pensee critique et pensee contestatrice

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Pensée critique et pensée contestatrice
Les milieux et les organisations contestatrices font l'erreur courante de
penser que la dimension critique d’une pensée ou d’un discours est simplement
liée à son contenu plutôt qu’à sa méthode d’élaboration.
Ces milieux et organisations produisent ainsi beaucoup de textes, de journaux,
d'articles, de brochures etc qui répondent moins à un souci de formation
intellectuelle que de formation politique, ce qui n’est pas la même chose.
Il ne s’agit, dans ce dernier cas, plus de développer une pensée critique mais de
produire des vérités alternatives, allant à l’encontre de celles dites dominantes
mais étant tout aussi normatives.
Or ces contre- vérités reposent elles aussi bien souvent, dès qu'on les pousse un
peu dans leurs derniers retranchements intellectuels, sur des arguments
d’autorité.
Or la contestation, que le Littré [1] définit notamment comme le fait de « nier un
fait ou un principe », et le fait d'être contestataire, que Wikipédia [2] définit
comme le refus « des valeurs dominantes d'une société avec refus de s'intégrer
dans un ordre social » ne sont pas la même chose que la critique.
On commet souvent l’erreur idéaliste de penser la vérité de façon métaphysique,
comme une espèce de réalité transcendantale que les humains découvriraient plus
ou moins bien mais qui existerait a priori en dehors d’eux.
Or, d’un point de vue critique, la vérité est une production sociale, c'est-à-dire
qu’il n’existe pas de vérité absolue capable d’être atteinte par notre entendement,
il n’y que des discours considérés comme étant vrais, nuance qui a son
importance.
Et l'on considère généralement un discours comme vrai du point de vue d’un
rapport de force à partir duquel on peut l’imposer, ou d’un domaine d’application
spécifique.
Dans les sciences dites « dures » on reconnait une vérité par sa capacité à
produire des résultats prédictibles, qui permettent des applications aussi variées
que prévoir le mouvement des planètes ou obtenir de l’eau chaude avec un
micro- onde.
Dans les milieux contestataires, rapidement, on dira qu’un discours est reconnu
comme vrai plutôt par sa capacité à donner un sens revendicatif à un certain
nombre d’expériences, et à mobiliser des acteurs à partir de là.
Evidemment, pour ne pas justifier de tomber dans le relativisme, il faut rajouter
que la production de ce type de vérité politique n’est pas absolument
indissociable de la méthode critique. Plus un discours repose sur des arguments
solides, c'est-à-dire plus son raisonnement est capable d’être reproduit et validé
par un grand nombre de personnes différentes, plus il sera potentiellement
mobilisateur.
La vérité politique répond ainsi à des objectifs qui n’impliquent pas
nécessairement des critères de scientificité dans son élaboration : les applications
concrètes d’une vérité politique ont leur propre terrain d’expérimentation, celui
des mobilisations.
Il manque encore un autre point important : cette vérité, ou plutôt ces vérités
politiques, sont produites par un certain type d’organisations, qui n’ont bien
souvent pas une grande réflexion sociologique à propos de leur structuration.
Le mode de structuration par défaut des contestataires politique est une
structuration sur la base d’idéologies et d’affinités communes, ce que l’on
appelle couramment la structuration partisane.
Or, les idéologies et les affinités ne tombent pas du ciel, ni ne sont le fruit du
hasard, mais correspondent généralement à une socialisation spécifique, propre à
des fractions sociales.
Se regrouper sur la base d’affinités et de proximités idéologiques signifie ainsi
bien souvent se réunir avec des personnes des mêmes milieux sociaux (à noter
qu’à cette homogénéité sociale s’ajoutent bien souvent l’homogénéité de genre,
de race, de sexualité etc.)
Evidemment, il s’agit d’une tendance, pas d’une loi absolue ni d’un
déterminisme, inutile de se précipiter sur l’exemple X ou le cas Y, un exemple ne
contredit pas une tendance : une ministre d’origine marocaine ne contredit pas
l’homogénéité sociale tendancielle de la classe politique de gouvernement.
L’homogénéité sociale favorise l’homogénéité idéologique et les affinités
individuelles, elle ne les produit pas magiquement envers et contre tout et,
inversement, ceci ne veut pas dire que le fait de provenir de milieux différents
interdit de se trouver des affinités communes.
A cette question de l’homogénéité sociale s’ajoute celle de l’inégalité des milieux
sociaux par rapport à l’accès au champ politique. En effet, la mobilisation
politique demande différente ressources, en premier lieu du temps, ainsi que des
ressources sociales comme la capacité d’avoir des réseaux d’interconnaissance.
Ces réseaux d’interconnaissance seront d’autant plus grands que la capacité de
mobilité à travers plusieurs sphères de sociabilité différentes est forte. En effet,
pour sociabiliser, certains n’ont que leur quartier, d’autres que leur foyer et leur
travail, certains ont le quartier, le travail, la fac, le groupe de supporters, le fanclub etc. Bref, nous n’avons pas tous également accès à des sphères qui
permettent de sociabiliser et de créer du réseau, et ces sphères sont toutes
différentes.
A ces différentes ressources ont peut également rajouter la capacité à produire
des discours ou des représentations jugées légitimes : la contestation exprimée
par un jeune étudiant blanc de classe- moyenne n’est pas accueillie de la même
manière que celle exprimée par un jeune issue de l’immigration coloniale vivant
dans une cité HLM. A l’un on reconnaît plus volontiers le caractère politique de
la contestation, tandis que l’autre se voit catégoriser de façon presque immédiate
dans le registre de la délinquance. Il découle de ce fait que, pour les fractions le
plus défavorisées de la population, une des premières luttes politique est bien
souvent la lutte pour l’accès au statut de lutte politique en lui-même, l’accès à
cette forme de légitimité conféré par ce statut. Pouvoir lutter de façon qui soit
immédiatement reconnue comme politique n’est donc pas une donnée première
pour tout le monde.
Pour en revenir à notre propos, les deux arguments de la compatibilité affinitaire
et de l’accord idéologique sont bien souvent une façon de sublimer politiquement
l’homogénéité sociale des groupes politiques, en la justifiant de façon détournée.
La production politique, en tout cas celle reconnue comme telle, et celle pouvant
jouir d’une reconnaissance et avoir la possibilité de se pérenniser, est un domaine
de production sociale très inégalitaire.
Le phénomène, bien connu, qui en résulte est la formation d’une classe politique
professionnelle, jouissant de d’autant plus de pouvoir qu’elle est issue des
couches favorisées de la population.
La haute bourgeoisie forme ainsi le haut du panier de la classe politique, celle
dite de gouvernement, et la petite- bourgeoisie et les classes- moyennes
intellectuelles forment le bas du panier de la classe politique contestatrice.
Evidemment, cette question est sociologiquement plus complexe parce qu’il
existe un certain nombre de catégories sociales et professionnelles qui, tout en
vivant dans une certaine pauvreté économique ou une certaine précarité
matérielle, disposent de ressources sociales et symboliques.
Les professeurs, les artistes ou encore les précaires des milieux du spectacle et/ou
de la culture peuvent être économiquement défavorisés, ils n’en disposent pas
moins de ressources intellectuelles et d’une grande légitimité symbolique qui fait
que leur engagement politique ne part pas du tout du même point de départ qu’un
salarié sans- papier issu de l’immigration coloniale et travaillant au noir dans le
nettoyage.
Ici se pose toute la question complexe des classes- moyennes, et du lien
compliqué de cette catégorisation sociale avec une période historique, celle de la
restructuration capitaliste, et les phénomènes d’ascension sociale puis de
déclassement qui en résultent. Elle sera traitée une autre fois.
L’existence d’une classe politique spécialisée, organisées dans des partis, n’est
ainsi pas formellement bornée à la sphère de la classe politique de
gouvernement ni aux organisations formelles. Une bande, un groupe, une
mouvance, un milieu relèvent de la structuration partisane au sens où il s’agit
d’organisations idéologico- affinitaires.
Lorsqu’on cherche à analyser de façon critique le fonctionnement des
organisations politiques, qu’elles soient institutionnelles ou non, dominantes ou
non, il convient de regarder surtout leur structuration sociale et politique plutôt
que le contenu de leurs programmes. C'est-à-dire qu’il faut regarder ce que ces
organisations font et comment elles fonctionnent plutôt que ce qu’elles disent
vouloir, ou se donnent comme objectifs.
Pourquoi ? Parce que leurs objectifs reposent sur des idéaux qui demeurent à
l’état d’hypothèses : la révolution sociale n’est pas une donnée empirique.
Sociologiquement, les raisons de l’investissement du champ politique n’ont rien
d’extraordinaire : investir ce champ permet d’accéder à une sociabilité, de se
sentir intégré et valorisé dans un milieu, de donner du sens et un but à sa vie,
d’occuper des positions de pouvoir, même minimes etc.
Bref, pour résumer un peu ce que nous essayons d'avancer : nous voulions ici
particulariser ce que nous appelons les discours contestataires.
Ce type discours est particulier, premièrement il est propre à un champ : le
champ politique. Même si celui-ci peut réutiliser d’autres types de discours il les
adapte bien souvent : il arrive que des productions intellectuelles issues des
sciences-sociales soient réutilisées de façon idéologique, mais elles sont alors réadaptées, le plus souvent d’une façon qui leur fait perdre leur contenu critique
pour leur donner un contenu normatif.
Deuxièmement, l’accès au champ politique est inégalement permis en fonction
des fractions sociales, et ce champ est majoritairement investit sur une mode de
structuration spécifique, qui est la structuration partisane qui est un mode
d'organisation tendanciellement de classe.
Ces discours contestataires sont des discours particuliers, ils possèdent leurs
propres terrains d’expérimentation : les mobilisations et les milieux de sociabilité
politiques, dans lesquels ils répondent à des objectifs spécifiques d’organisation
des rapports sociaux, et souvent de rapports de pouvoir, qui n’ont que peu de lien
avec les objectifs affichés.
Il était donc important pour nous de distinguer ce qu’on pourrait appeler le
discours critique du discours contestataire, en particularisant ce dernier. La
contestation n’est pas la critique, Malgré ses prétentions à l’objectivité et
l’universalité, qui lui permettraient d'organiser un modèle de société à partir des
contre-vérités qu'elle produit, cette vérité est une production tout à fait
particulière qui n’a de validité qu’au sein du champ social où elle se déploie.
Dans tous les cas il s'agit souvent de prétendre affirmer une vérité, donc délivrer
un contenu normatif qu'il n'est pas forcément question de rediscuter.
Ca ne veut pas dire que la contestation ne peut pas prétendre à la critique mais
encore faut il alors que les connaissances soient élaborées selon des méthodes qui
respectent un certain nombre de critères de rigueur. Les contestataires de gauche
ont une certaine considération pour le discours issu des sciences, notamment des
sciences sociales, mais pas pour la méthode elle même. Ils se retrouvent ainsi
souvent à faire une distinction discours général/discours particulier, distinction
qui établit une hiérarchie de valeur symbolique. Au discours philosophique,
idéologique et politique le beau rôle de penser la globalité, dire la vérité générale
et universelle selon laquelle les hommes devraient vivre ; et à la science le petit
rôle de produire des connaissances particulières dont les philosophes se servent
pour élaborer leurs vérités générales. Or ceci est une vue de l'esprit : la science, la
pensée critique sont méthodiques, le discours philosophique et idéologicopolitique ne l'est pas.
Vouloir penser la totalité est une problématique liée à la structure partisane , c'est
à dire qui renvoie à la question de prise du pouvoir, ainsi qu'à l'objectif idéaliste
de changer les rapports sociaux sur la base d'idées ou de programmes tout faits
censées convaincre les "masses" pour mobiliser sur des bases autres que des
problématiques concrètes directement vécues. La revue Théorie Communiste,
pour ne donner que cet exemple, continue d'essayer d'élaborer une pensée totale
qui, à partir du moment où l'on affirme vouloir rompre avec le programmatisme
et la structuration partisane, n'a pourtant plus aucune fonction. Selon nous, les
contestataires qui disent se refuser à l'idée de prise du pouvoir, notamment les
libertaires, devraient rompre avec les fantasmes de pensée totale, et assumer
rester dans la critique, en définissant celle- ci par sa méthode. "La question est : y
a t-il une réponse ? La réponse est : il n'y a que des questions !"
---------NOTES
---------[1] http://www.littre.org/definition/contester
[2] https://fr.wiktionary.org/wiki/contestataire
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