L L’éducation thérapeutique va-t-elle mourir de son succès ? Avant-propos

Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2014 - Vol. 8 - N°6
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Éducation thérapeutique du patientet maladies chroniques
Dossier thématique
© 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.
Correspondance
André Grimaldi
Service de diabétologie et métabolisme
Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière
47-83, bd de l’Hôpital
75651 Paris cedex 13
Avant-propos
L’éducation thérapeutique
va-t-elle mourir de son succès ?
Therapeutic education:
Does it will die of its success?
Selon nous, il y a quatre raisons pour cela.
1. À l’hôpital, il existait depuis longtemps des équipes médicales
et paramédicales habituées à travailler ensemble, alors qu’en
ville, médecins, infirmières et autres paramédicaux, s’adressent
des patients, mais font rarement équipe (il en va souvent diffé-
remment en milieu rural).
2. Le paiement à l’acte, cher à la médecine libérale, contraint
les professionnels à compter leur temps, et à se consacrer en
priorité aux actes codifiés et rémunérés.
3. Jusqu’en 2004, l’hôpital public, contrairement aux cli-
niques commerciales, était financé par une dotation, et non
à l‘activité, ce qui, certes, pénalisait les spécialistes des actes
techniques coûteux, mais donnait une plus grande liberté aux
professionnels spécialistes des maladies chroniques. La «dota-
tion globale» favorisait la «prise en charge globale». Grâce
à la dotation globale, les professionnels pouvaient réellement
intégrer l’ETP aux soins et développer les prises en charge
ambulatoire, sans être obsédés par la rentabilité immédiate !
4. Le transfert vers les réseaux «hôpital-ville» s’est fait
spécialité par spécialité, au lieu de répondre aux besoins mul-
tidisciplinaires de la médecine générale et, surtout, les réseaux
ne pouvaient remplacer le service public de la médecine de
proximité, qui fait tant défaut à notre pays. La future loi de
santé publique essaie, très timidement, de promouvoir son
développement, sous le nom alambiqué de «Service territorial
de santé au public».
Pour rester fidèle à elle-même et remplir pleinement son rôle,
l’ETP doit être:
– une médecine personnalisée, sur le plan biomédical comme
psychosocial;
– une médecine intégrée, nécessitant une triple compétence de
l’équipe soignante: thérapeutique, pédagogique, et psychologique;
– une médecine coordonnée entre les professionnels et entre
la ville et l’hôpital;
– une médecine reposant sur le partenariat soignant/soigné.
L’éducation thérapeutique va-t-elle mourir? La question
peut surprendre, alors que le mot fait florès. Après une
phase d’engouement des professionnels, et une extension
rapide à presque toutes les spécialités, voilà que l’éducation
thérapeutique du patient (ETP) marque le pas, et semble s’es-
souffler. Certes, elle est unanimement saluée, mais son finan-
cement manque de pérennité, et même son domicile semble
incertain. Elle risque d’être la première victime des coupes bud-
gétaires publiques, au risque de redevenir l’activité marginale
de militants. Les décideurs, les manageurs, les représentants
syndicaux des professionnels libéraux médicaux et paramédi-
caux, les responsables des associations de patients, s’accor-
dent tous pour dire que l’ETP doit quitter au plus vite l’hôpital,
où les malades ne font que passer, et où les professionnels
ont mieux à faire pour faire rentrer l’argent de la tarification à
l’acte (T2A) dans les caisses. Les uns et les autres évitent de
se poser deux questions:
1) Pourquoi, après être née à l’hôpital public dans les années
1970, l’ETP ne s’est-elle développée pendant 25 ans, pratique-
ment qu’à l’hôpital public (et dans des associations, comme
l’Aide aux jeunes diabétiques [AJD])?
2) Pourquoi le transfert de l’ETP de l’hôpital à la ville par l’inter-
médiaire des réseaux ville-hôpital est-il resté, pour l’essentiel,
marginal, au moins dans les grandes villes?
Mots-clés: Éducation thérapeutique du patient –
organisation des soins – coûts de santé.
Key-words: Therapeutic patient education – health
organization – health costs.
A. Grimaldi
Service de diabétologie et métabolisme,
Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière,
AP-HP, Paris.
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Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2014 - Vol. 8 - N°6
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Dossier thématique
Trois tendances de fond de notre société la menacent: le
mercantilisme, le corporatisme, et le relativisme.
1. Le mercantilisme cherche à tout vendre, et donc à tout
tarifer, et, pour cela, il a besoin de tout quantifier. Pour être
rentable, une consultation ne doit pas durer plus de 15 minutes.
Et lorsque le patient a deux problèmes, il faut qu’il prenne deux
rendez-vous, un par problème. T2A et paiement à l’acte, même
combat! Le complément du mercantilisme est, évidemment,
le marketing, et, de ce point de vue, l’ETP à la côte auprès des
financeurs, qui cherchent par tous les moyens à prendre la main
sur l’organisation du système de soins. Tel est l’objectif avoué
du «disease management» anglo-saxon, et l’objectif inavoué
du programme SOPHIA mis en place par la sécurité sociale !
L’ETP est également utilisé comme un plus marketing, notam-
ment par les sociétés de cures thermales et quelques autres.
2. Le corporatisme conduit chaque groupe professionnel à
chercher à s’accaparer l’ETP. Les diverses sociétés savantes,
plutôt que de développer de façon séparée, ou de déléguer à
des sociétés privées, la formation des professionnels en ETP,
auraient mieux fait d’associer leurs forces. La Société fran-
cophone du diabète (SFD) aurait pu, sûrement, jouer un rôle
fédérateur. Je suis toujours étonné de voir des professionnels
se former séparément à la pratique de l’ETP, chacun de leur côté
(médecins, pharmaciens, paramédicaux), tout en expliquant que
l’ETP nécessite un travail d’équipe. Et je suis surpris de l’an-
tagonisme entre la ville et l’hôpital, en entendant des militants
syndicaux réduire la médecine ambulatoire à la médecine de
1errecours en ville, comme si la médecine ambulatoire ne s’était
pas développée depuis longtemps à l’hôpital, et comme si un
certain nombre de maladies chroniques rares ou complexes,
tel le diabète de type 1, ne relevaient pas d’une prise en charge
spécialisée, sans parler des échecs des prises en charge de
1er recours !
3. Le relativisme tient la médecine scientifique en suspicion.
Pour les relativistes, tout ce qui aide le patient à se mieux soigner
fait partie de l’ETP. Finalement, l’éducation thérapeutique pourrait
se réduire à l’apprentissage de la technique du soin, au mieux
par e-learning, et à «l’accompagnement», qui pourrait être avan-
tageusement délégué aux associations de patients. Pour être
expert pour les autres, il suffirait d’être expert pour soi. Le succès
de l’oxymoron «patient–expert» témoigne de cette confusion.
Christian Saout, ancien président du Collectif inter-associatif sur
la santé (Ciss), dans son livre «Santé citoyens!»[1], réclame
une relation «symétrique» entre soignant et soigné, comme si
l’angoisse était la même, et comme si l’un n’avait pas un travail
de deuil à faire, tandis que l’autre a le devoir de l’y aider. On nage
en pleine confusion, d’autant que relativisme, corporatisme, et
mercantilisme, peuvent très bien se conjuguer.
Reste que le vieux modèle du colloque singulier et du paiement
à l’acte, et le modèle post-moderne de la médecine industrielle
financée à la T2A, sont tous deux inadaptés à la prise en charge
des 17 millions de patients atteints de maladies chroniques
dans notre pays. L’ambition de l’ETP ne doit pas être seulement
de s’adapter à notre système de soins, mais de le changer!
Déclaration d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de
cet article.
Référence
[1] Saout C. Santé, citoyens!Paris: Éditions de Santé; 2013.
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