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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - nos 3-4 - mars-avril 2007
Prise en charge nutritionnelle
au cours des cancers digestifs (hors chirurgie)
Nutritional support in gastrointestinal cancer (except for perioperative phase)
쐌쎲 S. Dahmouni, P. Senesse*
* CRLC Val-d’Aurelle – Paul-Lamarque, service de nutrition et d’oncologie digestive,
Parc Euromédecine, Montpellier.
POINTS FORTS
Au diagnostic, environ 30 % des patients atteints de cancer
digestif présentent des signes de dénutrition dé nis par une
perte de poids supérieure à 10 % du poids habituel en 6 mois
ou à 5 % en un mois.
Son dépistage est essentiel, car la dénutrition est associée
à une moindre tolérance aux traitements, à une réduction
de dose et d’e cacité de la chimiothérapie, à une altération
de la qualité de vie, à une augmentation des complications
et de la durée d’hospitalisation.
En l’absence de dénutrition et en cas de radiothérapie ou
de radiochimiothérapie, le conseil diététique et les complé-
ments oraux permettent de prévenir la perte de poids et
de réduire les toxicités secondaires au traitement tout en
améliorant la qualité de vie. La nutrition arti cielle nest pas
indiquée.
Chez les patients dénutris, le conseil diététique et les
compléments nutritionnels oraux doivent être privilégiés.
En cas d’échec ou de dénutrition sévère, la nutrition arti-
cielle est nécessaire.
La voie entérale est préférable car source de moindres
complications, en particulier infectieuses, comparativement
à la voie parentérale.
La nutrition parentérale doit être réservée à la prise en
charge des grêles radiques ou des patients dénutris (hors
stade terminal) pour lesquels il n’y a pas d’alternative.
En cas de carcinose péritonéale, une nutrition parentérale
peut être proposée, mais ce choix doit tenir compte de l’âge,
de l’état général ainsi que de l’histoire de la maladie et devra
être prise conjointement avec le patient et sa famille.
Mots-clés : Conseil diététique – Cancer gastro-intestinal
Perte de poids – Support nutritionnel.
Keywords: Dietary counselling – Gastrointestinal neoplasms
Weight loss – Nutritional support.
Plusieurs publications récentes ont démontré le bénéfi ce
signifi catif d’un soutien nutritionnel chez les patients
atteints de cancer digestif en termes de réduction de la
morbi-mortalité. Bien que cela soit admis, la prise en charge de
la dénutrition reste insuffi sante pour diverses raisons : le manque
de critères pratiques simples, leur multiplicité, l’absence de larges
séries publiées et la complexité des recommandations disponibles.
Spiro et al. (1) ont évalué, sur la base de cas cliniques et d’un
questionnaire spécifi que, la capacité des oncologues à recon-
naître les patients à risque de dénutrition. Quarante-huit pour
cent des oncologues étaient incapables de préciser les éléments
nécessaires à l’évaluation du statut nutritionnel, en particulier la
taille et l’indice de masse corporelle (IMC). La prise en charge
nutritionnelle doit concerner tous les acteurs de santé et ne doit
pas être réservée uniquement à l’expert en nutrition.
CONSÉQUENCES DE LA DÉNUTRITION
Trente pour cent des patients porteurs de néoplasie digestive
présentent des signes de dénutrition à la prise en charge (2). La
dénutrition est défi nie par une perte de poids supérieure à 10 %
par rapport au poids habituel sur une période de 6 mois ou par
une perte de poids supérieure à 5 % sur un mois ou par un IMC
(poids/taille²) inférieur à 18,5 (3). Elle est responsable d’une majo-
ration de la toxicité en cas de chimiothérapie et/ou radiothérapie
et est associée à une réduction de la survie. Dans une étude multi-
centrique (n = 3 047 patients), avant la chimiothérapie (2), la perte
de poids était associée à une faible médiane de survie en cas de
cancer colorectal (p < 0,01). Andreyev et al. (4), dans une étude
rétrospective portant sur 1 555 patients atteints de cancers digestifs
et traités par chimiothérapie, objectivaient une corrélation entre la
perte de poids initiale, d’une part, et une baisse de la réponse à la
chimiothérapie (p = 0,006), une réduction de la survie, spécifi que-
ment pour les cancers gastriques et colorectaux (p < 0,0001), ainsi
qu’une majoration des toxicités (p < 0,0001), d’autre part.
PERTURBATIONS DE L’ÉQUILIBRE NUTRITIONNEL
EN RAPPORT AVEC LES CONSÉQUENCES DIRECTES
OU INDIRECTES DU CANCER
La douleur (5) est responsable d’une réduction des apports
oraux par anorexie. Une prise en charge correcte de celle-
ci est nécessaire, en prévoyant les effets secondaires des
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morphiniques (constipation et nausées) pouvant altérer les
prises alimentaires. La dépression est souvent présente mais
négligée. Sa détection et sa prise en charge sont indispen-
sables. Une consultation auprès d’un psychologue doit être
proposée au patient et à sa famille. Les conséquences sociales
de la maladie peuvent nécessiter des démarches auprès des
diff érents services sociaux et administratifs. Ces diffi cultés
sont source d’angoisse, de dépression et de modifi cation du
statut nutritionnel. Dès l’annonce du diagnostic, il semble
nécessaire de mettre le patient en contact avec une assistante
sociale (6).
LES BESOINS NUTRITIONNELS
Le métabolisme de base est très variable au cours du cancer,
mais il est relativement stable chez les patients porteurs de
cancer gastrique ou colorectal et augmenté en cas de cancer
du pancréas. Lévaluation des besoins nutritionnels se fait faci-
lement à partir de la formule de Harris et Benedict (besoins
au repos) :
chez l’homme = 66,47 + (13,75 x poids actuel [kg]) + (5 x
taille [cm]) – (6,77 x âge) ;
chez la femme = 655,1 + (9,56 x poids actuel [kg]) + (1,85 x
taille [cm]) – (4,67 x âge).
Pour le patient non obèse porteur de cancer, les besoins réels
sont d’environ 1,3 fois la dépense énergétique de repos (soit 30
à 35 kcal/kg/j pour un patient ambulatoire et 20 à 25 kcal/kg/j
pour un patient alité).
INDICATIONS D’UNE NUTRITION ARTIFICIELLE
EN CANCÉROLOGIE DIGESTIVE
Patients avec radiothérapie et/ou chimiothérapie
Support nutritionnel oral
Récemment, deux études publiées par Ravasco et al. ont évalué
l’intérêt de la prise en charge diététique dans le cas de patients
non dénutris traités par radiothérapie pour des cancers des
voies aérodigestives ou colorectaux (7, 8). Les patients étaient
randomisés en trois bras : conseil diététique, suppléments oraux
et prise en charge habituelle sans support nutritionnel. La toxi-
cité (nombre de patients avec une toxicité de grade 1 ou 2) à
un mois et le score de qualité de vie étaient signifi cativement
meilleurs dans le groupe qui bénéfi ciait des conseils diététiques.
Par ailleurs, deux études randomisées (200 patients par étude)
réalisées auprès de patients non dénutris avec cancer du pancréas
ont comparé l’utilisation de compléments nutritionnels par voie
orale avec ou sans omega 3. À 8 semaines, les patients étaient
compliants au traitement dans seulement 55 % des cas, quel
que soit le type de complément. Bien que le conseil diététique
soit essentiel, les médecins sollicitent peu les diététiciennes.
En eff et, dans une publication récente, seuls 50 % des patients
dénutris bénéfi cient à un moment donné de leur suivi d’une
consultation diététique (9).
Nutrition artifi cielle
Bozzetti et al., dans une étude prospective non randomisée,
ont suivi des patients atteints de carcinome épidermoïde de
l’œsophage et bénéfi ciant d’une radiochimiothérapie (10). Deux
groupes de patients étaient étudiés : des patients dysphagi-
ques bénéfi ciant d’une nutrition entérale (58 %) et un groupe de
patients non dysphagiques sans nutrition entérale. Il nexistait
pas de diff érence signifi cative entre les deux groupes en termes
de tolérance, de réponse au traitement, de prise en charge chirur-
gicale et de médiane de survie. Si la nutrition entérale semble
apporter des bénéfi ces, il existe peu de publications prospectives.
La nutrition artifi cielle utilisée au cours des radiochimiothérapies
concerne trop systématiquement la voie parentérale. Ce type
de support nutritionnel naméliore pas la survie et induit des
complications fréquentes (+ 40 %), essentiellement infectieuses
(+ 16 %). Le taux de réponse à la chimiothérapie, avec ou sans
nutrition parentérale, est identique.
Au total, pour tous les patients sous radiochimiothérapie,
le conseil diététique est essentiel. Les compléments oraux
trouvent leur place à condition d’en connaître les limites
(compliance) et de savoir motiver les patients en leur en
expliquant l’intérêt. La nutrition artifi cielle doit être discutée
en fonction du contexte. En néoadjuvant ou en adjuvant
d’une chirurgie, il semble indispensable de proposer une
nutrition arti cielle, si possible par voie entérale en raison
d’un moindre taux de complications comparativement à la
nutrition parentérale. Cette dernière sera discutée unique-
ment chez les patients dénutris en cas d’obstacle digestif.
La carcinose péritonéale
En dehors de tout traitement chirurgical, le patient en situation
palliative doit bénéfi cier d’une prise en charge globale pluri-
disciplinaire. Peu d’études sont disponibles concernant les
traitements. Une revue de la littérature réalisée par un groupe
d’experts a été publiée de façon à proposer une approche théra-
peutique adaptée (11). Pour les patients en occlusion chronique
plus ou moins complète, la nutrition orale est réduite de façon
signifi cative, entraînant l’apparition assez rapide d’un amaigris-
sement et d’une altération de l’état général confi rmée par une
atteinte du performance status ou du score de Karnofsky. En
raison des contraintes, des risques et des éventuels bénéfi ces de
la nutrition parentérale, celle-ci doit être discutée au cas par cas
avec l’équipe soignante, le patient et la famille. Il est essentiel
de prendre en compte l’histoire naturelle de la maladie et, en
particulier, la rapidité d’évolution ainsi que la chimiosensibilité
de la tumeur. Récemment, une étude prospective réalisée auprès
de patients pris en charge à domicile sous nutrition parentérale
objectivait, pour 69 patients atteints de cancers évolués (84 % de
carcinoses péritonéales et 54 % de cancers d’origine digestive),
une moyenne de survie de quatre mois (1-14), avec maintien
de l’état nutritionnel jusqu’au décès (12). Dans ce travail, un
tiers des patients avaient une survie de plus de sept mois. Deux
groupes distincts se diff érenciaient sur la qualité de vie. En eff et,
si, globalement, la qualité de vie restait stable jusqu’à 2-3 mois
avant le décès, pour un groupe de patients elle s’aggravait rapi-
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dement malgré la nutrition parentérale (60 % des cas), alors
qu’elle s’améliorait pour les autres (40 %). En cas d’aggravation,
le décès survenait dans les 2 à 3 mois.
Au total, dans les carcinoses péritonéales, la nutrition paren-
térale peut être proposée pour des patients avec un indice de
Karnofsky supérieur à 50 (ou un performance status2), avec
des tumeurs d’évolution assez lente, et pour lesquels aucun
autre moyen nutritionnel nest envisageable.
Les patients en traitement palliatif
Ces patients, plus que jamais, doivent bénéfi cier d’une prise en
charge pluridisciplinaire. Lécoute du patient et de sa famille
est essentielle. Les conseils diététiques peuvent les aider, mais
toujours en privilégiant le confort, la qualité de vie, l’alimen-
tation plaisir. La nutrition artifi cielle peut être discutée pour
des patients dans l’incapacité de s’alimenter et dont l’histoire
de la maladie, l’âge, l’espérance de vie permettent de penser
que la nutrition artifi cielle pourra prolonger la survie tout en
préservant une qualité de vie correcte (13). Pour tous les patients
dont l’indice de Karnofsky est inférieur à 50 (ou le performance
status > 2), et le pronostic inférieur à 3 mois, la nutrition artifi -
cielle napporte aucun bénéfi ce (14). Dans une étude prospec-
tive réalisée auprès de patients en phase terminale, 32 patients
étaient suivis sur 12 mois. Les patients ne se plaignaient ni de
faim ni de soif dans respectivement 63 % et 62 % des cas. Ces
symptômes, lorsqu’ils étaient présents, étaient soulagés par
l’apport léger d’aliments, de fl uides par voie orale, ou encore
par l’application de glace sur les lèvres.
Les états séquellaires
La principale séquelle rencontrée au niveau digestif concerne
l’entérite radique chronique. La symptomatologie la plus
fréquente est le syndrome occlusif plus ou moins complet en
rapport avec des segments grêles atones ou des sténoses étagées.
La dénutrition est alors fréquente, nécessitant un traitement
chirurgical et/ou une nutrition artifi cielle, le plus souvent par
voie parentérale. Les patients doivent dans ce cas être intégrés
dans les centres agréés de nutrition parentérale à domicile, de
façon à bénéfi cier de l’encadrement médical et paramédical
nécessaire pour les nutritions parentérales de longue durée. La
survie à 5 ans des patients en nutrition parentérale pour grêle
radique est d’environ 68 % (15).
CONCLUSION
La prise en charge nutritionnelle des patients en cancérologie
digestive s’intègre dans les soins de support et doit faire partie
de la prise en charge pluridisciplinaire cancérologique. La dénu-
trition, source de complications et d’une moindre tolérance aux
traitements, doit être dépistée systématiquement à l’entrée du
patient dans les services de soins. Le conseil diététique doit
être proposé systématiquement pour les patients non dénutris
traités par radiochimiothérapie. Une nutrition artifi cielle doit
être discutée pour les patients dénutris en fonction du projet
thérapeutique, toujours en favorisant la nutrition entérale.
La nutrition parentérale, plus contraignante, associée à des
risques infectieux potentiels, doit être proposée lorsque le tube
digestif est exclu (principalement grêle radique et carcinose
péritonéale).
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