La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVI - nos 8-9 - octobre-novembre 2001
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TRIBUNE
n’entraînait pas une adaptation adéquate de l’antibiothérapie
dans tous les cas où elle se justifiait pourtant (8-10), que fau-
drait-il penser d’un infectiologue travaillant de façon indépen-
dante du laboratoire de microbiologie, si ce n’est qu’à défaut
d’être tout à fait aveugle, il serait au moins borgne ? La dis-
cussion quotidienne entre infectiologues et microbiologistes
des prélèvements importants et des cas cliniques difficiles est
devenue systématique depuis des années dans notre institution.
De même, une consultation très étendue des infectiologues cou-
vrant l’ensemble de notre institution combinée à une collabo-
ration avec les microbiologistes a permis de développer une
activité appréciée de tous les services cliniques spécialisés.
Cette situation nous a conduits à proposer une consultation com-
mune des infectiologues et des microbiologistes dans certaines
unités d’hospitalisation, dont tous les protagonistes se plaisent
à reconnaître le côté performant et enrichissant.
Le mode d’organisation des activités des microbiologistes et
des infectiologues dans les différents pays soulève suffisam-
ment d’intérêt pour avoir récemment fait l’objet d’un “work-
shop” de l’European Society of Clinical Microbiology and
Infectious Diseases (11). Comme on pouvait s’y attendre, l’or-
ganisation de l’activité microbiologique et infectiologique est
extrêmement variable d’institution à institution. Cependant,
l’importance d’une intégration de ces deux secteurs y est sou-
lignée. Celle-ci passe également par une réflexion sur la for-
mation dans ces deux spécialités. Au minimum, les programmes
de formation doivent permettre l’acquisition d’une formation
approfondie en infectiologie pour les microbiologistes et vice
versa. Certains pays, comme le Royaume-Uni, vont plus loin,
et proposent une formation tout à fait intégrée de ces deux
disciplines (12).
PRESCRIPTION DES ANTIBIOTIQUES
La problématique de l’usage des antibiotiques à l’échelle d’une
institution représente une autre opportunité de convergence de
l’activité des microbiologistes et des infectiologues (13). De
nombreuses études ont en effet mis en évidence le fait que les
médecins hospitaliers prescrivent trop d’antibiotiques et, de
surcroît, les utilisent de façon souvent inappropriée. Plusieurs
facteurs contribuent à cette utilisation inadéquate, tels que la
confusion devant le vaste choix de molécules disponibles, l’uti-
lisation passionnelle des antibiotiques, le poids de l’industrie
pharmaceutique ou le manque de formation dans le domaine
des maladies infectieuses au cours de la formation médicale.
Ces divers motifs ont entraîné une explosion de la consomma-
tion des agents anti-infectieux, dont la pertinence doit être
remise en question. Ainsi, en Belgique, de 1991 à 1997, l’usage
d’agents anti-infectieux en milieu hospitalier a crû de plus de
30 % en coût (Institut national d’assurance maladie-invalidité).
Face à ce constat, de nombreuses voix se sont élevées pour pro-
mouvoir une approche rationnelle de ce problème tout à fait
crucial pour l’avenir. Parmi les éléments clés de cette approche,
figure le développement d’une approche multidisciplinaire.
Dans notre institution, un groupe informel (groupe antibiothé-
rapie) réunit depuis dix ans infectiologues et microbiologistes,
mais aussi pharmaciens et épidémiologistes hospitaliers,
afin de proposer aux cliniciens une politique cohérente
dans l’utilisation des antibiotiques. Ce groupe fonctionne
comme une sous-commission de la Commission médico-
pharmaceutique locale, et a profondément contribué à mode-
ler le paysage antibiotique de l’institution. Tous les aspects rela-
tifs à l’utilisation des antibiotiques y sont abordés : la compo-
sition du formulaire thérapeutique reprenant les seules
spécialités admises à l’hôpital, le choix des présentations,
l’information au prescripteur, l’analyse des consommations, la
relation entre la consommation et l’évolution de la résistance,
ainsi que l’évaluation de la qualité de l’usage et de l’adéqua-
tion de celui-ci aux recommandations du groupe. Cette
approche a certainement contribué à une meilleure utilisation
des ressources antibiotiques.
Au niveau national, de nombreux pays ont progressivement
développé des dispositions particulières relatives à la prescrip-
tion des antibiotiques à l’hôpital. En France, l’Agence natio-
nale pour le développement de l’évaluation médicale a récem-
ment précisé les missions du Comité du médicament et des
autres acteurs hospitaliers dans ce domaine (14). En Belgique,
une Commission de coordination de la politique antibiotique
(CCPA) a récemment été constituée au niveau ministériel pour
développer une stratégie à long terme de gestion rationnelle de
l’usage des antibiotiques (15).Au niveau national, des mesures
financières ont été proposées pour ne limiter le remboursement
des antibiotiques en prophylaxie chirurgicale qu’aux produits
et doses recommandés dans la littérature ; ceci a conduit à une
importante diminution de l’usage inadéquat dans cette indica-
tion. La CCPA a confié à un groupe d’experts pluridisciplinaires
l’élaboration de recommandations thérapeutiques basées sur la
méthodologie de l’evidence-based medicine. Elle conduit des
analyses comparatives de la consommation hospitalière des
antibiotiques et les diffuse auprès des praticiens, et détermine
les priorités de financement de programmes de surveillance de
la résistance aux antibiotiques. De plus, cette commission a
entrepris une campagne d’information des praticiens et du
public sur l’usage prudent des antibiotiques, et a défini un pro-
gramme national de formation de troisième cycle en gestion de
l’antibiothérapie accessible aux microbiologistes, aux infec-
tiologues et aux pharmaciens. Cette commission a également
proposé l’établissement d’une structure pluridisciplinaire au
niveau hospitalier chargée de la gestion de l’antibiothérapie au
sein de la Commission médico-pharmaceutique et du Comité
d’hygiène hospitalière, ainsi que le financement d’un médecin
ou d’un pharmacien délégué à la gestion de l’antibiothérapie.
À l’heure où les gestionnaires des institutions de soins se trou-
vent face à des choix de plus en plus délicats dans les priorités
d’investissement, le développement d’une approche intégrée
entre microbiologistes et infectiologues peut aussi se révéler
une source d’économie, comme l’ont montré plusieurs travaux
(16). Le développement d’une politique intégrée et multidisci-
plinaire de l’usage des antibiotiques pourrait, en outre, contri-
buer à la préservation de l’épidémiologie locale et à la dimi-
nution de la transmission de bactéries multirésistantes.