2009 Psychosomatique Cours de Mastère Professionnel en Psychologie Clinique et Psychopathologie Appliquées Dr/ Nayla Shabou Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis 2009 Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie La Psychosomatique I. SURVOL HISTORIQUE I.1. SIGMUND FREUD Etudiant la conversion hystérique, Freud a, très tôt, dès 1894, signalé le fameux « saut du psychique au somatique » à l’origine du symptôme hystérique (et non pas une atteinte organique) ; c’est le phénomène de la conversion. A partir de là, Freud établit une distinction qui sera très importante aussi bien pour la psychopathologie que pour la futur discipline qui sera la psychosomatique ; il s’agit de distinguer deux grandes catégories de névroses ; les névroses de défense (ou de transfert) et les névroses actuelles. Névroses Psychoses Le conflit est intrapsychique : Conflit entre le Moi et le entre les instances : ça vs surmoi, monde géré par le moi. persécution). Névroses (de transfert) extérieur (délire de Fonctionnement névrotique Fonctionnement pathologique : Fonctionnement normal : structuré sur un mode « rigide » ne structuré sur un mode « souple » ; permettent pas au Moi de résoudre toute une panoplie de mécanismes le conflit (fixation) : échec du travail de défense avec quoi le Moi arrive du Moi. à résoudre le conflit. Trouble névrotique (Gérable) Névrose Conversion hystérique (Névrose invalidante) Le Moi est débordé Cours de Psychosomatique 1 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie Les névroses de défense (de transfert) : Pour Freud S., les névroses de transfert trouvent leur origine dans les conflits de l’enfance (qui se sont transférés, déplacés), et plus particulièrement, dans la période œdipienne. La symptomatologie qui les caractérise se trouve liée au travail défensif du Moi. Et par delà, cette symptomatologie a des traductions symboliques ; d’où le nom de « névroses de transfert » : - La névrose hystérique (défenses labiles) - La névrose obsessionnelle (défense de contrôle) - La névrose phobique (défense d’évitement) Sollicitations sexuelles avant l’âge Névrose Traumatisme : ++ désir ++ défense Echec du Moi Processus de formation du symptôme névrotique (prototype est la conversion) : Surmoi Ça Moi Fonctionnement névrotique 2 Pulsions Désirs Refoulement 1 3 4 Travail excessif Moi débordé 5 Formation du symptôme névrotique Échec du refoulement 6 Retour du refoulé sous forme de symptôme Somatisation Cours de Psychosomatique 2 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie Les névroses actuelles : Les névroses actuelles ne trouvent pas leur origine dans les conflits de la période infantile, et donc les symptômes qui leur sont liés n’ont pas de traduction symbolique. A ce propos, Freud S. affirme que « l’angoisse ou les troubles somatiques qui leur sont propres sont des produits de décharge des tensions qui n’ont pas pu être métabolisées autrement » (échec du travail du Moi). Autrement dit, les symptômes n’ont pas véritablement une valeur symbolique (significative), mais plutôt une valeur de déchets ; il s’agit de décharger une tension. Ce sont : - La névrose d’angoisse - L’hypocondrie - La neurasthénie Traumatisme « actuel » Tension intolérable qui dépasse les capacités du Moi Ne réussit pas à gérer cette tension ; Moi débordé Névrose actuelle Apparition du symptôme névrotique Névroses de transfert Versus Névroses actuelles : Pour Freud, le symptôme organique aurait un sens dans le cas des névroses de transfert. Par contre, il n’y accorde pas de sens dans le cas des névroses actuelles. NOTA La distinction entre névrose actuelle et névrose de transfert constitue la porte ouverte à toute la psychosomatique dont le prototype est la conversion ; 2 origines distinctes de l’apparition des symptômes somatiques : La psychosomatique va niveler l’apparition des symptômes somatiques sur le modèle des névroses actuelles. Cours de Psychosomatique 3 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis I.2. GRODDECK Département de Psychologie « Le livre du Ça » En 1928, Groddeck prenait une position considérée par ses contemporains comme étant extrême. Il s’intéressait à l’étude des maladies somatiques d’après sa conception du Ça. Selon Groddeck, le Ça serait un continuum psychique et somatique qui défit toute description ou limitation. De ce fait, la maladie somatique véhicule une volonté psychique. Il écrit, par exemple, « L’ulcère renvoie à ce qui est au fond de l’âme (…) Le cancer de l’utérus évoque les pêchés contre les devoirs de la maternité… ». Culpabilité Groddeck établit une distinction entre, d’une part, ce qu’il appelle « la pensée du Moi » et, d’autre part, « la pensée du Ça » : Les distorsions de « la pensée du Moi » constituent les névroses auxquelles s’intéresse la psychanalyse. Les distorsions de « La pensée du Ça » s’expriment, en particulier, dans les maladies organiques. A ce propos, Groddeck affirmait « les premières intéressent la psychanalyse et ne m’intéressent pas. Les secondes, c’est à elles que je m’attache ». Il choisissait ainsi son domaine d’intérêt qui serait les maladies organiques (qu’il distingue de la conversion) et établit une relation directe entre le Ça et l’organique. Il donne un sens (une dimension symbolique) au symptôme organique (ulcère, cancer…). L’explication des maladies somatiques avancée par Groddeck fut considérée comme extrême, et ce pour plusieurs raisons. En effet, il utiliserait à outrance la dimension psychologique ; il explique les maladies organiques par le tout psychologique ! Pas de place pour le biologique, le génétique ! En outre, il donnerait à l’inconscient (la pensée du Ça) un statut décisif et envahissant ; et la conscience ?! De surcroît, il ne considèrerait pas de dynamique entre le Moi et le Ça ; le sens émanerait exclusivement du Ça considéré comme un système de pensée autonome ! Cours de Psychosomatique 4 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie I.3. L’ECOLE DE CHICAGO A la suite des travaux de Groddeck, l’école nord-américaine, entre les années 19301940, exigeait une conception nouvelle de la théorie psychosomatique. Cette école est représentée par deux grands théoriciens en la matière ; Alexander et Dunbar. Les travaux d’Alexander « La médecine psychosomatique » (1962) Ils sont marqués par deux notions essentielles : La notion de « type spécifique de conflit » Pour Alexander, ces conflits seraient à l’origine d’un certain nombre d’affections psychosomatiques telles que les ulcères, l’hypertension, l’asthme… Le trouble psychosomatique apparaît lorsque se trouve réunie une triple conjonction de facteurs : (1) Un type spécifique de conflit : fonctionnement psychique particulier (n’importe quel type de conflit). (2) Une prédisposition particulière du corps appelée « facteur somatique X » : système de fragilité somatique spécifique. (3) Une situation actuelle de conflit : évènement traumatique environnemental. Maladie psychosomatique = (1) + (2) + (3) L’unité psychosomatique dans son rapport avec Obligatoirement tous réunis son milieu. Le sujet est étudié dans sa totalité et sa singularité. Exemple : Pour l’asthme, Le conflit spécifique serait le conflit dépendance – indépendance. Ainsi, l’essence du conflit serait la menace de séparation d’avec la mère. La vulnérabilité organique (le facteur somatique X) serait le terrain allergique. La situation de déclenchement serait une agression affective ou corporelle (ex. mère « asthmogène » étouffante). Cours de Psychosomatique 5 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie La notion de « Névrose d’organe » Avec un conflit psychique Y et un facteur somatique X, il va y avoir le choix d’un organe spécifique. Alexander distingue la névrose d’organe de la névrose hystérique, puisque cette dernière est l’expression symbolique d’un conflit psychologique, alors que la névrose d’organe est une expression physiologique des organes viscéraux à un retour des états émotionnels. Ainsi, dans la névrose d’organe, on n’est pas dans l’expression symbolique, alors que dans l’hystérie, il n’y a pas de base physiologique. Les travaux de Dunbar Pour Dunbar, c’est la « personnalité pré-morbide » qui conditionne aussi bien l’apparition d’une « somatose » que son point d’impact dans l’organe. A partir d’une recherche sur les profils psychologiques chez des sujets présentant la même affection (somatose), elle établit certaines corrélations statistiques entre certains types de personnalité et décrit, ainsi, un profil psychologique typique pour les ulcéreux, un autre pour les asthmatiques, encore un autre pour les diabétiques… La critique qui lui a été adressée concerne le fait d’occulter la question des différences individuelles et de la singularité de l’individu ; les résultats de sa recherche semblaient ainsi très schématiques. Cours de Psychosomatique 6 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie I.4. LA CONCEPTION PSYCHO PHYSIOLOGIQUE SELYE. Le Stress De La Vie. 1975 La conception psychophysiologique a été mise au point par Selye dont les travaux ont porté essentiellement sur le stress. Apparue entre les années 1930 et 1950, parallèlement aux conceptions psychanalytiques, elle privilégie le travail expérimental dans l’approche de la corrélation entre les variables physiologiques et les paramètres psychologiques. Dynamique Cette approche est particulièrement explicitée par Selye qui a, en 1968, développé une conception selon laquelle le stress reçu par les centres diencéphaliques entraîne des modifications somatiques, et ce sous forme de ce qu’il appelle des « réactions générales non spécifiques » réunies sous le nom de « syndrome général d’adaptation » (SGA). L’auteur distingue 3 phases évolutives de ce syndrome : Stress (1) La réaction d’alarme (état de choc) : Homéostasie Vigilance +++ (2) La réaction de résistance et d’adaptation acquise de l’organisme (phase défensive de compensation) : l’organisme va « passer à l’acte » afin de gérer le stress et rétablir l’homéostasie. (3) La phase d’épuisement (la résistance cède à une décompensation) : à force de réagir et de se défendre, on arrive à une phase d’épuisement (des ressources de l’organisme) et on cède à une décompensation (d’où le SGA). C’est d’après ce schéma que Selye explique comment un état de choc (stress) épuise un organe ou une fonction engendrant ainsi une altération corporelle. La critique formulée par les psychosomaticiens à l’égard des travaux de Selye concernent sa conception de stress dans laquelle il ne prend pas en considération les différences (l’âge, le sexe, les caractéristiques psychobiologiques, les antécédents psychopathologiques… propres à chacun), mais aussi les conditions extérieures et, plus particulièrement, ce que représente cette agression pour le sujet sur le plan Cs Ics. Ce modèle paraît, en outre, trop général pour être explicatif de l’apparition d’un trouble psychosomatique chez un individu (singularité de la personne). Cours de Psychosomatique 7 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie II. LES CONCEPTIONS DE LA MALADIE PSYCHOSOMATIQUE SELON LE SENS DU SYMPTOME : Certains auteurs ont cherché à comprendre la maladie somatique à partir d’une réflexion sur le sens du symptôme, et dans ce cadre nous distinguons deux grandes orientations : II.1 « Le symptôme somatique ait un sens » La position de GAR MA (1963) : Garma considère que, comme le symptôme névrotique, le symptôme psychosomatique a une signification psycho-affective voire une spécificité. De ce fait, le symptôme psychosomatique entre dans une structure qui lui est propre, et par voie de conséquence, chaque maladie somatique a une détermination psychique. Freud ≠ Symptôme névrotique A une valeur symbolique (véhicule un sens) Garma Symptôme organique (somatique) A une valeur de décharge (ne véhicule pas un sens) ≈ Symptôme névrotique Symptôme organique (somatique) Signification / sens Groddeck Selon Garma, le processus de somatisation est calqué sur la névrose. Ainsi, par exemple, « la crise d’asthme (symptôme) est considérée comme une crise de pleur et d’angoisse inhibée et la peur d’abandon comme la signification de la maladie asthmatique toute entière ». Cours de Psychosomatique 8 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis A Département de Psychologie l’encontre de Alexander, Garma considère que le conflit propre à chaque maladie psychosomatique donne, à lui seul, le sens au symptôme (prédisposition et évènement traumatique exclus !) ; il est dans le « déterminisme ψ » (≈ Groddeck). VALABREGA & la « conversion psychosomatique » : Valabrega distingue la conversion psychosomatique de la conversion hystérique. En effet, la conversion hystérique étant une structure émotionnelle, la conversion psychosomatique serait moins spécifique. Pour expliquer ce phénomène de conversion psychosomatique, l’auteur propose un autre concept à savoir le concept de « dérivation » qui serait, pour lui, le mécanisme essentiel propre à la conversion psychosomatique. Autrement dit, dans la conversion hystérique, ce qui se passe c’est que toute l’angoisse est convertie dans le symptôme annulant ainsi et par là toute l’anxiété (équilibre rétabli) ; d’où l’indifférence, la complaisance de l’hystérique avec son symptôme). Dans la conversion psychosomatique, il s’agit d’une dérivation où la transformation est partielle, et c’est cette transformation partielle de l’angoisse qui détermine la somatisation et donc l’angoisse n’est pas totalement annulée (une part de l’angoisse reste agissante). Conversion hystérique Conversion psychosomatique Dérivation Angoisse Angoisse Symptôme Angoisse annulée Angoisse annulée Angoisse agissante ; accompagne le symptôme psychosomatique Equilibre rétabli Cours de Psychosomatique Symptôme 9 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis II.2 Département de Psychologie « Le symptôme somatique n’ait pas de sens » Sigmund FREUD C’est Freud qui est à l’origine de cette position théorique en distinguant les névroses actuelles des névroses de transfert. Dans le cadre des névroses de transfert, le symptôme somatique serait chargé de signification ; il se trouve lié aux conflits de l’enfance (et plus particulièrement de la période œdipienne) et donc au travail défensif du Moi. A contrario, dans les névroses actuelles, les symptômes n’ont pas de traduction symbolique ; ce sont, tout simplement, des produits de décharge qui n’ont pas pu être métabolisés autrement. Le symptôme somatique des névroses actuelles est, donc, dénudé de sens. L’école psychosomatique de Paris * Pierre Martine, Michèle De M’Uzan, Michèle Fain, Christian David, Michèle Soulé, Sami Ali et al. Les grands théoriciens de l’école psychosomatique de Paris s’alignent sur la position freudienne et considèrent le symptôme somatique comme étant dénudé de toute signification. Nous assistons, par là, à une véritable rupture théorique d’avec toutes les conceptions que nous avons exposées jusqu’ici. En effet, les auteurs de cette école* expliquent que le symptôme psychosomatique n’a pas de sens. Ce non sens serait lié à l’insuffisance voire l’impossibilité des activités de représentation et de symbolisation (l’activité propre à l’appareil psychique dont le prototype serait le rêve ; condensation déplacement symbolisation). Michèle De M’Uzan dit à ce propos que « le symptôme psychosomatique est lié à une véritable carence des activités de représentation ; ce qu’il traduit c’est moins une valeur symbolique qu’un manque de moyens de symbolisation ». Cours de Psychosomatique 10 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Le Département de Psychologie symptôme psychosomatique, n’ayant pas de sens, n’aurait valeur que de décharge des tensions qui n’ont pas pu être métabolisées autrement (mentalisées). Le symptôme psychosomatique est alors qualifié de « bête » Les auteurs de cette école se penchent sur l’étude du fonctionnement mental (psychique) des malades psychosomatiques dans une perspective psychanalytique et à partir d’une démarche essentiellement clinique (de la pratique à la théorie). Ils considèrent le malade somatique comme un tout (et non pas un corps malade). Rompre avec la dichotomie psyché – soma ; on n’est plus dans une perspective dualiste mais plutôt dans une perspective moniste. Pour présenter le corpus théorique qu’ils ont mis en place, nous nous axerons sur trois notions essentielles, à savoir : La pensée opératoire. La relation dite « blanche ». Le processus de somatisation. La pensée opératoire David C., Marty P. et De M’Uzan M., « L’investigation psychosomatique », (1963) C’est à partir de ce livre fondamental que le concept de « pensée opératoire » a vu le jour et que tout un corpus théorique a commencé à pendre forme. En effet, partant de l’étude du fonctionnement mental des malades somatiques rencontrés quotidiennement dans leur pratique, les auteurs du livre ont mis au point le concept de « pensée opératoire » pour désigner le type de fonctionnement mental tel qu’il s’est dégagé chez ces patients. Ce fonctionnement se caractérise essentiellement par la pauvreté de l’activité mentale. Christian David dit à ce propos que « chez ces malades, la pensée est opératoire et se définit comme absence de la valeur fonctionnelle de la vie mentale ». Pierre Marty précise que « la pensée opératoire semble enjamber ou courtcircuiter toute l’activité fantasmatique élaboratrice ». Rappelons que Michèle De M’Uzan a dit que « le symptôme psychosomatique est lié à une véritable carence des activités de représentation ». Cours de Psychosomatique 11 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie Ces auteurs expliquent qu’au sein de ce mode de pensée opératoire la fonction psychique se trouve très attachée au concret et au factuel et adhère complètement à la réalité concrète. L’émergence des représentations et des affects paraît comme absente. De ce fait, « penser opératoirement c’est s’appliquer à penser le réel » (Marty P.). La relation « blanche » Une des caractéristiques qui individualisent les malades somatiques repose sur le type de relation qu’ils établissent pendant l’entretien. Pour décrire ce type de relation, les auteurs ont mis au point le concept de « relation blanche » qui est une relation qui se présente comme étant vide de toute émotivité, de toute subjectivité, de tout engagement relationnel affectif (≠ séduction hystérique). Ainsi, le patient décrit ses symptômes d’une façon rationnelle (≠ dramatisation hystérique et la rationalisation des obsessionnels). Ses propos sont vides de charge affective (≠ exagération des expressions affectives ; maniérisme, théâtralisme… des hystériques). La somatisation La somatisation apparaît lorsque le sujet n’est pas capable de traiter mentalement les conflits ou encore les contradictions qui pèsent sur lui. La somatisation est essentiellement définie par une carence mentale (défaut de mentalisation, de l’élaboration psychique). Ainsi, le défaut de neutralisation des conflits par le travail psychique rend impossible la décharge des tensions pulsionnelles autrement qu’à travers l’agir dans le réel (les pathologies de l’agir à savoir la psychopathie, les addictions… reflétant une mentalisation précaire) ou encore à travers le corps en y occasionnant des dégâts somatiques ; les dégâts concernent alors « le corps réel » contrairement à l’atteinte somatique chez les névrotiques qui se fait au niveau du « corps imaginaire » (Sami Ali). « Les psychosomaticiens contemporains tendent à cons idérer la personne comme étant psychosomatique et non pas la maladie… » Cours de Psychosomatique 12 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie La Psychosomatique de l’enfant I. « L’enfance est l’âge d’or de la psychosomatique »… La petite enfance se caractérise par une facilité à la somatisation, et ce de part l’absence du langage et de l’immaturité mentale. De ce fait, le corps apparaît comme le moyen disponible pour l’expression des vécus, des modes relationnels, mais aussi des conflits. A ce propos, Ajuriaguerra signale : « Il n’y a rien de plus psychosomatique que l’enfance. En étudiant, depuis la naissance jusqu’à l’âge d’un an, on se rend compte combien chez lui se posent différemment de chez un sujet développé les problèmes tels que ceux du passage du psychique au somatique ou du somatique au psychique ; combien le corps dans son organisation prend une place privilégiée. » Spitz, quant à lui, rapporte qu’il est instructif d’observer combien le somatique prévaut à cette époque dans les difficultés entre mère et enfant, alors que plus tard, après la formation du Moi, les désordres du comportement lui-même domineront la scène. II. Interactions mère-enfant & troubles psychosomatiques… Par ailleurs, un des apports théoriques fondamentaux en matière de psychosomatique de l’enfant est illustré par les célèbres travaux développés en France par Kresler, Michèle Fain et Michèle Soulé. D’orientation psychanalytique leurs travaux sont réunis dans un ouvrage maintenant classique et célèbre à savoir « L’enfant et son corps ». C’est à ce titre que Michèle Fain souligne, en 1974, que l’immaturité mentale et physique, l’incapacité à intégrer psychologiquement les états de tension inévitables chez l’enfant laissent croire que tout enfant serait automatiquement psychosomatique. Or, nous dit Fain, la mère est là pour parer aux états de souffrance de l’enfant et l’aider à organiser des systèmes mentaux très précoces : L’insuffisance psychique du bébé est ainsi compensée par l’intuition de la mère. Cours de Psychosomatique 13 Dr. Shabou Neyla Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Psychologie C’est à ce titre que ces auteurs précisent que les défauts qui peuvent apparaître au niveau des interactions précoces mère-enfant peuvent être de nature à faire apparaître des troubles d’ordre psychosomatique. Ces défauts au niveau des interactions précoces sont présentés par les auteurs comme suit : 1. L’excès de sollicitation : comme c’est le cas de la hyperprotection toxique des mères hyperanxieuses qui privent l’enfant de tout accomplissement hallucinatoire, de ses capacités à la créativité (l’exemple de la guitare) et à l’autonomie. 2. Le défaut de sollicitation : telle cette dépression anaclitique (en relation avec l’étayage) décrite par Spitz où la séparation d’avec la mère engendre une brèche dans le système défensif de l’enfant. De plus, l’enfant frustré investit d’avantage certaines régions de son corps et organise un comportement auto-érotique de compensation. 3. Les sollicitations contradictoires : telle cette alternance d’investissements satisfaisants et non satisfaisants dont l’intégration dépasse les limites de régulation de l’appareil psychique de l’enfant et qui engendre donc l’apparition de troubles fonctionnels. Michèle Soulé affirme à ce propos « On comprend la valeur gravement désorganisante que prennent les signes contradictoires ; l’inconsistance ou l’incohérence des signes maternels transmettent des désordres au niveau de l’enfant ». Cours de Psychosomatique 14 Dr. Shabou Neyla