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Vie professionnelle
La Cour de cassation a rendu, le 29 juin
1999, trois arrêts qui feront date. La règle
fixée est d’importance : en matière d’in-
fection nosocomiale, les établissements
sont tenus à une obligation de résultat dont
ils ne peuvent se libérer qu’en apportant
la preuve d’une cause étrangère. Cette
règle nouvelle suppose quelques explica-
tions tant pour elle-même que pour les
évolutions dont elle témoigne.
Une obligation de sécurité
de résultat
La règle générale du droit, selon laquelle la
victime doit prouver l’existence d’une faute
pour obtenir son indemnisation, est toujours
apparue inadaptée en matière d’infection
nosocomiale. Aussi les juridictions avaient-
elles adopté des régimes de présomption.
Pour les établissements publics, les juri-
dictions administratives retenaient une pré-
somption de responsabilité, l’établissement
n’ayant pour seule possibilité de défense
que de prouver la réalité de la cause exté-
rieure. Pour les établissements privés, les
juridictions judiciaires s’en tenaient à une
présomption de faute : l’établissement pou-
vait dégager sa responsabilité en prouvant
qu’il n’avait pas commis de faute d’hygiène
ou d’asepsie, en un mot qu’il avait été pru-
dent et diligent.
Par cette jurisprudence nouvelle du 29 juin
1999, la Cour de cassation revient sur cette
approche. Désormais, l’établissement
privé ou le médecin exerçant en libéral est
tenu en matière d’infection nosocomiale à
une obligation de sécurité de résultat dont
il ne peut se libérer qu’en apportant la
preuve d’une cause étrangère.
Ainsi, sur le plan de l’indemnisation, il est
indifférent de prouver que toutes les règles
d’hygiène ont été respectées : la seule
défense possible est de prouver la réalité
de la cause étrangère, en l’occurrence que
le patient était porteur du germe avant son
admission dans le service.
La règle est aujourd’hui la même dans les
hôpitaux publics et dans les établissements
privés : les tribunaux ont institué en faveur
des victimes un véritable droit à indemni-
sation.
À l’évidence, la Cour de cassation a été
sensible à l’importance des infections
nosocomiales et de leurs conséquences
sanitaires.
Premiers enseignements
L’œuvre des juges
Dans un État de droit, la logique voudrait
que le cadre soit fixé par la loi. Or, les
modifications importantes que l’on vient
de connaître en droit médical avec l’in-
formation préalable sur les risques excep-
tionnels et l’obligation de sécurité de
résultat en matière d’infection nosoco-
miale sont l’œuvre de la Cour de cassa-
tion. Comme si, en quelque sorte, devant
la pusillanimité du Parlement, le juge
suprême se sentait comptable de l’harmo-
nie sociale et faisait son affaire de l’adap-
tation de la règle de droit.
Sur le plan technique, cette création du
droit par le juge emporte une conséquence
peu connue, qui est redoutable. À l’inverse
de la loi, la jurisprudence est rétroactive :
elle s’applique aux faits anciens et aux
procédures en cours.
Responsabilité ou solidarité ?
Le droit médical est marqué par deux notions
qui viennent en opposition : celle de res-
ponsabilité, qui doit trouver son sens comme
étant la sanction d’une faute, et celle d’in-
demnisation, car il est légitime qu’un dom-
mage soit indemnisé. Toute la difficulté vient
du fait que l’on cherche à régler la question
de l’indemnisation par les règles de respon-
sabilité, alors que la réponse devrait parfois
Chronique du droit
La Cour de cassation au chevet
des victimes
G. Devers*
Après l’information préalable du patient, la responsabi-
lité en cas d’infection nosocomiale : le droit de la
santé, sous la pression de la nécessaire indemnisation des
victimes, évolue à grands pas. Fait remarquable, ces évo-
lutions sont l’œuvre du juge, non pas du législateur, ce qui
ne va pas sans conséquence.
* Avocat au barreau de Lyon, chargé d’enseignement
à l’université de Lyon-III.
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (13), n° 9, novembre 1999 238
être la solidarité. Et la pression, au demeu-
rant légitime, que représentent les victimes
conduit peu à peu à une remise en cause des
règles de responsabilité.
Dès lors, il s’agit moins de raisonner sur
la responsabilité, c’est-à-dire d’adapter le
régime de la faute, que de tendre vers un
droit à l’indemnisation des victimes. Le
législateur pourrait créer ce régime du
droit à indemnisation, comme il l’a fait
pour les accidents de circulation dans les-
quels est impliqué un véhicule automobile,
dans un esprit de solidarité devant le
risque. Le juge ne peut créer ce principe.
La seule possibilité technique à sa dispo-
sition est l’interprétation des règles de res-
ponsabilité, mais l’exercice peut créer l’in-
compréhension.
Perte de sens
Pour les victimes, la nouvelle jurispru-
dence de la Cour de cassation, qui rejoint
celle du Conseil d’État, constitue une
indiscutable avancée. Toutefois, sur le plan
de la responsabilité, on peut estimer qu’il
y a régression dès lors que prouver que les
règles d’hygiène ont été scrupuleusement
respectées est indifférent pour écarter la
responsabilité. La responsabilité de l’éta-
blissement ou du médecin est engagée
qu’il y ait faute ou non.
Des répercussions indirectes
sur le plan pénal ?
Le débat sur la faute est une donnée inté-
grante de la responsabilité, et il serait illu-
soire d’estimer que l’indemnisation
comble l’attente des victimes.
Les règles fixées par le Conseil d’État et
la chambre civile de la Cour de cassation
ne concernent que les procédures en
indemnisation, qui sont en fait gérées par
les compagnies d’assurances. Devant
faire face à un risque nouveau, les com-
pagnies d’assurances vont augmenter
leurs primes, et la charge financière
reviendra en définitive à l’établissement
ou au médecin.
Mais l’on peut se demander si toutes les
victimes trouveront leur compte avec ces
règles nouvelles. En effet, si la victime est
d’abord à la recherche de son indemnisa-
tion, elle cherche également souvent, par
le procès, une forme de réhabilitation par
la reconnaissance d’une faute. Le régime
jurisprudentiel ne permettra plus ce débat
sur les fautes civiles du médecin ou de
l’établissement, la seule question étant
l’existence d’une cause étrangère.
Ainsi, la victime qui estimera que l’in-
demnisation ne suffit pas et qu’il est néces-
saire que soit prononcée une sanction se
trouvera encouragée à choisir la voie
pénale, non pas par animosité à l’encontre
du médecin, mais parce que ce sera le seul
moyen d’obtenir qu’un tribunal se pro-
nonce sur le caractère fautif des causes de
l’infection.
Il est certain que la voie de l’indemnisa-
tion par l’assurance de l’établissement ou
du médecin offre un ensemble de facilités
procédurales qui recueilleront souvent la
préférence des victimes. Mais la victime
qui voudra rechercher l’implication per-
sonnelle du médecin n’aura plus que la
voie pénale pour obtenir un jugement se
prononçant sur les responsabilités. Et sur
ce plan, toute personne ayant participé à
la réalisation du dommage peut être
concernée par la procédure : infirmière
hygiéniste, médecin, chef de service, pré-
sident du CLIN.
Enfin, depuis le nouveau code pénal, la loi
n’attend plus la réalisation du dommage
et la plainte de la victime. La mise en dan-
ger de la personne d’autrui, qui suppose le
manquement à une obligation de sécurité,
telle que le serait la mauvaise mise en
œuvre de mesures d’hygiène, est désor-
mais une infraction pénale. Le débat se
situe entre le risque inhérent à toute pra-
tique de soins et le risque injustifié qui
génère la condamnation. À noter encore
que l’établissement de soins lui-même, en
tant que personne morale, peut être
condamné pour mise en danger de la per-
sonne d’autrui.
Information du patient
La règle jurisprudentielle est, là aussi, exi-
geante : l’information doit porter sur tous
les risques graves, même s’ils sont excep-
tionnels, et la responsabilité est engagée
si le déficit d’information a influé sur la
décision d’acceptation des soins. Les éta-
blissements et les praticiens doivent se
préoccuper de la mise en œuvre de cette
règle. La réponse ne peut provenir d’un
formalisme frileux qui serait celui d’un
recours systématique à des écrits exhaus-
tifs, visant moins à informer le patient qu’à
protéger le médecin. C’est au cas par cas
une démarche adaptée qui doit être trou-
vée, démarche au sein de laquelle l’écrit a
sa place, mais un écrit conçu dans un véri-
table but informatif. Les CLIN ont un
important rôle à jouer dans la fourniture
des éléments de réponse.
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