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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 6 - juin 2000
POINT SUR LE TRAITEMENT
DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses stratégies thé-
rapeutiques ont été évaluées dans l’insuffisance cardiaque. Ces
stratégies ont montré des bénéfices variables selon les classes
pharmacologiques. Malgré les progrès réalisés, l’insuffisance
cardiaque reste un problème de santé publique préoccupant. Il
s’agit, en effet, d’une maladie du sujet âgé (78 ans) dont le
coût va aller grandissant en raison du vieillissement de la popu-
lation. À l’heure actuelle, elle représente la seconde cause
d’hospitalisation aux États-Unis. En France, la prise en charge
de cette maladie correspond à un coût de 5,6 à 7,3 milliards de
francs. La poursuite des recherches reste donc nécessaire pour
déterminer les stratégies thérapeutiques les plus efficaces.
Bêtabloquants
Les bêtabloquants étaient classiquement contre-indiqués dans
l’insuffisance cardiaque en raison de leur effet inotrope néga-
tif. Cependant, leur efficacité sur les symptômes, puis sur la
mortalité, a été progressivement mise en évidence grâce à plu-
sieurs essais cliniques : d’abord des études d’effectifs modestes
entre 1974 et 1980 (études suédoises), puis des études de plus
grande envergure entre 1986 et 1999 comme MDC et MERIT-
HF avec le métoprolol, l’US program avec le carvédilol et
CIBIS I et II avec le bisoprolol. Les effets bénéfiques des bêta-
bloquants ont été observés lorsque leurs posologies étaient aug-
mentées très progressivement. Ils seraient liés à une diminu-
tion des effets délétères des catécholamines sur le myocarde.
L’effet global des bêtabloquants dans le traitement de l’insuf-
fisance cardiaque a été évalué à l’aide d’une méta-analyse sur
quinze études publiées (12 568 patients) et réalisées avec des
molécules β1-sélectives (bisoprolol, métoprolol) ou non sélec-
tives (carvédilol, bucindolol). Les bêtabloquants entraînent une
diminution de la mortalité toutes causes confondues (risque
relatif = 0,79 ; IC95 = [0,73-0,86]). Cette diminution du risque
semble varier en fonction du risque de base, les bêtabloquants
étant probablement moins efficaces chez les malades les plus
gravement atteints. Une meilleure efficacité en termes de sur-
vie a été observée dans le groupe β1-sélectif alors que le nombre
d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque a été diminué de
façon similaire dans les deux groupes (- 25 %). De plus, une
amélioration d’une classe fonctionnelle de la NYHA a été notée
chez un quart des malades, amélioration corrélée à l’augmenta-
tion de la fraction d’éjection. Il semblerait que les patients amé-
liorant leur fonction ventriculaire aient le meilleur pronostic.
Un autre facteur pronostique important est la fréquence car-
diaque avant traitement : plus elle est élevée et plus le risque
de décès est important. Dans l’étude CIBIS II, une analyse en
sous-groupes a montré une augmentation de la survie chez les
patients en rythme sinusal, mais aucun effet chez les patients
en fibrillation auriculaire, alors que la fréquence cardiaque était
diminuée de façon identique dans les deux groupes. En ce qui
concerne l’étiologie, si les patients ischémiques bénéficient
clairement du traitement bêtabloquant, un effet identique reste
à démontrer dans les cardiopathies primitives.
Antagonistes de l’endothéline
L’endothéline 1 est un peptide, puissant vasoconstricteur, syn-
thétisé à partir de la “big-endothéline” par une enzyme spéci-
fique, l’enzyme de conversion de l’endothéline. Ses effets sont
médiés par la stimulation de deux types de récepteurs : ETAet
ETB. La stimulation des récepteurs ETAet ETB,situés au niveau
du muscle lisse vasculaire, a un effet vasoconstricteur alors que
la stimulation de récepteurs ETB,situés au niveau de l’endo-
thélium, a un effet vasodilatateur (par libération de monoxyde
d’azote et de prostacycline). Par ailleurs, la clairance de l’en-
dothéline est sous la dépendance de récepteurs ETB. Dans l’in-
suffisance cardiaque, les taux plasmatiques d’endothéline sont
d’autant plus élevés que la maladie est plus avancée, et ils
constituent un facteur prédictif du risque de décès.
Les effets du blocage du système ont surtout été étudiés avec
une molécule se fixant sur les deux types de récepteurs, le
bosentan. Les études réalisées sur des modèles animaux d’in-
suffisance cardiaque ont montré que l’administration de bosen-
tan améliore la survie, induit des effets vasodilatateur artério-
laire et trophique cardiaque (diminution de l’hypertrophie et de
la fibrose) qui s’accompagnent d’une amélioration de l’hémo-
dynamique cardiaque (diminution de la pression télédiastolique
du ventricule gauche).
Le recours à d’autres stratégies, impliquant notamment un blo-
cage spécifique des récepteurs ETA,est par ailleurs possible.
En effet, les antagonistes spécifiques des récepteurs ETA
auraient l’avantage de maintenir la dilatation endothélio-dépen-
dante médiée par la stimulation des récepteurs ETBet de réduire
les taux plasmatiques d’endothéline.
RÉUNION
4eCongrès annuel de la Société française
de pharmacologie*
*Rouen, 10-12 avril 2000.
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RÉUNION
Une étude réalisée sur un modèle d’insuffisance cardiaque après
ligature de l’artère coronaire chez le rat a comparé les effets
d’antagonistes spécifiques des récepteurs ETA,des récepteurs
ETBet de leur combinaison. Il en ressort que les blocages mixte
ou sélectif ETAexercent les mêmes effets hémodynamiques
(diminution des pressions artérielle moyenne et télédiastolique
du ventricule gauche et diminution du diamètre télédiastolique
du ventricule gauche), mais que seul le blocage mixte diminue
la fréquence cardiaque. De plus, les trois stratégies étudiées ont
un effet similaire sur la diminution de la densité en collagène
cardiaque. Si la stratégie du blocage mixte semble être la plus
intéressante, d’autres travaux sont nécessaires pour mieux éva-
luer l’intérêt et/ou les limites du blocage sélectif. De plus,
d’autres stratégies thérapeutiques restent à évaluer, comme le
blocage de la synthèse d’endothéline par les inhibiteurs de l’en-
zyme de conversion de l’endothéline ou le blocage concomitant
des systèmes endothéline et rénine-angiotensine.
Inhibiteurs de NEP et inhibiteurs mixtes NEP-ACE
L’endopeptidase neutre (NEP) est une métallopeptidase pré-
sente sur différents types de cellules vasculaires : endothéliales,
musculaires lisses et fibroblastes. Elle est impliquée dans la
dégradation des peptides natriurétiques (ANP, BNP, CNP). Des
inhibiteurs spécifiques de NEP ont été développés dans le but
de diminuer la dégradation de ces peptides et ainsi d’induire
des effets natriurétiques. D’autres molécules, moins spéci-
fiques, appelées inhibiteurs des vasopeptidases, inhibent de
façon simultanée l’enzyme de conversion de l’angiotensine et
la NEP. Les effets de ces molécules sont en cours d’évaluation.
Une étude réalisée chez le rat a montré qu’un inhibiteur des
vasopeptidases est capable d’induire une diminution de la pres-
sion artérielle moyenne similaire à celle d’une perfusion d’ANP,
et qu’un effet additif est observé quand les deux traitements
sont administrés simultanément. Ces effets s’accompagnent
d’une augmentation de la natriurèse, du GMPc urinaire et de
l’ANP urinaire. Ce dernier constitue d’ailleurs un marqueur de
l’effet du traitement car, à l’état normal, ses taux sont indétec-
tables dans les urines. Les inhibiteurs des vasopeptidases blo-
quent l’enzyme de conversion de l’angiotensine de façon simi-
laire aux inhibiteurs spécifiques comme le captopril, et
potentialisent l’effet vasodilatateur de la bradykinine, l’enzyme
de conversion de l’angiotensine et la NEP étant toutes deux
impliquées dans son métabolisme. Enfin, ils diminuent la sécré-
tion de rénine.
Les inhibiteurs de NEP et les inhibiteurs des vasopeptidases
possèdent un intérêt potentiel dans le traitement de l’insuffi-
sance cardiaque. Des études cliniques restent cependant à réa-
liser pour le démontrer de façon formelle.
Anti-aldostérone
L’aldostérone est une hormone principalement synthétisée par
la cortico-surrénale. Cependant, une synthèse d’aldostérone et
de récepteurs aux minéralocorticoïdes existe aussi au niveau du
cœur. Les régulateurs connus de la synthèse d’aldostérone sont
l’ACTH (hormone hypophysaire) et l’angiotensine II. L’aldo-
stérone exerce ses effets via la liaison à un récepteur intracel-
lulaire, le récepteur des minéralocorticoïdes. Son effet princi-
pal est rénal, localisé au niveau du tube contourné distal : elle
induit une réabsorption du sodium en augmentant simultané-
ment l’élimination du potassium. Une étude réalisée chez le rat
a montré que l’aldostérone, administrée en perfusion, possède
aussi des effets d’induction de la fibrose myocardique et vas-
culaire, et augmente l’expression du gène du récepteur AT1ainsi
que l’action fibrogène de l’angiotensine II.
Les antagonistes de l’aldostérone, comme la spironolactone et
plus récemment l’éplérénone, possèdent des effets diurétiques
en entrant en compétition avec l’aldostérone grâce à leur affi-
nité pour les récepteurs des minéralocorticoïdes. Chez le rat
hypertendu (SHR ou uninéphrectomisé et perfusé par l’aldo-
stérone), la spironolactone induit une diminution de la fibrose
myocardique et aortique ainsi que du nombre de récepteurs AT1.
Chez le rat insuffisant cardiaque après ligature de l’artère coro-
naire, les effets de la spironolactone ont été comparés à ceux
d’un antagoniste spécifique des récepteurs AT1de l’angioten-
sine II, le losartan. Dans ce modèle, les taux cardiaques d’an-
giotensine II, d’aldostérone et la densité en collagène cardiaque
sont augmentés. Le losartan diminue ces trois paramètres alors
que la spironolactone réduit uniquement la fibrose, et cela de
façon moins importante. Les deux traitements diminuent aussi
la concentration en noradrénaline myocardique. Chez l’homme
en insuffisance cardiaque sévère (classe NYHA III-IV), la spi-
ronolactone réduit le risque relatif de décès de 30 % par rap-
port au placebo (étude RALES).
Les grands essais cliniques
Les différentes stratégies testées dans l’insuffisance cardiaque
ont montré une hétérogénéité des effets observés d’une classe
thérapeutique à l’autre, aussi bien en ce qui concerne l’amélio-
ration de la qualité de vie que la survie. Par exemple, les inotropes
positifs de la classe des inhibiteurs des phosphodiestérases amé-
liorent de façon marquée la symptomatologie mais augmentent
la mortalité, la digoxine améliore de façon plus modérée la symp-
tomatologie mais a peu d’effet sur la mortalité, les vasodilata-
teurs tels que les alphabloquants et les nitrés ont un effet neutre
sur la symptomatologie et faible sur la mortalité, alors que les
inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les bêta-
bloquants et les diurétiques de type anti-aldostérone améliorent
la symptomatologie de façon plus ou moins marquée avec une
augmentation concomitante de la survie. Outre les différences
d’ordre pharmacologique, cette hétérogénéité des effets obser-
vés peut relever de causes méthodologiques.
Les essais cliniques sont, en effet, assez difficiles à comparer
entre eux car les populations incluses peuvent différer de façon
importante d’une étude à l’autre. La comparaison des taux de
mortalité dans les groupes “placebo” permet, en première
approche, de cerner ces différences. Par exemple, la mortalité
annuelle du groupe placebo dans l’étude CIBIS II était de 13 %,
ce qui signifie que les patients inclus étaient moins sévèrement
atteints que dans la majorité des études antérieures, où elle était
de l’ordre de 40 %.
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RÉUNION
La mise en évidence d’une hétérogénéité des effets observés
entre différentes sous-populations pose un problème d’in-
terprétation délicat lorsqu’elle résulte d’analyses en sous-
groupes. Par exemple, dans les études PRAISE I et CIBIS I,
l’amlodipine et le bisoprolol avaient montré des effets favo-
rables sur la mortalité chez les malades atteints de cardiopa-
thie non ischémique, alors qu’ils n’en avaient montré aucun
chez les malades atteints de cardiopathie ischémique. Or, les
études PRAISE II et CIBIS II n’ont pas confirmé que les
patients atteints de cardiopathie non ischémique bénéficiaient
du traitement par l’amlodipine et par le bisoprolol. Ces deux
expériences doivent rendre très prudent dans l’interprétation
des analyses en sous-groupes, même lorsque celles-ci avaient
été prévues au moment de la conception du protocole.
La “crédibilité” des résultats obtenus repose donc sur un
ensemble d’éléments méthodologiques incluant, outre les carac-
téristiques du plan expérimental, le nombre de sujets inclus
(déterminant la puissance statistique), le nombre d’événements
observés, les résultats des analyses de cohérence interne (tests
d’homogénéité, analyse strictement réduite aux sous-groupes
définis dans le protocole) et externe (comparaison des résultats
des différentes études entre elles). Si, sur ces critères, certaines
classes thérapeutiques ont fait la preuve de leur efficacité dans
l’insuffisance cardiaque (inhibiteurs de l’enzyme de conversion
de l’angiotensine, bêtabloquants, anti-aldostérone), d’autres
classes (inhibiteurs des récepteurs AT1de l’angiotensine II,
nitrés et autres vasodilatateurs, digoxine et inotropes positifs,
antiagrégants plaquettaires et anticoagulants) nécessitent des
études complémentaires pour mieux cerner leur place dans le
traitement de cette pathologie.
S. Goineau, E. Bellissant, Rennes
NEUROPSYCHOPHARMACOLOGIE
Lors du symposium de neuropsychopharmacologie, deux
exposés ont été consacrés à la pharmacologie de l’addiction.
M. Le Moal (Bordeaux) a dressé un tableau des bases physio-
pathologiques actuelles du phénomène de dépendance, en met-
tant en lumière le rôle pivot joué par le noyau accumbens, ce qu’a
également illustré J.C. Schwartz (INSERM U109) en démon-
trant, dans sa conférence, le rôle du récepteur D3de la dopamine,
qui est principalement exprimé dans cette région du cerveau.
De l’usage à l’abus : à la recherche d’une conception
physiopathologique de la dépendance
M. Le Moal a d’abord rappelé la définition donnée en 1982 de
l’addiction, terminologie médicale qui recouvre l’utilisation
compulsive, chronique, incontrôlable de drogue au point de ne
plus pouvoir s’en passer, ce qui se traduit par une dépendance
à la fois physique et psychique. La dépendance est de plus en
plus souvent définie par sa composante psychique, en particu-
lier affective, dont témoigne l’expérience affective négative que
ressent le sujet en l’absence de la drogue dont il est dépendant.
Cette expérience affective négative est une des caractéristiques
fondamentales du phénomène de dépendance, à côté de ses
autres caractéristiques : usage irrépressible et compulsif d’une
drogue, perte de contrôle vis-à-vis de la consommation de
drogues, rétrécissement progressif des conduites avec un inté-
rêt centré sur la drogue, échec dans les tentatives d’autorégu-
lation de l’usage de la drogue et rupture de l’homéostasie des
processus hédoniques. Les données épidémiologiques tendent
cependant à prouver que tous les sujets utilisant de la drogue
dans un but récréatif ne deviennent pas toxicomanes, suggérant
qu’il existe un phénotype de vulnérabilité vis-à-vis de l’addic-
tion qui ne serait pas la conséquence universelle de l’usage de
drogues. Cette notion de susceptibilité individuelle conduit à
s’interroger sur la ou les caractéristique(s) biologique(s) qui
détermine(nt) un phénotype “résistant” ou “vulnérable” vis-à-
vis de la toxicomanie. Des données expérimentales conduisent
à impliquer les interactions entre l’axe hippocampo-hypotha-
lamo-hypophyso-surrénalien du stress et les voies dopaminer-
giques, hypothèse renforcée par l’existence de récepteurs aux
glucocorticoïdes exprimés par les neurones dopaminergiques.
Des données comportementales démontrent que des rats sou-
mis à un stress se répartissent en deux groupes : un groupe
hyperréactif et un groupe hyporéactif. Il en est de même lorsque
des animaux sont soumis à la prise de drogue, puisqu’une par-
tie des animaux va s’autoadministrer la drogue, tandis que
l’autre groupe aura au contraire une réaction aversive. Les
animaux résistants à la prise de drogue sont également des
animaux résistants au stress, et inversement. Ces données
comportementales suggèrent donc qu’il existe bien deux phé-
notypes, l’un de vulnérabilité et l’autre de résistance à l’addic-
tion, et qu’un lien existe entre ces phénotypes et le phénotype
de réaction vis-à-vis du stress. La dopamine pourrait jouer un
rôle dans la détermination de ce phénotype puisque les animaux
hyperréactifs ont une libération importante de dopamine dans
le noyau accumbens en réponse au stress et à la prise de drogue.
Ce niveau d’hyperactivité dopaminergique dépendrait de l’état
d’activation du système de stress puisque les animaux vulné-
rables ayant subi une adrénalectomie deviennent résistants, et
qu’en revanche les animaux résistants à la prise de cocaïne trai-
tés par corticostérone deviennent vulnérables. Une des hypo-
thèses physiopathologiques sous-tendant le phénomène d’ad-
diction pourrait être que le stress lié à des événements de vie
par son retentissement sur les hormones glucocorticoïdes modi-
fierait la sensibilité des voies dopaminergiques, conduisant à
une vulnérabilité vis-à-vis de la prise de drogue. Du point de
vue neurobiologique, c’est la voie mésolimbique, prenant nais-
sance dans l’aire tegmentale ventrale pour se projeter dans
l’écorce du noyau accumbens, voie associée au noyau amyg-
dalien, qui semble constituer la voie finale commune détermi-
nant les effets hédoniques et de renforcement de l’ensemble des
substances toxicomanogènes. En effet, la région ventrale du
cerveau constitue la région de récompense (reward system),
dont la dopamine est l’un des principaux neuromédiateurs.
L’amplitude de variation des seuils de stimulation de ce sys-
tème de récompense au cours de la prise de drogue semble
constituer le substratum neurobiologique de la vulnérabilité vis-
à-vis de la dépendance. L’augmentation du seuil de stimulation
lors de la phase d’abstinence conduisant à une augmentation
de la motivation pour la prise de drogue serait le moteur de la
spirale addictive.
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RÉUNION
Le récepteur D3:du clonage à sa participation aux méca-
nismes de l’addiction
Le rôle pivot du système dopaminergique mésolimbique dans
la physiopathologie de l’addiction a conduit à s’intéresser à
l’implication éventuelle des récepteurs dopaminergiques dans
ce processus pathologique. Dans sa conférence, J.C. Schwartz
a mis en avant les arguments expérimentaux qui plaident pour
l’implication du récepteur D3de la dopamine. Le premier argu-
ment est un argument de localisation puisque, chez le rat, le
récepteur D3présente une localisation très restreinte à l’écorce
du noyau accumbens, qui constitue l’une des zones essentielles
des circuits de récompense activés par les substances toxico-
manogènes. Dans l’écorce du noyau accumbens, la dopamine,
libérée par l’administration de substances psychostimulantes,
active principalement les neurones épineux exprimant le récep-
teur D1,qui coexpriment également dans une proportion impor-
tante le récepteur D3(ainsi que la substance P). La mise en évi-
dence d’une augmentation de l’expression du récepteur D3dans
des cerveaux de sujets décédés d’une overdose de cocaïne a fait
suggérer que ce sous-type de récepteur dopaminergique pou-
vait effectivement être impliqué dans les phénomènes de dépen-
dance. Des études génétiques ont montré que le polymorphisme
Bal I du récepteur D3était associé à l’addiction aux opiacés (en
particulier chez les patients qui ont également des traits de per-
sonnalité à type de recherche de sensations fortes). Ce poly-
morphisme du récepteur D3est également surreprésenté chez
les patients schizophrènes avec antécédent de pharmacodé-
pendance.
Du point de vue pharmacologique, le blocage du récepteur D3
par des antagonistes préférentiels, comme le nafadotride
(qui possède une affinité dix fois plus importante pour le
récepteur D3que pour le récepteur D2), conduit à une
augmentation de l’autoadministration de cocaïne. En revanche,
des agonistes mixtes D2/D3conduisent à une diminution de l’auto-
administration de drogue. Il a été démontré que plus l’agoniste
est sélectif pour le récepteur D3,plus les doses nécessaires pour
bloquer l’autoadministration sont faibles, et qu’il existe une
corrélation entre l’affinité d’un agoniste pour le récepteur D3
et sa capacité à diminuer l’autoadministration. Cependant, la
sélectivité des différents agonistes dopaminergiques disponibles
pour le récepteur D3n’est que partielle. En outre, l’utilisation
d’animaux transgéniques montre que les réactions comporte-
mentales induites par les agonistes dopaminergiques les plus
sélectifs du récepteur D3(comme le PD 128,907, qui possède
une sélectivité cinquante fois plus importante pour le récep-
teur D3) et attribuées à la stimulation de ce sous-type de récep-
teur ne sont pas différentes chez les souris sauvages et chez
celles dont le gène du récepteur D3a été invalidé. La mise au
point récente, par l’équipe de J.C. Schwartz, du BP 897, ago-
niste partiel du récepteur D3et antagoniste faible du récep-
teur D2,a permis de mieux cerner l’implication du récep-
teur D3dans les conduites addictives. La sélectivité de cet
agent pharmacologique a pu être mise en évidence par l’utili-
sation de souris rendues knock-outpour le récepteur D3puisque
la potentialisation par le BP 897 de l’augmentation d’expres-
sion du c-fos induite par le SKF 38393, un agoniste D1,est
abolie chez la souris dépourvue de récepteur D3. L’utilisation
d’un modèle d’autoadministration de cocaïne chez le rat a per-
mis de montrer que le BP 897 ne modifiait pas le comporte-
ment d’autoadministration. En revanche, si on ajoute un sti-
mulus neutre (un éclat lumineux) à chaque auto-injection de
drogue, ce stimulus acquiert progressivement un pouvoir ren-
forçant qui permet de maintenir le comportement de recherche
de cocaïne, même en l’absence de délivrance de la drogue.
Dans ce type d’expérience, le comportement de l’animal, qui
reflète l’envie de drogue suscitée par le stimulus lumineux, est
réduit de manière dépendante de la dose par le BP 897. L’ori-
ginalité du BP 897 par rapport aux autres agonistes ou anta-
gonistes s’est trouvée confirmée par le fait que cette substance
n’est pas autoadministrée par des animaux entraînés à l’au-
toadministration de cocaïne, ce qui indique que le BP 897 n’a
pas en lui-même de propriétés addictives. Il semble que cette
propriété originale résulte à la fois de la spécificité du BP 897
vis-à-vis du récepteur D3et de son caractère d’agoniste par-
tiel. Le BP 897 pourrait, en effet, jouer un rôle tampon per-
mettant d’atténuer l’excès ou le déficit en dopamine dans la
voie mésolimbique aux différentes phases de la pharmacodé-
pendance, expliquant son effet antiaddictif potentiel. Ces deux
conférences ont permis de mieux comprendre les cibles molé-
culaires sur lesquelles seraient susceptibles d’agir des agents
pharmacologiques capables de prévenir l’addiction.
R. Bordet, Lille
Méthodologie d’études précliniques des antidépresseurs :
la lignée des “souris dépressives Rouen
(J.M. Vaugeois)
Les différents modèles animaux d’études précliniques permettent :
!D’élucider des mécanismes d’action neurobiologiques.
Mise en évidence de l’inhibition de la recapture des mono-
amines par les tricycliques, ou de l’inhibition sélective de la
recapture de la sérotonine par la sertraline, ou de l’inhibition
sélective de la recapture de la noradrénaline par la désipramine,
études décrivant plus précisément les modalités de mise en jeu
du transporteur des monoamines à travers la membrane plas-
mique neuronale.
"De construire des tests pharmacologiques pour identi-
fier de nouveaux antidépresseurs. Les souris réserpinées pré-
sentent une baisse de la température rectale, une hypothermie,
un ptosis palpébral et une akinésie. L’hypothermie est réversée
par un agoniste β-adrénergique, l’akinésie par un agoniste dopa-
minergique, la ptose palpébrale par un agoniste α1-adréner-
gique ou un agoniste sérotoninergique. La désipramine réverse
l’hypothermie et la sertraline non…
#D’induire des perturbations comportementales par la
manipulation de l’environnement des animaux au moyen
de divers tests.
$Les stress chroniques non prévisibles chez le rat (chronic
mild stress) : on obtient chez ces animaux une diminution du
comportement sexuel, de l’activité motrice et du poids. Ces
modifications ne sont pas accompagnées d’anxiété (comme
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 6 - juin 2000
RÉUNION
l’attestent des tests type croix surélevée ou d’interaction
sociale) ; elles sont observées avec des intensités identiques
chez les animaux mâles et femelles. Les animaux présentent
par ailleurs une augmentation de la taille de leurs glandes sur-
rénales et une hypersécrétion de corticostérone.
En fait, le comportement induit est une anhédonie (diminution
de la consommation d’eau sucrée ou de l’autostimulation…).
On observe au moyen de ce test sa correction par un traitement
chronique par des antidépresseurs (3 à 4 semaines de traite-
ment) :tricycliques,fluoxétine, moclobémide,miansérine, élec-
trochoc, flibansérine (agoniste 5-HT1A et antagoniste 5-HT2A
possédant peut-être un délai d’action plus bref). Les antago-
nistes D2/D3préviennent la réversion du déficit. Il est étonnant
de constater qu’il existe une variation interindividuelle de
réponse au stress avec schématiquement deux groupes d’ani-
maux : répondeurs/non-répondeurs.
$Le désespoir comportemental (test de nage forcée de
Porsolt), dans lequel on observe un allongement du délai pour
atteindre l’immobilité chez les souris traitées par les antidé-
presseurs. Ce test donne peu de faux positifs et de faux néga-
tifs et permet de screener beaucoup d’antidépresseurs
(tricycliques, IMAO, bupropion, IRSS). Les effets peuvent être
étudiés en administration aiguë ou chronique.
$Le test de suspension par la queue : il est effectué avec des
souris de la souche NMRI. On observe la diminution du temps
d’immobilité chez les animaux prétraités par un antidépresseur.
TCA, IMAO, miansérine, IRSS répondent dans ce test.
%De tester des étiologies.
$C’est le but d’un modèle qui repose sur une hypothèse
cholinergique.
La lignée est la Flinders sensitive line (FSL), constituée par des
rats Sprague-Dawley sensibilisés aux effets anticholinestéra-
siques. Ces rats ont une activité motrice, un poids et un appé-
tit diminués ; ils présentent une anhédonie et une sensibilité
augmentée au test de Porsolt. L’architecture de leur sommeil
est perturbée : le REM total est augmenté, mais la latence d’ap-
parition du premier sommeil paradoxal est diminuée. Ils ne
répondent pas positivement aux tests d’anxiété. Leur trouble
comportemental est réversé par les antidépresseurs de diffé-
rentes classes (imipramine, désimipramine, sertraline).
$Partant d’une hypothèse génétique, J.M. Vaugeois et coll. ont
sélectionné chez la souris Charles River les animaux présen-
tant un comportement de résignation spontané plus impor-
tant, un ralentissement moteur (mais sans corrélation entre
motricité et résignation) et un désespoir comportemental accru ;
ces traits particuliers sont sensibles au traitement antidépres-
seur. En réalisant une présélection sur l’immobilité (20 % des
animaux déprimés) et des croisements de ces souris résignées,
on obtient une population qui possède un comportement stable,
au niveau de laquelle on met plus facilement en évidence des
différences sur les temps d’immobilité dans des tests comme
le Porsolt ou le TST entre animaux traités par les antidépres-
seurs et témoins.
Ces animaux présentent des particularités neurochimiques :
augmentation au niveau des ganglions de la base du transpor-
teur de la dopamine (3H-mazindol), du transporteur de la séro-
tonine (3H-citalopram), de l’activité tyrosine-hydroxylase, ainsi
qu’une augmentation dans le cortex préfrontal et l’hippocampe
du taux de monoamines, du taux de sérotonine, et qu’une aug-
mentation de la concentration de récepteurs 5-HT1A limbiques.
Sur ces souris “résignées”, de nombreux antidépresseurs
démontrent leur efficacité en aigu dans le test de Porsolt (imi-
pramine, désimipramine, paroxétine, sertraline, citalopram,
fluoxétine), et, parfois, en chronique (paroxétine, fluoxétine).
Cette lignée génétique présente donc un intérêt particulier pour
l’étude de nouveaux antidépresseurs.
Sur les souris de la lignée “non résignée”, on observe une aug-
mentation de la résignation et une diminution de la motricité
lors d’un traitement par halopéridol, αMPT ou ésérine. S’agit-
il de souris hypomaniaques ? Le lithium et la carbamazépine
semblent sans effet.
Méthodologie des essais cliniques des antidépresseurs
(J.D. Guelfi)
Cette conférence expose certaines grandes lignes des recom-
mandations européennes non encore publiées à ce jour. La plu-
part d’entre elles sont décrites dans la revue de F.M. Quitkin et
coll. (Am J Psychiatry 2000 ; 157 : 327-37).
&Les grandes lignes. Un médicament est considéré comme
un antidépresseur lorsqu’il a fait la preuve de son efficacité dans
le traitement des épisodes dépressifs majeurs et non seulement
celui de symptômes isolés. Il est capable de traiter la sympto-
matologie aiguë et de maintenir l’effet antidépresseur au cours
du même épisode, et prévient aussi les récidives dépressives.
Le diagnostic repose sur les classifications cliniques interna-
tionales DSM IV et CIM 10. Il est indispensable d’utiliser la
même classification pour l’ensemble du plan de développement
d’un nouvel antidépresseur.
Pour valider un nouvel antidépresseur, il faut effectuer deux
essais contre placebo, puis situer le médicament potentiel contre
un antidépresseur de référence. Dans les essais à trois bras, on
rencontre souvent (une fois sur trois) le problème de l’absence
de différence entre placebo et traitement de référence.
D’un point de vue scientifique, l’essai contre placebo est néces-
saire, mais pose des problèmes éthiques croissants : lors d’un essai
versus placebo, l’étude doit être conduite de façon stricte avec une
initiation du traitement à l’hôpital et une durée de traitement brève.
Les conditions de sortie d’essai et la conduite à tenir en cas de
tentative de suicide doivent être très précisément décrites.
Lors de l’évaluation, les résultats obtenus doivent être discutés
en termes de signification statistique, mais aussi de sens
clinique. Le degré de pertinence clinique (clinical relevance)
est, en effet, déterminant pour l’évaluation du rapport béné-
fice/risque.
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