ECONOMIE MARDI 18 NOVEMBRE 2003 UNE PUISSANCE AFFIRMÉE Evolution annuelle du PIB, en % 8 7 7 6 5 4,9 4 4,4 3 94 96 98 Source : Banque mondiale 00 02 03* * prévisions reconduit au pouvoir, junichiro koizumi promet des mesures libérales qui inquiètent le pays BOUSSOLE FOCUS L’Inde renoue avec une croissance record cette année. Progressivement, le sous-continent s’intègre à l’économie mondiale et attire les investisseurs p. IV Les Français ne cessent de faire grossir leur bas de laine. Le taux d’épargne des ménages a atteint 17 %, en hausse de 2 points depuis le début de l’année p. V DEPUIS SEPTEMBRE, L'ACTIVITÉ REPREND... Production industrielle, en points 104 102 100 98 96 94 92 90 88 86 98 00 99 01 02 03 Source : Bloomberg ...MAIS LES MÉNAGES RESTENT PRUDENTS Consommation en volume, glissement annuel, en % 8 6 4 2 0 -2 -4 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 Sources : Datastream, Buba, Cabinet Office F OFFRES D’EMPLOI SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES. Le 86e congrès des maires de France, du 18 au 20 novembre à Paris, s’intéressera notamment à la décentralisation en matière de politique de l’emploi. Une responsabilité que revendiquent de plus en plus les élus p. VII Dirigeants b Finance, administration, juridique, RH b Banque, assurance b Conseil, audit b Marketing, commercial, communication b Santé b Industries et technologies b Carrières internationales b Multipostes b Collectivités territoriales p. IX à XIV b b Le Japon va mieux, les Japonais moins bien UNE REPRISE FRAGILE ort de la majorité qu’a conservée la coalition gouvernementale aux élections du 9 novembre, et en dépit du recul de sa formation politique, le Parti libéral démocrate (PLD), le premier ministre Junichiro Koizumi a annoncé qu’il poursuivrait sa politique de « réformes structurelles ». La montée de l’opposition et les divergences apparues au sein de sa formation indiquent pourtant que ce n’est pas ce qu’attend une bonne partie de l’opinion. Une discordance révélatrice de la situation économique et sociale contrastée du Japon. Depuis l’été, celui-ci, rompant avec une décennie EMPLOI de dépression, a renoué avec la croissance et devrait voir son produit intérieur brut croître de 2,5 % sur l’ensemble de l’année, plaçant l’archipel parmi les économies mondiales en expansion. Une performance qui atténue l’annonce par Sony de la suppression de 20 000 emplois sur trois ans. La plupart des entreprises cotées en bourse ont enregistré des profits en 2002, et l’indice Nikkei a bondi de 30 % en bourse, dopé par les achats des investisseurs étrangers. « Make no mistake : Japan is back » (Ne vous y trompez pas ; le Japon est de retour), estime Jesper Koll, économiste en chef chez Merrill Lynch. Assurément. Et pourtant, selon les sondages, l’incertitude pour l’avenir tenaille l’opinion et chaque jour la presse se fait l’écho de petits drames qui témoignent de cette anxiété diffuse. En pendant au Japon qui recouvre son dynamisme industriel, celui des poches de luxe ostentatoire et de la consommation frénétique des marques, existe un autre Japon où la sortie de crise ne se mesure pas au redressement des indices et à l’augmentation du nombre des faillites. La reprise est réelle, mais contrastée. Elle est moins due à la politique réformiste de M. Koizumi qu’aux restructurations (délocalisations, réduction des effectifs, plus grande flexibilité de l’emploi par l’augmentation du travail précaire) auxquel- les a procédé le secteur privé qui ont permis à la plupart des grandes entreprises de renouer avec les profits. Une reprise qui repose sur des bases plus solides qu’un éphémère rebond provoqué, comme précédemment, par des plans de relance et l’injection de fonds publics. Mais c’est une reprise en « peau de léopard » : des îlots de prospérité émergent, phares de la croissance pour les marchés, dans une mer étale. Les entreprises qui font des profits n’emploient que 10 % du salariat total et contribuent à seulement 19 % du produit intérieur brut. Au-delà du débat sur la fragilité d’une reprise tirée par les exportations et vulnérable par conséquent à l’évolution de marchés porteurs (Etats-Unis et Chine), la question qui préoccupe les Japonais est la détérioration des équilibres sociaux sur la toile de fond d’un vieillissement qui pèse sur l’avenir des retraites. A une plus grande précarité de l’emploi, à l’aggravation des inégalités sociales en termes de revenus, mais aussi en fonction de l’âge, du sexe ou du niveau d’éducation s’ajoutent les disparités entre les régions. Le taux de chômage régresse (5,1 % en septembre contre 5,5 % en début d’année), mais il se double d’une destruction nette d’emplois. « Réformes » est le slogan du premier ministre qui a mué en « forces de résistance » ceux qui s’y opposent ou critiquent ses priorités. De quelles réformes s’agit-il ? De la privatisation de l’épargne postale et des régies des autoroutes. Non seulement ces réformes n’ont pas progressé en deux ans, mais elles sont sans effet sur la situation économique. La politique d’assainissement du système bancaire très endetté, est loin d’être cohérente : vouloir privatiser les postes lorsqu’on nationalise de fait les banques en difficulté par des injections de fonds publics n’a pas grand sens. Selon un sondage préélectoral du quotidien Asahi Shimbun, 60 % des personnes interrogées n’étaient pas favorables à ces réformes et la progression de l’opposition aux élections du 9 novembre est un avertissement : le gouvernement Koizumi néglige le coût social de la crise. La mondialisation, l’éclatement de la bulle spéculative et les restructurations ont bouleversé le compromis social de la période de Haute Croissance (décennies 1960-1980). Le passage du Japon à l’ère post-industrielle impose des réformes pour rendre le marché plus transparent et enrayer le gaspillage des fonds publics qui a ruiné l’Etat : tous les partis sont d’accord sur le diagnostic. Mais ils divergent entre eux (et en leur sein) sur les méthodes : « En se focalisant sur le marché, on accroît les disparités et, à terme, on entame la cohésion sociale. Les réformes doivent au contraire contribuer à compenser les effets négatifs du marché par la mise en place d’une société équitable afin d’éviter les phénomènes d’exclusion », observe l’économiste Takamitsu Sawa. Le secteur tertiaire est-il capable d’absorber le surplus de main-d’œuvre rejeté par le secteur manufacturier ? Vraisemblement non, poursuit-il, annon- Dix « années perdues », se lamentent les productivistes. Certainement pas. La crise a fait sauter le carcan de la Haute Croissance qui pesait sur une société arc-boutée sur la production. Par sa lenteur, la crise s’est traduite en une période d’incubation sans rupture du lien « Les réformes doivent contribuer à compenser les effets négatifs du marché par la mise en place d’une société équitable afin d’éviter les phénomènes d’exclusion » , çant une reprise sans emplois. Une des causes de la stagnation serait l’insuffisance de demande, fait-il valoir, mais ne s’agit-il pas plutôt d’une inadéquation de l’offre à une demande sociale qui n’est pas satisfaite en termes de bien-être et de protection sociale ? « Le petit commerce ferme, mais les hôpitaux sont surchargés », constate une autre économiste, Sawako Takeuchi. L’incapacité – ou l’absence de volonté politique – du gouvernement de procéder aux arbitrages sociaux qu’impose le passage à l’ère postindustrielle est une source d’anxiété supplémentaire. social vers d’autres équilibres. La société est devenue plus diversifiée, plus ouverte, plus mobile, avec des effets positifs et négatifs : regain d’initiatives et accroissement des disparités. Mais le politique est à la traîne de ces mutations : de nouveaux relais démocratiques sont apparus au niveau local, mais ils ne peuvent assumer la mission régulatrice de l’Etat de redéployer l’offre vers une demande sociale en contribuant à rétablir une confiance dont dépend la consommation. Philippe Pons CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX 7€ II/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003 DOSSIER QUESTIONS-RÉPONSES Conjoncture PRÉVISIONS OPTIMISTES Evolution des résultats nets des principales banques japonaises, en milliards de yens 700* 2 000 0 - 2000 - 4000 - 6000 89/90 Source : Fitch 1 93/94 97/98 01/02 *Prévisions 2004/2003 Le redressement de l’économie est-il assuré ? Le Japon, deuxième économie mondiale forte de 127 millions d’habitants, devrait afficher cette année un taux de croissance de 2,5 %, après 0,2 % seulement en 2002 et 0,4 % au cours des douze mois précédents. Si l’on met de côté le court rebond de l’année 2000 lorsque le produit intérieur brut (PIB) nippon avait augmenté, de façon éphémère de 2 %, il faut remonter à 1996 pour enregistrer un pareil redémarrage qui, cette fois, pourrait mettre un terme à treize ans de dépression – consécutive à l’éclatement de la bulle immobilière spéculative – et à la quasi-faillite du système bancaire pour cause de créances douteuses. Cette reprise, marquée par une hausse exceptionnelle de 3,9 % au deuxième trimestre, est tirée en grande partie par les exportations (selon le Fonds monétaire international [FMI] elles devraient croître de 7,7 % cette année) qui, délaissant un temps les Etats-Unis, se sont réorientées vers la zone asiatique, en particulier vers la Chine. Mais la bonne performance de l’investissement privé (+ 6,2 % en base annuelle) est aussi à signaler, preuve que les entreprises japonaises ont repris leurs investissements productifs alors que la consommation privée ne devrait croître que de 1,1 % cette année, après une augmentation de 1,4 % en 2002. Autre bonne nouvelle, le redressement de la Bourse. Depuis le mois d’avril, l’indice Nikkei de 225 valeurs a progressé de plus de 30 %, l’une des meilleures performances à l’échelon mondial. Celle-ci s’accompagne d’un net redressement des marges bénéficiaires des entreprises nippones qui, pour nombre d’entre elles, revoient à la hausse leurs perspectives de résultats. L’automobile japonaise redresse la tête jusqu’à vendre davantage aux Etats-Unis que quelquesuns des constructeurs locaux comme Chrysler. L’électronique affiche également de belles performances. En revanche, certains fleurons baissent la garde. C’est le cas de Sony qui, après avoir accusé une baisse de 25 % de ses résultats trimestriels, a décidé la suppression de 20 000 emplois (13 % de ces effectifs mondiaux) en trois ans, dont 7 000 au Japon. 2 Quels sont les points noirs qui demeurent ? La principale préoccupation réside dans le taux de chômage qui refuse de descendre au-dessous de 5 % (il devrait être de 5,5 % cette année, contre 5,4 % en 2002), signe que la reprise s’effectue encore sans véritable création d’emplois. Comparé aux taux de chômage que connaît l’Europe (près du double), celui du Japon peut paraître faible mais, outre que le pays a été longtemps habitué à un taux historiquement beaucoup plus bas, il faut aussi tenir compte d’un chômage potentiel caché, résultant de multiples emplois non productifs encore préservés pour des raisons de cohésion sociale. Longtemps considéré comme un impératif, le nettoyage des bilans bancaires a été entrepris depuis plusieurs années. Mais de l’avis des spécialistes, beaucoup reste à faire. Au cours de l’exercice 2002-2003, les créances douteuses du secteur bancaire ont été ramenées à l’équivalent de 220 milliards d’euros. Un mieux, certes, mais le chiffre reste impressionnant. Prudente, l’agence de notation Fitch se contente de prendre acte de l’engagement de retour à la rentabilité pris par les grands établissements bancaires. 3 Quelles sont les conséquences de « l’effet yen » ? Le yen fort – il se négocie actuellement autour de 108 yens pour un dollar – commence à handicaper les entreprises exportatrices nippones. Si ce raffermissement devait se poursuivre, jusqu’à voir la monnaie japonaise grimper à 105 yens pour un dollar, l’impact – négatif – sur la croissance pourrait atteindre 0,5 %, estime la firme Daiwa. Certains spécialistes considèrent cependant que le véritable seuil d’alerte se situe à 100 yens pour un dollar. L’écart entre gagnants et perdants de l’économie nipponne se creuse les salariés en fin de carrière qui se croyaient protégés par l’emploi à vie ont été laminés par les restructurations R TOKYO de notre correspondant écemment, à Nagoya, grande ville industrielle du centre du Honshu, un contractuel de 52 ans, qui avait pris en otage des employés de l’entreprise de transport pour laquelle il travaillait, a provoqué une explosion, faisant trois morts et trente-quatre blessés. Il réclamait le paiement de trois mois de salaire non versé. Déséquilibré, il l’était assurément. Son acte n’en est pas moins révélateur des zones d’ombre du corps social : le monde des gagne-petit, dont beaucoup tirent le diable par la queue, jusqu’au moment où certains craquent. Le contractuel de Nagoya faisait partie de cette armée d’anonymes, broyés par une crise qui tend à faire de la solvabilité le seul critère de reconnaissance sociale. Longtemps, l’étranger et le discours officiel national ont fait des équilibres sociaux des années 1960-1980 des invariants culturels. Et se sont forgés les grands « mythes » de Japan Inc. : société consensuelle et appartenance de la majorité des Japonais à la classe moyenne. Le compromis social de l’époque était le fruit de l’histoire particulière de l’industrialisation dans l’Archipel, mais il reposait aussi sur une redistribution relativement égalitaire des fruits de la prospérité, aiguillonnée par de puissants contrepoids (syndicats, mouvements sociaux, etc.) au pouvoir économique. Avec certes des inégalités, chacun voyait son niveau de vie s’améliorer. La majorité se sentait portée par le même courant et est né, à l’époque, le sentiment d’appartenir à une vaste classe moyenne moins définie en termes de revenus que de participation à la consommation de la société de masse naissante et d’adoption des modèles culturels qu’elle véhiculait. Depuis la bulle spéculative des années 1980, marquée par l’apparition d’une ostentation dans le luxe inconnue auparavant, puis son éclatement au début de la décennie suivante, c’est le partage des eaux. L’écart entre gagnants et perdants se creuse. La crise sociale a progressé à un rythme plus lent que la crise économique mais elle se fait davantage sentir aujourd’hui sur les plus faibles, même si le lien social est maintenu. Derrière une façade paisible, les inégalités se sont accrues et, avec elles, des symptômes de malaise : le nombre des suicides, dont beaucoup sont dus à des facteurs économiques (faillites, pertes d’emploi), sont en augmentation (30 000 par an) ; la petite criminalité se développe et, bien que l’Archipel reste un des pays les plus sûrs du monde, les braquages, cambriolages avec violence et vols à la tire progressent à un rythme inquiétant. Le taux de chômage (5,5 %), en légère régression, est enviable pour d’autres pays, mais il donne une image partielle de la situation de l’emploi. Dans les grandes agglomérations, une pléthore de petits boulots permet à beaucoup de se débrouiller et de ne pas émarger sur les statistiques du chômage. En province, la situation est plus difficile. Partout, la précarisation de l’emploi s’accroît et le nombre des salariés ayant un statut permanent diminue. Les employés non réguliers (contrat périodiquement renouvelable ou temps partiel) représentent désormais un quart du salariat, soit 14,5 millions de personnes en 2002 (un nombre qui a doublé par rapport à 1987). Les femmes, qui constituent le gros contingent des employées à temps partiel, reçoivent un salaire équivalent à 60 % de celui d’une employée à statut permanent. Un diplôme n’est plus le passeport pour un emploi. Autre disparité : alors que les hauts revenus ne sont pas, ou peu, touchés par la crise, celui des ménages à statut intermédiaire diminue. Selon une enquête de l’agence nationale de la fiscalité, en 2002 le salaire annuel moyen d’un salarié du secteur privé se chiffrait à 4 478 000 yens (35 180 euros), soit 62 000 yens de moins que l’année précédente (cinquième baisse d’affilée depuis 1997). Beaucoup de salariés en fin de carrière, qui se croyaient protégés par l’emploi à vie, ont été laminés par les restructurations et ont vu leur revenu drastiquement réduit en perdant leur travail. Cette baisse généralisée du revenu disponible engendre un phénomène nouveau : la désépargne. Les Japonais ont longtemps eu la réputation d’être de gros épargnants. Le montant de l’épargne reste considérable : 1 400 000 milliards de yens en mars 2002, mais il a diminué de 2 % par rapport à l’année précédente. La déflation pallie partiellement cette diminution du revenu mais le taux d’épargne des ménages n’en est pas moins en baisse : il est passé de 11 % en 1998 à 6,6 % en mars 2002. La diminution du revenu disponible conduit les Japonais à puiser dans leurs économies pour maintenir leur niveau de vie. Conjuguées aux inquiétudes pour les retraites en raison du vieillissement rapide de la population, ces nouvelles disparités entament le compromis social qui a prévalu au cours de la période de prospérité. Chaque jour se pose de manière plus aiguë au Japon le dilemme équité-efficacité. Philippe Pons Les petits boulots séduisent les jeunes bohèmes TOKYO correspondance , le bureau de l’Agence nationale pour l’emploi nipponne réservé aux moins de trente ans, tout est fait pour séduire une population qui n’a pas vraiment l’habitude de pointer au chômage : mobilier neuf, ordinateurs et guichets de consultation tranchent avec les locaux plus ternes des autres locaux. Créée il y a deux ans, l’agence de Tokyo, l’une des quatre du pays, est située à Shibuya, quartier jeune par excellence, juste en face du magasin de disques Tower Records, et reçoit environ 500 visiteurs par jour, dont la grande majorité a entre 23 et 25 ans. Le tiers seulement a déjà un emploi, et, deux fois sur trois, il s’agit d’un arubaïto (de l’allemand Arbeit, travail), ces petits boulots qui sont légion dans le secteur des services et qui servent d’amortisseur aux ravages de la crise. « Le but de l’agence, justement, c’est d’essayer d’apporter des solutions alternatives aux petits boulots, on s’est aperçu qu’il n’était pas vraiment souhaitable qu’il y ait trop de freeters », reconnaît Hirotaka Nakazato, de Young Hello Work. Les freeters (de free et arubaïter) désignent les jeunes qui vivent intégralement de petits boulots, devenus le passeport pour un mode de vie alternatif. Syno- nyme de zapping et de mobilité, la culture de l’arubaïto fait partie intégrante de la vie des jeunes Nippons, qu’ils y aient recours pour gagner de l’argent de poche tout en poursuivant leurs études, qu’il s’agisse de repousser l’entrée dans la vie active de quelques années, ou simplement de gagner de quoi vivre tout en s’adonnant à une passion, sportive ou artistique. « ’ ’ » Bible du petit boulot, l’hebdomadaire Arubaïto News va jusqu’à classer les offres d’arubaïto en des dizaines de rubriques différentes : « Jobs où l’on s’amuse », « Jobs où l’on ne fait pas grand-chose », « Jobs où on gagne bien », « Jobs pour travailler le week-end », etc. La perspective de passer une grande partie de sa vie dans la même entreprise et la rigidité du monde du travail rebutent toute une catégorie de jeunes, qui se reconnaissent de moins en moins dans le modèle du salarié victime de restructurations en fin de carrière. Le prolongement de la récession a toutefois rendu plus réalistes les candidats à la bohème. Foulard noir autour du front, pieds nus dans des espadrilles multicolores, Naoki, 25 ans, est inscrit dans une agence d’intérim pour petits boulots : « On donne un coup de fil la veille, on nous dit où aller. Hier, on était trois pour vider un appartement. On est payé 800 yens de l’heure, ça fait dans les 6 000 yens (50 euros) la journée », raconte-t-il. Sorti d’un IUT d’informatique, il a travaillé cinq ans dans une entreprise, mais enchaîne les petits boulots depuis six mois. En cassant le mythe de l’emploi à vie, la crise a rendu toute relative la sacro-sainte loyauté de l’employé vis-à-vis de l’entreprise. Ryo, 26 ans, a fait des études d’assistant social, mais cherche à travailler dans la publicité. En deux ans, il a changé six fois d’employeur. « Mon objectif est d’acquérir des compétences, je veux pouvoir me spécialiser afin de mieux me protéger des plans sociaux », dit-il, pragmatique. Les rêves d’enrichissement de leurs aînés ont laissé place à d’autres aspirations. Après l’université, Yoshimichi, 23 ans, est parti voyager trois mois en Asie avec l’argent de ses arubaïto. Venu de province, il loue à Tokyo un studio pour 50 000 yens et cherche, depuis un mois, un emploi stable dans la publicité. « Il y a le problème des assurances sociales. Et il faut aussi s’occuper des parents. Mais, à côté de ça, je veux faire du bénévolat dans une organisation non gouvernementale… » dit-il. Brice Pedroletti Les « bébés Yamazaki » donnent naissance à une réforme des retraites La capitalisation d’entreprise est en plein marasme L e système japonais des retraites est complexe. Il comporte un régime de base universel, un régime complémentaire obligatoire pour les salariés du privé et des régimes spéciaux pour la fonction publique. Pour la capitalisation d’entreprise, les pécules de fin de carrière sont très répandus et les grandes entreprises ont, en plus, mis en place des fonds de pension. Le système n’a plus très bonne réputation : 92 % de Japonais se disent inquiets. Les régimes d’Etat qui disposent de réserves sont saufs. Mais la capitalisation d’entreprise (pécules et fonds de pension) garantissant, au yen près, la prestation future est, elle, en plein marasme. Une situation intenable après treize ans d’instabilité bour- sière, de croissance atone et de départs en retraite plus fréquents. Des dizaines de milliards d’euros partent en fumée pour boucher le trou creusé par le postulat : « le marché paiera » ! Rien que pour les fonds de pension, le constat est sévère : entre 1996 et 2002, le nombre de fonds est passé de 1 883 à 1 651 et les salariés affiliés de 12 à 10,8 millions. De 1999 à 2001, les actifs ont baissé de 62 200 milliards de yens à 57 000 milliards de yens. Tout cela au passif de la bulle financière des années 1980 et de son implosion : les fonds d’Etat rapportaient alors 8 % contre 3 % désormais (1 % il y a encore six mois), et l’indice Nikkei a été divisé par quatre ! A entendre François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, venu présenter, fin octobre, sa réforme à la Maison franco-japonaise de Tokyo, le projet français d’un rendez-vous quinquennal pour réviser les régimes s’inspire du Japon. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) créé en 1999 présente, d’ailleurs, un air de famille avec les Comités consultatifs (shingikai), rouage essentiel des réformes dans l’Archipel, associant hauts fonctionnaires, parties intéressées et monde académique. Des éléments centraux de la réforme des retraites au Japon qui ont été au cœur du débat des élections du 9 novembre se retrouvent dans la réforme Fillon : pas d’augmentation importante du taux de cotisation ; confirmation du rôle de la répartition ; maintien du pouvoir d’achat des pensions par indexation sur les prix (et non plus sur les salaires). Au calendrier francojaponais figure d’ailleurs le projet deux fois les actifs de la capitalisation privée. Et le paritarisme ne concerne que les fonds de pension, alors que les régimes d’Etat sont gérés directement par des fonctionnaires. On note, aussi, la convergence du traitement des salariés du secteur privé et de la fonction publique, alors qu’en France ce sujet très délicat n’a pu être qu’ébauché. Enfin, la réforme de 2004 devrait relever la part du budget de l’Etat dans le financement de la retraite de base, On s’assure pour chaque année que les bébés viennent au monde avec un système de retraite équilibré pour les quatre-vingt-quinze prochaines années. Et on joint un ajustement glissant d’« équilibre automatique » de convention bilatérale de Sécurité sociale, annoncée pour début 2004. A la différence de la France, cependant, la répartition au Japon n’exclut pas la constitution de réserves : celles-ci excèdent 1 000 milliards d’euros, soit d’un tiers à la moitié. Ce qui rebondit sur le débat fiscal… Mais c’est l’expérience pratique de la réforme qui distingue le mieux l’Archipel de l’Hexagone. Réussir la première grande réforme des retraites en France est un exploit ; au Japon, celle-ci est per- manente. La révision est quinquennale : même dans l’Archipel, il faut bien cinq ans pour concocter, négocier, rédiger, faire voter et mettre en place une réforme des retraites. La mouture 2004 introduit une rupture conceptuelle importante. Jusqu’à la réforme de 1999 comprise, l’objectif était de maintenir le montant des réserves. Quand on ne pouvait plus augmenter le taux de cotisation, on réduisait les prestations par les leviers classiques : allongement de la durée de cotisation et augmentation de l’âge de départ, avec retraite à taux plein. Mais le dogme du maintien des réserves vient de tomber car on ne peut impunément leur sacrifier les prestations. Entrent alors en scène les « bébés Yamazaki », du nom de Nobuhiko Yamazaki, leur concepteur – intellectuel –, appartenant à l’équipe des actuaires du ministère des affaires sociales. L’idée est simple : on s’assure pour chaque année que les bébés viennent au monde avec un système de retraite équilibré pour les quatre-vingt-quinze prochaines années. Et on joint un ajustement glissant d’« équilibre automatique » qui, chaque année, recalcule l’équilibre nécessaire pour les quatre-vingt-quinze prochaines années. On ajuste, alors, en fonction de paramètres constatés tels que la natalité, la mortalité et la survie, l’évolution des salaires pour l’assiette et des prix pour la prestation, modulant l’évolution démographique et la croissance économique. Si nécessaire, on puise dans les réserves : en quatrevingt-quinze ans, celles-ci devraient passer de cinq ans à une année de prestations, tout en maintenant une hausse très progressive des cotisations, qui, à 13,58 % actuellement, seront à 20 % en… 2099 ! Si cet « équilibre automatique » ne pouvait plus garantir l’avenir des retraites, l’ensemble du système sera remis en cause et un nouveau paradigme sera construit. Sans geindre sur le « vieillissement de la population », ni parier sur la « croissance miracle », le Japon introduit avec créativité et pragmatisme un système lucide et flexible. Jean-François Estienne, Président de l’Association franco-japonaise pour l’étude des retraites LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003/III DOSSIER Masaru Kaneko, professeur d’économie à l’université Keio de Tokyo « Le gouvernement protège les banquiers, en cachant l’ampleur des mauvaises créances » MASARU KANAKO f Spécialiste des finances publiques, Masaru Kanako, né en 1952, est professeur d'économie à l'université Keio à Tokyo. f Connu comme un critique de la politique du gouvernement de Junichiro Koizumi, il est l'auteur de plusieurs ouvrages récents à succès : Antiglobalisation, la stagnation à long terme (tiré à 75 000 exemplaires) et La Grande Transformation économique, (publié en octobre et déjà vendu à 35 000 exemplaires), non disponibles en France. Même si l’archipel nippon connaît une reprise conjoncturelle qui se traduit par l’amélioration des résultats de quelques grandes entreprises et de meilleures performances à l’exportation, rien n’a fondamentalement changé dans la situation économique japonaise. Comment expliquezvous, alors, le regain d’intérêt actuel des investisseurs étrangers pour le pays ? En réalité, tout dépend de l’analyse à court terme, ou à long terme, qui est faite de la situation. Si on se place dans le long terme, les pays avancés sont entrés dans une période de chute de la croissance depuis les crises pétrolières du début des années 1970. Cette baisse se conjugue à une libéralisation du secteur financier qui incite les capitaux excédentaires à chercher des profits rapides (Bourses, bons d’Etat, immobilier…). La volatilité des marchés s’explique par ces déplacements de fonds et par la bulle économique américaine. De crise financière en crise financière, l’économie américaine chevauche les « bulles » et leur éclatement grâ- ce au jeu habile du président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, sur les taux d’intérêt. Les Etats-Unis ayant asséché les autres marchés, nous assistons à un retour des investisseurs vers le Japon qui entraîne un rebond de la Bourse. Pour autant, tout optimisme sur la santé de l’économie japonaise me paraît prématuré. A court terme, la reprise actuelle est favorisée par l’essor du marché chinois et le rebond américain. Mais cette éclaircie risque d’être éphémère : l’euphorie actuelle pourrait disparaître dès l’année prochaine. Les Etats-Unis pratiquent, en effet, une politique de double déficit, commercial et budgétaire. Cette situation risque de forcer l’administration Bush à une dévalorisation abrupte du dollar qui mettra l’économie japonaise en grave difficulté. Outre les effets négatifs sur les exportations à destination des EtatsUnis, la baisse du billet vert entraînera celle du yuan chinois (les deux monnaies sont liées) qui pèsera, à son tour, sur les exportations japonaises sur le continent. L’embellie conjoncturelle que connaît le Japon est dépendante de l’étranger et les problèmes internes de l’économie ne sont pas résolus pour autant. Le gouvernement de Junichiro Koizumi essaye néanmoins de remédier aux problèmes des mauvaises créances des banques qui « plombent » toute reprise durable… Il existe, à l’étranger, un grand malentendu sur la politique financière du cabinet Koizumi et de son ministre de l’économie et des services financiers, Heizo Takenaka. Il ne fait guère de doute que l’apurement des mauvaises créances des banques est essentiel. Mais la politique actuelle manque de cohérence et de transparence. Beaucoup d’éléments sont délibérément cachés par les autorités financières. En mai, par exemple, le gouvernement a décidé d’injecter 2 000 milliards de yens (15,7 milliards d’euros) pour recapitaliser la banque Resona. Pourquoi Resona alors que Mitsui Trust est dans une situation bien pire ? Et pourquoi un montant aussi colossal ? Vraisemblablement – mais cela n’a pas été dit – parce que l’évaluation de la situation comptable de Resona réalisée deux mois auparavant par les autorités financières avait été largement sousestimée. La politique financière menée montre que le gouvernement cherche à protéger les dirigeants des banques, en cachant l’ampleur des mauvaises créances. D’un côté, il sauve des banques en les nationalisant de facto par des injections de fonds publics (comme dans le cas de Resona) et, de l’autre, il annonce son intention de privatiser les postes, c’est-à-dire l’énorme « pactole » de l’épargne postale. C’est un peu contradictoire. Le Japon s’engage-t-il sur la voie du néolibéralisme prônée par les Anglo-Saxons ? Depuis les années 1980, les économistes formés aux Etats-Unis dominent la scène, au Japon comme en Corée du Sud. Leur qualité est jugée au nombre d’articles qu’ils publient dans les revues américaines. Les thèses néolibérales ont été importées ici sans le moindre esprit critique – en particulier par l’actuelle équipe au pouvoir –, et encensées simplement parce qu’elles étaient d’origine américaine. La solution miracle à tous les problèmes est la privatisation. Par exemple celle des régies des autoroutes, l’un des chevaux de bataille du cabinet de Junichiro Koizumi. Il vaudrait mieux, à mon sens, examiner les mécanismes de corruption qui ont conduit à leur énorme déficit et y remédier plutôt que de les privatiser. La crise que traverse le Japon depuis plus d’une décennie a eu pour effets d’aggraver les inégalités sociales. Qu’en pensez-vous ? Les inégalités sociales sont la conséquence la plus préoccupante de la crise actuelle. Mais c’est aussi une question qui est largement passée sous silence : 20 % des ménages n’ont aucune épargne, il y a 3,3 millions de chômeurs, 2 millions de travailleurs précaires âgés de 15 à 20 ans et, si on ajoute à ce chiffre les femmes, on arrive à plus de 10 millions de travailleurs précarisés ! Plus encore que la question de l’écart des revenus, c’est celle des inégalités croissantes entre les tranches d’âge, les sexes et l’éducation qui est grave. Il apparaît au Japon une fragmentation sociale qui fait que les intérêts individuels ne parviennent plus à converger vers des revendications communes. Le rôle des corps intermédiaires (syndicats, coopératives, associations, etc.) s’amenuise, tandis que les médias présentent une image schématisée de la réalité, réduite à quelques dichotomies simplifiées. Les classes moyennes sont sur la défensive et ce sentiment d’inquiétude se diffuse, nourrissant un « petit nationalisme » qui est à l’origine de réactions émotionnelles. « Le problème actuel de l’Archipel est qu’il ne parvient pas à concilier le marché et une forme de social-démocratie. Cet écartèlement est à l’origine des fortes tensions qui traversent aussi bien la majorité libéraledémocrate que l’opposition démocrate » Le néolibéralisme au Japon est une combinaison du culte du « tout-marché » et de la « diplomatie des faucons », qui dans les deux cas emboîtent le pas aux néoconservateurs américains. Le problème actuel du Japon est qu’il ne parvient pas à concilier le marché et une forme de socialdémocratie. Cet écartèlement est à l’origine des fortes tensions qui traversent aussi bien la majorité libérale-démocrate que l’opposition démocrate. Prenez l’exemple de l’enlèvement de Japonais par la Corée du Nord. L’opinion applaudit au durcissement de l’attitude du gouvernement vis-à-vis de Pyongyang ou lorsque tombent des têtes de bureaucrates. Mais personne ne propose une véritable politique de rechange tenant compte de la crise sociale et fondée sur un projet de bien-être social. Propos recueillis par Philippe Pons Menaces sur la « société de bien-être à la japonaise » l’état n’est pas prêt à développer une politique sociale cohérente S i l’on veut prendre la mesure des menaces qui pèsent sur les mécanismes de solidarité et de protection sociale japonais, il est nécessaire de revenir sur une idée reçue selon laquelle la politique industrielle menée avec succès par l’Etat japonais ne fut pas contrebalancée par une politique sociale digne de ce nom. Si la crise financière se double de sérieux doutes sur la viabilité du système de développement économique du pays, c’est parce qu’un certain type de politique sociale est aujourd’hui remis en cause. Cette politique sociale, le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir l’avait élaborée dès 1979, avec la formule de « société de bien-être à la japonaise ». En utilisant le terme de « société de bien-être », il évitait de parler d’« Etat providence » et, en précisant « à la japonaise », le pays affirmait qu’il ne voulait pas suivre le chemin de la social-démocratie européenne. La priorité fut donnée à la solidarité au sein de la famille et de l’entreprise. Pour compenser les insuffisances de cette solidarité communautaire, le citoyen a été invité à s’en remettre aux assurances privées, la protection sociale publique n’étant pensée que comme un recours ultime. La tentation est grande de voir dans cette insistance sur la solidarité communautaire soit l’expression d’un simple conservatisme social soit le résultat du poids politique des organisations patronales, soucieuses de contenir le niveau des prélèvements obligatoires. Elle reflète un compromis social ancien qui est remis en cause sans qu’une solution de rechange n’apparaisse. Dès les années 1920, les élites commencèrent à promouvoir l’idéologie du « familialisme » dans l’entreprise qui offrait un mode d’intégration sociale fondée sur les corps intermédiaires, à savoir l’entreprise et la famille. Ce mode d’intégration se révéla être une réponse viable et de long terme à la question sociale et un fondement solide pour le développement économique du pays, en répondant à des besoins essentiels des acteurs de la société industrielle. Ainsi, pour les entreprises, l’élaboration de systèmes de rémunération et de promotion récompensant l’engagement à long terme du salarié permit de créer des liens de dépendance qui se trouvèrent être un mode de rationalisation du travail particulièrement efficace. Pour le travailleur, elle offrait une certaine sécurité financière et un statut respectable dans la société. Jusqu’à ces dernières années, l’Etat favorisa ce mode d’intégration sociale afin de compenser les insuffisances d’un filet de sécurité sociale public qui n’a jamais atteint les niveaux européens, tout en cherchant à garantir le plein emploi par des investissements massifs dans les travaux publics, des incitations financières à l’embauche et au maintien de l’emploi, conjugué à une protection des petites et moyennes entreprises (PME). A partir des années 1950, l’urbanisation et la quasi-disparition en ville de la famille de trois générations, conjuguées au recul de la norme de la femme au foyer depuis une vingtaine d’années, ont progressivement sapé les bases idéologiques et matérielles de cet édifice. Surtout, depuis l’éclatement de la bulle financière au début des années 1990, les grandes entreprises ont commencé à nourrir des doutes sur la validité de la « gestion à la japonaise » et ont eu tendance à rompre les termes du compromis social, ouvrant une crise, non seulement dans les mécanismes de solidarité, mais plus largement dans les modes d’intégration sociale. Aujourd’hui, l’Etat ne semble pas avoir une politique cohérente et à la hauteur des enjeux de ce qu’il faut bien appeler une « nouvelle question sociale ». L’importance des déficits publics, le vieillissement de la population et l’effondrement de l’opposition socialiste dissuadent le gouvernement d’aller plus loin dans le développement d’un Etat providence, destiné à prendre le relais de corps intermédiaires déficients. En s’en remettant à une politique de dérégulation et en voulant augmenter la part des assurances privées et des fonds de pension, le premier ministre Junichiro Koizumi affirme sa foi en un marché autorégulateur. Dans le même temps, il donne des gages aux politiciens qui, soucieux de maintenir leurs réseaux de financement, poussent à un soutien de l’emploi par des subventions et des investissements publics et à un renflouement du système bancaire, qui contribuent à aggraver les déficits des finances publiques et à désorienter encore davantage l’opinion. Bernard Thomann, chercheur à la Maison franco-japonaise et chercheur invité à l’Institut des sciences sociales de l’université de Tokyo CHRONIQUE par Serge Marti Dites 35 ! 17 , dernier jour pour payer la taxe d’habitation, une facture qui s’est alourdie pour les impôts locaux dans l’ensemble de l’Hexagone (+ 2,2 % en moyenne) avec des pics de hausse bien supérieurs dans certains départements tels que le Gers (+ 21 %) ou encore les Alpes-de-Haute-Provence (+ 15 %). La raison de cette envolée ? En partie, bien sûr, le transfert des charges de l’Etat vers les collectivités locales, induit par la décentralisation. Mais Patrick Devedjian, le ministre délégué aux libertés locales, a trouvé une autre explication à laquelle on n’avait pas encore songé. C’est la faute des 35 heures, « responsables, à elles seules, de 45 % de l’augmentation », affirme-t-il dans un entretien au quotidien France-Soir. La responsabilité, selon lui, incombe « aux transferts non financés de l’Etat vers les collectivités locales, effectués sous le gouvernement précédent, et non à la décentralisation, qui n’est pas encore mise en œuvre », assure-t-il. Toujours les 35 heures, pauvre Martine Aubry ! Il y a quelques semaines, au plus fort de la vive offensive lancée par une partie de la majorité parlementaire contre la réduction du temps de travail (RTT), l’essayiste Nicolas Baverez estimait, au détour d’un entretien consacré à son best-seller sur le « déclinisme », à savoir La France qui tombe (Perrin), que la réduction du temps de travail était, en partie, responsable de… l’augmentation de l’alcoolisme et des violences domestiques ! Le propos a été ultérieurement démenti par l’intéressé. En revanche, dans la bouche d’un ancien conseiller spécial d’un ministre ministre délégué, l’accusation, fortement polémique, a une autre signification. C’est le moment – involontaire – choisi par les économistes de la Caisse des dépôts et consignations (CDC-Ixis) pour publier une étude sur le sujet prudemment titrée : « Un essai d’analyse sans a priori des effets des 35 heures en France ». De ce document, il ressort que « les lois de Martine » ont constitué « une politique contracyclique assez puissante » qui a généré la création de quelque 310 000 emplois pour la seule période 1999 à 2001 inclus, « financés par l’argent public » d’une manière « assez coûteuse » puisque le coût d’un emploi créé « est de l’ordre de grandeur du salaire par tête ». Estimant « qu’en aucun cas » le passage aux 35 heures « ne peut avoir provoqué la crise cyclique présente », ce qui n’exclut pas, cependant, un effet « appauvrissant » dans la perspective du vieillissement de la population, les auteurs de l’étude considè- rent qu’il s’agit là d’un mécanisme qui va réduire de 2,5 %, environ, le niveau de production (mais pas la croissance potentielle) à partir de la date de retour du taux de chômage à son niveau d’équilibre. Dans le détail, on relève que la réduction effective du travail en France (de 7,5 % entre le début 1999 et la fin de 2001) a débouché sur « une absence de freinage visible du rapport salaire réel/tête mais sur un accroissement de la productivité horaire de cinq points environ, par rapport à la tendance générale, avec, en parallèle, une réduction de 2,5 points environ de la productivité par tête. Il en résulte que, grâce aux gains de productivité horaire, environ les deux tiers des effets dus à la baisse de la durée du travail ont été compensés par une hausse de la productivité horaire ». Admettant que la RTT est « une politique chère », au même titre que toutes les politiques de soutien de l’emploi par la baisse des charges sociales, les rédacteurs de ce document « sans a priori » concluent sur trois remarques. D’abord, le passage aux 35 heures étant, de fait, une politique « violemment contracyclique de créations d’emploi », il était « adapté aux situations de recul conjoncturel de l’activité » de ces dernières années. Ensuite, que le nombre d’heures travaillées « est devenu beaucoup plus faible en France qu’au Japon et dans les pays anglosaxons », un élément qui vient s’ajouter à un départ à la retraite plus précoce qu’ailleurs dans notre pays. Enfin, pour ce qui est de l’avenir, « le problème avec les 35 heures est leur irréversibilité », admettent-ils, expliquant que « lorsqu’on passe d’une situation de sous-emploi (2001-2004) à celle, escomptée, du plein emploi (à partir de 2008 ?), on voudrait être capable d’accroître l’offre de travail alors que les 35 heures l’ont irrémédiablement réduite ». Une série de constatations, non polémiques, qu’il faudrait exporter en Allemagne, où le débat sur le temps de travail a pris une vigueur particulière ces derniers jours, non seulement entre économistes et personnel politique, mais aussi entre les industriels favorables à une réduction destinée à préserver l’emploi (c’est le cas du constructeur automobile Opel, qui est passé aux 30 heures) et la majorité des chefs d’entreprise qui, au contraire, voudraient l’allonger jusqu’à 43 ou 45 heures par semaine. Un détail : personne n’a pensé à interroger Martine sur le sujet. IV/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003 BOUSSOLE europe LES INDICATEURS ÉCONOMIQUES INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT UE 15 Production industrielle FORTE RÉDUCTION DE LA FLOTTE DE PÊCHE DE L'UNION Nombre de bateaux en 2002 et évolution par rapport à 1997 (en %) ESPAGNE FRANCE ITALIE PAYS-BAS ROY.-UNI – 0,1 0,1 – 1,2 – 4,0 0,4 – 1,9 1,7 – 0,7 – 1,3 n. d. n. d. – 0,4 – 2,1 – 1,7 – 0,7 – 0,9 0,1 3,5 – 0,9 n. d. n. d. 1,9* 2,1* 1,1 1,7 3,0 2,3* 3,0* 2,2* 1,4 2,3 – 0,5 0,3* 0,3* – 0,2 0,2 0,2 0,5* 0,8* n. d. 0,3 0,3 0,0 0,5 0,0 0,2 – 0,1 – 0,2 – 0,1 0,8 – 0,1 2,3 0,7 – 0,3 – 0,3 0,4 – 0,1 – 1,2 – 0,6 2,0 0,6 2,5 0,8 3,0 1,0 – 1,9 – 2,2 – 3,5 0,1 0,1 – 3,1 – 2,3 – 1,6 – 1,5 – 3,2** – 8,0** 62,3 69 60,8 105,8 53,8 59 106,7 52,4 38,5 60,3** 141,9** (juillet 03) (juillet 03) (juillet 03) (juin 03) 1,3 6,5 – 3,7 1,6 2,7 2,4 – 5,0 0,8 0,0 – 1,5 – 0,4 1,2 PIB en volume (2e trimestre 2003, en %) : sur un an -12 130 -10 932 1 448 +12 (août) Solde budgétaire (en %) 2002 Dette publique/PIB (en %) a L'IRLANDE se distingue des Etats membres de l'UE, en enregistrant une augmentation de la dimension de sa flotte au cours de la période tant en nombre de bâtiments (+ 12 %) qu’en puissance (+ 8 %). pays en transition Solde commercial extracommunautaire (en milliards d'euros, août 2003) 0,4 Investissement (FBCF) sur trois mois – 0,1 – 0,2 0,2 2,7 (T2/03) Pouvoir d'achat des ménages Commerce extérieur 10 (en millions d'euros) Contribution des fondations à la recherche, en pourcentage du PIB n po Ja 0,8 % 0,9 % (T2/03) (T2/03 - T3/02) 756 – 12,1 % – 29 – 12 (août 03) Enquête mensuelle sur le moral des ménages * (oct. 03) 99 00 01 02 03 a LA CROISSANCE DES PAYS DE L’EST, futurs membres de l’Union européenne (UE), ne souffre pas trop du ralentissement en Europe de l’Ouest : le produit intérieur brut (PIB) devrait augmenter en moyenne de 3,5 % en 2003 et en 2004. Ce dynamisme s’explique, outre le maintien de la demande intérieure, par la vigueur des exportations. a LES EXPORTATIONS se font pour les deux tiers à destination de l’UE. Mais le retour des flux internes à la zone (13 % du total aujourd’hui) est un bon signe pour la région, qui a su également, depuis un an, tirer parti de la reprise aux Etats-Unis – presque 5 % des exportations (CDC-Ixis). Le baromètre allemand ZEW, qui mesure les prévisions de conjoncture à horizon de six mois dans le secteur financier, a fortement rebondi en novembre, à son plus haut niveau depuis juillet 2002. L’indice a augmenté de 6,9 points, à 67,2 points. Une progression plus importante que prévu par les analystes, qui tablaient sur une avancée de 4,7 points, à 65 points, selon une étude publiée par la banque UBS. L’optimisme retrouvé du secteur financier « est nourri surtout par l’ampleur surprenante de la progression des entrées de commandes industrielles en septembre », après deux mois de stagnation, a commenté l’institut de conjoncture dans un communiqué. « Le récent rebond des marchés boursiers et un euro affaibli » ont également dopé l’indice, poursuit le ZEW. La hausse du baromètre de conjoncture semble confirmer le redémarrage de l’économie allemande, qui devrait avoir enregistré à nouveau une légère croissance de juillet à fin septembre. – 37 % (entre avril 03 et oct. 03) + 5,9 %** 26 635 Source : ministère de la recherche a DANS DE NOMBREUX PAYS, la recherche, et en particulier la recherche médicale, canalise des fonds privés de particuliers ou d’entreprises par le biais de fondations. (sept. 03) Défaillances d'entreprises + 2,4 %** 2 949 par date de publication (mai 03) *Solde de réponses, CVS, en % ** en glissement Source : Insee, Douanes a EN FRANCE, l’Institut Pasteur, l’Institut Curie ou l’Association française contre les myopathies (AFM) suivent ce modèle, mais cette forme juridique est encore peu développée. La loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations étend les avantages fiscaux des fondations et de leurs donateurs, tandis qu’un « statut type » de « fondation à caractère scientifique » ou de « fondation de recherche » est créé. L’Inde renoue avec une croissance record L ’échec de la cinquième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tenue à Cancun (Mexique) en septembre, a flatté le sentiment national indien. Depuis la précédente conférence de Doha (Qatar), en 2001, New Delhi avait clairement choisi de sortir de son habituel isolement. C’est donc logiquement qu’à Cancun elle s’est retrouvée parmi le groupe des 21 – composé du Brésil, de la Chine, de l’Afrique du Sud, et de dix-sept autres pays –, pour dénoncer les subventions aux agriculteurs de l’Union européenne (UE) et des Etats-Unis, et s’opposer aux « questions de Singapour » portant sur les investissements, la politique de la concurrence, la facilitation des échanges et la transparence des marchés publics. En jouant la carte de la rupture à Cancun, l’Inde a signifié qu’elle préférait un échec momentané à un mauvais compromis. Pourtant, à long terme, le pays entend moins affaiblir l’institution genevoise que d’y modifier les rapports de force. Mettre en cause les négociations commerciales en cours ne l’empê- 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 du milieu des années 1990. 38 L’inflation, de l’ordre de 4 % 39 en 2003, demeure maîtrisée et les40réserves de devises atteignent près 41 de 90 milliards de dollars pour un 42 revenu national qui a franchi la 43 barre des 500 milliards de dollars. Après des 44 années de sécheresse, 45 la bonne mousson de 2003 devrait46relancer fortement la production47 agricole, tirant elle-même la production 48 49 50 UNE PUISSANCE COMMERCIALE DE PLUS EN PLUS AFFIRMÉE Volume des exportations, en milliards de dollars 571 8 6 5 4,9 4 461 7 7 593 Evolution annuelle du PIB, en pourcentage 399 che pas, dans le même temps, de 1 chercher à attirer les investisse2 ments étrangers. En visite 3 officielle en France, début novembre, le 4 ministre du commerce et de5l’industrie, Arun Jaitley – très en pointe de 6 la fronde à Cancun –, a vanté aux 7 industriels français les atouts de 8 son pays : croissance, confiance, 9 réformes, opportunités. 10 Alors que les échéances11 électorales se rapprochent, le plébiscite des 12 investisseurs étrangers représente 13 un enjeu essentiel pour la croissance 14 et l’emploi. Début décembre, 15 quatre Etats de l’Union indienne16 iront aux urnes, et 2004 verra les17 élections générales, au terme du mandat du 18 gouvernement d’Atal Bihari 19 Vajpayee. Pour quel bilan ? 20 Côté croissance, les indicateurs 21 sont positifs. Après le ralentisse22 ment enregistré ces 23 dernières années, le pays s’apprête,24 avec une croissance de l’ordre de 25 7 % cette année selon les dernières 26 prévisions, à renouer avec ses 27records 412 le pays s’intègre à son rythme, à l’économie mondiale et attire les investisseurs 386 c’est la hausse, en points, du baromètre conjoncturel zew en allemagne, en novembre Créations d'entreprises – 21 (oct. 03) 384 + 6,9 Opinion des chefs d'entreprise sur les perspectives générales de production 293 UN CHIFFRE Enquête mensuelle dans l'industrie * 257 Source : FMI 98 e gn ta e r -B de ce n a an r r G F s ni -U s at Et e èd Su 4 97 2,6 0,04 50 1,8 LA FONDATION POUR LA RECHERCHE, UN OUTIL NÉGLIGÉ 0,11 6 3,8 innovation 8 55 (avril 03) 43,5 0,16 12 – 0,5 % (T2/03 - T3/02) 16 % Taux d'épargne 14 60 + 3,9 % (sept. 03) 70 65 Variation sur un an + 3,4 % Consommation des ménages Exportations en milliards de dollars (échelle de droite) 16 (avril 03) (juillet 03) * provisoire, **estimations Dernier mois connu 75 (juillet 03) (1er trimestre 2003) (2e trimestre 2003, en % ) : LES INDICATEURS FRANÇAIS LES PAYS DE L'EST COMMERCENT DAVANTAGE ENTRE EUX Part de l'UE, en % (échelle de gauche) 14,2 0,10 a LA GRÈCE compte le plus grand nombre de bâtiments de pêche (19 747), mais, en termes de puissance (calculée en kilowatt), ce sont l'Italie (1,3 million de KW), l'Espagne (1,3 million) et la France (1,1 million) qui viennent en tête. Le nombre de bateaux a le plus chuté en Suède, puis en Espagne, au Danemark et en Italie. L'Italie, l'Espagne et la Finlande ont enregistré les diminutions les plus notables en termes de puissance (– 15 % chacun). 2002 0,24 a EN 2002, on dénombrait 91 000 bateaux de pêche dans les Etats membres de l’Union européenne (UE), soit 11 % de moins que les 102 000 bateaux recensés en 1997. 96 JAPON – 0,4 sur trois mois Source : Eurostat 95 É.U. sur un mois sur un mois 1 820 -20 -4 2 247 3 571 3 874 7 379 BELG. (août 2003, en %) : sur un an (septembre 2003, en %) : sur un an ne e as ag e de -B iqu m le uèd rlan ays elg l A S B I P -10 -15 -13 -8 8 088 -8 10 427 ALL. Prix à la consommation i Un e- ark e l a um m nd ce ug rt ran oya ane inla o F P R D F -17 14 887 16 045 19 747 -4 -15 ne ag ce lie p è Es It a Gr EURO 12 4,4 3 94 96 98 Source : Banque mondiale 00 02 03* 94 95 96 97 98 99 00 01 02 * prévisions industrielle, tandis que les services – industries du logiciel, délocalisations de services informatisés de multinationales – poursuivent leur montée en puissance. Les investissements étrangers sont aussi à la hausse : longtemps voisins de 2 milliards l’an, ils étaient de 4 milliards Après des années de sécheresse, la bonne mousson de 2003 devrait relancer fortement la production agricole, tirant elle-même la production industrielle… en 2002 (6 milliards avec les investissements de portefeuille). Reste à confirmer les prévisions dans la durée. Deux points restent inquiétants. D’une part, la dette publique totale équivaut au produit national brut (PNB), et les déficits publics s’aggravent. En corollaire, les investissements publics continuent de baisser, malgré de grands équipements routiers en cours. En dépit des avancées mises en lumière par les autorités, nombre d’analystes indiens et étrangers soulignent les lenteurs des « réformes de seconde génération », les plus sensibles politiquement. Les privatisations (partielles le plus souvent) ont rapporté 3 milliards de dollars depuis 2000, avec en tête les cessions de VSNL (télécoms), Maruti (automobile), IPCL (produits pétroliers), Balco (aluminium). Les critiques soulignent moins les opérations conclues que les atermoiements ou les obstacles dans la poursuite du processus. Ainsi, la décision de la Cour suprême de renvoyer devant le Parlement les privatisations des sociétés Hindustan Petroleum et Bharat Petroleum, pourrait bien bloquer toute nouvelle avancée. Il n’existe, en effet, aucun consensus sur les privatisations, pas même au sein de la coalition au pouvoir, dominée par le Parti du peuple indien du premier ministre Atal Bihari Vajpayee. En fait, la reprise de la croissance indienne illustre les limites du libé- ralisme que prône le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’Inde en souhaitant confiner le rôle du gouvernement à deux tâches essentielles : une bonne politique fiscale et la modernisation des infrastructures de base, comptant pour le reste sur les investisseurs privés, étrangers inclus. C’est omettre que, dans un régime démocratique, les logiques économiques doivent s’accommoder d’impératifs politiques voire électoralistes. Contre l’option ultralibérale, jugée socialement trop risquée, le gouvernement choisit une voie moyenne. Il repousse à plus tard la réforme du droit du travail et rejette l’élargissement de l’assiette de l’impôt, tout en soulignant certaines avancées structurelles : baisse de la pauvreté (de 36 % à 28 % en dix ans), hausse tendancielle du revenu national, hausse de la production industrielle (+ 67 % en neuf ans), ouverture accrue à l’économie mondiale, nouvelle confiance face à la Chine. Contre les analystes qui ne jugent le pays qu’au crible de critères comme les privatisations ou les investissements étrangers, mais aussi contre les opposants altermondialistes, qui animeront le Forum social mondial de Bombay en janvier 2004, le gouvernement indien avance à son rythme. Les électeurs en jugeront bientôt. Il n’est pas sûr qu’une autre coalition politique bouleverse vraiment une stratégie qui, depuis 1991, combine changements irréversibles et prudence politique. Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS, centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003/V FOCUS Les multiples raisons qui incitent les Français à grossir leur bas de laine en hausse de deux points depuis le début de l’année, le taux d’épargne des ménages a atteint 17 % DES COMPARAISONS TROMPEUSES Taux d'épargne des ménages, en % du revenu disponible brut (RDB) Etats-Unis (net) L Allemagne (net) 20 16 12 8 4 0 1980 82 a France va mal, la France tombe », lançait il y a quelques jours, dans le quotidien Les Echos, l’ancien ministre de l’économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn. « Le gouvernement ponctionne les classes moyennes qui consomment, pour redistribuer aux contribuables aisés, qui ont tendance à davantage épargner. Résultat mécanique : la consommation baisse en France, pour la première fois depuis plus de dix ans, et le taux d’épargne s’élève à des niveaux jamais atteints depuis 1974. » Rapporté au revenu disponible brut, le taux d’épargne des Français s’établit juste au-dessus de 17 %, ce qui le situerait parmi les plus élevés des grands pays industrialisés. Il ne faudrait pas chercher plus loin l’origine des maux de l’économie française et de ses contre-performances en matière de croissance : déficit de consommation et excédent d’épargne. Les Français seraient trop fourmis et pas assez cigales. Le contraire des Américains. Sauf que ce taux de 17 %, et plus encore sa comparaison avec celui d’autres grandes nations, doit être, selon les économistes, considéré avec prudence. Comme le notent les experts de l’Insee dans une étude consacrée au taux d’épargne des ménages français, « les chiffres officiels, publiés directement par les instituts nationaux de statistique, font apparaître une très forte hétéro- France (brut) 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 Source : Datastream, Insee comptes trimestriels, CDC Ixis généité des taux d’épargne entre pays. Toutefois, une analyse approfondie de la mesure du taux d’épargne montre que la lecture n’est pas simple. D’une part, plusieurs mesures coexistent, d’autre part, elles peuvent être fortement conditionnées par les règles institutionnelles des pays ». C’est le taux d’épargne brute qui fait référence en France, mais c’est le taux d’épargne nette (c’est-à-dire diminuée de l’amortissement du capital fixe des ménages) qui est retenu aux Etats-Unis ou en Allemagne. La façon dont on intègre ou pas les dépenses de protection sociale au revenu disponible induit, aussi, d’importantes différences. « Si les transferts sociaux en nature sont inclus dans le revenu, rappelle l’Insee, celui-ci est plus élevé mais l’épargne reste inchangée car la consommation des ménages est également augmentée des mêmes montants : le taux d’épargne est donc révisé à la baisse. » Patrick Artus, chef économiste chez CDC-Ixis, estime pour sa part qu’il y a « un biais statistique qui réduit la mesure du taux d’épargne des ménages dans les pays où une partie importante des dépenses de santé et d’éducation est privée et réellement à la charge des ménages ». Au total, selon l’Insee, « en adoptant une mesure unique, commune à tous les pays et retenue pour être la plus robuste, le taux français occuperait une position médiane au sein du groupe des grands pays industrialisés ». En 2001, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux d’épargne des ménages français s’inscrivait à 11,4 %, un niveau nettement supérieur à celui des Etats-Unis (2,3 %), mais comparable à celui de la plupart des autres pays européens (10,1 % en Allemagne, 11,2 % aux Pays-Bas). Par conséquent, il n’y aurait pas, en matière d’épargne, d’exception française, et donc d’inquiétude particulière à avoir sur son niveau général. En revanche, son évolution récente – avec près de deux points de hausse depuis le début de l’année – serait plus préoccupante. Pour expliquer cette progression, plusieurs pistes sont évoquées. La première est celle de la détérioration de la situation économique, notamment sur le front de l’emploi. Celle-ci inciterait les ménages à augmenter leur épargne de précaution. « La confiance des ménages s’est effondrée au premier semestre, soulignent les économistes du Crédit commercial de France (CCF). Elle reste affaiblie par la mauvaise santé du marché du travail. » Ce phénomène serait d’autant plus fort que le chômage aurait commencé à toucher des catégories plus aisées, dont la capacité d’épargne est plus grande. S’ajouterait à cela le manque de lisibilité de la politique économi- que gouvernementale, notamment en matière fiscale. « Les signaux envoyés par le gouvernement sont contradictoires », explique-t-on au CCF. Conjointement aux baisses d’impôts, une augmentation de certaines taxes (tabac, essence) est annoncée. Ce brouillage peut retarder le retour de la confiance, indispensable pour un rebond de la consommation. Le maintien d’une épargne de précaution élevée risque d’être privilégié, d’autant que les incertitudes structurelles (retraites, financement des déficits) n’ont pas disparu. L’analyse est à peu près la même à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui évoque une « France emmêlée » et souligne « la faible confiance des ménages, un marché du travail dégradé et des politiques restrictives et confuses ». « Il n’est pas sûr que la politique fiscale de diminution d’impôts sur le revenu redonne confiance aux ménages et les incite à consommer, insiste l’OFCE. La baisse de 3 % sur le revenu va profiter surtout aux ménages les plus aisés qui, comme en 2002, l’utiliseront majoritairement pour gonfler leur épargne. » Le maintien d’un niveau d’inflation relativement élevé (+ 2,2 % en septembre) – et surtout le sentiment vécu par les ménages d’une progression des prix bien plus rapide encore, en raison notamment du passage à l’euro – contribuerait à la remontée du taux d’épargne. « Une inflation forte pousse à épargner davantage pour compenser la perte de valeur réelle des actifs détenus non indexés sur l’inflation », rappelle M. Artus. Enfin, des économistes évoquent l’effet d’« équivalence ricardienne » : les dérapages budgétaires et le non-respect par la France du Pacte de stabilité inciteraient les ménages à augmenter leur épargne en prévision de la hausse future des impôts destinée à éponger les déficits actuels. Même si elles sont difficiles à évaluer précisément, les raisons d’épargner ne manqueraient pas. Pierre-Antoine Delhommais L’économie de Fidji au beau fixe… pour l’instant le tourisme est aujourd’hui le premier pourvoyeur de devises, avec 285 millions d’euros en 2002 L SUVA (Fidji) de notre envoyé spécial es grues encombrent à nouveau le ciel de Suva, la capitale de Fidji. « En deux ans, le visage de la ville a changé, explique un diplomate. On voit des bureaux, des résidences et des commerces apparaître ici et là. Un centre commercial va bientôt ouvrir ses portes. » Le nombre de permis de construire a augmenté de 29 % entre 2001 et 2002. Ce boom immobilier s’explique en partie par l’essor du tourisme. La première pierre d’un hôtel Four Seasons de 800 chambres devrait être prochainement posée. Le nombre de visiteurs étrangers devrait approcher cette année le record enregistré en 1999. « Le coup d’Etat de mai 2000 a stoppé net l’arrivée de touristes, se souvient Patrick-Antoine Decloitre, un Français qui diffuse sur Internet un bulletin quotidien d’information intitulé Flash d’Océanie. Mais les Fidjiens se sont mis au boulot et ont remonté la pente. » Le tourisme est aujourd’hui le premier pourvoyeur de devises, avec 285 millions d’euros en 2002 contre 190 millions huit ans plus tôt. Australiens et Néo-Zélandais viennent toujours en masse dans ce superbe pays perdu au milieu du Pacifique sud, où les habitants sont parmi les plus accueillants de la planète, mais le nombre de visiteurs asiatiques, américains et européens est également en hausse constante. Tirée par l’immobilier et le tourisme, la croissance du produit intérieur brut (PIB) devrait atteindre cette année 5,1 %, et près de 4 % ces deux prochaines années. Des chiffres à faire pâlir d’envie de nombreux pays européens… « Le pays est parti de tellement bas après le coup d’Etat qu’il ne lui était pas bien difficile de vite décoller », souligne Philippe Liege, conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Suva. Parce que le coup d’Etat visait à écarter du pouvoir le premier ministre d’origine indienne Mahendra Chaudhry, la plupart des membres de cette « minorité », qui représente en fait 40 % des 830 000 habitants du pays, ont longtemps refusé d’investir par peur de se voir une nouvelle fois menacés d’expulsion. « Les coffres des banques débordent de liquidités, déclare Amraiya Naidu, l’ambassadeur itinérant du premier ministre, Laisenia Qarase. Mais l’amélioration du climat politique a ramené la confiance et commence à débloquer l’investissement. » La bonne santé de l’économie fidjienne s’explique également par la croissance des transferts de fonds d’émigrés partis nombreux tenter leur chance à l’étranger : 110 millions d’euros en 2003, quatre fois plus qu’en 1994. Une grande partie de cette somme est versée par des militaires en mission sous le casque bleu de l’Organisation des Nations unies (ONU), et par les joueurs de rugby recrutés en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe. Mais plusieurs écueils menacent la bonne santé de l’économie fidjienne. Pour éponger son déficit budgétaire, l’Etat a emprunté 470 millions d’euros au Fonds de pension national auquel les salariés sont obligés de cotiser, le Fiji National Provident Fund. « Il sera incapable de rembourser ses obligations lorsqu’elles viendront à échéance d’ici cinq à huit ans », prévient un professeur de l’Université du Pacifique sud (USP). Par ailleurs, les entreprises étrangères restent réticentes à investir dans ce pays politiquement instable. « Les investissements étrangers ne représentent même pas 10 % du PIB », relève un diplomate en poste à Suva. L’attitude assez « désinvolte » de nombreux salariés effraie aussi les employeurs potentiels. « Un de mes amis dirige une société de 200 employés qui fabrique des chaussures, raconte Philippe Liege. Chaque semaine, la moitié d’entre eux disparaissent dans la nature après avoir touché leur salaire hebdomadaire, et reviennent après avoir tout dépensé. Reste que, tous les lundis, il faut recruter cent nouveaux salariés ! » L’industrie textile traverse également une période difficile après plusieurs années d’embellie qui ont vu son chiffre d’affaires passer de 77 à 133 millions d’euros entre 1994 et 2002. « L’Etat a attiré beaucoup de sociétés étrangères en leur promettant de ne pas payer d’impôt pendant treize ans, explique Joni Madraiwiwi, un des plus grands avocats de Suva. Cet abattement atteint aujourd’hui son terme, et de plus en plus d’usines ferment leurs portes. » La crise de l’industrie sucrière reste toutefois le plus grave danger qui menace le développement du pays. Près d’un quart de la population vit de la culture de la canne à sucre, dont la production représente une valeur de 116 millions d’euros en 2003. Or la productivité de cette activité ne cesse de chuter. « Au début des années 1980, nous étions parmi les plus productifs au monde, avec un rendement de 8 tonnes à l’hectare. Ce chiffre est aujourd’hui de 4,9 tonnes…, se lamente Charles Walker, le président du comité de réforme sur le sucre mis en place par le gouvernement. Les planteurs reçoivent de l’Union européenne des subventions en fonction du poids de canne produit, et non pas de sa teneur en sucre. Ils ne cherchent donc pas à cultiver des plantes de bonne qualité. » Ce système, qui coûte 1 million d’euros par semaine à Bruxelles, devrait prendre fin en 2007. « D’ici là, nous devons absolument devenir compétitifs », prévient M. Walker. Un objectif qui sera difficile à remplir sans une réforme du droit foncier. La terre appartient en effet aux Fidjiens de souche, qui louent leurs champs à des planteurs presque tous d’origine indienne. Mais une majorité des baux ne sont pas renouvelés, les propriétaires préférant laisser leurs terres en friche. Le poids du sucre dans l’économie ne cesse ainsi de chuter. La volonté du gouvernement de développer le cinéma (le tournage d’Anaconda II vient de se terminer sur l’île de Viti Levu) ou le commerce d’acajou (Fidji possède la plus grande forêt de cette essence au monde) ne pourra jamais compenser la disparition de l’industrie sucrière, qui aurait des conséquences sociales catastrophiques. De sombres nuages pourraient bientôt apparaître au-dessus des plages de sable fin… Frédéric Therin HISTOIRE ÉCONOMIQUE par Jacques-Marie Vaslin Trente ans après le choc pétrolier 1973, les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) provoquaient une crise dont, aujourd’hui encore, on a du mal à mesurer les conséquences. La forte hausse du prix du brut, le 16 octobre de cette annéelà, mettait subitement fin à la prospérité des « trente glorieuses ». Ce n’était que le révélateur d’une crise plus profonde. A l’époque, les pays occidentaux connaissent pourtant une croissance soutenue depuis 1945. La France est entrée dans la société de consommation. Le paysage industriel, social et démographique a changé radicalement. Les conditions de vie s’améliorent avec l’aug- te, l’Iran, l’Irak et le Koweït. Ils représentent alors 40 % de la production mondiale d’or noir. L’objectif est de s’affranchir des compagnies étrangères pour contrôler pleinement la rente pétrolière. Les conflits du Moyen-Orient vont permettre à l’Organisation de montrer sa capacité d’action. Le pétrole devient une arme politique. En 1971, le cartel exige et obtient une hausse des royalties. Il renouvelle ses exigences à la suite des dévaluations du dollar de 1971 et de 1973. Mais le sommet sera atteint lors de la guerre du Kippour. Le 6 octobre 1973, les armées égyptiennes et syriennes lancent « Dès 1974, les faillites augmentent de 17 % en France, la production baisse, l’inflation atteint 15 % et le chômage massif fait une brusque apparition. Le choc est aussi psychologique » mentation des revenus et la diffusion des innovations. Chaque foyer se trouve équipé en matériels électroménagers dernier cri. En trente ans, le nombre de voitures circulant sur les routes de France a été multiplié par quinze et demi. Cette croissance, généralisée à tous les pays développés, s’accompagne d’un boom sans précédent de la demande d’énergie. Le charbon cède la place au pétrole, dont la consommation est multipliée par six durant cette période. Les produits dérivés comme le plastique, les engrais et les détergents sont plébiscités. L’industrie et le consommateur deviennent tributaires de l’or noir. La croissance est telle que la production américaine de pétrole, pourtant la première au monde, ne répond plus aux besoins domestiques dès 1948. Du côté de l’offre, le marché est contrôlé par sept multinationales, les « sept sœurs » : BP, Chevron, Esso, Gulf, Mobil, Royal Dutch Shell et Texaco. Dès 1928, elles avaient décidé de figer leur position dans le monde et de maîtriser les prix. Cette entente avait pour but d’éviter les luttes fratricides, ainsi que l’arrivée de nouveaux concurrents. Les majors maintenaient leur contrôle du puits à la pompe. C’est un modèle parfait d’intégration verticale. Jusqu’en octobre 1973, les prix – bas – sont fixés par les compagnies au départ du port de chargement. Les pays producteurs sont délibérément exclus de ce scénario, même s’ils réussissent à obtenir le partage équitable des bénéfices de l’extraction de pétrole en guise de royalties, à partir de 1950. Malgré la forte croissance de la demande, la découverte de nouveaux champs de pétrole permet de stabiliser les prix. Le Nigeria voit ainsi sa production passer de 1 million à 113 millions de tonnes par an entre 1960 et 1974. Alors que la première goutte de pétrole n’est découverte qu’en 1959 en Libye, la production atteint déjà 160 millions de tonnes en 1970. Les exportations de ces nouveaux venus vont compenser la forte hausse de la demande, pour le plus grand bonheur des pays industriels. L’offre s’organise. L’OPEP naît discrètement en 1960 et réunit cinq pays : le Venezuela, l’Arabie saoudi- une attaque surprise contre Israël. Deux jours plus tard, les pays de l’OPEP demandent aux compagnies un doublement du prix du pétrole. Malgré leur refus, les Etats du Golfe imposent cette hausse, dès le 16 octobre. Ils seront suivis par l’ensemble des pays producteurs d’or noir. On assiste, alors, à un renversement de situation : les pays pétroliers sont désormais en mesure d’imposer leur prix. Le bras de fer tourne à leur avantage. L’OPEP maîtrise une arme qui s’avère être redoutable. Le temps béni du pétrole bon marché a rendu les pays occidentaux fortement dépendants de cette source d’énergie. La fin du conflit armé le 26 octobre 1973 ne signifie pas pour autant un retour à la situation antérieure. Si l’embargo décrété envers les pays qui soutiennent Israël ne dure que quelques semaines, l’OPEP profite de la situation pour doubler à nouveau le prix du pétrole le 23 décembre. En deux mois, l’or noir est passé de 3 à 12 dollars le baril. Les pays industriels découvrent alors que l’énergie a un prix… La page des « trente glorieuses » se tourne brusquement. Dès 1974, les faillites augmentent de 17 % en France, la production baisse, l’inflation atteint 15 % et le chômage massif fait une brusque apparition. Le choc est aussi psychologique. On s’aperçoit que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, il va falloir faire des économies. Mais le pétrole ne doit pas pour autant occulter des problèmes plus profonds. La société de consommation est, en effet, proche de la saturation, la demande s’essouffle. Les équipements industriels, trop voraces en énergie et en main-d’œuvre, ont subitement pris un coup de vieux. Cette période marque en même temps la fin de la stabilité monétaire, avec les deux dévaluations du dollar en 1971 et 1973. On entre désormais dans une ère d’instabilité de l’emploi, des prix et des monnaies. Le monde du travail en paiera le plus lourd tribut. Jacques-Marie Vaslin est maître de conférences à l’IAE d’Amiens et chercheur au Centre de recherche sur l’industrie, les institutions et les systèmes économiques d’Amiens (Criisea). VI/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003 TRIBUNES L’énigme du « miracle économique chinois » LIVRES par Quentin Domart Débat stratégique > GUERRE ET ÉCONOMIE, sous la direction de Jean-François Daguzan et Pascal Lorot (Ellipses, 220 p., 17 ¤) > À QUI PROFITE LA GUERRE ?, de Pascal Lorot (Editions 1, 216 p., 17 ¤) qui unissent guerre et économie ? Deux ouvrages pour une même interrogation et un but avoué : « remettre cette question qui dérange au cœur du débat stratégique ». Et réhabiliter par la même occasion, aux yeux des décideurs, les économistes de la défense, « relégués au fond de la salle, où il leur est difficile de se faire entendre ». Deux ouvrages complémentaires : une production collective, académique et conceptuelle d’un côté ; un essai plus concret et accessible à tous, de l’autre. Respectivement professeur à l’université Paris-II et directeur de l’institut Choiseul pour la politique internationale et la géo-économie, Jean-François Daguzan et Pascal Lorot estiment d’emblée que « l’économie influe sur la guerre comme la guerre sur l’économie. Un mariage forcé, le plus souvent pour le pire », qui fait aujourd’hui son retour sur le devant de la scène. Il serait toutefois réducteur pour ces deux spécialistes d’assimiler l’ensemble des conflits à la seule poursuite, par certains nantis, de sombres enjeux économiques, ne serait-ce qu’en raison du caractère éminemment humain et idéologique de tout affrontement. Ainsi dénoncent-ils l’amalgame qui est souvent fait entre la crise irakienne et le pétrole : « Ce n’est pas une guerre pour le pétrole, mais un conflit avec enjeu pétrolier », nuancent-ils. Pour Liliane Bensahel et Jacques Fontanel de l’université PierreMendès-France de Grenoble, « guerre et économie sont tour à tour fins et moyens », selon les cas, mais la guerre reste « avant tout un concept polysémique ». Larvée, ouverte, civile, mondiale, ethnique, religieuse, coloniale ou d’indépendance, froide, d’influence et commerciale, « phénomène récurrent et permanent, la guerre a souvent changé dans son apparence », écrit Pascal Lorot dans son essai. ’ Avec la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS, d’aucuns avaient prédit la « fin de l’Histoire », c’est-à-dire une paix mondiale. Quinze ans après, la situation est tout autre. « Les guerres périphériques étaient des guerres télévisuelles, analyse Pascal Lorot, (…), banalisées dans leur horreur même. » Jusqu’à la rupture du 11 septembre 2001 – « défaite de la tolérance, du dialogue et de la pensée » – par le biais de laquelle est « venue s’ajouter une dimension globalisée inédite à la violence conflictuelle endémique qui existait déjà auparavant ». Le terrorisme, s’il n’est pas nouveau, se décline maintenant « à la mesure de la mondialisation ». Et ouvre une nouvelle ère d’instabilité, « où le vainqueur est celui qui tirera le premier. (…) La guerre est devenue ce que nous en avons fait ». « Une guerre est plus ou moins le reflet de la société au sein de laquelle elle prend naissance », avance Georges Ayache, historien. Aujourd’hui, la dimension économique devient de plus en plus prégnante, même si ce chercheur juge qu’une telle empreinte « ne saurait se prévaloir des grands principes qui fondent des relations internationales civilisées ». « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage », professait Jean Jaurès. L a République populaire de Chine est un pays en pleine transition difficile entre deux systèmes économiques et politiques. Les contradictions monumentales abondent. En fait, aucune autre nation d’importance internationale ne doit faire face à autant de questions à résoudre sur ses principes régulateurs et ses structures. Pourtant, ce qui rend l’avenir de la Chine si difficile à prévoir ne tient pas uniquement aux développements récents, qui ont si souvent défié les prévisions, mais plutôt au fait que tous les scénarios, quand ils restent sensés, sont possibles, mêmes s’ils sont contradictoires ! La Chine est apparue ces quinze dernières années comme le paradigme de la vitalité économique, de la détermination et du progrès. Peu de zones géographiques ailleurs dans le monde ont été perçues comme une zone de « miracle économique » sur une aussi longue période. Contre vents et marées, Pékin a réussi à maintenir des taux de croissance particulièrement élevés. Au début des années 1990, la Chine a surmonté la fin du miracle économique japonais ; le pays a maintenu un cap régulier lors de la crise économique asiatique de la fin de la décennie 1990. En 2003, il a surmonté l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Aujourd’hui, il semble avoir repoussé les efforts américains exigeant une réévaluation du yuan, sa monnaie. Quiconque a visité les principales métropoles chinoises récemment a dû être impressionné par l’énergie, le rythme et l’échelle des développements survenus. Les nombreux projets, depuis les autoroutes, les ports, les chemins de fer, les aéroports jusqu’aux gratte-ciel, aux logements en développement et aux infrastructures de télécommunication en passant par les zones industrielles, créent même chez les plus sceptiques un sentiment extatique. Cependant, sous les horizons éblouissants et les statistiques QUINZE + DIX, LE GRAND ÉLARGISSEMENT, de Jean-Dominique Giulani Président de la Fondation Robert-Schuman et ex-directeur de cabinet de René Monory, président du Sénat de 1992 à 1998, Jean-Dominique Giulani se vit en européen convaincu. A sept mois de l’élargissement de l’Union européenne (UE) à 25 et huit mois des élections au Parlement européen, il entend faire œuvre pédagogique, en présentant les dix nouveaux pays. Son livre se veut un « guide rapide et concret » pour aider les personnes désireuses de s’y retrouver dans ce grand chambardement à venir. Il s’appuie, d’ailleurs, sur l’Atlas des nouveaux membres que la Fondation RobertSchuman avait publié en novembre 2002. Par ailleurs, dans un chapitre intitulé « Un demi-plan Marshall en seize ans », il donne des chiffres sur le coût de l’élargissement qui vont alimenter le débat. Selon lui, « chaque Français a consacré moins de 5 euros par an, depuis 1990, à aider les nouvelles démocraties ». Pour la période 2004-2006, ce coût montera à « 14,8 euros par Français et par an ». Un gros reproche toutefois, l’absence de cartes qui permettraient de visualiser les pays de l’UE et leurs voisins (Fondation Robert-Schuman/Albin Michel, 280 p., 19 ¤). A. B.-M. a LE NOUVEAU CAPITALISME, de Dominique Plihon A chaque révolution industrielle correspond une nouvelle étape du capitalisme. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont accéléré le processus de globalisation financière, à l’échelle de la planète. Dominique Plihon, professeur d’économie à l’université ParisNord, décrit ce nouveau capitalisme actionnarial dont la mise en place s’accompagne, comme dans les phases précédentes, de soubresauts et de scandales boursiers. Créateur de richesses, ce nouveau capitalisme modifie dans le même temps, en profondeur, les relations sociales. Dans le dernier chapitre, l’auteur s’interroge sur la pertinence du modèle actuel, se demande si l’économie mondiale peut être régulée et considère que le néolibéralisme n’est pas la seule conception possible de la mondialisation (La Découverte, coll. « Repères », no 370, 128 p., 7,95 ¤). A. B.-M. a SORTIR DE LA JUNGLE. POUR UNE GOUVERNANCE DES MARCHÉS MONDIAUX, de Frédéric Jenny Ce n’est pas une nouvelle contribution d’un militant altermondialiste sur la régulation mondiale que propose ce dernier numéro de la revue d’En temps réels, mais celle, moins fréquente, d’un fonctionnaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Frédéric Jenny qui, depuis des années, conduit à Genève le groupe de travail sur le commerce international et la concurrence, estime en effet que l’instauration de règles internationales est indispensable en ce domaine. Le décalage entre la mondialisation des marchés et leur régulation juridique laisse, selon lui et exemples à l’appui, la place à la « constitution de cartels dont les principales victimes sont les pays du sud ». Ces pays sont pourtant loin d’en être convaincus puisque – et c’est une des raisons de l’échec de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun – ils refusent de mettre le sujet de la concurrence à l’ordre du jour des négociations commerciales multilatérales (Les cahiers d’En Temps réels, numéro 10 septembre 2003, 52 p., www.entempsreel.org). L. C. impressionnantes, se dévoile une autre réalité, bourrée de problèmes non résolus dont le nombre ne fait qu’augmenter et qui suggèrent de sombres scénarios. Attardons-nous sur quelques faits : – La Chine doit créer quelque 12 à 15 millions d’emplois chaque année pour rester en harmonie avec la croissance de sa population. – Le gouvernement doit gérer quelque 270 millions de chômeurs ou de personnes n’occupant pas un emploi à plein temps. – La « population flottante » (journaliers ruraux dépossédés, venus en ville pour trouver du travail) aujourd’hui de 100 à 150 millions, croît chaque année de 5 % environ et représente la plus large migration de l’histoire de l’humanité. Ces migrants subsistent sans sécurité d’emploi, sans logement à long terme ni accès aux soins médicaux. trop longtemps à flots les entreprises nationalisées, elles sont généralement insolvables. Standard and Poor’s estime à 518 milliards de dollars (40 % du produit intérieur brut, PIB) les fonds nécessaires au règlement de leurs emprunts peu rentables. – La dégradation de l’environnement, causée par l’industrialisation rapide, la surpopulation et l’exploitation des ressources hors de tout contrôle, est extrême et, du fait de la pression pour maintenir des taux de croissance élevés, très difficile à endiguer. – Depuis 1998, le gouvernement s’appuie davantage sur des émissions d’actions de plus en plus importantes pour stimuler l’économie, développant une dette qui pèsera sur les générations à venir. – Les estimations portant sur les obligations gouvernementales (det- « Le vrai test reste la capacité du pays à survivre au cycle inévitable des récessions, des chocs politiques ou des soulèvements sociaux qui défient forcément toute nation, surtout lorsqu’elle est en développement » – 800 millions de paysans ont été oubliés par le dernier boom économique chinois, qui a créé des attentes toujours plus frustrantes. – La Chine ne dispose pas de système de retraite et en créer un coûterait des centaines de milliards de dollars. – Les nouvelles places boursières ne sont bien trop souvent que des casinos manipulés par les élites locales, laissant le pays sans capacité à former le genre de groupes d’investissement locaux dont le capitalisme a besoin pour nourrir son propre développement. – Les banques d’Etat doivent fournir 98 % de tous les financements locaux nécessaires aux créations d’entreprises. Pourtant, du fait de leur habitude de maintenir te bancaire, plans de retraite non encore financés, passifs des obligations pour les projets d’infrastructures, etc.) vont de 70 % à plus de 150 % du PIB. – La capacité de Pékin à faire rentrer les impôts sur le revenu reste faible et ne rapporte que 15 % du PIB. De nombreux experts redoutent un effondrement semblable à celui survenu dans la Silicon Valley à la fin des années 1990 : ils s’inquiètent de la création d’une bulle sur le marché des investissements, réalisés hors de tout contrôle, de toute réflexion et de manière trop anarchique. Ces inquiétudes sont aggravées par le fait que le gouvernement de parti unique, désormais à la merci de son « miracle économique » pour se légitimer, ne montre que peu de signes de réformes politiques pour venir compléter les réformes économiques. Or, de quelles ressources disposeraient les autorités si les taux de croissance chutaient – même au niveau respectable de 3 % à 4 %, si l’agitation montait chez les chômeurs, si les paysans en colère assiégeaient les organismes locaux de gouvernement, si les factions réveillaient une crise du parti, si le conflit explosait dans le détroit de Taïwan ou encore si l’économie mondiale restait en récession ? La Chine a peut-être pris le visage du « miracle » ces derniers temps, mais ce ne sont pas les années de performance économique qui mettent à l’épreuve un système politique. Le vrai test reste sa capacité à survivre au cycle inévitable des récessions, des chocs politiques ou des soulèvements sociaux qui défient forcément toute nation, surtout lorsqu’elle est en développement. Les économistes et les observateurs politiques qui demeurent sceptiques sur la longévité du « miracle économique » chinois dénoncent le système politique sclérosé du pays, la faiblesse de ses institutions économiques, l’équilibre précaire dans lequel survivent des centaines de millions de personnes marginalisées et le fait que l’économie s’appuie sur des capitaux étrangers. Ils ont raison de s’inquiéter de la survie du « miracle » face aux chocs qui ont secoué dans ses fondements mêmes une grande partie de l’Asie par le passé. La Chine a essuyé bien des tempêtes, mais l’épreuve de vérité reste à venir. Orville Schell, auteur de nombreux ouvrages sur la Chine, est doyen de l’université de Californie à Berkeley. © Project Syndicate, novembre 2003. Traduit de l’anglais par Catherine Merlen. Personnes âgées : de l’aide aux services parutions a par Orville Schell O par Jean-Louis Laville n a aujourd’hui envie de crier « assez ! » devant la soudaine découverte des problèmes posés par le vieillissement dans notre société. Assez de paroles convenues et de sollicitude tardive ! Sachant que les phénomènes sociodémographiques sont parmi les plus prévisibles, la question à se poser est : comment en est-on arrivé là ? Un constat s’impose alors. D’abord, il n’a pas été possible d’aborder collectivement ce sujet tabou ; ensuite, les politiques publiques, accaparées par l’ampleur du chômage, ont réduit les « vieux » à un gisement d’emplois : à partir de la préférence affirmée pour l’aide à domicile, les décideurs ont conclu qu’on avait dans ce domaine un potentiel d’emplois à concrétiser. Comme il est bien tard, il n’en est que plus urgent de remettre en cause cette focalisation sur l’emploi. Si l’on veut que les personnes âgées aient demain pleinement droit de cité, il est indispensable de lancer un large débat public autour de la construction d’un véritable réseau de services appropriés. Citons trois axes de ce débat. Sélection naturelle ou égalité d’accès. L’isolement et la pauvreté sont les premiers obstacles à une prise en compte décente des réalités vécues. Devant le maquis des mesures et des aides, les familles les moins pourvues en ressources financières et culturelles se trouvent démunies. Elles renoncent à faire valoir des droits qu’elles ne connaissent pas toujours. Dans ce contexte, la restauration d’une véritable égalité devant les services passe par une action publique de proximité qui aille à la rencontre des personnes, avec le souci de remédier aux vulnérabilités les plus criantes. Pour que ces services ne soient pas la source de nouvelles inégalités, ils doivent devenir un levier pour renforcer le lien social. Marché ou citoyenneté. Les personnes âgées ne sont pas seulement des consommateurs, mais aussi des citoyens. Les services qui leur sont destinés peuvent, comme le montrent diverses expériences, développer de nouvelles formes de participation à la résolution des problème.s de la vie quotidienne. Volume ou dignité des emplois. L’emploi à tout prix a produit tant d’effets pervers qu’il faut admettre que l’existence de services adaptés passe par la reconnaissance d’emplois de droit commun, durables et professionnalisés. La plus ou moins grande légitimité des emplois n’est pas sans effet sur la division sexuelle des activités, en en faisant soit des tâches relevant de qualités féminines soi-disant « innées », soit des tâches pouvant faire l’objet d’apprentissages professionnels, et en cela plus valorisées socialement. En résumé, les services aux personnes âgées posent des problèmes économiques spécifiques : l’acte d’achat n’a pas la même signification quand il concerne l’acquisition d’une automobile ou d’un réfrigérateur et quand il concerne la prestation de tels services. Beaucoup d’intervenants dans le maintien à domicile des personnes âgées ont pu constater qu’il pouvait exister une demande compulsive de services qui n’est jamais comblée : plus on obtient des services, plus on en veut de nouveaux, parce que derrière cette demande, qui paraît rationnelle, se cache un appel au secours pour rompre la solitude ou pour sortir de relations familiales devenues invivables. tiatives qui conçoivent les services non pas « pour » les personnes âgées, mais « avec » elles, doivent être identifiées comme « un plus » par les partenaires publics. En somme, l’aide aux personnes âgées ne peut plus relever d’une logique d’assistance. Le défi est de concevoir une nouvelle approche, cohérente avec les attentes actuelles et à venir, et selon laquelle la concurrence par les prix est moins décisive que la confiance construite entre l’intervenant et l’usager. « Il convient de préférer à une logique d’effets d’annonce, une logique plus modeste d’élargissement des capacités et des synergies des réseaux d’acteurs » Une réponse appropriée passe alors, non pas par la réponse aux besoins exprimés, mais par un travail collectif sur la demande associant le prestataire de service, l’usager, sa famille et ses proches. Sinon les « asymétries informationnelles » mises en évidence par les recherches dans ce champ peuvent déboucher sur des échecs du marché, le prestataire étant amené à réaliser un sur-profit au détriment de l’usager. Mais les problèmes posés ne sont pas qu’économiques, ils sont aussi sociopolitiques, d’où l’importance que revêt le soutien public aux services qui défendent un modèle de société solidaire. Les ini- Les effets pervers des politiques publiques déjà menées viennent pour une large part de la méconnaissance du tissu des initiatives existantes. Pour y remédier, il convient de préférer à une logique d’effets d’annonce, une logique plus modeste d’élargissement des capacités et des synergies des réseaux d’acteurs. Il faudrait pour cela commencer par les écouter, de façon à définir des actions locales fondées sur la réalité du terrain. Jean-Louis Laville (LSCI-CNRS) est l’auteur de L’Aide aux personnes âgées – les services sociaux entre association, Etat et marché (éd. La Découverte). EMPLOI le 86e congrès des maires de france, du 18 au 20 novembre à paris, portera en grande partie sur les effets de la prochaine décentralisation en matière de politique de l’emploi dont les élus revendiquent de plus en plus leur part de responsabilité Les élus locaux veulent gérer les politiques de l’emploi I l sera beaucoup question d’emploi durant les débats du 86e Congrès des maires et des présidents de communauté de France qui se tient à Paris, du 18 au 20 novembre, sur le thème « réussir la décentralisation avec les maires ». Pourtant, jusqu’à la fin des années 1980, l’implication des élus locaux dans la politique de l’emploi était faible. Il y avait peu de gratification électorale à en attendre. Toutefois, l’ampleur du drame du chômage a accéléré leur prise de conscience. A partir des années 1990, on a donc assisté à une floraison d’initiatives, encouragées par l’Etat qui ne savait comment s’y prendre pour inscrire dans les territoires sa politique de l’emploi. Les communes ont accouché des missions locales et des maisons de l’emploi, elles ont encouragé les associations d’insertion. Au niveau départemental, le revenu minimum d’insertion (RMI) a été le dispositif central d’aide aux exclus. Au niveau régional, la politique « jeunes » a donné à la politique d’insertion une forte connotation formatrice. Impossible pourtant de faire le bilan de cette effervescence un peu brouillonne d’une vingtaine d’années ! Le ministère des affaires sociales n’a jamais pu faire la somme des dépenses des collectivités territoriales dans ce domaine, ni la moindre évaluation des politiques que celles-ci ont conduites, tant elles étaient hétéroclites. Au seuil de l’année 2004, qui verra l’acte II de la décentralisation renforcer les compétences du département sur un RMI remodelé en revenu minimum d’activité (RMA), et consacrer la région comme acteur unique du développement économique et de la formation, les maires constatent qu’ils ont été oubliés, eux qui se considèrent comme les coordonnateurs par excellence des actions destinées à faire retrouver le chemin de l’emploi aux plus fragiles de leurs administrés. Il existe parmi eux, pour simplifier, deux attitudes. La première est incarnée, par exemple, par André Laignel, maire (PS) d’Issoudun (Indre), qui « n’aime pas trop les petites structures qui ne débouchent pas sur du concret » et Dans le Choletais, la mobilisation a payé une plate-forme de reconversion professionnelle coordonne les actions de tous les acteurs E CHOLET (Maine-et-Loire), de notre envoyé spécial n 1999, l’hémorragie chronique qui affecte le secteur de la chaussure dans la région de Cholet prend une tournure dramatique. Cette annéelà, les multiples « usines à la campagne » qui ont fleuri dans les Mauges industrieuses ont licencié 1 200 salariés, près de 15 % de leurs effectifs. Première région productrice de France, les Pays de la Loire et le Choletais en particulier ne peuvent, malgré le faible niveau des salaires, faire face à la concurrence étrangère, asiatique d’abord. Des entreprises historiques comme Gep-La Fourmi, Polygone ou Pindière cèdent à un rythme accéléré. Seul Eram, qui possède son propre réseau de distribution, résiste à la tourmente. « C’est une catastrophe sociale et économique », commente alors André Lardeux, le président (UMP) du conseil général. Aucun espoir d’amélioration ne semble se dessiner, bien au contraire. Ce surcroît de crise arrive au plus mauvais moment : Bruxelles vient de déclarer illégales les aides Borotra, qui allégeaient les charges sociales de ces entreprises à la marge de manœuvre exiguë. L’autre fleuron de la région, la confection, connaît des difficultés similaires. La question du réemploi des victimes de cette crise sans fin est délicate. Ce sont en premier lieu des femmes – qui représentent les deux tiers des licenciés, la plupart peu qualifiées et qui plus est peu mobiles. Les usines se sont installées dans un milieu rural dense, peuplé de familles nombreuses dont les exploitations agricoles étaient devenues trop petites. On est prêt à se reconvertir hors de la chaussure, mais pas hors de son canton. « Nous avons cherché à aller au-delà des dispositifs classiques d’aide au reclassement, qui ne fonctionnaient pas bien dans ce cas d’espèce, explique Hervé de Charette, vice-président (UDF) du conseil régional et député angevin. La crise n’était pas localisée à une seule entreprise, mais disséminée dans un grand nombre d’entre elles. » Un comité de pilotage pour le développement de l’économie choletaise est créé, coprésidé par le conseil général, le conseil régional et l’Etat, en la personne du sous-préfet de Cholet. Le comité d’expansion, le syndicat mixte, la Ville de Cholet, la communauté d’agglomération et les communautés de communes des neuf cantons concernés y sont associés. « Ainsi, personne ne cherche à tirer la couverture à soi », relève l’ancien ministre des affaires étrangères. On est prêt à se reconvertir hors de la chaussure, mais pas hors de son canton Le 1er mai 2000, ce comité lance une plate-forme dite « de reconversion professionnelle des industries de la mode du Choletais ». Pilotée par Pierre Emeriau, conseiller à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) engagé à plein temps dans cette opération, cette structure coordonne l’ensemble des cellules mises en place dans les entreprises. Dans la région, certains métiers sont déficitaires en main-d’œuvre, comme le transport ou l’agroalimentaire. Mais l’équation n’est pas mathématique. « 70 % des licenciés sont des femmes, note M. Emeriau. Or les emplois proposés sont plutôt destinés aux hommes. » Le préambule consiste donc « à mesurer l’écart entre les candidats et les postes afin de proposer des formations adéquates ». Le conseil régional complétera de façon conséquente les budgets de qui ne « veut pas se contenter d’un travail d’insertion ». Il a donc joué les « naisseurs » (sic) d’emplois en ouvrant 24 immeubles ou hôtels d’entreprise dédiés à l’industrie ou aux métiers d’art sur la communauté de communes du pays d’Issoudun. Il n’en soutient pas moins une entreprise d’insertion, Trem- « Tous les acteurs attendent de l’Etat une forte implication dans l’évaluation et la validation des politiques menées » plin, grâce à laquelle 200 personnes effectuent des heures de travail dans le jardinage et l’entretien de la maison. La deuxième politique privilégie, elle, l’insertion. La forme la plus achevée en est le plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE), un dispositif lancé il y a une dizaine d’années. Les élus qui l’ont adopté se retrouvent dans l’association Alliance Villes Emploi, présidée par le maire de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) Jacques Baumel (UMP) et, par délégation, par le premier adjoint PS au maire de Lille, Pierre de Saintignon. Unique interlocuteur qui analyse la situation du chômeur en difficulté, le PLIE l’accompagne dans une démarche de retour à l’emploi en réunissant l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), les travailleurs sociaux et les entreprises durant deux ans. « Financés par des fonds publics locaux et européens, ils ont permis, à l’échelle nationale, de procurer un emploi à 37 533 personnes sur la période 2000-2002, mais 37 823 en sont sortis sans solution », rappelle Marie-Pierre Establie, déléguée générale d’Alliance Villes Emploi. A Mulhouse, par exemple, le syndicat intercommunal des transports, la région Alsace et le département du Haut-Rhin ont confié au PLIE le pilotage d’une cellule chargée de faire embaucher de 100 à 150 chômeurs sans qualification par les entreprises chargées de construire deux voies ferrées. L’AFPA formera ces personnes aux métiers de la voirie et du béton armé. Trois convictions semblent faire l’unanimité des spécialistes de l’insertion, qu’ils soient issus du suffrage universel ou techniciens. La première est que les élus municipaux, surtout les plus impliqués dans l’intercommunalité, réclameront de plus en plus souvent un rôle de chef de file, même si la loi ne le leur reconnaît pas. La deuxième conviction est que les politiques de l’emploi ne seront efficaces que s’il existe un dialogue entre région, département et commune. Troisième certitude : tous les acteurs attendent de l’Etat une forte implication dans l’évaluation et la validation des politiques menées, afin de sortir des tâtonnements du passé, et d’éviter à l’avenir d’éventuelles inégalités territoriales. Al. F. DES PLANS QUI ONT FAIT LEURS PREUVES Personnes ayant retrouvé un emploi, en % Répartition des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE) par niveau de qualification en % 2000 2001 2002 Total formation classiques, trop limités. C’est grâce à cet appui notamment qu’une vingtaine de femmes deviendront aides-soignantes. La plupart des situations sont étudiées au cas par cas. En mettant autour d’une même table tous les acteurs, la plate-forme aplanit facilement les difficultés entre administrations, collectivités et entreprises. De son côté, le conseil général propose des aides aux déplacements ; mais elles seront peu sollicitées. Joseph Fonteneau, responsable CFDT du secteur cuir habillement de la région, où son organisation est leader, déplore cependant de ne pas avoir été associé aux décisions. Mais il reconnaît que les salariés ont été « bien accueillis » et que la plateforme a « fonctionné ». Après trois ans de ce régime, les résultats sont positifs. Sur les 1 416 personnes suivies, pour quelque 2 000 licenciements (desquels il faut soustraire les préretraites), 50 % ont trouvé une solution jugée définitive : contrat à durée indéterminée, création d’entreprise, congé parental, formation longue durée. D’autres sont en contrat à durée déterminée ou en intérim, mais sont actifs. Seuls 210 cas sont considérés comme non résolus. Sur sa lancée, le comité de pilotage a allumé de nouveaux feux en créant des zones industrielles et en initiant un fonds de soutien à l’industrie de l’habillement. Ces initiatives ne seront pas de trop. En dix ans, la chaussure choletaise a perdu 5 700 emplois sur 12 700. Grâce à ces dispositifs, le taux de chômage a été contenu autour de 6 % dans l’arrondissement, un niveau bien inférieur à la moyenne nationale. Mais depuis un an, il est en hausse. La chaussure a encore licencié 500 personnes depuis le printemps. Et d’autres vagues sont attendues. « Hélas, commente Pierre Emeriau, on aura encore besoin de nous. » A la question de savoir si la formule est transposable ailleurs, la réponse est prudente. « Le Choletais reste le pays des usines à la campagne, tempère le conseiller ANPE. Ce n’est pas reproductible à l’identique. » Vincent Boucault Niveau VI/V bis 46 47 45 46 2000 2001 2002 Total période Niveau IV et + Chômeurs longue durée 59 59 61 60 52 56 57 55 Niveau V 33 32 32 32 Niveau IV et + 18 15 17 17 Femmes 50 51 52 52 Indéterminé 2 5 6 5 Moyenne tous publics 46 51 50 50 Hommes 50 49 48 48 Bénéficiaires du RMI 42 45 42 44 Niveau VI 42 43 42 43 Niveau VI/Vbis : entrée en 6 e , brevet des collèges Niveau V : CAP, BEP Niveau IV : bac Source : Alliance Villes Emploi Nombre de sorties positives 6 735 14 367 16 431 37 533 Stéphan Salord, maire adjoint d’Aix-en-Provence « La décentralisation permettra de prendre des mesures adaptées » Fort de votre expérience de maire adjoint (UMP) chargé de l’économie, de l’emploi et de l’insertion, pensez-vous que les communes soient l’échelon pertinent pour traiter l’exclusion et aider au retour à l’emploi ? Oui, mais à condition de ne pas traiter l’exclusion commune par commune, mais bien au niveau du bassin d’emploi et de vie, comme nous l’avons fait au niveau du Pays d’Aix où nous avons une bonne connaissance des flux d’emplois et des fractures sociales. Nous avions d’abord lancé un plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE) uniquement sur la ville, et nous avions constaté que ce programme attirait des chômeurs extérieurs à la commune. Depuis que nous avons transposé le PLIE au niveau du pays, où nous menons de front le développement et l’insertion, nous avons constaté que le taux des demandeurs d’emploi est tombé de 12,5 % l’an dernier à 10,5 % aujourd’hui. Notre PLIE nous a permis de reclasser 800 personnes en un an, la plupart en contrat à durée indéterminée. Il coûte environ 4,6 millions d’euros par an, soit 3 millions en provenance du Fonds social européen et 1,6 en provenance du département des Bouches-du-Rhône, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Pays d’Aix. Comment fonctionne la coopération entre les collectivités territoriales ? Sont-elles d’accord sur la politique de l’emploi à suivre ? Nous avons posé un diagnostic commun et nous sommes tous d’accord sur la politique qui s’impose. Nous rencontrons pourtant un vrai problème au sujet des titulaires du RMI, dont la gestion nous échappe, alors qu’il s’agit d’une population très sensible aux mesures d’insertion. L’octroi au département de toutes les responsabilités en matière de RMI-RMA à partir de 2004 est donc une excellente nouvelle, car cette décentralisation nous permettra de prendre au niveau local des mesures mieux adaptées au RMistes. Pensez-vous que la relance et l’amplification de la décentralisation faciliteront les politiques d’insertion et d’emploi conduites par les communes ? Oui, parce que l’emploi est en train de devenir vraiment une affaire locale. Avant, les élus affichaient en ce domaine des chiffres dont ils n’avaient en réalité pas la responsabilité. Avec le transfert au Pays d’Aix du développement de la vie universitaire ou du centre d’apprentissage, nous détenons des outils précieux. D’ailleurs, les administrations d’Etat travaillent de plus en plus comme nous, c’est-à-dire en se basant sur le bassin d’emploi. Par exemple, le rec- « Notre plan nous a permis de reclasser 800 personnes en un an, la plupart en CDI » teur lui-même se soucie de l’offre et de la demande d’emplois dans le bassin avant de prendre des décisions. N’oublions pas non plus que nous travaillons en partenariat avec les entreprises dont nous sélectionnons les nouvelles implantations. En effet, nous souhaitons que les emplois qu’elles apportent soient de vraies créations et non de simples transferts. Propos recueillis par Alain Faujas VIII/LE MONDE/MARDI 18 NOVEMBRE 2003 EMPLOI europe LES INDICATEURS SOCIAUX INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT UE 15 DES RISQUES MORTELS DIFFÉRENTS SELON LES ÂGES Principales causes de mortalité par groupe d'âge, en % Maladies Cancer Causes externes (blessures et empoisonnement) circulatoires Structure de l'emploi EURO 12 ALL. BELG. ESPAGNE FRANCE ITALIE PAYS-BAS ROY.-UNI É.-UNIS JAPON 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 Part de l'emploi salarié 84,4 83,2 88,9 84,6 80,6 89,2 72,6 88,3 88,1 n. d. n. d. Part de l'emploi à temps partiel 18,1 16,5 20,8 19,4 8,0 16,2 8,6 43,8 24,9 13 (1) 23 (1) 2000 Autres 2000 2000 100 80 60 Taux d'emploi (en %) 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2000 Hommes + femmes (15-64 ans) 64,2 62,3 65,4 59,7 58,4 62,9 55,4 74,5 71,5 74 69 Hommes + femmes (55-64 ans) 39,8 36,1 38,4 25,8 38,8 33,8 28,6 42,0 53,3 58 63 Durée du travail salarié 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 à temps plein (h/semaine) 40,0 39,3 39,9 39,3 40,4 37,7 38,5 38,9 43,3 n. d. n. d. 2,0 3,6 3,5 1,0 3,7 3,2 3,8 n. d. (août 03) (août 03) (juin 03) (août 03) 40 20 0 15-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65-74 75-84 85+ Source : Eurostat Evolution du coût du travail a LA MORTALITÉ varie considérablement en fonction de l’âge et du sexe. En règle générale, elle intervient à des âges plus précoces dans la population masculine que dans la population féminine. Taux de chômage ( en %) flash sett/« le monde » (août 03) 2,6 (août 03) és rs fi ie uali r v q Ou on n 11,4 9,4 8,5 4,1 5,0 6,1 5,3 Moins de 25 ans 15,6 16,8 10,2 19,8 22,7 19,9 27,0 7,5 12,7 12,3 n. d. Part de chômage de plus d'un an ( en %) 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2000 2000 40,2 43,0 47,9 49,6 34,3 32,7 59,2 26,7 23,1 LE MARCHÉ DU TRAVAIL FRANÇAIS Dernier mois connu Variation sur un an Chômeurs de longue durée LA FORMATION CONTINUE : UNE ACTIVITÉ SECONDAIRE 718,1 + 8,0 % Répartition des prestataires de formation continue selon la nature de leur activité principale, en % (sept. 03) (en milliers) Formation continue Emplois précaires (en milliers) : Intérim Hommes 1 448 + 0,03 % a LE NOMBRE DE MISSIONS DE TRAVAIL TEMPORAIRE s'est, au premier semestre 2003, contracté de 3,5 % par rapport à la même période de l’année 2002. Ce fléchissement d’activité s’est néanmoins accompagné d’une poursuite du processus d’élévation du niveau de qualification des intérimaires. Smic (en euros ) Horaire 7,19 (juillet 03) +5% Mensuel 1 215,11 (juillet 03) +5% a LA PART DES CADRES dans l’effectif intérimaire augmente très légèrement, de 0,1 point, celle des ouvriers qualifiés plus nettement, de 0,4 point. Dans le même temps, la part des ouvriers non qualifiés et des employés recule, la première fortement, de un point, et la seconde de 0,4 point. Allocataires du revenu minimum d'insertion 1 084 310 – 1,15 % 9,1 9,5 7,3 7,4 1,8 1,9 42,7 + 2,9 % 41,7 1 197 40,0 – 29,7 % 38,6 123,9 (sept. 03) Contrats en alternance Contrats aidés dans le secteur marchand Contrats aidés dans le secteur non marchand (hors emplois-jeunes) Salaire net médian (en euros constants) : Femmes Sources : Syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT)/ministère de l'emploi-Dares AGENDA a CROISSANCE Dans le cadre de leur séminaire de recherche « Les enjeux économiques et sociaux de la nouvelle économie », le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) et le Germe (université Paris-VII) organisent une rencontre sur « Les compétences au cœur du nouveau régime de croissance », mardi 18 novembre, de 17 heures à 19 heures à l’université Paris-VII (2, place Jussieu, 75005 Paris). Renseignements : Claire Faret, 01-40-77-85-70, e-mail : [email protected] a CINÉMA Les Archives nationales audiovisuelles du travail, des entreprises, des collectivités (Anatec) présenteront l’adaptation du roman Travail d’Emile Zola, portée à l’écran en 1919 par Henri Pouctal, samedi 22 novembre, à 16 heures, à l’Arc (Scène nationale, place François-Mitterrand, 71200 Le Creusot). Renseignements : Dominique Soria, tél. : 03-85-73-94-40, site : www.anatec.org a VIETNAM L’Association d’amitié franco-vietnamienne (AAFV) organise une soirée débat sur « Le Vietnam dans la mondialisation », le lundi 24 novembre, de 18 h 30 à 22 h 30, à l’Ageca (177, rue de Charonne, 75011 Paris). Renseignements : tél. 01-42-87-44-34, e-mail : [email protected] a MUTUALITÉ « Engagement et valeurs mutualistes en Europe. Quels rôles dans la construction d’une Europe sociale ? », sera le thème de la 2e journée des Rencontres européennes de la Mutualité générale de l’éducation nationale qui se tiendra le jeudi 27 novembre à partir de 9 heures dans les locaux de la MGEN (3, square Max-Hymans, 75015 Paris). Renseignements : Dominique Assayag, tél. : 01-40-47-24-90, e-mail : [email protected] a ÉTHIQUE L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) propose, dans le cadre de son rendez-vous annuel des « Entretiens », une journée de réflexion et de débats, sur le thème « Ethique d’entreprise : une réalité sociale et économique », le 2 décembre, de 8 heures à 17 h 30, à l’Institut Pasteur (25-28, rue du Docteur-Roux, 75015 Paris). Renseignements : INRS, 30, rue Olivier-Noyer 75014 Paris, site : www.les-entretiens-inrs.com a ENTREPRISES A l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie d’Eure-et-Loir, les « 3e rendez-vous de la création et de la reprise d’entreprises » auront lieu samedi 22 novembre, de 9 h 30 à 17 h 30 à Chartrexpo (route nationale 10, 28000 Chartres) Renseignements : tél. 02-37-84-28-39 ou 02-37-91-57-06. flash cereq/« le monde » + 8,2 % – 20,4 % o pl 25 428,3 (sept. 03) 400,6 (sept.03) Em 6 (1) Personnes travaillant moins de 30 heures – 5,8 % s (août 03) 8,0 561,5 (sept. 03) e dr Ca (juillet 03) 9,4 – 4,8 % s yé (juillet 03) 8,8 636,9 (août 03) s ns ire sio dia s e é of m Pr ter in (août 03) 8,0 (en milliers) Répartition de l'emploi intérimaire par niveau de qualification, en % 1 er semestre 2002 1 er semestre 2003 rs rie fiés v i Ou ual q (août 03) Chômeurs de moins de 25 ans DE PLUS EN PLUS D'INTÉRIMAIRES QUALIFIÉS 2,7 4 e trim. 2002 Hommes + femmes a POUR LES DEUX SEXES, les maladies circulatoires sont la principale cause de mortalité (à l’exception de la France, où elles sont supplantées par le cancer pour les hommes). En 1999, elles ont fait 700 000 victimes masculines et 850 000 féminines. a CHEZ LES JEUNES DE 15 À 34 ANS, les premières causes de décès sont les blessures et les empoisonnements. Dans la tranche d’âge des 45 à 64 ans, le cancer est la principale cause de décès. Dans la catégorie des 75 ans et plus, les maladies circulatoires sont responsables d’environ la moitié de l’ensemble des décès. 2,7 (en % sur un an - 1er trimestre 2003) Sources : Insee, Dares, CNAF, Unedic 45 Education 17 (hors formation continue) 12 Etudes, conseil 7 Informatique 5 Action sociale 32 45 et insertion Animation socioculturelle Autres Commerce de gros Organismes consulaires Source : Céreq, enquête sur l'offre de la formation continue en 1999 a AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES, le nombre d’organismes dont le cœur de métier est la formation continue a eu tendance à diminuer au profit de prestataires dont l'activité principale relève soit d'une prestation d'études ou de conseil aux entreprises, soit de l'informatique, voire du commerce de gros (notamment de machines outils, de matériel électronique ou de produits pharmaceutiques). a CES NOUVEAUX ARRIVANTS sur le marché de la formation continue sont majoritairement des entreprises appartenant au secteur privé à but lucratif. Une nouvelle boutique école ouvre à Paris en vendant « pour de vrai », des stagiaires se forment aux métiers du commerce et de la distribution L a veille de son ouverture officielle, le 12 novembre, des curieux poussent déjà la porte de la boutique, attirés par la nouveauté dans cette rue peu commerçante du XIXe arrondissement de Paris… et par les rayons où l’on trouve chocolat, café, vin, et objets d’artisanat, comme ces grands papillons en bois importés d’Indonésie, accrochés aux murs rouges. Des produits pas ordinaires, provenant du commerce équitable et de centres d’aide par le travail (CAT) pour personnes handicapées. Au fond du local qui sent encore la peinture, une porte s’ouvre sur une salle où une dizaine de personnes écoutent une oratrice en prenant des notes. Magasin ? Centre de formation ? Deuxième du genre dans la capitale, la boutique pédagogique de la rue du Maroc est un magasin-école, à l’instar des chantiers-écoles déjà existants dans des secteurs tels que le bâtiment. Appliquer cette formule au commerce et à la distribution constitue « une première », selon Terem, l’association por- teuse de ces boutiques, spécialisée dans le montage de projets de formation auprès de publics en difficulté, qui organise le 8 décembre un séminaire au conseil régional d’Ile-de-France sur ce thème. La pédagogie repose sur le principe « apprendre en faisant », explique Marcel Finders, directeur de Terem. On commence par découvrir, concrètement, la boutique, les codes barres, la caisse… avant d’aller en salle de cours. « Les stagiaires effectuent des allers-retours permanents entre la pratique et la théorie, précise Marcel Finders. Ce n’est pas grave si l’un d’eux rate une vente. On dissèque ensuite l’acte de vente », en abordant aussi la question de l’apparence. Ce jour-là, Annie, formatrice enthousiaste et dynamique, anime le module « image de soi ». Elle parle « de la symbolique des couleurs, des gestes… », et raconte des entretiens d’embauche, mettant en évidence l’importance de « l’alchi- mie (du contact), de notre regard, de notre gestuelle » face à un recruteur. « Face à un client aussi, il y a des codes, remarque Philippe, l’un des stagiaires. Notre apparence suscite des réactions. Grâce à ce que nous avons appris, nous allons essayer de ne pas en être surpris, voire de les provoquer ». Les groupes accueillent des jeunes et des adultes chômeurs de longue durée ou Rmistes, dont beaucoup sont issus de l’immigration : femmes restées au foyer qui ont besoin de travailler, personnes qui se heurtent au racisme à l’embauche ou bien ont vécu l’échec scolaire. Anthony, 16 ans et demi, a abandonné l’école après la troisième. « J’avais du mal à prononcer les mots, on se moquait de moi. » Pour lui, ce stage est un tremplin, car il est doué et motivé, mais aussi un retour aux sources. « Ma tante QUATRE ANNÉES DE TÂTONNEMENT Terem aussi a « appris en faisant ». L’initiative revient à la direction départementale du travail et de l’emploi de Paris (DDTE) et au conseil régional d’Ile-deFrance, partis du constat que le commerce et la distribution offraient des débouchés mais que ces postes ne trouvaient pas preneurs. Ainsi naît, en 1997 la première boutique pédagogique à Paris. Mais, vendant des produits classiques et subventionnée pour ses actions de formation, elle est accusée d’exercer une « concurrence déloyale » et ferme au bout de quatre mois. Tirant la leçon, le second magasin, créé en 1999, opte pour la vente de produits du commerce équitable. Mais en mai 2001, l’organisme de formation partenaire disparaît. La boutique ferme à son tour. L’équipe ne baisse cependant pas les bras. La DDTE et le conseil régional sont partants pour une nouvelle aventure. En octobre 2001, une troisième boutique ouvre dans le XXe arrondissement ; elle est toujours en activité. Et en novembre 2003, le magasin de la rue du Maroc (XIXe arrondissement) est lancé. La mission Agire d’EDF/GDF apporte son aide à l’association Terem. D’autres partenaires privés se sont joints aux financeurs publics (conseil régional, DDTE, conseil de Paris, etc.), dont le plus important est le Fonds social européen (FSE), qui a versé 200 000 euros en 2003. Deux nouveaux magasins devraient voir le jour en Ile-de-France en 2004. avait un magasin, et à 8 ans, je l’aidais à ranger les rayons. Cela me plaisait ». « Nous sélectionnons les stagiaires uniquement sur la motivation, indique le directeur. Il n’y a aucune corrélation entre placement en emploi et niveau scolaire. » Le stage comprend notamment une remise à niveau en maths et en français, appliquée au métier, des séquences en entreprises et des ventes à l’extérieur, dans des comités d’entreprises par exemple. Ici, il n’y a pas d’objectif de ventes. Certes, il faut une clientèle pour « animer la boutique. Mais il suffit que les ventes permettent de financer les dégustations, la casse et le vol », précise Marcel Finders. La marge est nulle pour les produits des CAT, et réduite pour le commerce équitable. En 2003, dans la première boutique ouverte voici deux ans, près de 130 stagiaires de moins de 26 ans auront été accueillis et 50 adultes, ainsi qu’une centaine de jeunes en ateliers découverte d’une semaine. En outre, quinze jeunes en contrat de qualification ont été recrutés à bac + 2, dans un cursus de « développeur de l’économie solidaire ». Des négociations sont en cours pour en faire une licence. Selon Terem, 60 % des stagiaires ont trouvé un emploi de plus de six mois. Toutes les personnes en contrats de qualification ont été embauchées par EDF/GDF. « Nous avons un réseau de magasins pour les stages pratiques, explique Michèle Huré, coordinatrice pédagogique des deux boutiques. Nos stagiaires sont opérationnels, ils ne restent pas les mains dans les poches et ont confiance en eux. » Francine Aizicovici