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Auteur
Olivier Crevoisier est professeur au Groupe de recherche en économie territoriale (GRET) de
l’Institut de sociologie de l’Université de Neuchâtel. Il aborde les phénomènes économiques selon
une approche institutionnaliste et territoriale. Ses principaux domaines de recherches sont les
milieux innovateurs, l’industrie financière et les ressources culturelles.
olivier.crevoisi[email protected]
Université de Neuchâtel
Institut de sociologie
2000 Neuchâtel (Suisse)
Résumé
Cet article propose une manière alternative de considérer les relations entre connaissance et
développement territorial. Aujourd’hui, la connaissance peut être considérée comme
essentiellement mobile. Les régions qui prospèrent devraient être celles qui ancrent cette
connaissance et parviennent ensuite à la prolonger. Cette connaissance est ensuite supposée
générer de la valeur économique. Afin de comprendre ce processus de création de valeur, il faut
dépasser la distinction entre la connaissance tacite, que l’on suppose liée au contexte local, et la
connaissance codifiée, supposée mobile. Cet article propose une distinction entre d’une part la
connaissance substantive, dont la valeur économique découle des droits exclusifs d’exploitation, et
la connaissance signifiante, dont la valeur économique est d’autant plus grande qu’elle est
davantage diffuée, partagée.
Cette distinction est ensuite utilisée pour interpréter les résultats de l’enquête EURODITE. Une
typologie des dynamiques territoriales de connaissance et des milieux ancreurs est construite.
Enfin, un système européen de la connaissance est esquissé.
Mots-clés
Economie de la connaissance, développement territorial, milieu ancreur, dynamiques territoriales de connaissance,
EURODITE.
Remerciements
L’auteur adresse ses vifs remerciements à Valérie Angeon, Hugues Jeannerat et Leila Kebir pour leurs nombreux
commentaires concernant ce texte.
Cette recherche a été menée dans le cadre du projet FP6 EURODITE.
© 2010 by the author
ISSN : 1662-744X
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Dynamiques territoriales de connaissance et milieux ancreurs en
Europe
Olivier Crevoisier, GRET, Université of Neuchâtel
Au cours des vingt dernières années, la science régionale et la géographe économique ont abordé
le rôle de la connaissance principalement à travers les Modèles territoriaux d’innovation (TIMs)
(Lagendijk, 2006; Moulaert & Sekia, 2003; Simmie, 2005). Cette approche, qui s’est développée
entre 1985 et 1995, doit aujourd’hui être mise à jour en raison de la transformation du contexte. La
présente contribution propose, en s’appuyant sur des études de cas, un cadre conceptuel qui
repose sur les éléments suivants : premièrement, une distinction entre d’une part la connaissance
substantielle, contrôlée généralement par des entreprises de manière exclusive et dont la valeur
est liée à un contenu ; d’autre part la connaissance signifiante, dont la valeur économique repose
sur le partage et la diffusion, qui est largement partagée entre ses auteurs et les
consommateurs/citoyens; en second lieu, le concept de milieu ancreur qui rend compte des
capacités différenciées des régions d’ancrer des connaissances beaucoup plus mobiles
qu’auparavant. Ce cadre conceptuel permet de prolonger les TIMs sur trois points :
- Les TIMs se concentraient essentiellement sur les conditions de l’accumulation locale des
connaissances (Crevoisier & Jeannerat, 2009). Avec les NTIC la facilité de déplacement
des travailleurs en Europe, les politiques européennes de recherche et de formation, c’est
plutôt de la capacité à ancrer des connaissances mobiles qu’il faut se préoccuper. Pour
poursuivre leur trajectoire, les régions ne doivent plus se reposer sur leurs propres
capacités pour faire évoluer leurs connaissances. C’est désormais leur capacité à utiliser
les connaissances développées ailleurs, leur milieu ancreur, qui devient déterminante ;
- Les TIMs ont largement mobilisé la distinction de 1944 de Polanyi, reprise par Nonaka et
Takeuchi (1995), puis Lam (2000) entre connaissances « tacites », qui seraient liées à un
lieu, et les connaissances « codifiées » qui circuleraient avec coût très faible - voir entre
autres les contributions critiques de Bathelt, Malmberg & Maskell (2004) et de Cooke
(2008). Or, le problème n’est plus le coût de transport et les conditions techniques de cette
mobilité, mais la capacité au lieu d’arriver de capter ces connaissances mobiles pour créer
de la valeur économique. Ce sont donc les institutions économiques permettant la mobilité
et l’ancrage (Berset & Crevoisier, 2006a) des connaissances qui deviennent déterminantes.
On distinguera d’une part la contractualisation et l’appropriation pour la connaissance
substantielle et d’autre part le partage et la reconnaissance pour la connaissance
signifiante.
- Très marqués par l’économie industrielle, les TIMs se préoccupaient exclusivement des
systèmes de production et d’innovation. Or, la valorisation de la connaissance ne passe
plus forcément par la médiatisation de biens manufacturés et prend des formes beaucoup
plus diversifiées. La production/consommation inclut aujourd’hui largement des médias ou
des interactions sociales directes, elle comporte davantage de contenu culturel et les
modalités de rémunération des producteurs sont souvent indirectes et plus complexes (Ng,
2010). De plus, dans des domaines aussi divers que le sport-spectacle, la diététique,
l’utilisation de smartphones, la santé, etc., ce sont les connaissances de plus en plus
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importantes des consommateurs et des citoyens qui déterminent la création de valeur
économique. Il est donc nécessaire de rendre compte de la complexi des réseaux de
production/consommation, y compris dans leur organisation territoriale.
L’objectif de cet article est de proposer un cadre conceptuel pour comprendre les dynamiques de
connaissance d’un point de vue économique et territorial dans une perspective institutionnaliste.
Cette approche paraît pertinente pour rendre compte des transformations actuelles :
premièrement, l’accessibilité accrue de la connaissance grâce d’une part au développement
considérable des NTIC que nous avons connu depuis vingt ans ; en second lieu l’intégration
institutionnelle qui caractérise la globalisation, avec une attention particulière à la construction
européenne. Ce travail s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de la synthèse des travaux de terrain du
projet européen EURODITE1 (Cooke, Laurentis, Macneill, & Collinge, 2011; Macneill & Collinge,
2011), une recherche menée dans 24 régions européennes et dédiée à l’économie de la
connaissance dans une perspective territoriale. Le cadre conceptuel a été élaboré en parallèle
avec le dépouillement des études de cas.
La première partie passe en revue des contributions classiques en économie de la connaissance
ainsi qu’en économie territoriale consacrées aux dynamiques de connaissance.
La deuxième partie propose de remplacer la dualité codifiée/tacite par une distinction entre
connaissance contrôlée (owned) et substantielle d’un côté et une connaissance partagée
(authored) et signifiante de l’autre. La valeur économique de la connaissance contrôlée (owned) ou
substantielle, repose sur le contenu de la connaissance, bien identifié, stabilisé et délimité, et qui
sert de base à la rémunération lors d’une transaction. La valeur économique de la connaissance
partagée (shared ou authored) repose au contraire sur le statut d’auteur (ou de maître, de pair,
etc.) reconnu aux personnes ou aux communautés qui produisent, détiennent et adaptent ces
connaissances de manière évolutive aux différents contextes. La connaissance signifiante tire sa
valeur du sens qu’elle procure à ceux qui la partagent. Ces deux types de connaissance diffèrent
également du point de vue de leur mobilité et de leur ancrage.
La troisième partie définit le concept de milieu ancreur. Le milieu ancreur représente la capacité
qui réside à l’échelle d’une région à mobiliser des connaissances mobiles provenant d’ailleurs.
Aujourd’hui, le potentiel de mobilide la connaissance s’est considérablement accru grâce aux
NTIC, mais surtout grâce aux réformes institutionnelles aux échelles nationales, européennes et
au-delà. Dès lors, à l’échelle régionale ou locale, c’est la capacité à s’inscrire dans cette économie
qui devient déterminante. Dans différentes régions émergent des modalités différentes de le faire
et c’est ce dont le concept de milieu ancreur rend compte.
Enfin, la quatrième et dernière partie développe tout d’abord quatre idéaux-types de milieux
ancreurs. Chacun de ces types est illustrés par quelques exemples tirés de l’enquête. La typologie
permet non seulement de rendre compte des dynamiques locales, mais aussi et surtout de leur
1 URL: (http://www.eurodite.bham.ac.uk/). Nous remercions tous les participants pour leur apport à cet article, En particulier : Anna
BUTZIN, Christophe CARRINCAZEAUX, Chris COLLINGE, Phil COOKE, Margareta DAHLSTRÖM, Ben DANKBAAR, Frédéric GASCHET,
Henrik HALKIER, Ernst HELMSTÄDTER, Laura JAMES, Anders LARSSON, Stewart MACNEILL, Simone STRAMBACH, Mario VALE, Geert
VISSERS et Brigitta WIDMAIER.
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inscription dans le système plus large de la mobilité des connaissances en Europe. La typologie
montre comment la connaissance circule entre les différentes régions, en fonction de la présence
de milieux ancreurs. L’échelle européenne apparaît décisive dans le sens les institutions qui
rendent possible la mobilité de la connaissance (standards industriels, marc unique, libre
circulation des personnes, etc.) sont développées à cette échelle. A l’inverse, l’échelle régionale
est déterminante pour l’ancrage de ces connaissances. Du point de vue des politiques publiques,
les objectifs sont donc clairement liés à des échelles d’intervention différentes.
1. Le modèle traditionnel: local=tacite, mobile=codifiée
1.1. Nonaka and Takeuchi: une distinction entre connaissance tacite et codifiée
La référence la plus citée en économie de la connaissance est sans doute Nonaka et Takeuchi
(1995). Ils se basent sur la distinction de Polanyi entre les types de connaissance “tacit” et
“explicit” (même si cette paternité est partiellement contestée (Gourlay, 2006)). L’idée est que les
interactions entre connaissances tacites et explicites est cruciale pour l’émergence de nouvelles
connaissances.
Dans le même esprit, mais en développant considérablement les aspects institutionnels et
organisationnels, Lam (2000) expose ce que l’on peut appeler aujourd’hui l’approche traditionnelle
de la connaissance. Brièvement, elle pose d’une part que les connaissances tacites sont
incorporées embodied ») dans les individus ou encastrées embedded ») dans des
communautés ; elles sont le résultat d’apprentissages sur le tas, résultant de l’action et qui sont
spécifiques au contexte ; elles ne peuvent pas être transmises sans le sujet qui les détient
knowing subject »). D’autre part, la connaissance explicite réside dans la tête des
professionnels embrained ») ou elle est encodée encoded ») dans les acteurs collectifs. Elle
peut par conséquent être centralisée et contrôlée par des organisations. Seules les formes
organisationnelles qui parviennent à mobiliser les connaissances tacites atteignent de hauts
niveaux d’innovation et d’apprentissage, car dans la perspective de Polanyi, de nouvelles
connaissances ne peuvent émerger que sur la base d’intuitions des individus.
En dépit de son très grand intérêt, cette approche présente une difficul majeure. L’idée de
connaissance « tacite » est particulièrement floue et ne peut pas être traitée dans une perspective
économique. On la crit comme une connaissance non conscientisée, veloppée à partir de la
pratique, non abstraite du contexte (« sticky »), des caractéristiques souvent exprimées par des
métaphores ou des expressions par la négative plus que par du contenu. Les institutions relatives
à la connaissance ne devraient pas être fondées sur la forme sous laquelle la connaissance se
présente tacit » ou « codified »), mais bien sur son intérêt économique ainsi que sur les
modalités sociales et territoriales de sa production et de son utilisation.
1.2. La mobilité de la connaissance : l’opposition discutable entre tacite=local,
codifiée=global
En parallèle aux travaux en économie de la connaissance centrés sur les organisations, les
relations entre connaissance et innovation ont constitué un thème privilégié dans le domaine de
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