Infection par le VIH et co-morbidité Coordonné par le Dr Jean-Luc Meynard Cette rubrique a été réalisée avec le soutien institutionnel du laboratoire Abbott. Interview du Dr Franck Boccara Cardiologue Hôpital Saint-Antoine, Paris Dans le respect total de l’indépendance scientifique et éditoriale. Risque cardiovasculaire chez le patient infecté par le VIH ❚ On sait que les anomalies lipidiques sont fréquentes chez les patients infectés par le VIH. Pouvez-vous nous repréciser le poids que représente chacune d’entre elles en termes de risques cardiovasculaires, en particulier l’hypertriglycéridémie ? Que les patients soient ou non traités, les anomalies lipidiques sont fréquentes : en l’absence de traitement antirétroviral, l’infection par le VIH est en elle-même à l’origine d’une inflammation chronique et d’une dyslipidémie (diminution du cholestérol total, du LDL-cholestérol, du HDL-cholestérol et augmentation des triglycérides). Sous traitement antirétroviral, le cholestérol total et le LDLcholestérol sont augmentés, avec augmentation du HDLcholestérol mais fréquemment sans normalisation. Une hypertriglycéridémie est observée avec certaines molécules (inhibiteurs de la protéase [IP] de 1re génération, analogues nucléos(t)idiques). Pour les IP de nouvelle génération, les hypertriglycéridémies demeurent très modérées, comprises en général entre 2 et 3 g/l, et l’augmentation du LDL-cholestérol se fait surtout au niveau des particules petites et denses (les plus athérogènes) [1, 2]. Concernant le risque encouru, l’augmentation du cholestérol total et celle du LDL-cholestérol sont les facteurs de risque les plus importants, même si l’on sait que la baisse du HDL-cholestérol augmente le risque cardiovasculaire. L’impact de l’hypertriglycéridémie sur le risque d’infarctus du myocarde (IDM), à l’instar de ce qui est constaté en population générale, demeure faible dans la population des patients infectés par le VIH quand elle est isolée. En effet, l’étude D:A:D a montré que le risque cardiovasculaire associé à une hypertriglycéridémie diminuait quand on prenait en compte les autres paramètres lipidiques (1). Les auteurs de cette étude concluent que l’effet indépendant de l’hypertriglycéridémie sur le risque d’IDM est marginal. Enfin, le rapport cholestérol total/HDL-cholestérol permet une meilleure approximation du risque, augmenté pour une valeur supérieure à 5. Son intérêt en pratique reste à démontrer mais semble prometteur. ❚ Y a-t-il une place chez les patients infectés par le VIH pour une mesure des paramètres témoignant d’une inflammation, tels que la CRPus ou les D-dimères ? À l’échelon individuel, il n’existe pas d’indication à réaliser ces examens en pratique médicale courante, même si la CRP ultra-sensible (CRPus) est effectivement associée, en population générale et chez les patients infectés par le VIH, à une augmentation du risque d’IDM et de mortalité cardiovasculaire. Quelques études ont montré que les D-dimères sont associés à un risque augmenté d’IDM, mais leur valeur prédictive est moins démontrée que pour la CRPus. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de leur mesure en dehors des études de cohorte ne figure dans aucune recommandation, et ces paramètres n’interviennent pas dans la prise de décision thérapeutique. Une approche utilisant plusieurs marqueurs de risque biologiques paraît plus intéressante pour identifier les patients à risque d’IDM, mais le problème du coût reste posé. ❚ Quelles explorations proposer chez un patient infecté par le VIH ayant au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaire ? Si l’on exclut le VIH comme facteur indépendant de risque cardiovasculaire, le fait de présenter 3 facteurs de risque situe d’emblée les patients dans le haut risque, où la valeur cible pour le LDL-cholestérol doit être inférieure à 1,3 g/l. En pratique, l’interrogatoire va rechercher des symptômes pouvant orienter vers une pathologie cardiovasculaire (douleur thoracique, dyspnée, signes en faveur d’un accident ischémique transitoire et artérite des membres inférieurs) et l’ECG doit être systématique. Une consultation cardiologique permet de réaliser une échographie cardiaque (mesure de la fonction ventriculaire gauche), un écho-doppler des troncs supra-aortiques ou des membres inférieurs (à la recherche d’une sténose, d’une plaque ou d’un épaississement de la paroi artérielle), voire une épreuve d’effort visant à objectiver une insuffisance coronaire asymptomatique. Selon les cas, on peut aller jusqu’à la coronarographie. L’angor d’effort, plus fréquemment rencontré chez les sujets âgés, demeure rare chez les patients jeunes infectés par le VIH, pour lesquels le mode d’entrée dans la maladie coronarienne se fait souvent de façon aiguë (IDM) [3]. Références bibliographiques 1. Worm SW et al. AIDS 2011;25(12): 1497-504. 2. Lang S et al. AIDS 2010;24(8): 1228-30. 3. Boccara F et al. Eur Heart J 2011; 32(1):41-50. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 2 - mars-avril 2012 | LI 2 MARS-AVRIL 2012.indd 87 87 17/04/12 15:51