Cas clinique
Cas clinique
La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008
26
Langue du patient
IRM du patient
IRM d’un sujet sain
Figure 1.
Myasthénie et atrophie de la langue
M. Hervieu*, A. Fromont*, P. Labauge**, T. Moreau*
* Service de neurologie, hôpital général, CHU de Dijon.
** Service de neurologie, hôpital Caremeau, CHU de Nîmes.
L
atrophie musculaire localisée dans la myasthénie est un
fait rare (1). Elle concerne essentiellement la langue. Elle
se rencontre surtout dans les myastnies séronégatives
avec anticorps anti-MuSK (MuSK-MG) mais aff ecte également
les myasthénies séropositives (AChR-MG).
Le but de cet article est de présenter deux cas cliniques de
patients atteints d’une myasthénie et présentant une atrophie
linguale, l’un concernant une MuSK-MG, l’autre une AChR-MG,
et d’en discuter les diff érences.
OBSERVATION N° 1
Un patient dorigine turque de 29 ans, sans antécédents,
consulte en août 1998 pour un ptosis de l’œil gauche, des trou-
bles phonatoires et des diffi cultés de mastication. La réponse
à la prostigmine est positive. Lélectromyogramme (EMG)
retrouve un crément signifi catif sur le trapèze après stimula-
tions répétitives du nerf spinal. Biologiquement, les anticorps
anti-RACh sont positifs à 2 nmol/l (norme : 0,5 nmol/l). Le
scanner thoracique met en évidence une tumeur thymique qui
s’avère être un thymome malin. Un traitement par anticholi-
nestérasiques est instauré, qui permet une amélioration des
symptômes pendant quelques mois. Parallèlement, le patient
bénéfi cie d’un traitement du thymome malin comprenant une
chirurgie d’exérèse assoce à une radiothérapie. Les crises
myasthéniques sont fréquentes (environ une par an). Elles
s’expriment par une dysphonie, une dysarthrie et des troubles
de la déglutition, parfois compliqué de détresse respiratoire
aiguë cessitant une intubation oro-trachéale. Elles sont
traitées par cure d’immunoglobulines i.v. ou plasmaphérèse.
Le traitement de fond associe une corticothérapie par cure,
un immunosuppresseur (mycophénolate mofétil) et des anti-
cholinestérasiques.
En novembre 2004, lors d’une décompensation myasthénique,
le patient se plaint dune diffi culté à la mobilisation de la langue.
Lexamen clinique retrouve une langue atrophique et parétique.
Il existe parallèlement une faiblesse permanente des muscles
cervicaux prédominants sur les extenseurs et une faiblesse dans
le territoire facial inférieur, mais sans amyotrophie évidente à
l’inspection.
Une IRM encéphalique, centrée sur la lière pharyngo-laryngée,
montre une diminution globale de la taille du muscle lingual
dans sa portion mobile ( gure 1).
OBSERVATION N° 2
Un patient â de 29 ans au début des troubles, d’origine magh-
bine, sans antécédents, consulte au printemps 2005 pour un
ptosis bilatéral. Le tableau se complète sur une période d’un an
par une ophtalmoplégie bilatérale et une dysphagie fl uctuante
aggravées par l’eff ort. La première EMG, réalisée en janvier 2006,
ne constate pas de décrément signifi catif, mais une EMG de bre
unique retrouve un jitter positif. Le traitement d’épreuve par
anticholinestérasiques est ineffi cace. Biologiquement, les anti-
Cas clinique
Cas clinique
La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008
27
Langue du patient
Figure 2.
corps anti-RACh sont absents, le résultat de la recherche d’une
cytopathie mitochondriale par analyse de l’ADN mitochondrial
est négatif. En revanche, le dosage des anticorps anti-MuSK
est positif. Le scanner thoracique retrouve un thymus volumi-
neux correspondant à une hyperplasie thymique. Lévolution est
marquée par une e cacité incomplète des anticholinestérasiques
associés à des cures mensuelles d’immunoglobulines i.v. et un
immunosuppresseur (mycophénolate mofétil). En eff et, une
dysphonie, une dysarthrie et une ophtalmoplégie deviennent
permanentes. En mars 2007, un traitement par corticoïdes est
initié.
Chez ce patient, l’atteinte linguale est retrouvée très précoce-
ment, dès avril 2006, soit un an après le début des troubles et
avant toute introduction d’un traitement par corticoïdes.
Il s’agit dune amyotrophie prononcée de toute la portion mobile
de la langue ( gure 2).
DISCUSSION
Plusieurs muscles participent à la formation de la langue.
Les muscles extrinques de la langue prennent naissance à
l’exté rieur de celle-ci et s’insèrent sur elle. Les quatre paires
de muscles extrinsèques servent à sa protrusion, à sa rétrac-
tion, à sa pression et à son élévation (muscles génioglosse,
hyoglosse, styloglosse et palatoglosse). Les muscles intrinsèques
comprennent le muscle longitudinal supérieur (impair), les
muscles longitudinaux inférieurs, les muscles verticaux et les
muscles transverses. La langue est constituée de bres muscu-
laires de type I et de type II. Celles-ci sont réparties de façon
hétérone : la partie antérieure est composée de bres de type II,
plus adaptées pour les mouvements rapides utiles dans l’articu-
lation, et la partie postérieure de bres de type I, destinées aux
fonctions de déglutition et de respiration (2).
Cliniquement, l’atteinte linguale de la myasthénie comporte
quelques caractéristiques. Le classique triple furrowed aspect de
la langue (celle-ci est striée par trois grosses rides profondes),
à une atteinte privilége de bres musculaires de type II,
est retrou dans les deux types (MuSK-MG et AChR-MG)
(3). Seuls les muscles intrinques de la langue semblent être
atteints (4). La nature de l’atrophie retrouvée dans la myasthénie
semble d’origine myogène et non neurogène (5). Cette atrophie
serait liée à la réduction du calibre et du nombre des bres
musculaires. Plusieurs équipes, A. Evoli et al. (6), D.B. Sanders
et al. (7), W. Ishii et al. (8), ont réalisé des biopsies musculaires
chez des patients MuSK-MG et ont retrouvé à chaque fois une
atrophie des bres musculaires.
Les diff érences de l’atteinte linguale entre les deux types de
myastnies portent sur le lai d’apparition, la fquence
et la sévérité de la maladie (tableau). L’atrophie de la langue
concerne entre 5 et 10 % des AChR-MG (9). Les études réalisées
sur le sujet par J.L. De Assis et al. (10), H. Oosterhuis et al.
(11) et J. Burch et al. (12) ont retrouvé une corrélation entre
la présence d’une atrophie linguale et la sévérité de la maladie.
L’atrophie linguale se rencontre dans les AChR-MG séres
après plusieurs années d’atteinte de la sphère bulbaire. Les
MuSK-MG présentent quant à elle fréquemment une faiblesse
et une atrophie marquée des muscles à innervation bulbaire
(en particulier de la langue), considérées comme un critère
classique du phénotype de ces myasthénies par A. Evoli et al.
(6). D’après M.E. Farrugia et al. (4), au niveau macroscopique,
l’atrophie linguale se retrouve aussi bien parmi les patients
MuSK-MG que AChR-MG, mais en IRM elle napparaît signi-
cative, par rapport à un groupe contrôle sain, que dans le
groupe des MuSK-MG.
Tableau.
Atrophie linguale au cours de la myasthénie.
MuSK-MG AChR-MG
Délai d’apparition Précoce Tardif
Fréquence Élevée 5 à 10 % des cas
Gravité de l’atteinte Indiff érente Sévère
Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont proposées.
F.L. Mastaglia (13) a montré que les corticoïdes induisaient
une atrophie musculaire essentiellement sur les bres muscu-
laires de type II. La corticothérapie pourrait donc contri-
buer à l’apparition et à l’importance de l’atrophie dans les
MuSK-MG, puisque ce sont des myasthénies souventvères
et résistantes, nécessitant de fortes doses de corticoïdes.
D’ailleurs, M.E. Farrugia et al. (4) retrouvent une corrélation
entre les atrophies faciale et linguale et la durée d’adminis-
tration d’une corticothérapie. Mais les atrophies faciale et
linguale sont souvent présentes dans les MuSK-MG avant la
mise en route d’un traitement, comme cest le cas ici chez le
deuxième patient.
Cas clinique
MODULES COLLECTIVITÉS PARTICULIERS
1/16 de page 289,65 144,83
43 mm L x 58 mm H
1/8 de page 579,30 289,65
90 mm L x 58 mm H
43 mm L x 125 mm H
1/4 de page 1 082,39
541,20
90 mm L x 125 mm H
* Abonnés particuliers : profitez d’une deuxième insertion gratuite.
* Collectivités : dégressif à partir de deux insertions, nous consulter.
* Quadri offerte.
ÉTUDIANTS ABONNEZ-VOUS : VOS ANNONCES SERONT GRATUITES
Tarifs Petites Annonces
Cas clinique
28
La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008
O. Beneviste et al. (14) ont aussi montré que les anticorps anti-
MuSK pouvaient en eux-mêmes induire une atrophie musculaire.
Cette atrophie est un phénomène actif qui nécessite l’induction
de plusieurs nes. L’un d’entre eux, appelé MuRF-1 (muscle ring
nger protein 1), est induit dans plusieurs modèles in vivo et in
vitro d’atrophie musculaire. Ces auteurs ont donc étudié l’eff et des
anticorps anti-MuSK et de la dexaméthasone sur l’expression de
MuRF1 dans des cultures de cellules C2C12 et dans des cultures de
muscles de souris. Des IgG purifi ées à partir du plasma de patients
MuSK-MG présentant une atrophie faciale sévère augmentent
l’expression de MuRF1 dans les cultures de cellules C2C12 et
dans les muscles masséters de souris, alors qu’elles nont aucun
eff et sur un muscle du membre inférieur de la souris.
La dexaméthasone a des eff ets plus marqués sur l’expression
de MuRF1 dans les cellules C2C12 mais ne la modifi e pas dans
les muscles masséters de souris. Ces résultats montrent que les
anticorps anti-MuSK pourraient infl uencer l’expression d’une
protéine impliquée dans les processus d’atrophie et cela, de façon
privilégiée dans un muscle facial (le muscle masséter).
CONCLUSION
Latrophie de la langue diff ère selon le type sérologique de la
myasthénie en cause. Dans les MuSK-MG, elle est fréquente,
sévère et précoce, mais elle est également moins souvent présente
dans les AChR-MG vères avec atteinte bulbaire préférentielle.
Elle pourrait être considérée comme un marqueur de gravité,
puisque les MuSK-MG sont des formes graves de myasthénie
et que sa présence dans les AChR-MG est corrélée à la sévérité
de l’atteinte.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Bässler R. Histopathology of diff erent types of atrophy of the human tongue.
Pathol Res Pract 1987;182:87-97.
2. Stal P, Marklund S, ornell LE, De Paul R, Eriksson PO. Fibre composition of
human intrinsic tongue muscles. Cells Tissues Organs 2003;173:147-61.
3. Kinnier Wilson SA. Neurology, vol.II. London: Edward Arnold, 1949.
4. Farrugia ME, Robson MD, Clover L et al. MRI and clinical studies of facial
and bulbar muscle involvement in MuSK antibody-associated myasthenia
gravis. Brain 2006;129:1481-92.
5. Farrugia ME, Kennett R, Hilton-Jones D, Newsom-Davis J, Vincent A.
Quantitative EMG of facial muscles in myasthenia patients with MuSK
antibodies. Clin Neurophysiol 2007;118:269-77.
6. Evoli A, Tonali PA, Padua L et al. Clinical correlates with anti-MuSK antibodies
in generalized seronegative myasthenia gravis. Brain 2003;126:2304-11.
7. Sanders DB, El-Salem K, Massey JM, McConville J, Vincent A. Clinical aspects
of MuSK antibody positive seronegative MG. Neurology 2003;60:1978-80.
8. Ishii W, Matsuda M, Okamoto N et al. Myasthenia gravis with anti-MuSK
antibody, showing progressive muscular atrophy without blepharoptosis.
Internal Medicine 2005;44:671-2.
9. Osserman KE. Myasthenia Gravis. New York: Grune & Stratton, 1958.
10. De Assis JL, Marchiori PE, Scaff M. Atrophy of the tongue with persistent
articulation disorder in myasthenia gravis: report of 10 Patients. Auris Nasus
Larynx 1994;21:215-8.
11. Oosterhuis H, Bethlem J. Neurogenic muscle involvement in myasthenia
gravis. A clinical and histopathological study. J Neurol Neurosurg Psychiatry
1973;36(2):244-54.
12. Burch J, Warren-Gash C, Ingham V, Patel M, Bennett D, Chaudhuri KR.
Myasthenia gravis–a rare presentation with tongue atrophy and fasciculation.
Age Ageing 2006;35:87-8.
13. Mastaglia FL. Adverse eff ects of drugs on muscle. Drugs 1982;24:304-21.
14. Beneviste O, Jacobson L, Farrugia ME, Clover L, Vincent A. MuSK antibody
positive myasthenia gravis plasma modifi es MuRF1 expression in C2C12 cultures
and mouse muscle in vivo. J Neuroimmunol 2005;170:41-8.
60 • OISE
Cède en 2008
Cabinet de neurologie à Senlis
en SCM (rhumatologie), forte activité libérale et EMG
(pop. 80 000 habitants minimum)
Locaux spacieux, centre hospitalier et cliniques proches,
plateau technique Medistory
Tél./Fax : 03 44 63 67 02/03
Petites annonces
>>>
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !