POINT ÉPIDÉMIOLOGIQUE Médecine & enfance

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Médecine
& enfance
Prise en charge de l’infection tuberculeuse
chez l’enfant
Présentation de C. Delacourt, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris, lors du staff du service de P. Labrune, hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Rédaction : L. Nicolle-Mir
Cette présentation du Pr Christophe Delacourt a été l’occasion
de passer en revue différents aspects de la tuberculose chez
l’enfant, et de traiter en particulier de la stratégie de dépistage
actuelle et de la prise en charge de l’infection tuberculeuse latente.
POINT ÉPIDÉMIOLOGIQUE
Chaque année, près de 9 millions de
nouveaux cas de tuberculose surviennent dans le monde, et cette maladie a
été responsable de près de 1,5 million
de morts en 2010. Les zones dans lesquelles la tuberculose est le moins bien
contrôlée sont l’Afrique subsaharienne,
l’Afrique du Sud, la Russie et les anciennes républiques de l’URSS. Dans ces
pays d’Europe de l’Est à forte pression
migratoire vers l’Ouest, la prise en charge anarchique de la tuberculose entraîne une prévalence élevée des souches
multirésistantes.
En France, au niveau national, l’incidence annuelle de la tuberculose est de
moins de 10 cas pour 100 000 habitants
(8,1 cas en 2010), mais il existe une importante disparité entre l’Ile-de-France,
où le taux d’incidence est de 16,3 pour
100 000 (soit 37 % des cas déclarés), et
le reste du territoire, où l’on recense
6,2 cas pour 100 000 habitants.
Chez les enfants de moins de quinze
ans, le nombre de cas de tuberculosemaladie est stable, autour de 230 à 250
cas déclarés par an. La moitié de ces cas
pédiatriques concernent des enfants de
moins de cinq ans.
La méningite tuberculeuse chez le jeune
enfant est anecdotique (2 à 3 cas par
an) et l’on n’observe pas de réascension
du nombre de cas, y compris en région
parisienne, depuis que la vaccination
par le BCG n’est plus obligatoire.
HISTOIRE NATURELLE
DE LA MALADIE
Maladie à transmission aérienne interhumaine, la tuberculose a pour point de
départ un contact avec une personne
malade. Suite à cette exposition, les bacilles peuvent être éliminés par les défenses immunitaires non spécifiques,
ou, pour différentes raisons (compétence immunitaire limitée, exposition à
une charge de bacilles importante), se
multiplier dans les voies aériennes et le
parenchyme pulmonaire, occasionnant
le développement d’une réponse immunitaire spécifique. Cette multiplication
bacillaire associée à une réponse immunitaire spécifique (mise en évidence par
un test immunologique) définit l’infection tuberculeuse.
Dans la très grande majorité des cas,
l’infection reste latente, les réponses immunitaires spécifiques contrôlant la
multiplication bacillaire. L’infection tuberculeuse latente (ITL) est un syndrome clinique qui témoigne de la survenue de trois événements : l’exposition à
Mycobacterium tuberculosis, le développement d’une infection, le contrôle
de la multiplication bacillaire par la réponse immunitaire. Par définition, la
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radiographie de thorax est normale et
les signes cliniques sont absents. En
l’absence de traitement, une reprise ultérieure de la multiplication bacillaire
peut avoir lieu à partir de quelques bacilles dormants.
Si les réponses immunitaires sont insuffisantes, la multiplication bacillaire initiale se poursuit ; elle aboutit rapidement à des lésions visibles sur la radiographie de thorax et éventuellement à
des signes cliniques. C’est la tuberculosemaladie.
Il existe des facteurs qui conditionnent
le risque d’infection après exposition
(liés au cas index, aux conditions d’exposition et à la personne exposée), et
d’autres qui influencent le risque de
progression rapide vers la tuberculosemaladie (jeune âge, immunodépression, diabète et insuffisance rénale
chronique au stade d’hémodialyse). Ces
facteurs de risque sont importants à
considérer pour orienter la prise en
charge.
QUI DÉPISTER ?
Le dépistage autour d’un cas index est
indispensable pour prévenir des cas secondaires de tuberculose-maladie parmi les contacts et pour limiter la circulation bacillaire dans la population. Son
efficacité repose sur une bonne sélection des sujets qui en ont réellement
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besoin (délimitation du cercle des enfants à dépister).
Les deux facteurs de risque majeur d’infection liés au cas index sont la présence
de cavernes à la radio de thorax et un
examen direct positif : BAAR+ (bacilles
acido-alcoolo-résistants). Cependant,
un BAAR– ne signifie pas l’absence de
contagiosité, il ne fait que réduire la probabilité d’être infecté (environ 10 % si le
cas index est BAAR– contre 25 à 30 %
s’il est BAAR+). Les autres facteurs de
risque à prendre en compte sont : le lieu
d’exposition (degré de confinement), le
temps d’exposition, la proximité du cas
index et le tabagisme (ce qui concerne
des adolescents fumeurs).
Il existe aussi des facteurs de risque
d’un test positif lié à une exposition antérieure au contact actuel : les conditions socioéconomiques et l’origine géographique (enfant provenant d’un pays
à forte prévalence de la tuberculose).
Ces facteurs de risque sont cumulatifs.
Une enquête dans le Val-de-Marne chez
440 enfants de moins de quinze ans [1]
montre qu’en moyenne 13 % des enfants
exposés à un contact contaminant ont
une intradermoréaction (IDR) à la tuberculine supérieure à 15 mm. Si le lien de
parenté avec le contaminateur est direct,
le taux d’infection est de 35 %. Il s’élève
à 45 % en cas de cumul d’un lien de parenté au premier degré et de mauvaises
conditions socioéconomiques. En présence d’un troisième facteur de risque
(cavernes chez le contaminateur), le
taux d’infection atteint 60 %.
COMMENT DÉPISTER ?
Deux tests in vitro de détection de la
production d’interféron gamma (Interferon Gamma Release Assay, IGRA)
sont actuellement commercialisés. Ces
tests sont basés sur la stimulation des
lymphocytes T par des antigènes spécifiques du complexe tuberculeux, qui ne
sont pas présents dans les souches utilisées pour le BCG ni partagés par des
mycobactéries atypiques. Ils sont donc
extrêmement spécifiques.
Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS, 2006) les réser-
vaient aux enfants de plus de quinze
ans dans le cadre d’une enquête autour
d’un cas. Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a revu ces recommandations en juillet 2011 [2] et proposé un
élargissement de leurs indications : à
partir de l’âge de cinq ans, le diagnostic
de l’ITL peut indifféremment reposer
sur l’IDR ou sur un test IGRA. Pour le
dépistage de l’ITL chez les enfants migrants âgés de cinq à quinze ans ou
chez les sujets infectés par le VIH, le
HCSP recommande l’utilisation d’un
test IGRA. Ces tests peuvent également
être utilisés comme aide au diagnostic
d’une tuberculose-maladie avant l’âge
de cinq ans, mais uniquement en complément des autres investigations.
Les tests IGRA présentent certains avantages par rapport à l’IDR : outre leur
spécificité, ils ne nécessitent qu’un
simple prélèvement sanguin (donc une
seule visite) et la méthode d’analyse est
standardisée (contrôle positif du fonctionnement du système immunitaire
par un mitogène). Toutefois, ils sont
nettement plus chers qu’une IDR, et un
test IGRA négatif ne peut exclure ni une
tuberculose infection ni une tuberculose-maladie. Leur sensibilité avoisine
90 % chez l’immunocompétent, comme
pour l’IDR. Par ailleurs, ils ne permettent pas plus que l’IDR de différencier
une infection ancienne d’une infection
récente. Enfin, aucun des deux tests immunologiques, lorsqu’il est positif, ne
peut donner d’indication quant au
risque d’évolution de l’infection latente
vers une tuberculose-maladie.
L’expérience de l’utilisation des tests
IGRA chez l’enfant, à travers quelques
études déjà disponibles, indique que
leur valeur prédictive positive est équivalente à celle de l’IDR, et qu’ils ont une
très bonne valeur prédictive négative
(un test négatif prédit la non-évolution
vers une tuberculose-maladie). La stratégie qui pourrait être économiquement
la plus intéressante serait ainsi de faire
d’abord une IDR (peu coûteuse), puis
en cas de positivité de faire un test
IGRA afin d’éliminer la fraction des sujets IDR+ qui risque d’être traitée par
excès.
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LORSQU’UNE ITL EST
IDENTIFIÉE, QUELS AUTRES
EXAMENS PRATIQUER ?
Les recommandations de la Société de
pneumologie de langue française
(SPLF, 2004 [3]) sont d’éviter des examens complémentaires inutiles pour la
très grande majorité des enfants et qui
ne modifieront pas l’attitude thérapeutique.
Une radiographie du thorax normale
(cliché de face, qu’il est recommandé de
compléter par un profil chez l’enfant de
moins de cinq ans) signifie que le
nombre de bacilles intrapulmonaires est
limité, et que l’on se situe donc à un niveau d’infection où une mono- ou bithérapie sera efficace. Il est inutile de faire
un examen plus sensible comme un
scanner, qui va détecter de petits ganglions. Le scanner est à réserver aux cas
où la normalité de la radiographie est
difficile à affirmer (image douteuse) ou
aux situations d’immunosuppression.
Les tubages gastriques sont à réserver
aux enfants de moins de deux ans : audelà ils ne permettent pas de détecter
des bacilles à l’examen direct.
Le bilan sanguin préthérapeutique n’est
utile que chez les enfants qui ont potentiellement des antécédents hépatiques.
QUI DOIT ÊTRE TRAITÉ ?
Suite à l’exposition à un cas de tuberculose pulmonaire, un traitement prophylactique est indiqué pour tout enfant
qui présente des critères initiaux d’infection tuberculeuse ainsi que pour les
enfants à risque élevé de progression rapide vers la tuberculose-maladie (âge
inférieur ou égal à deux ans, immunodépression ou maladie chronique comme un diabète ou une insuffisance rénale chronique en hémodialyse), quel que
soit le résultat du bilan initial, même en
l’absence de critères d’infection.
Le traitement de l’ITL repose sur l’association isoniazide-rifampicine (isoniazide 10 mg/kg/j avant deux ans et
5 mg/kg/j après deux ans + rifampicine
10-15 mg/kg/j) pour une durée de trois
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mois. Ce traitement est plus court que
l’isoniazide en monothérapie (six mois),
qui continue néanmoins d’être recommandé par l’OMS pour des raisons de
coût. Par ailleurs, la bithérapie est aussi
bien tolérée que la monothérapie.
si le bacille n’est pas mis en évidence à
l’examen direct.
La dernière particularité de la tuberculose pulmonaire pédiatrique est le
risque de dissémination hématogène,
qui dépend de l’âge. La compilation des
études naturelles entre 1920 et 1950,
avant le traitement antibiotique [4] ,
montre qu’après une primo-infection
avant l’âge de un an, l’infection reste latente dans 50 % des cas, une maladie
pulmonaire survient dans 35 % des cas
et une infection disséminée dans 15 %
des cas. Si la primo-infection survient
entre un et deux ans, le risque de maladie disséminée est beaucoup plus
faible, puis il est inexistant au-delà de
deux ans. C’est le sur-risque de dissémination qui motive le traitement prophylactique de tous les enfants de moins de
deux ans.
Figure 1
LA TUBERCULOSE MALADIE
CHEZ L’ENFANT : ASPECTS
PARTICULIERS
Chez l’enfant, la tuberculose-maladie
est asymptomatique dans 50 % des cas ;
il s’agit donc souvent d’un diagnostic radiologique. La réponse est avant tout
ganglionnaire (primo-infection), et la
multiplication bacillaire intraganglionnaire donne parfois des aspects pseudotumoraux à la radiographie (figure 1) .
L’aspect caractéristique au scanner, qui
n’existe que dans environ la moitié des
cas, est une hypodensité centrale et un
discret rehaussement lors de l’injection
qui témoigne de la nécrose du ganglion
en son centre (figure 2). Cette caractéristique, multiplication bacillaire intraganglionnaire, explique la faible contagiosité de l’enfant (qui n’est pas nulle), le
nombre de bacilles dans les voies aériennes étant limité. Elle explique aussi
le faible rendement des recherches microbiologiques, qu’il convient de limiter
à trois tentatives au maximum.
Dans toutes les séries de tuberculose pédiatrique, l’examen direct est positif
dans moins de 20 % des cas, la culture
est positive dans moins de la moitié des
cas et la recherche microbiologique par
amplification génique (PCR) est positive dans 60 à 80 % des cas. En effet,
pour que l’examen direct soit positif, le
prélèvement doit contenir entre 5 000
et 10 000 bacilles/ml, et le seuil pour
une culture positive est de 10 à 100 bacilles/ml. Le lavage bronchoalvéolaire
n’est pas plus performant que les tubages gastriques. Le premier tubage est
le plus rentable : il permet d’obtenir
80 % des examens directs positifs
contre seulement 20 % au deuxième ou
troisième tubage. L’expectoration induite (à développer en alternative au tubage) est au moins aussi rentable que le
Figure 2
QUAND RECHERCHER
UNE SOUCHE RÉSISTANTE ?
tubage gastrique ; le recours au tubage
gastrique n’est donc pas nécessaire si
l’enfant crache. L’aspiration nasopharyngée serait seule égale à l’expectoration induite.
La tuberculose chez l’enfant étant essentiellement une maladie ganglionnaire, l’endoscopie bronchique est un élément important, qui va permettre de visualiser les conséquences de la compression exercée par le ganglion sur la
bronche. Si le ganglion est très volumineux, la compression bronchique va entraîner une réponse inflammatoire granulomateuse qui peut obstruer fortement la lumière bronchique, justifiant
l’administration de corticoïdes. Chez
l’adolescent, qui présente une forme
pseudo-adulte avec des cavernes (correspondant à une réactivation et non à
une primo-infection), la fibroscopie
peut avoir un objectif microbiologique
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Vérifier que l’enfant est porteur d’une
souche sensible est nécessaire dans
deux cas : si l’enfant est originaire d’un
pays à forte prévalence de souches résistantes (Europe de l’Est et Russie surtout, Afrique noire à un moindre degré)
et si le contaminateur fait une rechute
de tuberculose (antécédents de traitement antituberculeux) ou est infecté
par le VIH.
La PCR est concurrencée par un système d’avenir : le GeneXpert MTB/RIF,
qui permet d’analyser les prélèvements
sans aucune intervention humaine,
avec un résultat rapide (détection du
complexe M. tuberculosis et de sa résistance à la rifampicine en 90 mn), très
sensible et spécifique.
QUELS SONT LES CRITÈRES
DE LEVÉE D’ISOLEMENT
EN CAS DE TUBERCULOSEMALADIE ?
Ce sujet reste débattu. En l’absence de
consensus, une mise en commun des
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positions de plusieurs pays (Allemagne
et Suisse notamment) permet d’aboutir
à des consignes de bon sens.
Si l’enfant est BAAR– et sous traitement
antituberculeux (trithérapie) efficace et
bien suivi depuis deux semaines au
moins, il peut retourner en collectivité.
Si l’enfant était initialement BAAR+
(surtout s’il s’agit d’un adolescent, plus
contagieux), il est nécessaire d’attendre
que l’examen direct soit négatif à deux
reprises au moins. En pratique, après
deux semaines de traitement bien
conduit, deux examens directs seront
pratiqués ; s’ils sont négatifs, l’enfant
peut retourner en collectivité, sinon il
faudra attendre une semaine d’isolement supplémentaire avant de répéter
l’examen direct.
Si l’enfant était porteur d’une souche
multirésistante, il faut attendre que la
culture soit négative.
En plus de ces éléments d’ordre microbiologique, il est évidemment nécessaire
que les symptômes cliniques initialement présents (toux, fièvre, perte pondérale) soient contrôlés et que la suite du
traitement soit assurée (surveillance de
l’observance thérapeutique et de la tolérance hépatique). Enfin, il convient de
vérifier que le milieu dans lequel retourne l’enfant n’abrite aucune personne à
risque non traitée (sujet immunodéprimé, enfant de moins de deux ans).
첸
Références
[1] AISSA K., MADHI F., RONSIN N., DELAROCQUE F., LECUYER A., DECLUDT B. et al. : « Evaluation of a model for efficient screening of tuberculosis contact subjects », Am. J. Respi.
Crit. Care Med., 2008 ; 177 : 1041-7.
[2] HCSP : « Avis relatif à l’utilisation des tests de détection de la
production d’interféron gamma », http://www.hcsp.fr/docspdf/
avisrapports/hcspa20110701_interferongamma.pdf.
[3] « Recommandations de la SPLF sur la prise en charge de la tuberculose en France », Rev. Mal. Respir., 2004 ; 21 : 3S5-3S11,
www.sp2a.fr/pdf/documents/recommandations-prise-en-charge-tuberculose-france.pdf.
[4] MARAIS B.J., GIE R.P., SCHAAF H.S., HESSELING A.C., OBIHARA C.C., STARKE J.J. et al. : « The natural history of childhood
intra-thoracic tuberculosis : a critical review of literature from the
pre-chemotherapy era », Int. J. Tuberc. Lung Dis., 2004 ; 8 : 392402.
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