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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 6 - juin 2000
RÉUNION
La mise en évidence d’une hétérogénéité des effets observés
entre différentes sous-populations pose un problème d’in-
terprétation délicat lorsqu’elle résulte d’analyses en sous-
groupes. Par exemple, dans les études PRAISE I et CIBIS I,
l’amlodipine et le bisoprolol avaient montré des effets favo-
rables sur la mortalité chez les malades atteints de cardiopa-
thie non ischémique, alors qu’ils n’en avaient montré aucun
chez les malades atteints de cardiopathie ischémique. Or, les
études PRAISE II et CIBIS II n’ont pas confirmé que les
patients atteints de cardiopathie non ischémique bénéficiaient
du traitement par l’amlodipine et par le bisoprolol. Ces deux
expériences doivent rendre très prudent dans l’interprétation
des analyses en sous-groupes, même lorsque celles-ci avaient
été prévues au moment de la conception du protocole.
La “crédibilité” des résultats obtenus repose donc sur un
ensemble d’éléments méthodologiques incluant, outre les carac-
téristiques du plan expérimental, le nombre de sujets inclus
(déterminant la puissance statistique), le nombre d’événements
observés, les résultats des analyses de cohérence interne (tests
d’homogénéité, analyse strictement réduite aux sous-groupes
définis dans le protocole) et externe (comparaison des résultats
des différentes études entre elles). Si, sur ces critères, certaines
classes thérapeutiques ont fait la preuve de leur efficacité dans
l’insuffisance cardiaque (inhibiteurs de l’enzyme de conversion
de l’angiotensine, bêtabloquants, anti-aldostérone), d’autres
classes (inhibiteurs des récepteurs AT1de l’angiotensine II,
nitrés et autres vasodilatateurs, digoxine et inotropes positifs,
antiagrégants plaquettaires et anticoagulants) nécessitent des
études complémentaires pour mieux cerner leur place dans le
traitement de cette pathologie.
S. Goineau, E. Bellissant, Rennes
NEUROPSYCHOPHARMACOLOGIE
Lors du symposium de neuropsychopharmacologie, deux
exposés ont été consacrés à la pharmacologie de l’addiction.
M. Le Moal (Bordeaux) a dressé un tableau des bases physio-
pathologiques actuelles du phénomène de dépendance, en met-
tant en lumière le rôle pivot joué par le noyau accumbens, ce qu’a
également illustré J.C. Schwartz (INSERM U109) en démon-
trant, dans sa conférence, le rôle du récepteur D3de la dopamine,
qui est principalement exprimé dans cette région du cerveau.
De l’usage à l’abus : à la recherche d’une conception
physiopathologique de la dépendance
M. Le Moal a d’abord rappelé la définition donnée en 1982 de
l’addiction, terminologie médicale qui recouvre l’utilisation
compulsive, chronique, incontrôlable de drogue au point de ne
plus pouvoir s’en passer, ce qui se traduit par une dépendance
à la fois physique et psychique. La dépendance est de plus en
plus souvent définie par sa composante psychique, en particu-
lier affective, dont témoigne l’expérience affective négative que
ressent le sujet en l’absence de la drogue dont il est dépendant.
Cette expérience affective négative est une des caractéristiques
fondamentales du phénomène de dépendance, à côté de ses
autres caractéristiques : usage irrépressible et compulsif d’une
drogue, perte de contrôle vis-à-vis de la consommation de
drogues, rétrécissement progressif des conduites avec un inté-
rêt centré sur la drogue, échec dans les tentatives d’autorégu-
lation de l’usage de la drogue et rupture de l’homéostasie des
processus hédoniques. Les données épidémiologiques tendent
cependant à prouver que tous les sujets utilisant de la drogue
dans un but récréatif ne deviennent pas toxicomanes, suggérant
qu’il existe un phénotype de vulnérabilité vis-à-vis de l’addic-
tion qui ne serait pas la conséquence universelle de l’usage de
drogues. Cette notion de susceptibilité individuelle conduit à
s’interroger sur la ou les caractéristique(s) biologique(s) qui
détermine(nt) un phénotype “résistant” ou “vulnérable” vis-à-
vis de la toxicomanie. Des données expérimentales conduisent
à impliquer les interactions entre l’axe hippocampo-hypotha-
lamo-hypophyso-surrénalien du stress et les voies dopaminer-
giques, hypothèse renforcée par l’existence de récepteurs aux
glucocorticoïdes exprimés par les neurones dopaminergiques.
Des données comportementales démontrent que des rats sou-
mis à un stress se répartissent en deux groupes : un groupe
hyperréactif et un groupe hyporéactif. Il en est de même lorsque
des animaux sont soumis à la prise de drogue, puisqu’une par-
tie des animaux va s’autoadministrer la drogue, tandis que
l’autre groupe aura au contraire une réaction aversive. Les
animaux résistants à la prise de drogue sont également des
animaux résistants au stress, et inversement. Ces données
comportementales suggèrent donc qu’il existe bien deux phé-
notypes, l’un de vulnérabilité et l’autre de résistance à l’addic-
tion, et qu’un lien existe entre ces phénotypes et le phénotype
de réaction vis-à-vis du stress. La dopamine pourrait jouer un
rôle dans la détermination de ce phénotype puisque les animaux
hyperréactifs ont une libération importante de dopamine dans
le noyau accumbens en réponse au stress et à la prise de drogue.
Ce niveau d’hyperactivité dopaminergique dépendrait de l’état
d’activation du système de stress puisque les animaux vulné-
rables ayant subi une adrénalectomie deviennent résistants, et
qu’en revanche les animaux résistants à la prise de cocaïne trai-
tés par corticostérone deviennent vulnérables. Une des hypo-
thèses physiopathologiques sous-tendant le phénomène d’ad-
diction pourrait être que le stress lié à des événements de vie
par son retentissement sur les hormones glucocorticoïdes modi-
fierait la sensibilité des voies dopaminergiques, conduisant à
une vulnérabilité vis-à-vis de la prise de drogue. Du point de
vue neurobiologique, c’est la voie mésolimbique, prenant nais-
sance dans l’aire tegmentale ventrale pour se projeter dans
l’écorce du noyau accumbens, voie associée au noyau amyg-
dalien, qui semble constituer la voie finale commune détermi-
nant les effets hédoniques et de renforcement de l’ensemble des
substances toxicomanogènes. En effet, la région ventrale du
cerveau constitue la région de récompense (reward system),
dont la dopamine est l’un des principaux neuromédiateurs.
L’amplitude de variation des seuils de stimulation de ce sys-
tème de récompense au cours de la prise de drogue semble
constituer le substratum neurobiologique de la vulnérabilité vis-
à-vis de la dépendance. L’augmentation du seuil de stimulation
lors de la phase d’abstinence conduisant à une augmentation
de la motivation pour la prise de drogue serait le moteur de la
spirale addictive.