sensible et que nous y sommes fort attachés ; - Dieu considère surtout les admirables
dédommagements auxquels ces dépouillements font la place, et, quand il fait en nous cet
échange de l’éternel contre le temporel, de son Saint-Esprit contre notre cœur de chair, du
bien invisible contre nos biens sensibles, il se réjouit dans l’amour qu’il nous porte et, plus
encore qu’après sa création, il déclare que ce qu’il fait est bon. La création n’a fait que des
anges et des hommes ; la sanctification fait des Dieux.
Je vous conjure de ne vous défier pas des mains divines ni d’aucune de leurs
opérations. L’Ecriture nous assure que ce sont des mains pleines d’intelligence, et, si une
sagesse infinie règle leurs mouvements, un amour infini les inspire. Il vous est
souverainement bon d’être ainsi crucifiée : j’ose à peine dire ce mot, tant les souffrances qu’il
exprime sont plus grandes que vos souffrances ! Une épouse n’épouse pas seulement son
mari, mais bien la condition de son mari. Si, parce qu’il est ruiné, exilé et flétri, elle lui
retirait son cœur et sa présence, elle témoignerait que, même aux temps où elle semblait
l’aimer, elle avait un cœur d’adultère et non un cœur d’épouse, ; un cœur vénal et non ami.
Toute âme chrétienne est l’épouse du Christ. Vous savez quelle a été, quelle est la condition
de Jésus en ce monde (voyez celle de l’Eglise dont trois mots disent la vie : amour, travail,
souffrance) ; tirez la conclusion !
Souffrir selon le corps est pour vous peu de chose : Dieu sait où doit porter le coup
pour vous toucher. Quand votre sensibilité est aux abois, votre cœur sous le pressoir de
l’isolement, votre imagination pleine d’images décevantes, images de choses passées, qui, à
tout prendre, seraient encore possibles, votre mémoire peuplée de souvenirs récents, vivants,
qui pourraient peut-être encore redevenir des réalités ; quand l’ennui du présent vous accable
et que le sacrifice, fait d’abord avec enthousiasme, pèse lourdement sur votre âme devenue
languissante ; quand la lumière même de vos yeux n’est plus avec vous ; quand votre raison
chancelle, quand votre esprit est plein de nuages, quand il vous semble que vous doutez, que
vous doutez de vous, si vous aimez, si vous continuez à vouloir le bien, si vous croyez au
bien ; quand vous doutez du bien lui-même, de la vérité elle-même, de la vie, de l’amour
même qui est Dieu, et que vous êtes toute seule en cette tempête, sans un appui humain, sans
l’appui même d’une conscience, hier paisible et maintenant d’autant plus troublée qu’elle ne
sait pas ce qui la trouble, et qu’alors, vous élevant, comme l’arche, sur les flots de ce grand
déluge, vous attachant par un effort suprême de votre volonté à un Dieu qui vous semble
absent et que vous savez pourtant, par la foi, ne pouvoir jamais l’être ; quand vous espérez
contre toute espérance ; quand vous aimez Celui qui paraît vous rebuter, quand vous lui dites
avec les Saints, non pas même avec élan (on y aurait encore quelque douceur et la nature qui
doit mourir, y trouverait un reste de vie), mais pauvrement, comme un infirme, quoique
sincèrement : « Lors même que vous me tueriez, j’espérerais encore en vous » «à la vie, à la
mort, je vous appartiens à vous seul » ; alors, mon enfant, plus que dans vos ferveurs et vos
abondances, plus que dans vos élans de prière ou vos élans de bienfaisance, plus que dans une
oraison où il semble que Dieu ne se distingue plus de votre âme ni votre âme de Dieu, tant ils
s’unissent et se pénètrent ; plus que dans vos extases, si vous aviez des extases, vous pouvez
fermement espérer plaire à Dieu et vous regarder, en tombant à genoux pour remercier celui
dont c’est l’œuvre, comme commençant à devenir vraiment disciple de Jésus-Christ, vraiment
chrétienne et vraiment sainte.
Vous voyez que vous êtes loin de compte avec Dieu et que je ne partage pas vos
effrois. Vous voudriez posséder votre propre vertu : vous ne le croyez pas, et je vois
cependant, au fond cette finesse de votre amour-propre. Laissez Dieu vous montrer que vous
n’avez point de vertu : soyez comme celui qui disait ! « Je suis un homme qui voit sa