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Tiré de: Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves
et R. Schediwy, responsables • EES3501N
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68 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004
« légitime » ; enfin, le respect manifeste des auteurs pour le postulat capitaliste
dont il a été question ci-dessus, puisque l’ignorer reviendrait à reconnaître la
tendance dégénérative de l’entreprise capitaliste classique et la fin du système
capitaliste traditionnel, bien que pour des raisons autres que celles envisagées
par Marx.
Un autre courant considère les grandes entreprises modernes à partir
de deux principes : il questionne le postulat capitaliste et tient ensuite pour
acquis que l’organisation institutionnelle des grandes entreprises a changé de
deux façons. La première modification repose sur la séparation entre l’agent
qui contrôle l’entreprise et l’agent qui en est le propriétaire. La deuxième rap-
pelle que l’agent qui le contrôle est la haute direction (et non pas des action-
naires). Ce courant s’est manifesté au début du xxe siècle avec les travaux des
institutionnalistes Tawney (1921) et Veblen (1921), qui ont tôt fait de décrire le
processus de séparation du propriétaire de l’agent contrôlant dans les grandes
entreprises capitalistes, la transformation des propriétaires en « fainéants
absentéistes », le conflit latent, mais grandissant entre les gestionnaires et les
propriétaires et l’augmentation du pouvoir des gestionnaires.
Cette perspective a été élaborée par d’autres économistes comme Berle
et Means (1932), Galbraith (1967) et Chandler (1990). Ne se contentant pas
d’élaborer des structures théoriques pour ce qu’on peut nommer l’économie
de gestion, ils ont aussi fourni des preuves empiriques solides pour appuyer
leurs théories. Selon ces auteurs, le processus de transformation de l’économie
capitaliste en économie managériale est irréversible, parce que l’omnipré-
sence croissante d’un nouvel agent économique et social, le gestionnaire, est
une nécessité objective pour les grandes entreprises qui dominent l’économie.
Les raisons expliquant l’essor du pouvoir des gestionnaires sont de deux
types : techniques et organisationnelles. Les premières surgissent du dévelop-
pement de l’activité des entreprises, qui exigent de plus en plus de compé-
tences professionnelles et de savoir-faire de la part des ressources humaines.
La dispersion croissante des actionnaires et la fragmentation des intérêts
(holdings) entre plusieurs petits actionnaires sont autant de raisons organisa-
tionnelles menant à la manifestation de ce phénomène. Le comportement de
ces propriétaires envers l’entreprise est particulier, car ils ne s’intéressent ni
aux activités de l’entreprise, ni à sa gestion, mais uniquement à la répartition
des dividendes et à la valeur des actions. Comme groupe, ils ont perdu le
contrôle direct de la gestion de l’entreprise.
Toutefois, ces propriétaires détiennent toujours un certain contrôle, dit
négatif, sur l’entreprise. Ils peuvent en effet définir les critères de sélection et
limiter la marge de manœuvre des gestionnaires, variables qui influencent la
qualité et le comportement des gestionnaires. Comme Galbraith l’a indiqué,