La Lettre du Gynécologue - n° 323 - juin 2007
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Chimiothérapie pendant la grossesse :
le point de vue de l’oncologue médical
Chemotherapy during pregnancy: the medical oncologist opinion
IP C. Lhommé, P. Boudou, T. Bui, P. Carde, P. Pautier*
INTRODUCTION
Épidémiologie
La survenue simultanée d’un cancer et d’une grossesse est
rare. Lincidence rapportée des cancers pendant la grossesse
est d’environ un pour mille grossesses. Une femme sur cent dix
huit présentant un cancer est enceinte au moment du diagnos-
tic (1, 2). Bien que l’on parle d’un état de tolérance immunitaire
associé à la grossesse, il n’y a pas, à l’évidence, d’augmentation
d’incidence des cancers chez la femme enceinte. Haas a même
rapporté, dans une étude de population, une incidence de can-
cers associés à la grossesse plus faible que celle attendue (3).
Facteurs entrant en ligne de compte pour décider
de commencer ou non une chimiothérapie
chez une femme enceinte
La cision de réaliser ou non une chimiothérapie chez une
femme enceinte est le plus souvent difficile à prendre (4). Si
le début de la chimiothérapie ne peut pas être repoussé après
l’accouchement et si une interruption de grossesse nest pas
demandée, l’indication et les modalités d’une chimiothérapie
doivent être envisagées. La découverte d’un cancer pendant
la grossesse peut être perçue comme un conflit entre la santé
de la mère et celle du fœtus. Les facteurs maternels entrant en
ligne de compte sont : la nature et le stade d’extension de la
tumeur lors du diagnostic ; les modalités du traitement pro-
posé ; l’état de sande la mère (les risques pour sa santé et
sa vie si la chimiothérapie nécessaire n’est pas réalisée ou est
retardée ou administrée selon un protocole différent de celui
prescrit habituellement) [posologies, drogues utilisées] et le
désir de la mère (du couple) de poursuivre ou non la grossesse.
Les éléments concernant le fœtus sont le terme de la grossesse
et sa santé. Dans certains cas, lorsque le décès du fœtus est
malheureusement inévitable du fait de la tératogénicité du
traitement, ou si la santé de la re est en danger, une inter-
ruption de grossesse peut être une recommandation médicale
appropriée. Dans tous les cas, une approche multidisciplinaire
est nécessaire pourterminer la meilleure attitude à proposer.
Peu de données sur le devenir des enfants
La possibilité d’utiliser des antinéoplasiques pendant une
grossesse semble largement dépendante de la drogue utilisée,
de son mécanisme d’action, de la durée d’exposition du fœtus
à la drogue et de l’âge gestationnel au moment de l’exposition.
Malheureusement, il y a peu de données dans la littérature sur
le devenir de ces enfants. Il est donc difficile pour les équipes
soignantes de choisir le traitement le plus adapté. Par ailleurs,
la femme (le couple) doit être informée du peu de données
disponibles sur les conséquences à long terme d’une chimio-
thérapie in utero (5).
PHARMACOLOGIE DES AGENTS
ANTINÉOPLASIQUES PENDANT LA GROSSESSE
Pharmacocinétique chez la femme enceinte
Il existe très peu d’études de pharmacocinétique concernant
les antinéoplasiques chez les femmes enceintes. Les doses
administrées sont calculées en fonction du poids, comme chez
les femmes non enceintes. Les modifications physiologiques
obseres pendant la grossesse peuvent modifier la pharma-
cocinétique de certains dicaments chez la mère (tableau
I) [6-9].
Passage transplacentaire et pharmacocinétique fœtale
La barrière hématoplacentaire est facilement traversée par
nombre dagents. La plupart des agents de chimiothérapie
pénètrent ainsi dans la circulation fœtale (6), mais l’impor-
tance de l’exposition fœtale dépend des propriétés physicochi-
miques de la drogue. Les molécules non ionisées, liposolubles,
* Département de médecine, Institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805
Villejuif.
Tableau I.
Inuence des facteurs pharmacocinétiques pendant la
grossesse (d’après Wiebe, 1994).
Facteurs pharmacocinétiques Eet
Volume de distribution Augmenté
Pic de concentration de la drogue Diminué
Demi-vie Augmentée ou diminuée
Concentration x temps (AUC) Augmentée ou diminuée
Absorption du médicament Augmentée ou diminuée
Passage entérohépatique Augmenté ou diminué
Fixation protéique Augmentée
Clairance rénale Augmentée
Clairance hépatique Augmentée ou diminuée
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de bas poids moléculaire (moins de 1 kD), et à faible pour-
centage de liaisons protéiques traversent de façon plus impor-
tante la barrière placentaire (méthotrexate et 5-FU).
Le placenta est une voie importante d’élimination des médi-
caments (expression de la glycoprotéine P) et élimine déchets
et toxines fœtales, réduisant ainsi l’exposition fœtale aux anti-
néoplasiques. À la naissance, la possibilité qu’a le nouveau-né
de métaboliser et d’excréter diverses drogues est encore sous-
développée. Une chimiothérapie réalisée juste avant la nais-
sance peut être dangereuse du fait du retard au métabolisme
et à l’excrétion chez l’enfant, alors qu’il na plus d’excrétion
placentaire.
Facteurs intervenant sur l’exposition
fœtale aux drogues
Certains facteurs maternels peuvent modifier l’exposition
du fœtus au médicament. Ainsi, une hypoprotidémie peut
induire une augmentation de la concentration de la fraction
libre. Lobésité peut induire une séquestration maternelle des
drogues liposolubles. Lexpansion (d’environ 50 %) du volume
plasmatique pendant la grossesse peut réduire les pics de
concentration des médicaments (6).
Le liquide amniotique pourrait se comporter comme un
troisième secteur. Si cest le cas, l’élimination serait retardée
et la toxicité de certaines drogues augmentée (par exemple, le
méthotrexate, qui se redistribue dans les troisièmes secteurs
comme les ascites ou les épanchements pleuraux) [9].
Les voies taboliques fœtales sont différentes de celles de
l’adulte. Alors que la plupart des agents sont éliminés par la
voie du métabolisme oxydatif chez l’adulte, d’autres voies peu-
vent être majoritairement utilisées chez l’enfant avant terme
(10). Enfin, une drogue excrétée dans le liquide amniotique
peut être ingérée par le fœtus et réabsorbée dans son tractus
intestinal, ce qui augmente les effets indésirables potentiels
sur le fœtus (exemple : les antimétabolites sont excrétés sous
forme active).
EFFET DE LA CHIMIOTHÉRAPIE
SUR LE DÉROULEMENT DE LA GROSSESSE
Les agents antinéoplasiques ont des effets immédiats sur
l’évolution de la grossesse (tableau II) [11]. La chimiothéra-
pie pendant l’implantation (deux premières semaines suivant
la conception) induit des avortements spontanés. Sutcliffe
rapporte 82 avortements, spontas ou trapeutiques,
chez 218 femmes ayant reçu une chimiothérapie alors qu’elles
étaient enceintes (12).
La toxicité directe des agents cytotoxiques nest pas limitée
à lexposition durant l’organogenèse et peut avoir aussi un
impact sur la morbidité et la mortalité fœtales (13). Nichol-
son rapporte que 40 % des fœtus exposés à une chimiothéra-
pie ont un petit poids de naissance (14). D’autres auteurs ne
confirment pas cette notion (15, 16). Certains enfants ont des
retards de croissance intra-utérins et risquent de développer
un handicap. Il existe également des risques de prématurité
(12, 14, 15, 17).
Il y a très peu de données sur le travail et l’accouchement,
celui-ci se faisant souvent dans une structure dicale diffé-
rente de celle où est réalisée la chimiothérapie.
EFFETS DE LA CHIMIOTHÉRAPIE SUR LE TUS
Laction des antinéoplasiques est, pour partie, dépendante
de leur capacité à inhiber les cellules en cours de division.
Le fœtus est donc particulièrement sensible aux antinéopla-
siques, tout spécialement pendant le premier trimestre de la
grossesse, moment où les cellules se divisent très rapidement.
Lutilisation d’une chimiothérapie pendant le premier tri-
mestre (moment de l’organogenèse) induit un risque accru
de malformations congénitales et/ou d’avortements. Durant
les second et troisième trimestres, il nest plus obserd’aug-
mentation du nombre de malformations (11), mais il peut se
produire un retard de la croissance fœtale et du veloppe-
ment psychomoteur celable tardivement. La croissance
neuronale cérébrale se poursuit en effet durant cette période,
et des dommages après le premier trimestre peuvent induire
microcéphalies, retards mentaux ou défauts d’apprentissage
ou du comportement (tableau II) [18]. La dénutrition de la
mère en rapport avec l’anorexie secondaire à la maladie et/ou
à la chimiothérapie peut également jouer un rôle à ce niveau.
Tératogénicité
La tératogénicité et le potentiel mutagène de la chimio-
thérapie ont été clairement démontrés chez l’animal. Mal-
heureusement l’extrapolation des donnéess chez l’animal à
l’organogenèse humaine n’est pas possible. Malg tout, des
tests chez l’animal sont requis avant la mise sur le marché d’un
médicament.
La phase critique de tératogénicité est le premier trimestre
de la grossesse, au moment de l’organogenèse embryonnaire
(11-14, 17, 19-22). La plupart des séries rapportent peu de cas.
Lincidence se situe entre 7 % et 17 % de malformations fœtales
après utilisation d’antinéoplasiques pendant le premier tri-
mestre (11, 20) [tableau III].
Dans certaines pathologies, en particulier hématologiques,
la chimiothérapie est utilisée seule, et un certain nombre de
publications font état de développements fœtaux normaux
Tableau II.
Effets indésirables des agents antinéoplasiques sur le
fœtus et le nouveau-né.
Eets immédiats
– avortement spontané
– tératogénicité
– toxicité organique
– naissance prématurée
– petit poids de naissance
Eets retardés
– carcinogenèse
– stérilité
– retard de développement physique
et/ou mental
– mutation tératogénicité
à la deuxième génération
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dans ces séries (23-27), soutenant ainsi l’hypothèse que ce
serait surtout l’association radiothérapie-chimiothérapie qui
serait délétère (21, 28). Il a également été rappordes inter-
actions tératogènes synergiques dans les combinaisons de
médicaments ou lors de l’utilisation séquentielle de monochi-
miothérapies. Cependant, pour Willemse et al., le taux de mal-
formations congénitales paraît identique si l’on utilise pendant
le premier trimestre des monochimiothérapies (18 %) ou des
associations (17 %) [28]. À noter que si l’on exclut les antifo-
liniques et l’utilisation concomitante de radiothérapie, l’inci-
dence des malformations tombe à 6 % en cas de monothérapie.
Les drogues les plus fréquemment associées à des malforma-
tions congénitales durant le premier trimestre sont les anti-
métabolites, en particulier les antagonistes de l’acide folinique
que sont le méthotrexate et l’aminoptérine. Les agents alky-
lants sont moins tératogènes puisque six cas de malformations
parmi quarante patientes à risque ont érapportés. Parmi ces
six cas, quatre ont reçu une irradiation pendant la grossesse.
Ces dicaments sont souvent utilisés dans des associations
à visée curative. Bien que la vinblastine soit très tératogène
chez l’animal, un seul cas de malformation a été obserchez
quatorze enfants de femmes traitées pendant le premier tri-
mestre de la grossesse (11). Il n’y a pas de données concernant
la vincristine. Les antibiotiques tels que la daunorubicine et la
doxorubicine ne semblent pas augmenter le risque d’anoma-
lies fœtales. Germann et al., chez cent soixante patientes ayant
reçu des anthracyclines pendant la grossesse, ont observé plus
de complications embryo-fœtales chez les patientes traitées
pour leucémie, pendant le premier trimestre ou si la dose de
doxorubicine par cycle est supérieure à 70 mg/m² (29). Il n’y a
pas non plus de cas rapporté de malformations avec le cispla-
tine, l’étoposide ou les taxanes (5, 30-33). Cela peut, en parti-
culier pour ces derniers, être lié au peu dexpérience dans cette
situation particulière.
Des conclusions sont en conséquence difficiles à établir.
Cependant, il est admis qu’il faut éviter la chimiothérapie pen-
dant le premier trimestre de la grossesse.
Chez le fœtus exposé à une chimiothérapie pendant les
second et troisième trimestres de la grossesse, il n’y a pas
plus de malformations congénitales que chez les non-exposés
(tableau IV) [11] (1,3 %).
Toxicité organique chez l’enfant exposé
La chimiothérapie peut avoir une toxicité directe chez l’enfant
exposé in utero. Une myélosuppression peut induire des infec-
tions ou des hémorragies fœtales (33 % de nouveau-nés, dont
la mère a reçu une chimiothérapie pendant le dernier mois de
grossesse, ont une cytopénie à la naissance [31]). Des nécroses
myocardiques associées à l’utilisation d’anthracyclines ont été
décrites, bien que non reliées de façon formelle (13, 32).
Eets à long terme de l’exposition in utero
à la chimiothérapie
Il y a peu d’information sur les effets à long terme de la chimio-
thérapie in utero. La série la plus importante (16) est compo-
sée de quatre-vingt-neuf patientes suivies pour une maladie
hématologique et traitées pendant une grossesse. Cinq sont
décédées avant tout traitement. Le suivi médian est de 18,7
ans (6-29). Il na pas été obserde cancer ni de leucémie, y
compris chez les douze enfants de la seconde génération. Il n’a
pas été constaté de déficit intellectuel, de difficultés scolaires
particulières, ni d’anomalie congénitale, psychologique, neu-
rologique, cardiaque ou cytologique (sang ou moelle).
La chimiothérapie peut parfois être responsable d’un retard
transitoire de croissance (26).
Tableau III.
Chimiothérapie pendant le premier trimestre de la gros-
sesse (11).
Classe de
l’anticancéreux
Nombre de patientes
exposées
Nombre de mal-
formations fœtales
Agents alkylants
Busulfan
Chlorambucil
Cyclophosphamide
Moutardes à l’azote
22
5
7
6
2
1
3
0
40 6 (15 %)
Antimétabolites
Aminoptérine
Méthotrexate
6-mercaptopurine
Cytarabine
Fluorouracile
52
3
20
1
1
10
3
0
1
1
77 15 (19 %)
Alcaloïdes
Vinblastine 14 1
Antibiotiques
Daunorubicine 1 0
Autres
Procarbazine
Amsacrine
Cisplatine
1
1
1
1
18
1
0 3 (17 %)
Total 135 24 (18 %)
Tableau IV.
Chimiothérapie pendant les second et troisième trimes-
tres de la grossesse (11).
Classe de
l’anticancéreux
Nombre de patientes
exposées
Nombre de mal-
formations fœtales
Agents alkylants 26 1
Antimétabolites 38 0
Antibiotiques 1 0
Alcaloïdes des plantes 6 0
Association 79 1*
Total 150 2 (1,3 %)
* Un cas de trisomie C après aracytine et 6-thioguanine. L’autopsie n’a pas retrouvé de malformation congénitale.
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Sachant que certains agents de chimiothérapie ont un effet
nocif sur les testicules et sur les follicules ovariens chez l’en-
fant et l’adulte, on peut craindre que le même risque existe
chez les enfants expos in utero, mais cela n’a pas été rap-
por(5, 31).
CAS PARTICULIERS
Soins de support
Lutilisation d’ondansétron (y compris pendant le premier
trimestre) ne semble pas être à l’origine de malformations
fœtales. La prescription de corticoïdes doit, en revanche,
être résere aux deux derniers trimestres (34).
Les facteurs de croissance (G-CSF) et l’érythropoiétine ont
été utilisés sans problème particulier chez des femmes encein-
tes et leur utilisation est donc possible selon les recomman-
dations habituelles, tout en tenant compte des modifications
physiologiques (hémodilution pendant la grossesse) [34].
Les bisphosphonates ont été utilisés au troisième trimestre
chez des patientes ayant un cancer du sein avec métastases
osseuses. Il na pas été observé de malformations fœtales, mais
on a noté une hypocalcémie chez le nouveau-né. Plus que l’ef-
fet du médicament en lui-même, l’inhibition des parathyroïdes
fœtales par l’hypercalcémie maternelle est évoquée (35).
Cancers du sein
Entre 0,2 % et 3,8 % de l’ensemble des cancers du sein sur-
viennent pendant la grossesse ou l’allaitement (36). L’in-
cidence annuelle des cancers du sein pendant la grossesse
serait de 3 500 aux États-Unis (37). Contrairement à ce qui
a longtemps été pensé, le pronostic des cancers du sein chez
la femme enceinte est le même que celui des autres femmes
à âge et facteurs pronostiques identiques (38). En revanche,
les tumeurs sont souvent plus volumineuses, avec plus d’en-
vahissements ganglionnaires et une extension métastatique
plus fréquente (39). Le risque d’envahissement ganglionnaire
augmente avec le temps : pour des tumeurs à croissance
rapide (soixante-cinq jours de temps de doublement), il
est d’environ 1,8 % en un mois, 5,2 % en trois mois et jus-
qu’à 10,2 % en six mois. Ce risque ne permet pas d’attendre
l’accouchement pour commencer la chimiothérapie lorsque
le diagnostic de cancer du sein est en début de grossesse.
Les cancers du sein en cours de grossesse doivent être trai-
tés selon les mêmes modalités qu’en l’absence de grossesse,
c’est-à-dire par une chimiothérapie dans la plupart des cas.
Lavortement thérapeutique (crainte que l’imprégnation hor-
monale pendant la grossesse favorise la croissance tumorale)
ne semble pas augmenter la survie.
Une série rétrospective fraaise (40) a por sur des
patientes ayant reçu un ou plusieurs cycles de chimiothérapie
pendant la grossesse pour un cancer du sein. Chez dix-huit
patientes ayant reçu une chimiothérapie après le premier
trimestre, dix-sept enfants sont vivants, dont trois avec des
complications liées à cette chimiothérapie (anémie, leucopé-
nie et retard de croissance) et un enfant est né vivant et décédé
huit jours plus tard de cause inconnue. Deux nouveau-nés ont
présenté des complications liées à la prématurité (insuffisance
respiratoire transitoire). Les dix-sept enfants ont un velop-
pement normal à 42,3 mois de suivi médian. Ladministration
de la chimiothérapie pendant les deux derniers trimestres ne
semble pas augmenter le risque de tératogénicité. En revan-
che, il faut informer la patiente du risque d’autres toxicités,
comme les toxicités organiques, incluant une toxicité non éva-
luée encore sur le développement du système nerveux central
de l’enfant, les retards de croissance intra-utérins, et le risque
d’accouchement prématuré.
Une conférence internationale d’experts a publié récemment
ses recommandations (34). Un traitement à base d’anthracycli-
nes comme le FAC (5-FU + adriamycine + cyclophosphamide)
peut être prescrit lors des deuxième et troisième trimestres de
la grossesse (15, 35, 41). Il n’y a pas assez de données actuelle-
ment pour pouvoir recommander l’utilisation lors d’une gros-
sesse d’un taxane, d’épirubicine, d’idarubicine, de trastuzumab
ou de tamoxifène (observations contradictoires pour ce der-
nier).
Leucémies
Bien que l’incidence des leucémies soit estimée à 3,5 pour
100 000 habitants par an aux États-Unis et en Europe de
l’Ouest, l’incidence estimée pendant la grossesse n’est que de
1 pour 100 000 grossesses par an (24), mais il ne s’agit proba-
blement pas de l’incidence exacte (estimée seulement sur le
nombre de cas rapportés). Il s’agit dans 89 % des cas de leucé-
mies aiguës (LA) et le plus souvent de LA myéloblastiques (24,
42). Les LA nécessitent un traitement en urgence. Les taux de
réponse complète (65 à 75 %) sont élevés. Les taux de survie et
de réponse complète en cours de grossesse sont comparables
à ceux des femmes non enceintes. Il n’y a pas d’argument en
faveur d’une aggravation du pronostic liée à la grossesse (24).
Les drogues utilisées dans les LA sont principalement les anti-
métabolites, les anthracyclines et les vinca-alcaloïdes. Il y a
donc un fort risque de tératogénicité si elles sont utilisées dans
les premières semaines de grossesse. Un avortement spontané
peut survenir du fait de la chimiothérapie ou de la leucémie
(anémie maternelle, CIVD, modifications du flux sanguin,
des échanges nutritifs et délivrance d’oxygène au niveau des
espaces intervillositaires du placenta). Le traitement standard
peut être administré sans el risque de tératogénicité après
le premier trimestre. Ebert et al. ont regroupé tous les cas
publiés de LA (LAL et LAM) et de leucémie myéloïde chro-
nique associées à une grossesse entre 1983 et 1995. Sur les
quatre-vingt-seize cas, deux seulement ont reçu une mono-
chimiothérapie, et sept patientes ont reçu une radiothérapie
en plus de leur chimiothérapie. Il est rappordouze cas de
problèmes néonatals : deux avortements thérapeutiques, un
avortement spontané, deux enfants mort-nés, un enfant avec
caryotype anormal, et huit enfants avec anomalie congénitale
(22). Sept enfants sur huit présentant une anomalie congéni-
tale ont éexposés pendant le premier trimestre de la gros-
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sesse. Les auteurs rendent l’aracytine responsable de la plupart
des anomalies néonatales. Le risque de dommage placentaire,
de sepsis, d’avortement spontané ou de prématurité est aussi
incontestablement augmenté chez les femmes présentant des
épisodes répétés de myélosuppression, et chez lesquelles de
nombreux autres médicaments sont utilisés (antiviraux, anti-
biotiques, antifongiques, antiémétiques, produits sanguins).
Une diminution de la dose-intensité, en augmentant la sécu-
rité de l’enfant, peut diminuer les chances de contrôle à long
terme de la maladie de la mère.
Il y a peu de cas décrits d’utilisation d’interféron α pendant la
grossesse, et aucun cas décrit d’anomalie fœtale (43).
En cas de leucémie chronique, l’hydroxycarbamide et le
busulfan peuvent être utilisés, de même que les leucophé-
rèses (17).
Lymphomes
Lincidence rapportée des maladies de Hodgkin (MDH) asso-
ciées à une grossesse va de 1/1 000 à 1/6 000 accouchements ;
celle des lymphomes non hodgkiniens (LNH) est inconnue.
La grossesse na pas d’influence négative sur le pronostic de
la maladie (44). En revanche, il a été rappordes métastases
du lymphome chez le fœtus (LNH ou MDH), mais cela reste
exceptionnel (45).
Le traitement des LNH et MDH passe par la polychimiothé-
rapie et/ou la radiothérapie. Des irradiations supradiaphrag-
matiques ont été réalisées durant la grossesse sans anomalie
fœtale rapportée (dix-sept cas sur dix-sept) (46). La chimio-
thérapie doit être évitée durant le premier trimestre. Si, cepen-
dant, elle doit être prescrite, il faut alors éviter l’utilisation des
antifolates et de la procarbazine (utilisation de l’ABVD plutôt
que du MOPP dans les maladies de Hodgkin) (47).
Autres tumeurs
Grâce à la réalisation des échographies, les tumeurs de
l’ovaire sont souvent diagnostiquées à un stade précoce pen-
dant la grossesse. Trois à six pour cent des masses annexielles
pendant la grossesse sont des tumeurs malignes. Du fait de
l’âge de ces patientes, il s’agit de tumeurs épithéliales dans
35 à 40 % des cas, ou non épithéliales (tumeurs germinales
30-35 % et tumeurs des cordons sexuels 17-20 %) [48]. Ces
tumeurs bénéficient la plupart du temps d’une chimiothéra-
pie à base de sels de platine. Le cisplatine et le carboplatine
peuvent administrés (49, 50), le risque étant la thrombopé-
nie avec le carboplatine (toxicité propre et faible liaison pro-
téique favorisant le passage transplacentaire) et la toxicité
auditive chez le fœtus avec le cisplatine (17). Le paclitaxel est
tératogène pendant le premier trimestre chez le rat en début
de gestation (51). Seuls 4 cas d’association platine-paclitaxel
(Taxol
®
) ont été rapportés sans problème particulier (52)
[17]. Le traitement de référence des tumeurs non épithéliales
est actuellement le BEP. Lutilisation de la bléomycine pen-
dant la grossesse est déconseillée. En revanche, le sultat de
l’association étoposide-cisplatine dans ces tumeurs n’est pas
connu.
Des cas d’utilisation de platine dans le cadre du traitement
de tumeurs bronchiques ou de sarcomes des tissus mous ont
également été rapportés (53, 54).
Pour le reste, quelques cas de tumeurs solides traitées par
chimiothérapie pendant la grossesse ont été rappors (55). Il
nest pas possible d’en estimer l’incidence.
ACCOUCHEMENT ET ALLAITEMENT
Laccouchement doit être évité avant ou pendant le nadir. La
chimiothérapie doit donc être arrêtée au moins trois semai-
nes avant, soit vers la trente-cinquième semaine, d’autant
qu’il existe un risque d’accouchement prématuré. Par ailleurs,
il faut un délai suffisant pour que les drogues ayant diffu
dans la circulation fœtale soient métabolisées puis éliminées
par le placenta (d’autant que chez les prématurés, il existe
une immaturité enzymatique hépatique et rénale). Il est donc
également conseillé de ne pas déclencher systématiquement
l’accouchement de façon prématurée et de traiter avec éner-
gie les menaces d’accouchement prématuré dans l’attente de
ce délai de trois semaines après la dernière cure de chimio-
thérapie (17).
Lorsqu’il a été nécessaire d’utiliser de la bléomycine chez une
femme enceinte éviter), l’utilisation de l’oxygène pendant
le travail est interdite du fait du risque d’aggravation d’une
éventuelle toxicité pulmonaire (56).
Allaitement : il n’y a pas de parallélisme entre le passage
transplacentaire et le passage dans le lait des différents médi-
caments. Pour la plupart des drogues, nous navons aucune
information. Lallaitement est contre-indiqué lors de la
chimiothérapie (17).
CONCLUSION
En l’absence de données plus précises, la chimiothérapie doit
être évitée pendant le premier trimestre de la grossesse. En
cas d’urgence, un avortement thérapeutique peut être pro-
posé. La chimiothérapie peut être utilisée sans risque térato-
gène important durant le second et troisième trimestres. Par
ailleurs, il faut informer les patientes des risques immédiats
et retardés de la chimiothérapie. La dernière cure de chimio-
thérapie doit être administrée au plus tard trois semaines
avant l’accouchement pour éviter à cette date une hypoplasie
pouvant être responsable d’infection et d’hémorragie chez la
mère et l’enfant.
Il existe actuellement une banque de données (Mulvihill
registre 405-271-8685, e-mail : John-Mulvihill@ouhsc.edu.)
qui permet l’enregistrement des cas, ce qui facilite la collec-
tion des données sur les effets des différents traitements du
cancer, à la fois chez la mère et l’enfant, et à court et long ter-
mes. Il existe également un site Internet qui délivre un grand
nombre d’informations sur les effets tératogènes connus de
chaque drogue (http ://www.motherisk.org.). n
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