Médecine
& enfance
mars 2013
page 65
POINT ÉPIDÉMIOLOGIQUE
Chaque année, près de 9 millions de
nouveaux cas de tuberculose survien-
nent dans le monde, et cette maladie a
été responsable de près de 1,5 million
de morts en 2010. Les zones dans les-
quelles la tuberculose est le moins bien
contrôlée sont l’Afrique subsaharienne,
lAfrique du Sud, la Russie et les an-
ciennes républiques de l’URSS. Dans ces
pays d’Europe de l’Est à forte pression
migratoire vers l’Ouest, la prise en char-
ge anarchique de la tuberculose entraî-
ne une prévalence élevée des souches
multirésistantes.
En France, au niveau national, linci-
dence annuelle de la tuberculose est de
moins de 10 cas pour 100000 habitants
(8,1 cas en 2010), mais il existe une im-
portante disparité entre l’Ile-de-France,
le taux d’incidence est de 16,3 pour
100000 (soit 37 % des cas déclarés), et
le reste du territoire, où l’on recense
6,2 cas pour 100000 habitants.
Chez les enfants de moins de quinze
ans, le nombre de cas de tuberculose-
maladie est stable, autour de 230 à 250
cas déclarés par an. La moitié de ces cas
pédiatriques concernent des enfants de
moins de cinq ans.
La méningite tuberculeuse chez le jeune
enfant est anecdotique (2 à 3 cas par
an) et l’on n’observe pas de réascension
du nombre de cas, y compris en région
parisienne, depuis que la vaccination
par le BCG n’est plus obligatoire.
HISTOIRE NATURELLE
DE LA MALADIE
Maladie à transmission aérienne inter-
humaine, la tuberculose a pour point de
part un contact avec une personne
malade. Suite à cette exposition, les ba-
cilles peuvent être éliminés par les -
fenses immunitaires non spécifiques,
ou, pour différentes raisons (compéten-
ce immunitaire limie, exposition à
une charge de bacilles importante), se
multiplier dans les voies aériennes et le
parenchyme pulmonaire, occasionnant
le développement d’une réponse immu-
nitaire spécifique. Cette multiplication
bacillaire associée à une réponse immu-
nitaire spécifique (mise en évidence par
un test immunologique) définit l’infec-
tion tuberculeuse.
Dans la très grande majori des cas,
l’infection reste latente, les réponses im-
munitaires scifiques contlant la
multiplication bacillaire. L’infection tu-
berculeuse latente (ITL) est un syndro-
me clinique qui témoigne de la surve-
nue de trois événements : l’exposition à
Mycobacterium tuberculosis, le ve-
loppement d’une infection, le contrôle
de la multiplication bacillaire par la ré-
ponse immunitaire. Par définition, la
radiographie de thorax est normale et
les signes cliniques sont absents. En
l’absence de traitement, une reprise ul-
rieure de la multiplication bacillaire
peut avoir lieu à partir de quelques ba-
cilles dormants.
Si les réponses immunitaires sont insuf-
fisantes, la multiplication bacillaire ini-
tiale se poursuit ; elle aboutit rapide-
ment à des lésions visibles sur la radio-
graphie de thorax et éventuellement à
des signes cliniques. C’est la tuberculose-
maladie.
Il existe des facteurs qui conditionnent
le risque dinfection après exposition
(liés au cas index, aux conditions d’ex-
position et à la personne exposée), et
dautres qui influencent le risque de
progression rapide vers la tuberculose-
maladie (jeune âge, immunodépres-
sion, diabète et insuffisance rénale
chronique au stade d’hémodialyse). Ces
facteurs de risque sont importants à
considérer pour orienter la prise en
charge.
QUI DÉPISTER ?
Le dépistage autour d’un cas index est
indispensable pour prévenir des cas se-
condaires de tuberculose-maladie par-
mi les contacts et pour limiter la circula-
tion bacillaire dans la population. Son
efficaci repose sur une bonne sélec-
tion des sujets qui en ont réellement
Cette présentation du Pr Christophe Delacourt a été l’occasion
de passer en revue différents aspects de la tuberculose chez
l’enfant, et de traiter en particulier de la stratégie de dépistage
actuelle et de la prise en charge de l’infection tuberculeuse la-
tente.
Prise en charge de linfection tuberculeuse
chez lenfant
Présentation de C. Delacourt, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris, lors du staff du service de P. Labrune, hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Rédaction : L. Nicolle-Mir
65-68_xpr8 21/03/13 00:04 Page65
Médecine
& enfance
mars 2013
page 66
besoin (délimitation du cercle des en-
fants à dépister).
Les deux facteurs de risque majeur d’in-
fection liés au cas index sont la présence
de cavernes à la radio de thorax et un
examen direct positif : BAAR+ (bacilles
acido-alcoolo-résistants). Cependant,
un BAARne signifie pas l’absence de
contagiosité, il ne fait que réduire la pro-
babilid’être infecté (environ 10 % si le
cas index est BAARcontre 25 à 30 %
s’il est BAAR+). Les autres facteurs de
risque à prendre en compte sont : le lieu
d’exposition (degré de confinement), le
temps d’exposition, la proximité du cas
index et le tabagisme (ce qui concerne
des adolescents fumeurs).
Il existe aussi des facteurs de risque
d’un test positif lié à une exposition an-
rieure au contact actuel : les condi-
tions socioéconomiques et l’origine géo-
graphique (enfant provenant d’un pays
à forte prévalence de la tuberculose).
Ces facteurs de risque sont cumulatifs.
Une enquête dans le Val-de-Marne chez
440 enfants de moins de quinze ans [1]
montre qu’en moyenne 13 % des enfants
exposés à un contact contaminant ont
une intradermoréaction (IDR) à la tuber-
culine supérieure à 15 mm. Si le lien de
parenté avec le contaminateur est direct,
le taux d’infection est de 35 %. Il s’élève
à 45 % en cas de cumul d’un lien de pa-
renau premier degré et de mauvaises
conditions sociconomiques. En pré-
sence d’un troisième facteur de risque
(cavernes chez le contaminateur), le
taux d’infection atteint 60 %.
COMMENT DÉPISTER ?
Deux tests in vitro de tection de la
production d’interféron gamma (Inter-
feron Gamma Release Assay, IGRA)
sont actuellement commercialisés. Ces
tests sont basés sur la stimulation des
lymphocytes T par des antigènes spéci-
fiques du complexe tuberculeux, qui ne
sont pas présents dans les souches utili-
sées pour le BCG ni partagés par des
mycobactéries atypiques. Ils sont donc
extrêmement spécifiques.
Les recommandations de la Haute Auto-
ri de santé (HAS, 2006) les réser-
vaient aux enfants de plus de quinze
ans dans le cadre d’une enquête autour
d’un cas. Le Haut Conseil de santé pu-
blique (HCSP) a revu ces recommanda-
tions en juillet 2011 [2] et proposé un
élargissement de leurs indications : à
partir de l’âge de cinq ans, le diagnostic
de lITL peut indifféremment reposer
sur l’IDR ou sur un test IGRA. Pour le
dépistage de l’ITL chez les enfants mi-
grants âgés de cinq à quinze ans ou
chez les sujets infectés par le VIH, le
HCSP recommande l’utilisation dun
test IGRA. Ces tests peuvent également
être utilisés comme aide au diagnostic
d’une tuberculose-maladie avant l’âge
de cinq ans, mais uniquement en com-
plément des autres investigations.
Les tests IGRA présentent certains avan-
tages par rapport à lIDR : outre leur
spécificité, ils ne nécessitent quun
simple prélèvement sanguin (donc une
seule visite) et la méthode d’analyse est
standardisée (contrôle positif du fonc-
tionnement du système immunitaire
par un mitogène). Toutefois, ils sont
nettement plus chers qu’une IDR, et un
test IGRA négatif ne peut exclure ni une
tuberculose infection ni une tuberculo-
se-maladie. Leur sensibilité avoisine
90 % chez l’immunocompétent, comme
pour l’IDR. Par ailleurs, ils ne permet-
tent pas plus que l’IDR de différencier
une infection ancienne d’une infection
récente. Enfin, aucun des deux tests im-
munologiques, lorsquil est positif, ne
peut donner dindication quant au
risque d’évolution de l’infection latente
vers une tuberculose-maladie.
Lexpérience de lutilisation des tests
IGRA chez l’enfant, à travers quelques
études déjà disponibles, indique que
leur valeur prédictive positive est équi-
valente à celle de l’IDR, et qu’ils ont une
très bonne valeur prédictive négative
(un test négatif prédit la non-évolution
vers une tuberculose-maladie). La stra-
tégie qui pourrait être économiquement
la plus intéressante serait ainsi de faire
d’abord une IDR (peu cteuse), puis
en cas de positivité de faire un test
IGRA afin d’éliminer la fraction des su-
jets IDR+ qui risque d’être traitée par
excès.
LORSQU’UNE ITL EST
IDENTIFIÉE, QUELS AUTRES
EXAMENS PRATIQUER ?
Les recommandations de la Société de
pneumologie de langue française
(SPLF, 2004 [3]) sont d’éviter des exa-
mens complémentaires inutiles pour la
très grande majorité des enfants et qui
ne modifieront pas l’attitude thérapeu-
tique.
Une radiographie du thorax normale
(cliché de face, qu’il est recommandé de
compléter par un profil chez l’enfant de
moins de cinq ans) signifie que le
nombre de bacilles intrapulmonaires est
limité, et que l’on se situe donc à un ni-
veau d’infection une mono- ou bithé-
rapie sera efficace. Il est inutile de faire
un examen plus sensible comme un
scanner, qui va détecter de petits gan-
glions. Le scanner est à réserver aux cas
la normalité de la radiographie est
difficile à affirmer (image douteuse) ou
aux situations d’immunosuppression.
Les tubages gastriques sont à réserver
aux enfants de moins de deux ans : au-
delà ils ne permettent pas de détecter
des bacilles à l’examen direct.
Le bilan sanguin préthérapeutique n’est
utile que chez les enfants qui ont poten-
tiellement des antécédents hépatiques.
QUI DOIT ÊTRE TRAITÉ ?
Suite à l’exposition à un cas de tubercu-
lose pulmonaire, un traitement prophy-
lactique est indiqué pour tout enfant
qui présente des critères initiaux d’in-
fection tuberculeuse ainsi que pour les
enfants à risque élevé de progression ra-
pide vers la tuberculose-maladie (âge
inférieur ou égal à deux ans, immuno-
dépression ou maladie chronique com-
me un diabète ou une insuffisance réna-
le chronique en hémodialyse), quel que
soit le résultat du bilan initial, même en
l’absence de critères d’infection.
Le traitement de l’ITL repose sur l’asso-
ciation isoniazide-rifampicine (isoniazi-
de 10 mg/kg/j avant deux ans et
5 mg/kg/j après deux ans + rifampicine
10-15 mg/kg/j) pour une durée de trois
65-68_xpr8 21/03/13 00:04 Page66
Médecine
& enfance
mars 2013
page 67
mois. Ce traitement est plus court que
l’isoniazide en monothérapie (six mois),
qui continue anmoins d’être recom-
mandé par l’OMS pour des raisons de
coût. Par ailleurs, la bithérapie est aussi
bien tolérée que la monothérapie.
LA TUBERCULOSE MALADIE
CHEZ L’ENFANT : ASPECTS
PARTICULIERS
Chez l’enfant, la tuberculose-maladie
est asymptomatique dans 50 % des cas ;
il s’agit donc souvent d’un diagnostic ra-
diologique. La ponse est avant tout
ganglionnaire (primo-infection), et la
multiplication bacillaire intraganglion-
naire donne parfois des aspects pseudo-
tumoraux à la radiographie (figure 1).
L’aspect caractéristique au scanner, qui
n’existe que dans environ la moitié des
cas, est une hypodensité centrale et un
discret rehaussement lors de l’injection
qui témoigne de la nécrose du ganglion
en son centre (figure 2). Cette caractéris-
tique, multiplication bacillaire intragan-
glionnaire, explique la faible contagiosi-
de lenfant (qui n’est pas nulle), le
nombre de bacilles dans les voies aé-
riennes étant limité. Elle explique aussi
le faible rendement des recherches mi-
crobiologiques, qu’il convient de limiter
à trois tentatives au maximum.
Dans toutes les séries de tuberculose pé-
diatrique, l’examen direct est positif
dans moins de 20 % des cas, la culture
est positive dans moins de la moitié des
cas et la recherche microbiologique par
amplification génique (PCR) est positi-
ve dans 60 à 80 % des cas. En effet,
pour que l’examen direct soit positif, le
prélèvement doit contenir entre 5 000
et 10000 bacilles/ml, et le seuil pour
une culture positive est de 10 à 100 ba-
cilles/ml. Le lavage bronchoalolaire
nest pas plus performant que les tu-
bages gastriques. Le premier tubage est
le plus rentable : il permet dobtenir
80 % des examens directs positifs
contre seulement 20 % au deuxième ou
troisième tubage. L’expectoration indui-
te (à développer en alternative au tuba-
ge) est au moins aussi rentable que le
tubage gastrique ; le recours au tubage
gastrique n’est donc pas nécessaire si
l’enfant crache. L’aspiration nasopha-
ryngée serait seule égale à l’expectora-
tion induite.
La tuberculose chez l’enfant étant es-
sentiellement une maladie ganglionnai-
re, l’endoscopie bronchique est un élé-
ment important, qui va permettre de vi-
sualiser les conséquences de la com-
pression exercée par le ganglion sur la
bronche. Si le ganglion est très volumi-
neux, la compression bronchique va en-
traîner une réponse inflammatoire gra-
nulomateuse qui peut obstruer forte-
ment la lumière bronchique, justifiant
ladministration de corticoïdes. Chez
ladolescent, qui psente une forme
pseudo-adulte avec des cavernes (cor-
respondant à une réactivation et non à
une primo-infection), la fibroscopie
peut avoir un objectif microbiologique
si le bacille n’est pas mis en évidence à
l’examen direct.
La dernière particularité de la tubercu-
lose pulmonaire pédiatrique est le
risque de dissémination hématogène,
qui dépend de l’âge. La compilation des
études naturelles entre 1920 et 1950,
avant le traitement antibiotique [4],
montre quaprès une primo-infection
avant l’âge de un an, l’infection reste la-
tente dans 50 % des cas, une maladie
pulmonaire survient dans 35 % des cas
et une infection disséminée dans 15 %
des cas. Si la primo-infection survient
entre un et deux ans, le risque de mala-
die disséminée est beaucoup plus
faible, puis il est inexistant au-delà de
deux ans. C’est le sur-risque de dissémi-
nation qui motive le traitement prophy-
lactique de tous les enfants de moins de
deux ans.
QUAND RECHERCHER
UNE SOUCHE RÉSISTANTE ?
rifier que l’enfant est porteur d’une
souche sensible est nécessaire dans
deux cas : si l’enfant est originaire d’un
pays à forte prévalence de souches ré-
sistantes (Europe de l’Est et Russie sur-
tout, Afrique noire à un moindre degré)
et si le contaminateur fait une rechute
de tuberculose (ancédents de traite-
ment antituberculeux) ou est infecté
par le VIH.
La PCR est concurrencée par un systè-
me d’avenir : le GeneXpert MTB/RIF,
qui permet d’analyser les prélèvements
sans aucune intervention humaine,
avec un résultat rapide (détection du
complexe M. tuberculosis et de sa résis-
tance à la rifampicine en 90 mn), très
sensible et spécifique.
QUELS SONT LES CRITÈRES
DE LEVÉE D’ISOLEMENT
EN CAS DE TUBERCULOSE-
MALADIE ?
Ce sujet reste débattu. En l’absence de
consensus, une mise en commun des
Figure 1
Figure 2
65-68_xpr8 21/03/13 00:04 Page67
Médecine
& enfance
mars 2013
page 68
positions de plusieurs pays (Allemagne
et Suisse notamment) permet d’aboutir
à des consignes de bon sens.
Si l’enfant est BAARet sous traitement
antituberculeux (trithérapie) efficace et
bien suivi depuis deux semaines au
moins, il peut retourner en collectivité.
Si l’enfant était initialement BAAR+
(surtout s’il s’agit d’un adolescent, plus
contagieux), il est nécessaire d’attendre
que l’examen direct soit négatif à deux
reprises au moins. En pratique, après
deux semaines de traitement bien
conduit, deux examens directs seront
pratiqués ; sils sont négatifs, lenfant
peut retourner en collectivité, sinon il
faudra attendre une semaine d’isole-
ment supplémentaire avant de répéter
l’examen direct.
Si l’enfant était porteur d’une souche
multirésistante, il faut attendre que la
culture soit négative.
En plus de ces éléments d’ordre micro-
biologique, il est évidemment nécessaire
que les symptômes cliniques initiale-
ment présents (toux, fièvre, perte pondé-
rale) soient contrôlés et que la suite du
traitement soit assurée (surveillance de
l’observance thérapeutique et de la tolé-
rance hépatique). Enfin, il convient de
vérifier que le milieu dans lequel retour-
ne l’enfant n’abrite aucune personne à
risque non traitée (sujet immunodépri-
mé, enfant de moins de deux ans).
Références
[1] AISSA K., MADHI F., RONSIN N., DELAROCQUE F., LE-
CUYER A., DECLUDT B. et al. : « Evaluation of a model for effi-
cient screening of tuberculosis contact subjects», Am. J. Respi.
Crit. Care Med., 2008 ; 177 : 1041-7.
[2] HCSP : « Avis relatif à l’utilisation des tests de détection de la
production d’interféron gamma », http://www.hcsp.fr/docspdf/
avisrapports/hcspa20110701_interferongamma.pdf.
[3] « Recommandations de la SPLF sur la prise en charge de la tu-
berculose en France », Rev. Mal. Respir., 2004 ; 21:3S5-3S11,
www.sp2a.fr/pdf/documents/recommandations-prise-en-char-
ge-tuberculose-france.pdf.
[4] MARAIS B.J., GIE R.P., SCHAAF H.S., HESSELING A.C., OBI-
HARA C.C., STARKE J.J. et al. : « The natural history of childhood
intra-thoracic tuberculosis : a critical review of literature from the
pre-chemotherapy era », Int. J. Tuberc. Lung Dis., 2004 ; 8:392-
402.
65-68_xpr8 21/03/13 00:04 Page68
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !