Mise au point M ise au point Sclérose tubéreuse de Bourneville : spectres cliniques, démarche diagnostique, prise en charge pratique Tuberous sclerosis: clinical spectrum, diagnosis, treatment ● ● C. Chiron* ▶ PoInts FoRts ▶ Le diagnostic de sclérose tubéreuse de Bourneville (STB) repose sur la clinique et l’IRM cérébrale. ▶ La STB est une affection autosomique dominante d’expressivité variable, liée à des mutations sur deux anti-oncogènes, TSC1 et TSC2, qui codent pour l’hamartine et la tubérine. ▶ La STB est la première cause de spasmes infantiles. ▶ L’examen de la peau est essentiel chez tout patient présentant une épilepsie. ▶ Le vigabatrin (Sabril®) est un traitement efficace des spasmes infantiles qui doit être instauré précocément. ▶ Il faut surveiller régulièrement les reins par échographie (angiomyolipomes). ▶ En cas de grossissement ou de multiplication des angiomyolipomes, un suivi néphrologique spécialisé est indispensable pour prévenir le risque de rupture hémorragique et de dégénérescence maligne. ▶ Un suivi par IRM cérébrale est recommandé pendant l’enfance pour surveiller les nodules sous-épendymaires situés près des trous de Monro, qui peuvent grossir et être source d’hypertension intracrânienne. ▶ La découverte d’un rhabdomyome cardiaque anténatal doit faire suspecter une STB chez le fœtus et faire rechercher une STB chez les parents. ▶ Le suivi de la STB chez l’adulte jeune, en particulier la femme, doit inclure une consultation de pneumologie pour dépister une éventuelle lymphangioléiomyomatose, rare mais sévère. Mots-clés : Sclérose tubéreuse – Épilepsie – Angiomyolipome – Rhabdomyome C lassée parmi les phacomatoses, la sclérose tubéreuse de Bourneville (STB) touche environ 8 000 personnes en France, soit environ 100 naissances par an. Génétiquement déterminée, la STB peut toucher de nombreux organes. La gravité de la maladie est surtout le fait de l’épilepsie et du retard mental, mais les complications rénales, pulmonaires et tumorales cérébrales, quoique plus rares, peuvent mettre en jeu le pronostic vital. * Neuropédiatre et directeur de recherche Inserm, hôpital Necker, Paris. 16 ▶ suMMARy Tuberous sclerosis is a genetic neurocutaneous syndrome involving 1/8.000 adults and children. Diagnosis lies on clinical features and cerebral MRI. Onset is often epilepsy, usually partial, but generalized seizures may be associated within West or Lennox-Gastaut syndromes. Vigabatrin is the key treatment of infantile spasms. Cognitive development may range from normal to severely delayed with autism, mainly due to epilepsy impact. Intraventricular astrocytoma may increase in size in the brain and must be followed. Dermatological features include achromic spots and angiofibroma of the face. Kidneys often disclose angiomyolipoma. Some of them carry a risk of hemorragic rupture that should be avoided by surgical partial exeresis or iterative embolisations. Some others may degenerate and lead to nephrectomy. Pulmonary lymphangioleiomyomatosis is rare, but it involves young adult woman with a severe prognosis. Discovering cardiac rhabdomyoma is the most frequent way to prenatal diagnosis. Identifying a mutation is supportive, but the prenatal counseling remains highly difficult. Keywords: Tuberous sclerosis – Epilepsy – Angiomyolipoma – Rhabdomyoma. sIGnEs nEuRoLoGIQuEs Environ 60 % des patients ont une épilepsie, qui débute le plus souvent dans l’enfance. Il s’agit toujours d’une épilepsie partielle mais avec, dans la moitié des cas, des spasmes infantiles avant un an, puis un syndrome de Lennox-Gastaut après 4-5 ans. Quand l’épilepsie reste partielle, les enfants peuvent avoir une intelligence normale ou subnormale, avec des déficits neuropsychologiques sélectifs en rapport avec la localisation des tubers (par exemple des difficultés logicomathématiques en cas de tuber pariéto-occipital droit) [1]. Les crises sont contrôlables par les médicaments, en particulier le vigabatrin et la lamotrigine, chez la moitié des patients environ (2, 3). Elles sont directement en rapport avec les tubers, qui se comportent comme des foyers épileptogènes (4), mais avec une épileptogénicité plus ou moins La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 A B IRM Flair Mise au point M ise au point C TEP-FDG TEP-AMT Figure 1. La tomographie par émission de positons (TEP) avec le fluoro-désoxyglucose (FDG) et l’alpha-méthyl-tryptophane (AMT) dans la STB (patient de 8 ans). L’IRM en séquence FLAIR (A) montre plusieurs tubers en hypersignal (flèches). La TEP avec le FDG (B) montre un hypométabolisme au niveau de ces tubers (flèches). La TEP avec l’AMT (C) montre une hyperfixation au niveau du tuber épileptogène tandis que les autres tubers sont hypofixants (flèches). marquée repérable par la fixation en TEP (tomographie par émission de positons) de l’alpha-méthyl-tryptophane (AMT) marqué au carbone-11 (figure 1) [5]. Ainsi, lorsque un seul tuber donne des crises et qu’elles sont pharmacorésistantes, on peut proposer une chirurgie d’exérèse après délimitation de la zone épileptogène par EEG intracrânien (6). Quand il s’y associe des crises généralisées, le risque de retard mental sévère et de troubles comportementaux majeurs du type de la psychose et de l’autisme est au contraire très élevé. Ce pronostic a cependant été complètement transformé par le vigabatrin, grâce auquel, s’il est donné tôt, les spasmes de la STB disparaissent dans près de 100 % des cas (7). Mais ce médicament a une toxicité rétinienne avec un risque de rétrécissement du champ visuel périphérique qui nécessite son suivi ophtalmologique régulier, réalisé par une équipe entraînée. En général, les troubles psychiatriques de la STB sont associés à un retard mental. Le plus fréquent est l’autisme, qui touche 60 % des enfants présentant une STB. Il est attribué à un dysfonctionnement cortical bitemporal et sous-cortical, et à un dysfonctionnement du tronc cérébral, du cervelet et des noyaux caudés. Chez l’adulte, les troubles du comportement associés à la STB sont plus rares certes, mais ils sont surtout mal connus. Seule une évaluation neuropsychologique et comportementale systématique de ces patients pourrait permettre d’en comprendre la ou les causes et de les prendre en charge de façon adaptée. Quelques cas de révélation de STB à l’âge adulte par une psychose ou un état d’agitation ont été rapportés. Le diagnostic de forme neurologique de STB repose sur l’IRM cérébrale qui montre des tubers corticaux et des nodules sousLa Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 épendymaires (lésions malformatives congénitales), parfois calcifiés et même découverts à l’occasion d’une première crise sur une tomodensidométrie (scanner), voire fortuitement sur une radio du crâne. Y sont souvent associées des malformations corticales focales ou multifocales évoquant sur l’IRM des dysplasies corticales focales (figure 2). Tubers et dysplasies sont difficiles à détecter chez l’enfant de moins de 2 ans car l’immaturité de la myéline diminue la différenciation blancgris ; la séquence FLAIR aide au diagnostic à cet âge (8). Il est maintenant certain que ces anomalies sont déjà présentes à la naissance et ne grossissent pas ensuite. Figure 2. IRM avec tubers et dysplasie corticale associés dans la STB (patient de 10 mois). L’IRM en séquence T1 montre des tubers en hyposignal et une malformation corticale associée en occipital gauche. 17 Mise au point M ise au point Il n’en est pas de même des nodules sous-épendymaires qui, pour ceux situés près des trous de Monro, peuvent grossir et donner des astrocytomes à cellules géantes (figure 3), source d’hydrocéphalie et d’hypertension intracrânienne gravissime quand ils entravent l’écoulement du liquide céphalorachidien. Une dérivation et/ou une exérèse chirurgicale sont alors nécessaires, qu’il est préférable de réaliser avant l’apparition de l’hypertension intracrânienne (9). Figure 4. Angiofibromes de la face. Figure 3. Astrocytome à cellules géantes dans la STB (patient de 12 ans). L’IRM en séquence T1 avec injection de gadolinium montre un volumineux astrocytome sous- ép end yma ire au niveau du trou de Monro droit, qui prend le contraste et obstrue la cavité ventriculaire. Une indication chirurgicale de dérivation externe puis d’exérèse a été posée dans ce cas. Les tubers sont assez proches, sur le plan neuropathologique, des dysplasies corticales ou de l’hémimégalencéphalie. La lamination corticale normale y est en effet absente et on y trouve des cellules malformées, des cellules gliales géantes de type balloon cells et, en proportion plus réduite que dans les dysplasies, des neurones géants. Les tumeurs intraventriculaires, quant à elles, sont uniquement constituées d’astrocytes géants et ont un potentiel tumoral mais sans aucun critère de malignité. Figure 5. Tumeurs péri-unguéales de Koenen. sIGnEs dERMAtoLoGIQuEs Ce sont les signes les plus fréquents de la STB : macules hypochromiques (97 % des cas), angiofibromes faciaux ou fibromes en plaques du visage (75 % à 80 % des cas) [figure 4], tumeurs de Koenen (15 % à 55 % des cas) [figure 5], plaques peau de chagrin (lombaires), lésions confetti. Mais ces signes apparaissent progressivement, rendant parfois difficile le diagnostic précoce de STB par la porte d’entrée dermatologique. De plus, ils sont souvent méconnus avant la révélation extradermatologique de la maladie. Les taches achromiques constituent le “marqueur diagnostique” de la STB sur la peau. Elles sont multiples, de plusieurs centimètres d’axe, souvent en “feuille de sorbier”. Elles peuvent être difficiles à voir chez le petit nourrisson ou sur une peau claire et sont alors décelées en lumière ultraviolette. Leur nombre visible augmente pendant la petite enfance. Les angiofibromes siègent sur le visage, surtout à la racine du nez. Ils deviennent plus nombreux avec l’âge, peuvent saigner et causer un préjudice esthétique difficile à gérer par les adolescents. On peut proposer d’avoir recours au laser, voire de faire 18 l’exérèse des plus gros d’entre eux. Les tumeurs de Koenen apparaissent en règle générale chez l’adulte, sous les ongles, et sont indolores. MAnIFEstAtIons RénALEs On trouve des kystes rénaux par l’échographie chez environ 20 % des patients. Ils se développent généralement dans l’enfance et sont asymptomatiques. Leur nombre reste stable à l’âge adulte (10) et ils ne nécessitent aucun traitement. Plus préoccupants sont les angiomyolipomes rénaux, qui touchent 60 % à 80 % des patients adultes avec STB. Souvent bilatéraux, multiples et volumineux, ils apparaissent dans l’enfance, mais ne régressent pas, et leur incidence augmente à l’âge adulte (10). Ce sont des tumeurs bénignes, mais susceptibles de se rompre spontanément, sources d’hémorragie rétropéritonéale potentiellement grave nécessitant alors une néphrectomie en La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 urgence (11, 12). Les angiomyolipomes de plus de 4 cm avec un contingent vasculaire prédominant, identifiables par le scanner et l’IRM, sont ceux qui présentent le plus de risques de rupture, le syndrome préfissuraire se traduisant alors par des douleurs lombaires inhabituelles qui doivent alerter (11-14). La prévention de cette rupture hémorragique passe par la chirurgie ou l’embolisation. Le risque de tumeurs malignes du rein est augmenté dans la STB. Elles peuvent apparaître dès l’enfance (15-17). Leur diagnostic précoce est compliqué par la présence des angiomyolipomes et c’est souvent leur croissance rapide qui attire l’attention (18). C’est dire l’importance d’une surveillance régulière de ces manifestations rénales par une équipe radiologique expérimentée. AttEIntE PuLMonAIRE Il s’agit d’une lymphangioléiomyomatose (LAM), prolifération diffuse de cellules musculaires lisses anormales conduisant au développement de lésions kystiques multiples dont l’aspect tomodensitométrique est caractéristique. Ces lésions se révèlent par une dyspnée, voire un pneumothorax. La prévalence de la LAM dans la STB est de 25 % à 40 %, mais elle concerne les patients adultes et presque exclusivement les femmes. L’évolution peut se faire vers l’insuffisance respiratoire terminale (nécessitant une transplantation) et le décès. AttEIntEs ocuLAIREs La prévalence des hamartomes rétiniens s’élève à 44 % chez des patients adultes avec STB, les nodules typiques ne représentant que la moitié de ces lésions qui sont toujours asymptomatiques, les autres pouvant évoquer à tort un processus malin. Par ailleurs, des aires de dépigmentation rétinienne ont été signalées chez 40 % des patients contre seulement 6 % des sujets normaux ; elles pourraient donc être une aide au diagnostic de STB. Il faut néanmoins une bonne expertise de neuro-ophtalmologie pour identifier ces lésions rétiniennes avec fiabilité. AttEIntEs cARdIAQuEs La STB donne des tumeurs cardiaques bénignes, des rhabdomyomes, qui sont souvent de découverte échographique anténatale et régressent spontanément. À moins d’obstacle, rare et lié à la localisation, par exemple, sur une valve cardiaque, leur pronostic est excellent et leur prise en charge se limite à une surveillance. GénétIQuE Et dIAGnostIc AnténAtAL La STB a une transmission dominante mais son expression est très variable (formes seulement cutanées ou seulement cardiaLa Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 ques, formes frustes ou formes sévères, etc.) [19] et 75 % des cas sont sporadiques. La STB est liée à des mutations sur deux gènes, TSC1 et TSC2, des anti-oncogènes codant respectivement pour la tubérine et l’hamartine. Ces deux protéines sont diminuées dans le cerveau, le rein et le cœur des patients avec STB, expliquant l’apparition de tumeurs hamartomateuses (24). La tubérine et l’hamartine sont des contrôleurs de mTOR (mammalian target of rapamycin), d’où les premiers essais thérapeutiques avec la rapamycine, un inhibiteur de mTOR, in vitro, sur des modèles animaux et chez quelques patients avec angiomyolipomes rénaux, lymphangioléiomyomatose pulmonaire ou astrocytomes à cellules géantes, intraventriculaires. Les deux tiers des cas environ sont des mutations de novo. La recherche de mutation dans les gènes TSC1 et TSC2 est encore assez longue et coûteuse, et on ne peut en identifier aucune dans environ 15 % des cas cliniquement certains. Le diagnostic reste donc encore clinique. Dans les formes dites “frustes”, l’étude moléculaire peut apporter une aide, mais souvent il s’agit de mutations en mosaïque, dont l’identification est encore plus aléatoire (21). La mise en évidence de la mutation est néanmoins la possibilité la plus fiable de diagnostic prénatal : l’IRM cérébrale et l’échographie cardiaque anténatales restent les examens les plus aisés, mais des faux positifs et des faux négatifs sont possibles avec les deux (22, 23). Toutefois, le conseil génétique reste extrêmement difficile dans la mesure où l’histoire naturelle de la STB est mal connue, en particulier à l’âge adulte, et le pronostic n’est pas constamment défavorable, même en cas de localisation cérébrale. Un enfant, dont un parent était porteur, est récemment né après la réalisation d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). Mise au point M ise au point BILAn dE suRVEILLAncE Une fois le diagnostic posé, une surveillance régulière du patient s’impose. La rythmicité des IRM cérébrales n’est pas formellement établie car la fréquence et les facteurs de risque d’apparition des astrocytomes à cellules géantes sont encore mal connus. Néanmoins, on recommande de pratiquer une IRM au moins tous les 2 ans s’il existe un nodule sous-épendymaire situé près des trous de Monro et qui grossit, surtout s’il prend le gadolinium et n’est pas complètement calcifié (24). Dans les autres cas, une IRM tous les 5 ans pourrait suffire. L’absence de lésions cardiaques ou ophtalmologiques sur le bilan initial justifie de ne plus surveiller ces organes. Il n’en est pas de même du rein ou du poumon : une échographie rénale annuelle est nécessaire dès le diagnostic posé, même chez le nourrisson, et un bilan pulmonaire s’impose systématiquement dès la fin de l’adolescence chez la jeune femme. concLusIon La STB est une maladie unique en raison de la diversité de son spectre clinique, de son pronostic, de ses traitements possibles et de sa composante génétique. Sa prise en charge implique de 19 Mise au point M ise au point nombreux intervenants, aux différents âges de la vie. Un point capital de la prise en charge des patients qui en sont atteints réside donc dans la coordination de leur suivi médical et chirurgical. ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Harrison JE, O’Callaghan FJ, Hancock E et al. Cognitive deficits in normally intelligent patients with tuberous sclerosis. Am J Med Genet 1999;88(6):642-6. 2. Nabbout RC, Chiron C, Mumford J et al. Vigabatrin in partial seizures in children. J Child Neurol 1997;12(3):172-7. 3. Franz DN, Tudor C, Leonard J et al. Lamotrigine therapy of epilepsy in tuberous sclerosis. Epilepsia 2001;42(7):935-40. 4. Cusmai R, Chiron C, Curatolo P et al. Topographic comparative study of magnetic resonance imaging and electroencephalography in 34 children with tuberous sclerosis. Epilepsia 1990;31(6):747-55. 5. Chugani DC, Chugani HT, Muzik O et al. Imaging epileptogenic tubers in children with tuberous sclerosis complex using alpha-[11C]methyl-L-tryptophan positron emission tomography. Ann Neurol 1998;44(6):858-66. 6. 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