ce n’est pas reproductible à l’identique. »
Vincent Boucault
Niveau VI/V bis
46
47
45
46
2000 2001 2002 Total période
Niveau IV et +
Chômeurs
longue durée
59
59
61
60
52
56
57
55
Niveau V
33
32
32
32
Niveau IV et +
18
15
17
17
Femmes
50
51
52
52
Indéterminé
2
5
6
5
Moyenne
tous publics
46
51
50
50
Hommes
50
49
48
48
Bénéficiaires du RMI
42
45
42
44
Niveau VI
42
43
42
43
Niveau VI/Vbis : entrée en 6 e ,
brevet des collèges
Niveau V : CAP, BEP
Niveau IV : bac
Source : Alliance Villes Emploi
Nombre de sorties
positives
6 735 14 367 16 431
37 533
Stéphan Salord, maire adjoint d’Aix-en-Provence
« La décentralisation permettra
de prendre des mesures adaptées »
Fort de votre expérience de maire adjoint (UMP) chargé de l’économie, de l’emploi et de l’insertion, pensez-vous que les communes soient l’échelon pertinent
pour traiter l’exclusion et aider au
retour à l’emploi ?
Oui, mais à condition de ne pas
traiter l’exclusion commune par
commune, mais bien au niveau du
bassin d’emploi et de vie, comme
nous l’avons fait au niveau du Pays
d’Aix où nous avons une bonne
connaissance des flux d’emplois et
des fractures sociales.
Nous avions d’abord lancé un
plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE) uniquement sur la ville,
et nous avions constaté que ce programme attirait des chômeurs extérieurs à la commune. Depuis que
nous avons transposé le PLIE au
niveau du pays, où nous menons de
front le développement et l’insertion, nous avons constaté que le
taux des demandeurs d’emploi est
tombé de 12,5 % l’an dernier à
10,5 % aujourd’hui.
Notre PLIE nous a permis de
reclasser 800 personnes en un an, la
plupart en contrat à durée indéterminée. Il coûte environ 4,6 millions
d’euros par an, soit 3 millions en provenance du Fonds social européen
et 1,6 en provenance du département des Bouches-du-Rhône, de la
région Provence-Alpes-Côte d’Azur
et du Pays d’Aix.
Comment fonctionne la coopération entre les collectivités territoriales ? Sont-elles d’accord sur
la politique de l’emploi à suivre ?
Nous avons posé un diagnostic
commun et nous sommes tous
d’accord sur la politique qui s’impose. Nous rencontrons pourtant
un vrai problème au sujet des titulaires du RMI, dont la gestion nous
échappe, alors qu’il s’agit d’une
population très sensible aux mesures d’insertion. L’octroi au département de toutes les responsabilités
en matière de RMI-RMA à partir
de 2004 est donc une excellente
nouvelle, car cette décentralisation nous permettra de prendre au
niveau local des mesures mieux
adaptées au RMistes.
Pensez-vous que la relance et
l’amplification de la décentralisation faciliteront les politiques
d’insertion et d’emploi conduites par les communes ?
Oui, parce que l’emploi est en
train de devenir vraiment une
affaire locale. Avant, les élus affichaient en ce domaine des chiffres
dont ils n’avaient en réalité pas la
responsabilité. Avec le transfert
au Pays d’Aix du développement
de la vie universitaire ou du centre
d’apprentissage, nous détenons
des outils précieux. D’ailleurs, les
administrations d’Etat travaillent
de plus en plus comme nous,
c’est-à-dire en se basant sur le bassin d’emploi. Par exemple, le rec-
« Notre plan nous
a permis de reclasser
800 personnes en un
an, la plupart en CDI »
teur lui-même se soucie de l’offre
et de la demande d’emplois dans
le bassin avant de prendre des
décisions.
N’oublions pas non plus que
nous travaillons en partenariat
avec les entreprises dont nous
sélectionnons les nouvelles implantations. En effet, nous souhaitons
que les emplois qu’elles apportent
soient de vraies créations et non
de simples transferts.
Propos recueillis par
Alain Faujas
VIII/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003
EMPLOI
europe
LES INDICATEURS SOCIAUX INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT
UE 15
DES RISQUES MORTELS DIFFÉRENTS SELON LES ÂGES
Principales causes de mortalité par groupe d'âge, en %
Maladies
Cancer
Causes externes (blessures
et empoisonnement)
circulatoires
Structure de l'emploi
EURO 12
ALL.
BELG.
ESPAGNE
FRANCE
ITALIE
PAYS-BAS ROY.-UNI É.-UNIS
JAPON
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
Part de l'emploi salarié
84,4
83,2
88,9
84,6
80,6
89,2
72,6
88,3
88,1
n. d.
n. d.
Part de l'emploi à temps partiel
18,1
16,5
20,8
19,4
8,0
16,2
8,6
43,8
24,9
13 (1)
23 (1)
2000
Autres
2000
2000
100
80
60
Taux d'emploi (en %)
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2000
Hommes + femmes (15-64 ans)
64,2
62,3
65,4
59,7
58,4
62,9
55,4
74,5
71,5
74
69
Hommes + femmes (55-64 ans)
39,8
36,1
38,4
25,8
38,8
33,8
28,6
42,0
53,3
58
63
Durée du travail salarié
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
à temps plein (h/semaine)
40,0
39,3
39,9
39,3
40,4
37,7
38,5
38,9
43,3
n. d.
n. d.
2,0
3,6
3,5
1,0
3,7
3,2
3,8
n. d.
(août 03)
(août 03)
(juin 03)
(août 03)
40
20
0
15-24
25-34
35-44
45-54
55-64
65-74
75-84
85+
Source : Eurostat
Evolution du coût du travail
a LA MORTALITÉ varie considérablement en fonction de l’âge et du sexe.
En règle générale, elle intervient à des âges plus précoces dans la population masculine que dans la population féminine.
Taux de chômage
( en %)
flash sett/« le monde »
(août 03)
2,6
(août 03)
és
rs fi
ie uali
r
v q
Ou on
n
11,4
9,4
8,5
4,1
5,0
6,1
5,3
Moins de 25 ans
15,6
16,8
10,2
19,8
22,7
19,9
27,0
7,5
12,7
12,3
n. d.
Part de chômage de plus
d'un an ( en %)
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2002
2000
2000
40,2
43,0
47,9
49,6
34,3
32,7
59,2
26,7
23,1
LE MARCHÉ DU TRAVAIL FRANÇAIS
Dernier mois
connu
Variation
sur un an
Chômeurs de longue durée
LA FORMATION CONTINUE : UNE ACTIVITÉ SECONDAIRE
718,1
+ 8,0 %
Répartition des prestataires de formation continue selon la nature
de leur activité principale, en %
(sept. 03)
(en milliers)
Formation continue
Emplois précaires (en milliers) :
Intérim
Hommes
1 448
+ 0,03 %
a LE NOMBRE DE MISSIONS DE TRAVAIL TEMPORAIRE s'est, au premier semestre
2003, contracté de 3,5 % par rapport à la même période de l’année 2002.
Ce fléchissement d’activité s’est néanmoins accompagné d’une poursuite
du processus d’élévation du niveau de qualification des intérimaires.
Smic (en euros )
Horaire
7,19 (juillet 03)
+5%
Mensuel
1 215,11 (juillet 03)
+5%
a LA PART DES CADRES dans l’effectif intérimaire augmente très légèrement, de 0,1 point, celle des ouvriers qualifiés plus nettement, de
0,4 point. Dans le même temps, la part des ouvriers non qualifiés et des
employés recule, la première fortement, de un point, et la seconde de
0,4 point.
Allocataires
du revenu minimum d'insertion
1 084 310
– 1,15 %
9,1
9,5
7,3
7,4
1,8
1,9
42,7
+ 2,9 %
41,7
1 197
40,0
– 29,7 %
38,6
123,9 (sept. 03)
Contrats en alternance
Contrats aidés dans le secteur
marchand
Contrats aidés dans le secteur
non marchand (hors emplois-jeunes)
Salaire net médian (en euros constants) :
Femmes
Sources : Syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT)/ministère de l'emploi-Dares
AGENDA
a
CROISSANCE
Dans le cadre de leur séminaire de recherche « Les enjeux économiques et sociaux de la nouvelle économie », le Centre de recherche pour
l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) et le Germe (université Paris-VII) organisent une rencontre sur « Les compétences au
cœur du nouveau régime de croissance », mardi 18 novembre, de 17 heures à 19 heures à l’université Paris-VII (2, place Jussieu, 75005 Paris).
Renseignements : Claire Faret, 01-40-77-85-70, e-mail :
[email protected]
a
CINÉMA
Les Archives nationales audiovisuelles du travail, des entreprises, des
collectivités (Anatec) présenteront l’adaptation du roman Travail d’Emile
Zola, portée à l’écran en 1919 par Henri Pouctal, samedi 22 novembre, à
16 heures, à l’Arc (Scène nationale, place François-Mitterrand, 71200
Le Creusot).
Renseignements : Dominique Soria, tél. : 03-85-73-94-40, site :
www.anatec.org
a
VIETNAM
L’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV) organise une soirée débat sur « Le Vietnam dans la mondialisation », le lundi 24 novembre, de 18 h 30 à 22 h 30, à l’Ageca (177, rue de Charonne, 75011 Paris).
Renseignements : tél. 01-42-87-44-34, e-mail : [email protected]
a
MUTUALITÉ
« Engagement et valeurs mutualistes en Europe. Quels rôles dans la
construction d’une Europe sociale ? », sera le thème de la 2e journée des
Rencontres européennes de la Mutualité générale de l’éducation nationale qui se tiendra le jeudi 27 novembre à partir de 9 heures dans les locaux
de la MGEN (3, square Max-Hymans, 75015 Paris).
Renseignements : Dominique Assayag, tél. : 01-40-47-24-90, e-mail :
[email protected]
a
ÉTHIQUE
L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) propose, dans le
cadre de son rendez-vous annuel des « Entretiens », une journée de
réflexion et de débats, sur le thème « Ethique d’entreprise : une réalité
sociale et économique », le 2 décembre, de 8 heures à 17 h 30, à l’Institut
Pasteur (25-28, rue du Docteur-Roux, 75015 Paris).
Renseignements : INRS, 30, rue Olivier-Noyer 75014 Paris, site :
www.les-entretiens-inrs.com
a
ENTREPRISES
A l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie d’Eure-et-Loir,
les « 3e rendez-vous de la création et de la reprise d’entreprises » auront
lieu samedi 22 novembre, de 9 h 30 à 17 h 30 à Chartrexpo (route nationale 10, 28000 Chartres)
Renseignements : tél. 02-37-84-28-39 ou 02-37-91-57-06.
flash cereq/« le monde »
+ 8,2 %
– 20,4 %
o
pl
25
428,3 (sept. 03)
400,6 (sept.03)
Em
6
(1) Personnes travaillant moins de 30 heures
– 5,8 %
s
(août 03)
8,0
561,5 (sept. 03)
e
dr
Ca
(juillet 03)
9,4
– 4,8 %
s
yé
(juillet 03)
8,8
636,9 (août 03)
s
ns ire
sio dia
s
e é
of m
Pr ter
in
(août 03)
8,0
(en milliers)
Répartition de l'emploi intérimaire par niveau de qualification, en %
1 er semestre 2002
1 er semestre 2003
rs
rie fiés
v
i
Ou ual
q
(août 03)
Chômeurs de moins de 25 ans
DE PLUS EN PLUS D'INTÉRIMAIRES QUALIFIÉS
2,7
4 e trim.
2002
Hommes + femmes
a POUR LES DEUX SEXES, les maladies circulatoires sont la principale cause
de mortalité (à l’exception de la France, où elles sont supplantées par le
cancer pour les hommes). En 1999, elles ont fait 700 000 victimes masculines et 850 000 féminines.
a CHEZ LES JEUNES DE 15 À 34 ANS, les premières causes de décès sont les
blessures et les empoisonnements. Dans la tranche d’âge des 45 à 64 ans,
le cancer est la principale cause de décès. Dans la catégorie des 75 ans et
plus, les maladies circulatoires sont responsables d’environ la moitié de
l’ensemble des décès.
2,7
(en % sur un an - 1er trimestre 2003)
Sources : Insee, Dares, CNAF, Unedic
45
Education
17
(hors formation continue)
12
Etudes, conseil
7
Informatique
5
Action sociale
32 45
et insertion
Animation socioculturelle
Autres
Commerce de gros
Organismes consulaires
Source : Céreq, enquête sur l'offre de la formation continue en 1999
a AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES, le nombre d’organismes dont le cœur
de métier est la formation continue a eu tendance à diminuer au profit
de prestataires dont l'activité principale relève soit d'une prestation
d'études ou de conseil aux entreprises, soit de l'informatique, voire du
commerce de gros (notamment de machines outils, de matériel électronique ou de produits pharmaceutiques).
a CES NOUVEAUX ARRIVANTS sur le marché de la formation continue sont
majoritairement des entreprises appartenant au secteur privé à but
lucratif.
Une nouvelle boutique école ouvre à Paris
en vendant
« pour de vrai »,
des stagiaires
se forment
aux métiers
du commerce et
de la distribution
L
a veille de son ouverture
officielle, le 12 novembre, des curieux poussent déjà la porte de la
boutique, attirés par la
nouveauté dans cette
rue
peu
commerçante
du
XIXe arrondissement de Paris… et
par les rayons où l’on trouve chocolat, café, vin, et objets d’artisanat,
comme ces grands papillons en
bois importés d’Indonésie, accrochés aux murs rouges. Des produits pas ordinaires, provenant du
commerce équitable et de centres
d’aide par le travail (CAT) pour personnes handicapées. Au fond du
local qui sent encore la peinture,
une porte s’ouvre sur une salle où
une dizaine de personnes écoutent
une oratrice en prenant des notes.
Magasin ? Centre de formation ?
Deuxième du genre dans la capitale, la boutique pédagogique de la
rue du Maroc est un magasin-école, à l’instar des chantiers-écoles
déjà existants dans des secteurs
tels que le bâtiment. Appliquer cette formule au commerce et à la distribution constitue « une première », selon Terem, l’association por-
teuse de ces boutiques, spécialisée
dans le montage de projets de formation auprès de publics en difficulté, qui organise le 8 décembre
un séminaire au conseil régional
d’Ile-de-France sur ce thème.
La pédagogie repose sur le principe « apprendre en faisant », explique Marcel Finders, directeur de
Terem. On commence par découvrir, concrètement, la boutique, les
codes barres, la caisse… avant d’aller en salle de cours. « Les stagiaires
effectuent des allers-retours permanents entre la pratique et la théorie,
précise Marcel Finders. Ce n’est pas
grave si l’un d’eux rate une vente. On
dissèque ensuite l’acte de vente », en
abordant aussi la question de l’apparence. Ce jour-là, Annie, formatrice enthousiaste et dynamique, anime le module « image de soi ». Elle
parle « de la symbolique des couleurs, des gestes… », et raconte des
entretiens d’embauche, mettant en
évidence l’importance de « l’alchi-
mie (du contact), de notre regard, de
notre gestuelle » face à un recruteur.
« Face à un client aussi, il y a des
codes, remarque Philippe, l’un des
stagiaires. Notre apparence suscite
des réactions. Grâce à ce que nous
avons appris, nous allons essayer de
ne pas en être surpris, voire de les
provoquer ».
Les
groupes
accueillent des jeunes et des adultes chômeurs de longue durée ou
Rmistes, dont beaucoup sont issus
de l’immigration : femmes restées
au foyer qui ont besoin de travailler, personnes qui se heurtent
au racisme à l’embauche ou bien
ont vécu l’échec scolaire.
 
Anthony, 16 ans et demi, a abandonné l’école après la troisième.
« J’avais du mal à prononcer les
mots, on se moquait de moi. » Pour
lui, ce stage est un tremplin, car il
est doué et motivé, mais aussi un
retour aux sources. « Ma tante
QUATRE ANNÉES DE TÂTONNEMENT
Terem aussi a « appris en faisant ». L’initiative revient à la direction départementale du travail et de l’emploi de Paris (DDTE) et au conseil régional d’Ile-deFrance, partis du constat que le commerce et la distribution offraient des
débouchés mais que ces postes ne trouvaient pas preneurs. Ainsi naît, en 1997
la première boutique pédagogique à Paris. Mais, vendant des produits classiques et subventionnée pour ses actions de formation, elle est accusée d’exercer une « concurrence déloyale » et ferme au bout de quatre mois. Tirant la
leçon, le second magasin, créé en 1999, opte pour la vente de produits du commerce équitable. Mais en mai 2001, l’organisme de formation partenaire disparaît. La boutique ferme à son tour.
L’équipe ne baisse cependant pas les bras. La DDTE et le conseil régional sont
partants pour une nouvelle aventure. En octobre 2001, une troisième boutique
ouvre dans le XXe arrondissement ; elle est toujours en activité. Et en novembre
2003, le magasin de la rue du Maroc (XIXe arrondissement) est lancé.
La mission Agire d’EDF/GDF apporte son aide à l’association Terem. D’autres
partenaires privés se sont joints aux financeurs publics (conseil régional,
DDTE, conseil de Paris, etc.), dont le plus important est le Fonds social européen (FSE), qui a versé 200 000 euros en 2003. Deux nouveaux magasins
devraient voir le jour en Ile-de-France en 2004.
avait un magasin, et à 8 ans, je
l’aidais à ranger les rayons. Cela me
plaisait ». « Nous sélectionnons les
stagiaires uniquement sur la motivation, indique le directeur. Il n’y a
aucune corrélation entre placement
en emploi et niveau scolaire. » Le
stage comprend notamment une
remise à niveau en maths et en
français, appliquée au métier, des
séquences en entreprises et des
ventes à l’extérieur, dans des comités d’entreprises par exemple.
Ici, il n’y a pas d’objectif de ventes. Certes, il faut une clientèle
pour « animer la boutique. Mais il
suffit que les ventes permettent de
financer les dégustations, la casse et
le vol », précise Marcel Finders. La
marge est nulle pour les produits
des CAT, et réduite pour le commerce équitable.
En 2003, dans la première boutique ouverte voici deux ans, près de
130 stagiaires de moins de 26 ans
auront été accueillis et 50 adultes,
ainsi qu’une centaine de jeunes en
ateliers découverte d’une semaine.
En outre, quinze jeunes en contrat
de qualification ont été recrutés à
bac + 2, dans un cursus de « développeur de l’économie solidaire ».
Des négociations sont en cours
pour en faire une licence. Selon
Terem, 60 % des stagiaires ont trouvé un emploi de plus de six mois.
Toutes les personnes en contrats
de qualification ont été embauchées par EDF/GDF. « Nous avons
un réseau de magasins pour les stages pratiques, explique Michèle
Huré, coordinatrice pédagogique
des deux boutiques. Nos stagiaires
sont opérationnels, ils ne restent pas
les mains dans les poches et ont
confiance en eux. »
Francine Aizicovici
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