mile Littré définit le suintement comme “un écoule-
ment imperceptible d’un liquide, d’une humeur”(1).
La présence de traces de selles ou de mucus dans la
partie basse du canal anal ou sur les sous-vêtements peuvent défi-
nir le suintement anal (soiling de la littérature anglo-saxonne).
Ces pertes sont habituellement involontaires et ressenties a pos-
teriori. C’est un motif assez fréquent de consultation en procto-
logie. Souvent et à tort, ces pertes sont assimilées à un symptôme
d’incontinence. Elles ne sont pourtant pas l’expression sympto-
matique obligée d’une incontinence fécale, et seules l’anamnèse
et l’approche clinique permettent d’interpréter ce symptôme. On
peut schématiquement reconnaître au suintement trois cadres
pathogéniques distincts: il peut être l’expression d’une inconti-
nence fécale vraie, d’une pathologie spécifique anorectale, dont
il est le symptôme dominant, ou évoluer isolément dans un cadre
nosologique encore incertain.
Lorsque le suintement traduit une incontinence fécale, il est en
règle générale associé à une incontinence permanente pour les
gaz et s’accompagne parfois de pertes fécales plus importantes
(notamment en cas de diarrhées). Une situation fréquemment
observée est celle d’un suintement fécal de volume variable sur-
venant dans les heures qui suivent une défécation. L’examen cli-
nique note, à cette occasion, des performances fonctionnelles du
canal anal insuffisantes (anus court, hypotonie du canal anal) et
parfois des troubles de la statique pelvi-rectale associés (proci-
dence rectale, rectocèle). Lorsqu’un suintement fécal survient
alors même qu’il n’existe pas de pertes incontrôlées de gaz, le
mécanisme du suintement n’est pas celui d’une incontinence habi-
tuelle et d’autres hypothèses pathogéniques doivent être formu-
lées.
Il existe effectivement de nombreuses circonstances au cours des-
quelles un suintement peut être observé alors même que les per-
formances fonctionnelles du canal anal sont préservées. Les
cadres pathogéniques principaux sont rappelés en annexe dans le
tableau. Dans une démarche diagnostique rationnelle, le clini-
cien consulté doit donc attacher une importance considérable au
contexte dans lequel survient ce symptôme (a-t-on la notion d’une
chirurgie proctologique, passée? Quelles sont les prises médicamen-
teuses? A-t-on la notion passée d’un abcès ou d’une suppuration
anale? Y a-t-il des troubles de l’évacuation ou une procidence
constatée lors de la défécation?) L’examen clinique doit être par-
ticulièrement soigneux et rechercher des lésions dermatologiques,
une pathologie endocanalaire ou une anomalie de la muqueuse
rectale.
Enfin, la description d’un suintement gênant peut être faite par
un homme d’âge moyen, n’ayant pas de passé pathologique procto-
logique ni de prise médicamenteuse particulière. Ce suintement
peut s’accompagner d’un prurit ou de brûlures anales modérées.
Son évolution dans le temps est fluctuante et il n’existe pas de
facteur déclenchant ou aggravant francs. Les données de l’examen
clinique n’apportent pas d’argument d’orientation. La stratégie
diagnostique en est de ce fait compliquée et la prise en charge
thérapeutique ne peut être que symptomatique. Il existe pourtant
des données scientifiques peu nombreuses mais utiles pour mieux
comprendre cette entité. Quelques travaux ont en effet tenté de
trouver une explication pathogénique à travers la réalisation
d’explorations fonctionnelles classiques. Sentovich et al. (2) se
sont intéressés au profil fonctionnel de 25 hommes souffrant
“d’incontinence” fécale: plus de la moitié d’entre eux avaient en
fait de simples suintements sans incontinence vraie. La majorité
des malades avaient un antécédent de chirurgie proctologique
mais il n’existait pas de corrélation temporelle nette entre le geste
chirurgical et l’apparition des symptômes. Chez ces malades, les
paramètres fonctionnels du canal anal étaient peu modifiés: l’anus
était plus long que celui des sujets contrôles, les pressions de
repos étaient très discrètement abaissées, mais la profilométrie
VOCABULAIRE
Suintements
●L. Siproudhis*
* SMAD, CHRU Pontchaillou, Rennes.
Fistule anale procidente Pathologie hémorroïdaire
Pathologie dermatologique non spécifique Condylomes
(prurit)
Pathologie dermatologique spécifique Ulcération périanale
(candidose,dermite des plis, psoriasis, (Crohn, cancer)
lichen, Bowen)
Anus cicatriciel postopératoire (chirurgie Ectropion
de fistule ou chirurgie hémorroïdaire)
Prolapsus interne de haut grade Syndrome de l’ulcère
et prolapsus rectal solitaire du rectum
Pathologie tumorale du rectum Médicaments (paraffine,
ou du canal anal (pathologie tubulovilleuse, laxatifs irritants, laxatifs
adénocarcinome, carcinome épidermoïde, topiques, suppositoires)
carcinome colloïde)
Tableau. Affections dont l’expression symptomatique peut être un
suintement anal sans incontinence vraie.
É
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. V - mai-juin 2002 155