Fiche technique Tests d’évacuation rectale N°19 Tests d’évacuation rectale L. Siproudhis Service des maladies de l’appareil digestif, hôpital Pontchaillou, Rennes. Rationnel Quels tests d’évacuation ? Les symptômes de dyschésie (sensation de blocage anal, manœuvres digitales défécatoires, impressions d’évacuation incomplète, efforts importants d’exonération) ne préjugent ni du mécanisme de la constipation, ni de la nature, ni de la topographie de l’obstacle fonctionnel. Les symptômes d’appel ne suffisent habituellement pas à poser ou orienter le diagnostic parce qu’ils sont indifféremment observés chez les sujets souffrant d’une constipation de progression et chez ceux ayant un obstacle fonctionnel de type terminal (1, 2). Le praticien confronté à une ou plusieurs plaintes de ce type peut s’interroger sur “l’anormalité” de la plainte et sur la nécessité d’en obtenir une quantification objective. Lors d’enquêtes par autoquestionnaires, les symptômes dyschésiques sont fréquents (un Américain sur sept en souffre), invalidants (12 jours d’absentéisme professionnel annuel), mais ils ne justifient un avis consultatif que dans 13 % des cas (3). Il est vraisemblable que les troubles de l’évacuation doivent le plus souvent être en rapport avec une modification du contenu intestinal (selles dures) : dans ce sens, la première démarche diagnostique après un examen clinique consciencieux est souvent thérapeutique (fibres alimentaires, laxatifs). L’échec du traitement laxatif peut conduire à la recherche du mécanisme de la constipation : dans ce sens, le praticien aura recours à des explorations qui mesurent et quantifient l’obstacle fonctionnel (temps de transit, test d’expulsion) ou apportent des arguments indirects pour celui-ci (manométrie anorectale, électromyographie). • Temps de transit colique Le temps de transit colique par marqueurs radio-opaques est un test simple reposant sur l’ingestion répétée de particules radio-opaques et sur l’analyse de leur projection géographique abdominale par un ou plusieurs clichés d’abdomen sans préparation. L’accumulation de marqueurs au niveau de l’aire recto-sigmoïdienne (ou supposée telle) permet de fournir des données quantifiées (temps de transit segmentaire en heures) (1, 4). • Tests d’évacuation rectale Ces tests simples ont tous pour motivation la mise en évidence objective d’un trouble de l’évacuation rectale lors d’une défécation simulée. Il peut s’agir d’un produit de contraste baryté lors d’un examen défécographique (Microstrast® : 100 ml), de sérum physiologique (500 ml en moins de 5 minutes), d’une selle artificielle radio-opaque ou plus simplement d’un ballonnet de baudruche rempli d’eau (50 ml à expulser en position physiologique en moins d’une minute) (5-10). La méthode la plus souvent utilisée La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 2 - vol. IV - avril 2001 Figure 1. Ballonnet de baudruche utilisé pour la réalisation d’un test d’évacuation (avant la réglementation sur l’utilisation de biomatériaux bénéficiant du marquage CE). 103 Tests d’évacuation rectale est la quantification radiologique lors d’un examen défécographique. La qualité de l’expulsion peut être jugée à la fois sur la durée de l’évacuation du contenu rectal et sur la quantité de produit baryté éliminé. Dans la première situation, un contenu rectal baryté doit pouvoir être évacué en moins d’une minute : il est en moyenne évacué en 20 secondes chez les volontaires sains (6). Dans la seconde situation, la quantification repose sur l’analyse du produit éliminé en mesurant la variation de l’aire rectale radiologique entre la situation en réplétion et la situation après évacuation (planimétrie) (8). Par analogie avec les techniques fonctionnelles urodynamiques, les Figure 2. Évacuation d’un produit radio-opaque (Micros- deux paramètres peuvent être simultanément pris en trast®) lors d’un test d’évacuation radiologique. compte par le calcul du débit fécal (défécométrie) (9, 10). À l’extrême, le praticien peut se contenter de l’appréciation subjective d’évacuation du bas rectum qu’en fait le radiologue (complète, partielle, très incomplète, absente) parce qu’elle bénéficie d’une assez bonne reproductibilité interobservateur (7). Quelles limites ? Quels intérêts ? 104 Le temps de transit colique par marqueurs radio-opaques est trop peu sensible pour évaluer la composante fonctionnelle terminale du transit : 58 à 75 % des malades ayant des symptômes dyschésiques n’ont pas d’anomalie du temps de transit ; par ailleurs, les malades ayant un trouble objectif de l’évacuation rectale n’ont habituellement pas de perturbation du temps de transit colique global ou segmentaire (5, 11). Les tests d’évacuation rectale ont un intérêt a priori important en pratique clinique mais ils n’ont pas fait, pour la plupart, l’objet d’une validation rigoureuse tant en matière de pertinence clinique qu’en matière de reproductibilité intra-individuelle, intra- ou interobservateur. On leur reproche très souvent l’absence de standardisation de la procédure. Un test d’expulsion rectale avec un ballonnet ne donne pas le même résultat lorsqu’il est rempli d’air et lorsqu’il est rempli d’eau, parce que la transmission au ballon de l’hyperpression abdominale (effort d’exonération, manœuvre de Vasalva) et la déformation du ballon lors du franchissement du canal anal sont très différentes. De même, le contenu de la pâte barytée intrarectale varie de façon importante : l’imaginaire médical s’y exprime aussi librement qu’il donne parfois le sentiment d’exercices culinaires amateurs : fécule de pomme de terre chauffée, mucilages, flocons de purée de légumes, etc. La viscosité en est de ce fait très variable d’une préparation à l’autre ou au sein d’une même préparation (effectuée plus ou moins longtemps avant le test). À défaut d’une pâte de consistance idéale, le recours à un produit commercialisé comme le Microtrast® ou Fecom® permet de répondre partiellement à ces critiques parce qu’ils ont une viscosité ou une consistance stable et déterminée. À la différence de la vessie, le rectum est un système physiologique “ouvert” sur le tube digestif d’amont : le contrôle de la réplétion rectale ne peut donc se faire de façon fiable parce qu’à volume égal, une quantité variable de produit de contraste peut diffuser dans le sigmoïde et induire une sous-estimation, parfois importante, du débit fécal (l’évacuation sigmoïdienne étant exceptionnellement obtenue lors de la défécation radiologique). Le volume du contenu rectal ne peut être parfaitement contrôlé, que le praticien utilise une procédure standardisée de réplétion jusqu’à un volume prédéterminé (variation anthropométrique et passage sigmoïdien) ou qu’il se limite à une perception subjective prédéterminée du patient (variabilité intra- et interindividuelle importante lors des seuils de perception élevés). Si on souhaitait mieux contrôler ces paramètres, il faudrait administrer le produit sous contrôle radiologique pour éviter sa progression intrasigmoïdienne et sous contrôle de la pression intrarectale induite par la réplétion. Il peut être utile au clinicien de faire la part entre des symptômes qui sont le reflet d’un obstacle vrai à l’évacuation de ceux qui sont en rapport avec un syndrome rectal. Le test d’évacuation y a ici toute sa place. Ainsi, les malades ayant un prolapsus rectal de haut grade (pas toujours connu ni extériorisé) ont souvent une impression d’évacuation incomplète qui n’est pas liée à un trouble de l’évacuation mais à la sensation du front de progression du prolapsus dans la partie basse du rectum : l’approche à la fois diagnostique et thérapeutique en est de ce fait très différente. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 2 - vol. IV - avril 2001 Fiche technique N°19 Tests d’évacuation rectale Certains troubles de la statique pelvienne, comme les rectocèles, peuvent être responsables d’une évacuation incomplète qu’il est utile de quantifier objectivement avant de proposer un traitement chirurgical (8, 12). La réalisation d’un test d’expulsion rectale est indispensable au diagnostic d’asynchronisme recto-sphinctérien parce que la spécificité des méthodes explorant la seule activité sphinctérienne est insuffisante (5, 13, 14). Ainsi, une activité paradoxale du complexe sphinctérien strié, lors de la défécation, a pu être observée chez un sujet sain sur cinq et chez près d’un malade sur deux souffrant d’algies périnéales sans constipation associée. Il est aujourd’hui conseillé de poser le diagnostic d’anisme sur les résultats d’au moins deux examens dont, si possible, un test d’évacuation rectale (13, 14). Certaines formes de constipation fonctionnelle terminale ne trouvent pas d’explication formelle parce qu’il n’existe pas de trouble de la statique rectale ni d’obstacle anal à l’évacuation. Un récent travail a avancé le concept pathogénique d’akinésie rectale sur les seules données d’un test d’évacuation rectale sans qu’on puisse aujourd’hui aller plus avant dans son mécanisme (absence d’activité rectale contractile, absence de transmission des efforts de poussée abdominale, neuropathie viscérale ?) (10). Un test d’évacuation rectale représente enfin un élément d’orientation pronostique et thérapeutique intéressant. Dans le traitement de l’anisme par méthode de rééducation (biofeedback), on ne saurait se satisfaire de la correction de l’anomalie anale manométrique sans qu’on ait pu vérifier qu’elle s’accompagne d’une meilleure évacuation rectale objective. Les résultats d’un test d’expulsion sont également importants à considérer avant colectomie pour inertie colique (douleurs abdominales postopératoires et utilisation persistante des laxatifs augmentée chez les patients ayant des difficultés d’évacuation) ou dans le traitement médical de la constipation de l’adulte et de l’enfant (échec relatif du traitement par laxatifs) (15). En pratique... Privilégier un test simple comme la quantification subjective du produit de contraste résiduel après évacuation du bas rectum (défécographie) ou comme l’expulsion d’un ballonnet de baudruche (faiblement rempli de 50 ml d’eau) est une approche bien utile au clinicien confronté à un problème de dyschésie “réfractaire”. Des efforts importants de validation restent nécessaires afin de préciser, notamment, l’intérêt préthérapeutique d’une telle démarche diagnostique. ■ Références bibliographiques 1. Chaussade S, Khyari A, Roche H et al. 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