DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. V - janvier-février 2002 23
incontinence fécale de
l’adulte est une patholo-
gie fréquente, sous estimée et
insuffisamment prise en charge
(1)
. Le coût moyen généré par
l'incontinence fécale postobsté-
tricale est, aux États-Unis, de
17 166 dollars par patiente. Si les
prestations du médecin ne repré-
sentent que 18 % des coûts thé-
rapeutiques, les explorations com-
plémentaires s’élèvent à 64 %
des dépenses d'évaluation et de
suivi symptomatique
(2)
. La réa-
lisation d’explorations complé-
mentaires dans cette pathologie
peut avoir pour but : a) de véri-
fier et de quantifier le symptôme
(test de continence aux liquides,
manométrie anale) ; b) de com-
prendre le mécanisme physiopa-
thologique dont les symptômes
procèdent (endosonographie
anale, défécographie, manomé-
trie anorectale, exploration neu-
rophysiologique) ; c) d’orienter
la thérapeutique. Seul ce dernier
type d’indication présente de l’in-
térêt pour le patient.
Les données de la littérature dans
ce domaine sont pourtant peu
nombreuses et concluent de
façon contradictoire. Deux travaux
rétrospectifs ont suggéré que les
explorations complémentaires
pouvaient modifier la prise en
charge des patients incontinents
plus de quatre fois sur cinq après
exploration complémentaire
(3,
4)
. Par rapport à l’examen cli-
nique, les explorations complé-
mentaires permettaient un dia-
gnostic étiologique dans 66 %
des cas (versus 11 % pour le seul
examen clinique) et débouchaient
sur une prise en charge thérapeu-
tique propre dans 55 % des cas
d’incontinence (80 patients)
(4)
.
À l’inverse, trois autres études ont
suggéré que les explorations com-
plémentaires n’apportaient pas
d’élément supplémentaire à un
bon examen clinique et n’avaient
pas d’impact sur le diagnostic et la
décision thérapeutique
(5-7)
.
Dans un travail prospectif, le dia-
gnostic étiologique et la prise en
charge thérapeutique étaient
modifiés par les résultats des
explorations complémentaires
dans 19 et 16 % des cas respecti-
vement
(7)
. Les principales cri-
tiques méthodologiques de ces
travaux sont l’ancienneté des
publications (avant l’ère de l’en-
dosonographie), la nature rétros-
pective des travaux, les causes très
hétérogènes et parfois discutables
d’incontinence fécale ayant fait
l’objet d’une inclusion, l’absence
de méthodologie rigoureuse
d’analyse.
En dépit d’un important travail
bibliographique et de conclusions
d’experts, il n’existe pas, en
France, de recommandation sys-
tématique concernant la place
précise des explorations réalisées
dans cette pathologie : “Les exa-
mens complémentaires sont au
mieux réalisés dans les centres dis-
posant de l’ensemble des
moyens d’investigation néces-
saires et développant une exper-
tise dans ce domaine….”
(8)
.
L’American Gastroenterological
Association a récemment tenté
de définir la place des explora-
tions anorectales sur la base d’une
réunion d’experts et de l’analyse
de la littérature
(medical position
statement on anorectal testings)
.
Dans le cas précis de l’inconti-
nence fécale : a) la manométrie
anorectale n’a d’intérêt que si une
rééducation est envisagée ou si
l’on veut quantifier le retentisse-
ment fonctionnel d’un défect
sphinctérien ; b) l’endosonogra-
phie anale a pour but d’identifier
un défect sphinctérien ; c) la défé-
cographie n’a pas de place pré-
cise dans l’incontinence fécale,
bien qu’on connaisse la respon-
sabilité de la statique pelvirectale
dans la genèse de l’incontinence
fécale (prolapsus rectal) ; d) les
explorations neurophysiologiques
n’ont pas d’intérêt démontré dans
cette indication
(9, 10).
Cette position peut, à l’inverse,
paraître extrême, parce que des
résultats contradictoires ou man-
quants font éliminer des explora-
tions qui pourraient avoir un
grand intérêt dans une prise en
charge thérapeutique spécifique
(réparation sphinctérienne).
C’est le cas, par exemple, de l’in-
térêt pronostique des résultats de
l’endosonographie et des explo-
rations neurophysiologiques dans
l’incontinence fécale. ■
1.
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10 .
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American Gastroenterological
Association. Gastroenterology 1999 ;
116 : 732-60.
* Hôpital Pontchaillou, Rennes.
** Hôpital Victor-Provo, Roubaix.
Quelles sont les répercussions des résultats des explorations complémentaires
dans la prise en charge thérapeutique de l’incontinence fécale ?
✑L. Siproudhis*, F. Guillemot **
L’