Au moment où son texte fondateur, la loi dite loi Huriet-
Sérusclat, vient d’être modifié, peut-être est-il temps de
remettre les choses en perspective.
LE “COMITÉ D'ÉTHIQUE”,UN CONCEPT D'IMPORTATION
De Nuremberg à Helsinki
En 1947, un tribunal militaire américain siégeant à
Nuremberg avait à juger trente médecins allemands accusés,
entre autres crimes, d'avoir pratiqué des expérimentations sur
des prisonniers en temps de guerre. L'avocat du principal
inculpé, mentionnant des essais concernant la malaria, réali-
sés à la prison d’État de Chicago (2), rétorqua qu'aux États-
Unis, il en avait été de même durant la même période.
L’émotion fut grande, et, le 13 mars 1947, le gouverneur de
l’Illinois, Dwight H. Green, constituait un comité ayant pour
mission d’examiner les conditions de réalisation de ces essais.
Le comité devait se prononcer sur l’éventualité de déviations
entre les protocoles expérimentaux et les conditions normales
de la pratique médicale, vérifier si les prisonniers inclus dans
les recherches étaient tous informés et consentants, et dire si
le système de remise de peine destiné à récompenser la bonne
conduite en milieu carcéral était acceptable dans cette situa-
tion, du point de vue de l’authenticité du volontariat.
Tocqueville (3) avait déjà remarqué cette propension des
Américains, héritée des pionniers de la Nouvelle-Angleterre,
à se réunir en comité pour examiner toute question un peu
sérieuse posée par la vie en collectivité. Illustration de la
démocratie directe où les intéressés s’intéressent moins à la
théologie qu’à l’application de la théologie au quotidien.
Ce comité, en quelque sorte le premier “comité d’éthique”,
rassemblait trois médecins, un rabbin, un jésuite, un juriste et
un industriel producteur de cornflakes, ce dernier représentant
ici le profane (en langage moderne : la société civile).
Rapportant quelque temps plus tard leur expérience dans les
colonnes d’une revue médicale (4), les membres du comité
conclurent en recommandant que, dans le futur, un comité
permanent soit mis en place, pour conseiller les autorités de
santé publique en matière de recherches sur l’homme.
En 1957, examinant les aspects “médico-légaux” de l’expéri-
mentation humaine, Irwin Ladimer préconisait l’organisation
de comités ayant pour fonction de relire, préalablement à leur
réalisation, les projets de recherche médicale, ne serait-ce
qu’à titre de précaution, tant pour la responsabilité du cher-
cheur que pour la sécurité du volontaire participant (normal
volunteers or patients) (5).
Accepté en juin 1964 par l’Association médicale mondiale,
lors de son assemblée générale d’Helsinki, le “code d’Éthique
de l’Association médicale mondiale pour l’expérimentation
humaine” ne dit mot d’un tel comité.
Toutefois, de façon quasiment simultanée, en 1975, les autorités
fédérales américaines prennent en référence la déclaration
d’Helsinki, et l’Association médicale mondiale (assemblée
générale de Tokyo) modifie cette déclaration, en recommandant
que, avant la mise en place d’une expérimentation sur l’hom-
m e , le protocole “soit soumis pour examen, commentaires et
conseils à un comité constitué spécialement à cet effet, indé -
pendant du chercheur et du promoteur”. Une commission
officielle ayant dévoilé les pratiques discutables de certains
chercheurs, pour remédier à de telles déviations, la Food and
Drug Administration (FDA) définit alors le système des
Institutional Review Boards (IRB), expression qui peut s’ap-
pliquer (6) à tout conseil, comité ou groupe, explicitement
désigné par une institution pour examiner, approuver la mise
en place et assurer le contrôle régulier, tout au long de sa réa-
lisation, d’une recherche pratiquée sur l’homme (7). Le but
principal de cet examen est la garantie de la protection des
droits et de la santé des personnes participant à la recherche.
À partir de 1981, tout essai clinique, préalablement à sa décla-
ration à la FDA, doit avoir fait l’objet de l’approbation et du
contrôle d’un IRB (8). La FDA limite l’acceptation d’un essai
clinique réalisé en dehors des États-Unis, et présenté pour
l’enregistrement d’un médicament par l’administration améri-
caine, à la condition d’avoir été construit selon les principes
énoncés dans la déclaration d’Helsinki (version 1975, puis
1983, puis 1989
[a]
), c’est-à-dire ceux d’un essai clinique ayant,
en particulier, fait l’objet de l’examen d’un comité indépen-
dant, préalablement à sa mise en place.
Cette restriction a entraîné, dans les années 1980, en Europe
en général et en France
[ b ]
en particulier, la création de comités
d’éthique hospitaliers ou hospitalo-universitaires.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins avait, à ce propos,
apporté les précisions suivantes (9) :
“Le Conseil national de l’Ordre approuve la procédure des
comités déontologiques (appelés aussi comités d’agréments,
comités scientifiques et éthiques) existant déjà dans les pays
anglo-saxons et à titre exceptionnel en France. Leur rôle doit
être d’apprécier le caractère scientifique des projets, la com -
pétence des expérimentateurs, la réalité du consentement
l i b re des sujets, les précautions de prudence prévues. Ils ont à
donner un avis, éventuellement à conseiller des modifications
dans les projets. Les comités doivent avoir communication
des contrats passés entre les investigateurs et les firmes phar -
maceutiques”.
60
La Lettre du Pharmacologue - Volume 18 - n° 2 - avril-mai-juin 2004
L
É G I S L A T I O N
[a]
La dernière version de la déclaration d’Helsinki (Édimbourg, 2000) comport a n t
des recommandations auxquelles elle ne souscrit pas (concernant en particulier
l’usage du placebo comme comparateur), la FDA s’est abstenue d’y faire réfé-
rence. FDA Guidance for Industry-Acceptance Foreign Clinical Studies, mars
2001.
[b]
Ils sont nés de l’initiative d’administrations hospitalières ou de celle de praticiens
de la recherche clinique et, du fait de leur fermeture aux étrangers au monde de
la santé, ont plus produit une “évaluation par les pairs”, qu’un examen
“éthique” au sens général du terme, particulièrement au regard du consente-
ment informé. Au reste, leur consultation n’était ni obligatoire, ni formalisée.