Le trouble psychosomatique : “quand le corps s`en mêle

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La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 5-6 - mai-juin 2007
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La Lettre du Psychiatre
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La Lettre du Psychiatre
Le trouble
psychosomatique :
quand le corps
s’en mêle”
Psychosomatic disorder:
“when the body ovestakes mind”
 M. Ferreri*
Le terme de “psycho-somatique” a été introduit en 1818 par Henroth et
orthographié alors avec un tiret signifi ant la dualité mais aussi l’interre-
lation de la psyché et du soma.
Question posée de longue date, évoquée déjà par Hippocrate et l’École de Cos au
Ve siècle avant J.-C. Question toujours d’actualité, évoluant avec les conceptions
et les connaissances sur le fonctionnement mental et somatique, qui se situe à un
moment particulier, dans un contexte culturel déterminé.
Chacune des grandes théories classiques (psychanalytique, cognitivo-compor-
tementale et bio-psycho-sociale) a élaboré des conceptions pour éclairer la
survenue des troubles psychosomatiques.
Les premières approches psychosomatiques issues de la psychanalyse se réfèrent
implicitement à “l’angoisse de tension” dont on sait l’expression corporelle décrite
par Freud. Elle apparaît “là et maintenant”, sans dimension symbolique ; elle
est liée à un défaut de réalisation des pulsions sexuelles, à une incapacité de
dégagement dans le fantasme ou la sublimation. L’angoisse de tension est à l’origine
des névroses actuelles : névrose d’angoisse, névrose traumatique, hypochondrie
névrotique, les deux dernières étant reconnues par certains auteurs comme des
troubles psychosomatiques. L’angoisse de tension s’oppose à l’angoisse signal
des névroses symboliques, hystérique, phobique et obsessionnelle, qui naît de la
menace d’un danger et d’un châtiment symbolisé par la castration, à l’origine
du refoulement. Cependant Groddeck, créateur du “ça”, se réfère au modèle
de l’hystérie, chaque partie du corps a une intentionnalité expressive et sert de
support à une symbolisation qui peut être comparée au rêve. Certes, il décrit une
anatomie affective, imaginative, qui semble naïve, mais dont les prolongements
se retrouvent dans certaines conceptions actuelles. Des approches ultérieures
évoquent la spécificité du refoulement, l’impossibilité “du retour du refoulé”, un
“enfouissement des conflits” lors d’un trouble psychosomatique.
Le problème de la spécificité structurelle, organisationnelle, conflictuelle et
dynamique des troubles psychosomatiques s’inscrit comme un des fondements
de la médecine psychosomatique avec le statut du corps : fantasmatique et réel.
* Service de psychiatrie, hôpital Saint-Antoine, Paris.
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Une spécificité est recherchée dans l’organisation de la
personnalité qui favoriserait l’apparition d’un trouble
psychosomatique. Inaugurée par Dunbar, cette recherche est
poursuivie par des études épidémiologiques et avec la mise en
évidence de traits de personnalité prédisposant à certaines
maladies, notamment cardiovasculaires, et la description par
Fielman et Rosenman de la personnalité de type A, encore
discutée dans sa relation à la vulnérabilité biologique.
D’autres spécificités, conflictuelles selon le type de maladie
cette fois, sont étudiées par Alexander qui décrit deux
émotions antagonistes : l’une agressive, l’autre inhibée. Ces
émotions surgiraient lors de conflits inconscients réactivés par
leur correspondance avec des événements de vie. Le déficit
de verbalisation et de fantasmatisation ne permet pas la
décharge de cette agressivité et aboutit à une “excitation” du
système nerveux autonome qui innerve les muscles lisses et les
viscères dont les perturbations réalisent “la névrose d’organe”,
délaissée actuellement.
Le déficit de mentalisation fonde le concept de pensée
opératoire, élaboré par Fain, Marty, M’uzan et David qui
retiennent une modalité singulière du fonctionnement de la
pensée. Elle est caractérisée par un discours factuel, laissant peu
de place aux émotions et aux fantasmes, donnant à la relation
une dimension impersonnelle : le symptôme psychosomatique,
dans cette approche, n’a pas de sens symbolique. La théorie a
été remaniée en tenant compte des possibilités dynamiques
du sujet, du contexte environnemental et des vulnérabilités
biologiques. L’alexithymie est une notion clinique voisine,
décrite par Sifneos. Évaluée par des études épidémiologiques,
elle n’est pas spécifique des troubles psycho-somatiques, bien
qu’elle y soit fréquente, et apparaît comme une conception
transnosographique.
La spécificité dynamique insiste avec l’école kleinienne sur les
fixations libidinales et leur corrélation lors des mouvements
de régression en particulier orale et anale (fantasme sadique
dans la recto-colique hémorragique).
L’apport des théories cognitivo-comportementales, dominées
par la notion de défaut d’apprentissage, se situe essentiellement
dans la gestion corporelle de l’angoisse par la relaxation, la
désensibilisation et la restructuration cognitive pour modifier
les schèmes de pensées délétères. Sur le registre conceptuel, la
théorie fait appel au comportement opérant de Skinner, au
personnal construct de Kely l’individu se construit par
des expériences individuelles successives mais aussi sociales
“d’imitation”, comme le précise Bandura. Ces différentes
expériences aboutissent à une empreinte cognitive des schémas
de pensée et des postulats silencieux dont la perturbation est
source de stress, de conflits dans certaines situations (Beck).
L’importance de l’environnement, souvent négligée, s’affiche
dans l’abord bio-psycho-social en insistant sur les capacités
d’adaptation du sujet au contexte environnemental. La
survenue et l’évolution d’un trouble psychosomatique sont
liées en partie au dysfonctionnement de la relation du patient
avec autrui dans l’univers professionnel ou le milieu familial. Il
s’agit dès lors d’apprécier la place et la fonction du patient et
de chacun des membres de l’entourage et de lire la dynamique
des interrelations.
L’étiologie des troubles psychosomatiques est complexe,
comme le soulignent implicitement les différentes théories. Elle
implique de multiples facteurs et comporte de nombreuses
inconnues : une certaine prudence s’impose pour cerner la
relation qui existe entre psyché et soma. L’abord pathogénique,
mettant en jeu différents mécanismes et conceptions, paraît
davantage heuristique qu’une hypothèse étiologique univoque
qui tendrait à réduire la réflexion.
Cette perspective oblige à caractériser le trouble
psychosomatique en insistant sur la singularité clinique du
trouble somatique dont la dimension psychologique est
prévalente dans sa survenue et son évolution. Il s’oppose
ainsi aux autres troubles somatiques dont la dimension
psychologique est toujours présente, mais contingente.
La formation du “psychosomaticien” est ainsi posée. Elle
concerne surtout les médecins généralistes ou les somaticiens
d’autres spécialités, qui suivent la majorité des patients. La
formation par les groupes Balint, pratiquée et conceptualisée
notamment par Sapir et Alby, est reconnue pour la qualité
de son expérience relationnelle. L’intérêt de la formation
à la pratique cognitivo-comportementale, à la relaxation
est une aide thérapeutique en fonction des troubles et de la
personnalité des patients.
Si le trouble psychosomatique interroge le clinicien sur son
approche conceptuelle et son possible dogmatisme, il interroge
aussi le patient sur les registres relationnel, existentiel et une
éventuelle vulnérabilité biologique qui tissent sa propre
histoire, comme l’évoquent des articles de La Lettre du
Psychiatre sur le thème “Quand le corps s’en mêle”. Cette
connaissance complexe oriente le clinicien pour proposer
l’approche thérapeutique la plus adaptée à la problématique
et aux disponibilités du patient. Ces différentes approches ne
s’excluent pas mutuellement et peuvent être complémentaires
dans le temps en fonction de l’évolution du patient et de la
représentation de ses troubles.
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