D Grippe A/H1N1 mexicaine : peu de certitudes, beaucoup d’incertitudes

La Lettre du Gynécologue 345 - octobre 2009 | 25
doSSiEr
Grippe A/H1N1 mexicaine :
peu de certitudes, beaucoup
dincertitudes
Mexican flu: more doubts than prooven evidencies
E. Caumes*
D
ifficile d’échapper, cet été, à un éditorial sur la
grippe A/H1N1, initialement (mal) nommée
“porcine”, et que l’on dira “mexicaine”. Diffi-
cile aussi d’écrire des choses dignes d’intérêt, car, en
matière de grippe, ce qui est écrit maintenant peut
facilement être devenu faux une fois l’article mis en
page. Nous nous limiterons donc aux quelques certi-
tudes disponibles.
Un emballement médiatique
disproportionné
Cette grippe est partout, quasi quotidiennement, depuis
avril 2009, dans la presse quotidienne (Le Monde, Libéra-
tion, Le Figaro, Le Parisien, Ouest France), sans parler des
autres médias. Et c’est beaucoup trop. Comment justifier
un tel emballement pour une maladie ayant provoqué, à
ce jour, quelques décès en France depuis le but de l’épi-
mie contre plus de 400 s par accident de la route
en juillet et 217 décès par noyade entre le 1er juin et le
9 août (dones InVS) ? Ces constatations ne relèvent pas
de cet éditorial mais plutôt de philosophes et de socio-
logues, observateurs de notre socet de ses individus.
D’ailleurs, les opinions contraires à cet emballement
trouvent difficilement leur place dans les médias, à l’ex-
ception de notoires professeurs retraités, B. Debré ou
M. Gentilini, par exemple. Ce phénomène n’est pas propre
à la France. Ainsi, au moment l’épidémie touche l’Inde
(1 milliard 200 millions d’habitants, plusieurs milliers
de cas probables, 1 390 cas déclarés et 21 décès possi-
blement attribuables à la grippe A/ H1N1 à ce jour), le
repsentant local de l’OMS, Jai Narain, au vu des réper-
cussions sur la population (rues vides, magasins serts,
etc.), s’exprime, le 20 août 2009 : “le délire ou l’hysrie
ont pris une ampleur sans aucune mesure avec la réali
d’ensemble de la maladie.” Pour mémoire, en Inde, la
tuberculose fait 1 000 morts par jour...
* Rédacteur en chef de La Lettre
de l’Infectiologue ; président de la
Société de médecine des voyages ;
professeur des universités, univer-
sité Pierre-et-Marie-Curie ; praticien
hospitalier, service des maladies
infectieuses et tropicales, groupe
hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
Une grippe plus mexicaine
que porcine
Même si le génome de cette grippe contient des
éléments de virus du porc, il n’a pas été trouvé chez
l’animal, mais chez l’homme. De plus, le porc est un
“lieu” de réassemblage classique des virus de la grippe,
lesquels sont, pour la plupart, “porcins”. Surtout, la
tradition est de nommer les épidémies (et virus) de la
grippe en fonction de leur lieu de première description :
grippe espagnole de 1918-1919, grippe asiatique de
1957-1958, grippe de Hong Kong de 1967-1968. Dès
lors, il n’y a aucune raison, autre que “politique”, de
ne pas nommer cette épidémie “grippe mexicaine”, à
moins qu’il ne s’agisse d’une “grippe californienne”, le
lieu exact de départ restant encore ouvert au débat.
Mais, apparemment, les Américains ne souhaitent pas
l’ouvrir pour le moment. Et les Mexicains nont pas plus
envie d’endosser la paternité de ce variant. Connaissant
la porosité de cette frontière, elle est probablement
“mexicano-californienne. Une autre raison de se référer
au terme de grippe mexicaine est le fait qu’il existe
déjà un virus A/H1N1 circulant, qui entre même dans
la composition actuelle du vaccin. Mais le changement
dans l’hémagglutinine est si important qu’il n’y a pas
de relation antigénique significative entre les 2 souches
de A/ H1N1 maintenant en circulation, et donc pas de
protection croisée à attendre.
1918 : une autre époque
La comparaison récurrente avec la grippe de 1918
finit par agacer. Nous ne sortons pas d’une guerre
qui a fait des millions de morts et tout désorganisé.
La population française est infiniment moins fragile
et dénutrie qu’après la Première Guerre mondiale.
Nous avons des antibiotiques et des antiviraux, des
© La Lettre de l’Infectiologue Tome
XXIV - n° 4 - juillet-août 2009.
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La grippe A/H1N1
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masques et des gants, des unités de réanimation et des
respirateurs. Nous pouvons fabriquer des vaccins très
rapidement et cette prouesse technologique doit être
soulignée. On ne comprend donc pas très bien l’intérêt
de se référer à cette épidémie-là, à moins d’alimenter
le sensationnalisme et le catastrophisme ambiants,
devenus l’une des principales sources d’intérêt de
nos médias. Le rôle des médias devrait plutôt être
de rappeler certaines réalités historiques.
La grippe,
maladie du voyageur
Comme d’habitude, le voyageur a joué son rôle de
sentinelle épidémiologique et d’exportateur d’agent
infectieux. La grippe saisonnière est une maladie
connue chez les voyageurs. Les infections respira-
toires et la fièvre sont parmi les 4 principaux motifs de
consultation au retour de voyage (avec les dermatoses
et la diarrhée). Et la grippe explique certaines de ces
infections. Le diagnostic de grippe saisonnière a été
porté chez 20 % de voyageurs suisses fébriles et l’inci-
dence de cette grippe a été estimée, à 1/100 personnes
et par mois de voyage (1). De plus, de nombreuses
épidémies de grippe ont été observées dans des
groupes particuliers de voyageurs : voyages en groupe,
pèlerinages, transports aériens (les taux d’attaque
peuvent atteindre près de 80 %) et maritimes.
Grippe, grippette”
ougrippounette”
Avec le peu de recul de lété et de la mesure de l’impact
de l’épidémie dans les pays du Sud, les formes graves
apparaissent peu nombreuses et la létalité est estie
inrieure ou égale à celle de la grippe saisonnière (0,1 à
0,4 %), grippe dont on ne parle quasiment jamais dans les
dias me si elle fait entre 4 000 et 6 000 morts par
an en France. Aux États-Unis (plus de 200 millions d’habi-
tants), chaque année, on estime le nombre de personnes
infectées entre 5 et 20 % de la population, le nombre
dhospitalisations à plus de 200 000 et le nombre de morts
à 36 000 (2, 3). Cette impression de bénignité est partae
par les cliniciens qui ont vu les malades. Dans le service,
nous avons hospitalisé plusieurs dizaines de cas au retour
de voyages. Le qualificatif de grippette” a été utili par
B. Debré (Le Journal du Dimanche, 26 juillet 2009), mais,
entre nous, on parle plus de “grippounette”. On connaît
notre esprit carabin. Plus sérieusement, la grippe reste la
grippe, une maladie potentiellement grave, surtout sur
certains terrains, inutile den rappeler la liste ici. Et elle
est d’autant plus grave que les patients n’ont pas reçu
en temps utile le dicament efficace.
Le traitement médical précoce
est efficace
Pour être efficace, le traitement doit effectivement être
pris tôt, comme souvent dans les maladies infectieuses.
Au-delà de 48 heures après le but des signes, l’efficacité
du traitement est moins évidente. Même si cela ne doit
pas emcher de traiter les malades les plus sévères ou les
plus à risque au-delà de ce lai, c’est à garder à lesprit.
Ainsi, parmi les malades décédés de la grippe aux États-
Unis et ailleurs, peu dentre eux ont ru un médicament
antiviral et encore moins nombreux sont ceux qui l’ont
ru dans les 48 heures suivant le but des symptômes.
Par exemple, dans létude des femmes enceintes grippées
aux États-Unis, aucune de celles qui sont es navait
reçu un antiviral dans les 48 heures suivant le début des
signes (4). De me, dans les 2 cas graves rapportés dans ce
nuro (pp. 133-136), aucun des 2 patients navait ru de
médicament initialement. Ce rappel quant à la nécessité de
traiter précocement pourrait néanmoins aboutir à surtraiter
les malades, attitude potentiellement inqutante dans un
contexte de pénurie future de dicament efcace. Mais ce
sont surtout les “maladesqui viennent consulter. Et nous
sommes avant tout desdocteurs”. Toutefois, il faudrait
êtrer que cesmaladesont la grippe, et non pas une
autre virose respiratoire ne relevant pas d’un traitement
antiviral. Même si des souches résistantes aux inhibiteurs
de la neuramidinase ont commencé à être décrites, le
traitement par oseltamivir (ou zanamivir) reste efficace.
Mais la surveillance très attentive des mutations des virus
grippaux est constante et lémergence de cette résistance
est guettée. De fait, l’acquisition de cettesistance est
possible au cours du temps et cela repsente un argument
de plus pour velopper rapidement des vaccins.
Une prise en charge initiale
inadaptée et trop coûteuse
Prendre en charge des patients dans le cadre d’épidé-
mies de maladies infectieuses contagieuses coûte très
cher, beaucoup plus cher que le coût estimé habituel-
lement pour les patients hospitalisés. Surtout quand
on respecte à la lettre les règles adaptées pendant les
deux premiers mois de la pandémie. Car, eu égard à
la bénignité des formes observées chez les patients
initialement hospitalisés et à la très courte durée de
leur hospitalisation, on peut dire, pour adopter un
langage mal aimé, que nous n’avons pas été rentables
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du tout en isolant et en hospitalisant des patients qui
auraient pu rester chez eux sans problèmes. Nous
avons “obéi aux ordres”
Pourtant, très tôt, l’allègement du dispositif d’accueil
et de prise en charge de ces patients a été demandé
(par J.P. Stahl, président de la Société de pathologie
infectieuse de langue française [SPILF], dans une lettre
ouverte aux tutelles du 8 juin 2009). Nous avons mis
beaucoup de temps à être entendu. Le virus, comme le
nuage de Tchernobyl, aurait-il pu s’arrêter aux frontières
de la France ? Les politiques l’ont peut-être espéré. En
maladies infectieuses, nous sommes cependant tous
concers, et souvent au-delà des frontières tracées par
la géographie ou l’homme. Finalement, la constatation
définitive de la pandémie et de la diffusion du virus
partout en France a eu raison de l’acharnement des
autorités à vouloir confiner la grippe dans des hôpitaux
de référence. Et c’est tant mieux.
Un milliard d’euros
pour le vaccin
Un milliard d’euros, c’est le montant de la somme
accordée par les autorités françaises aux laboratoires
pharmaceutiques pour velopper un vaccin (le montant
de la somme, aux États-Unis, était de 1 milliard de dollars
à la mi-août 2009). C’est une nouvelle dont les labo-
ratoires pharmaceutiques, entreprises privées, doivent
sejouir. Mais il est d’abord bien de noter l’investisse-
ment fait par les pouvoirs publics quand la san de la
population est potentiellement mise en danger. C’est une
application du principe de précaution, ici comme dans
d’autres domaines. Ce nest pas le cas de bien des pays.
Nous sommes privilégs. Cela coûte aussi très cher. Et
ce privilège rend certains dentre nous mal à l’aise. Pour
M. Gentilini, c’est une mesure qui est dans la mesure,
alors que la panmie actuelle est qualifiée de “panmie
de lincence” (Le Monde, 6 août 2009). Un seul chiffre :
cette somme représenterait 3 fois plus que l’aide de la
France aux pays en voie de veloppement (dans ces pays,
le nombre de s annuels dus au paludisme est estimé
à 1 million). Effectivement, la comparaison est instructive.
D’un autre té, la baisse de la TVA dans la restauration
a coûté au contribuable pas loin de 3 milliards deuros,
somme considérée comme “une poignée de cacahtes
sur fond de dèche budtaire” (Le Canard Enchaîné, 19
août 2009). Le gouffre de la dette se creuse, mais c’est
un autre problème… En fait, comme le conclut M. Genti-
lini,un mort ici compte beaucoup plus que des milliers
ailleurs”. Les pays du Sud naffronteront pas cette maladie
avec les mêmes facilités que nous. C’est malheureuse-
ment vrai pour beaucoup de maladies et de nombreuses
autres choses ; et la grippe vient nous rappeler ce fos,
pas seulement sanitaire, qui sélargit.
Un vaccin espéré
sans effets indésirables
En matière d’efficacité vaccinale, force est d’attendre
les résultats des essais en cours, mais rappelons quand
même que lefficacité du vaccin antigrippal habituel nest
pas celle du vaccin contre la èvre jaune. Le vaccin permet
de prévenir la grippe chez 70 % à 90 % des personnes
vaccinées. Il réduit jusquà 60 % la gravité de la maladie
chez les personnes âgées, et jusquà 80 % le risque de
mortalité (5). Et il faudra peuttre 2 injections plutôt
que 1. Enfin, ce vaccin sera disponible dans des temps
records, à peine 6 mois aps le début de lépimie. Les
effets indésirables potentiels font tout de même réflé-
chir nos collègues américains (6). De fait, ils ont déjà eu,
en 1976, l’exrience d’une épidémie de virus “porcin
A/H1N1 et, dans l’attente d’une épidémie (qui nest jamais
venue), ils avaient vacciné des dizaines de milliers de volon-
taires avec le candidat vaccin. Un syndrome de Guillain-
Barré fut observé chez environ 500 personnes (8,8 cas pour
1 million de vaccinés contre 1 cas pour 1 million de personnes
non vaccinées) avec 25 s. Ces résultats ont été ensuite
rediscus, l’incidence du syndrome de Guillain-Barré a été
poussée à la hausse et celle des cas imputés à la vaccination
abaissée, si bien que le risque relatif s’en est réduit dautant,
la différence devenant plus ou moins significative selon les
études. Quoi qu’il en soit, pendant ce temps, lépidémie de
grippe A/H1N1, restée nalement limie à Fort Dix, aux
États-Unis, avait touché 230 soldats et fait 1 mort. Une telle
histoire ne devrait pas se reproduire ici. Des spécialistes de
la vaccination telle Brigitte Autran ne sont pas inquiets. Pour
elle, “les adjuvants utilisés sont classiques, largement
utilisés pour d’autres vaccins… Les effets secondaires sont
faibles et connus Des centaines de milliers de personnes
ont été vaccinées avec ce type d’adjuvants, sans effets
secondairesrieux” (Libération, 16 septembre 2009).
Néanmoins, il nous faudra être pharmacovigilant.
En pratique
Dans l’attente de la vaccination antigrippale A/ H1N1 mexi-
caine, la principale recommandation que l’on puisse faire est
de ne pas oublier de se vacciner contre la grippe saisonnière
et de recommander cette vaccination aux voyageurs, aux
enfants, aux femmes enceintes, et à toutes les personnes
à risque. Il nous faut être particulrement attentif au
personnel soignant, car la couverture vaccinale anti-
grippale est loin d’être parfaite parmi nous (5).
1. Mutsch M, Tavernini M, Marx
A et al. Influenza virus infection
in travelers to tropical and
subtropical countries. Clin
Infect Dis 2005;40(9):1282-7.
2. Thompson WW, Shay DK,
Weintraub E et al. Mortality
associated with influenza and
respiratory syncytial virus
in the United States. JAMA
2003;289:179-86.
3. Thompson WW, Shay DK,
Weintraub E et al. Influenza-
associated hospitalizations
in the United States. JAMA
2004;292:1333-40.
4. Jamieson DJ, Honein MA,
Rasmussen SA et al. Novel
Influenza A (H1N1) Pregnancy
Working Group. H1N1 2009
influenza virus infection during
pregnancy in the USA. Lancet
2009; 374(9688):451-8.
5. Pearson ML, Bridges
CB, Harper SA;
Healthcare Infection Control
Practices Advisory Committee
(HICPAC); Advisory
Committee on Immunization
Practices (ACIP). Influenza
vaccination of healthcare
personnel: recommenda-
tions of the HICPAC and the
ACIP. MMWR Recomm Rep
2006;55(RR-2):1-16.
6. Evans D, Cauchemez S,
Hayden FG. “Prepandemic”
immunization for novel
influenza viruses, “swine
flu” vaccine, Guillain-Barré
syndrome, and the detection
of rare severe adverse events.
J Infect Dis 2009;200(3):321-8.
Références
bibliographiques
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