Objectif RÉMISSION Sous l’égide de Rémission : infection par le VIH Cure in HIV infection Dr Valérie Martinez*, Dr Jean-Luc Meynard** Dr Valérie Martinez P rès de 70 millions de personnes sont ou ont été infectées par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) depuis le début de l’épidémie, mais seul un vrai cas de “guérison” a été documenté chez un adulte appelé “le patient de Berlin”. Les traitements actuels, administrés à vie, n’éradiquent pas l’infection car ils n’ont pas d’action sur les réservoirs du virus. La rémission, ou guérison, reste donc un sujet sensible. Persistance virale et réservoirs Dr Jean-Luc Meynard * Service de médecine interne et d’immunologie clinique, hôpital Antoine-Béclère, Clamart. Membre du comité de rédaction de La Lettre de l’Infectiologue. ** Service des maladies infectieuses, hôpital Saint-Antoine, Paris. Rédacteur en chef adjoint de La Lettre de l’Infectiologue. Les principales cellules infectées par le VIH sont les lymphocytes T CD4, dont la majorité a une très longue durée de vie et constitue l’essentiel des réservoirs du VIH, à l’origine de la persistance virale définitive (1). Les cellules réservoirs sont particulièrement présentes au niveau ganglionnaire, dans le tissu digestif, le poumon, le cerveau et dans le tractus génital, masculin et féminin. Partout où ces cellules infectées sont susceptibles d’être activées, il est possible de détecter des particules virales. Le réservoir du VIH est donc complexe. La primo-infection est la période, critique, pendant laquelle les réservoirs sont constitués. De rares sujets dits “élites controllers” ont une infection qui reste à un niveau d’équilibre très bas pendant de longues années, sans aucune progression vers un déficit immunitaire (2). Les capacités immunitaires de ces patients à contrôler spontanément la réplication virale et à maintenir durablement un niveau de réservoir particulièrement bas font l’objet de nombreuses recherches (3). Des obstacles à l’éradication Contrairement à ce qui est observé dans les autres infections virales, les cellules latentes infectées par le VIH sont au repos. Elles n’expriment aucun antigène viral susceptible de déclencher une réponse 32 | La Lettre du Rhumatologue • No 400 - mars 2014 immunitaire spécifique de type CD8 cytotoxique qui induirait une éradication de l’infection. De fait, l’immunité spécifique anti-VIH n’atteint pas les cellules réservoirs quiescentes et ne peut donc pas détruire de façon ciblée ces cellules infectées. Aucun des traitements antirétroviraux actuels ne peut cibler ces cellules réservoirs. En fait, seul un traitement instauré en phase de primo-infection permet une diminution massive du réservoir viral. Guérison (“cure”) ou rémission ? Les mots qui viennent à l’esprit sont : Berlin, Mississippi, Visconti ou Boston… Le seul cas d’éradication complète du virus décrit à ce jour est celui du patient de Berlin traité pour une leucémie myéloïde aiguë sans lien avec sa séropositivité, et qui a subi une greffe de moelle osseuse avec un donneur homozygote pour la délétion Δ32 dans le gène CCR5 (4). Cette délétion protège naturellement contre l’infection par le VIH. Non seulement, à la suite de ce traitement, le patient a guéri de sa leucémie, mais, depuis 4 ans, le virus demeure indétectable dans son organisme alors qu’il a arrêté son traitement antirétroviral. Dans les mois qui ont suivi la greffe, les cellules régénérées n’étaient plus infectables par le virus. Ce modèle d’éradication ne reste qu’un modèle : une telle approche est inutilisable en routine et à grande échelle. Points forts » Près de 70 millions de personnes sont ou ont été infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) depuis le début de l’épidémie. » Seul un vrai cas de “guérison” a été documenté chez un adulte appelé “le patient de Berlin”. » Les traitements actuels, administrés à vie, n’éradiquent pas l’infection car ils n’ont pas d’action sur les réservoirs du virus. » La rémission, ou guérison, reste donc un sujet sensible. À côté de l’exemple du patient de Berlin, à Boston, 2 patients hétérozygotes CCR5 Δ32 ont été greffés pour une maladie de Hodgkin ou un lymphome B diffus à grandes cellules, avec des donneurs CCR5-sauvage. Au cours du suivi, pour ces 2 patients, il a été observé une diminution de 3 à 4 log de l’ADN proviral, l’absence d’antigène p24 dans les cellules CD4 stimulées, l’absence d’ADN proviral dans le rectum, tout cela en rapport avec un chimérisme complet et sûrement un rôle de la réaction du greffon contre l’hôte (GVH) [5]. Quatorze semaines après l’arrêt de tout traitement antirétroviral, aucune réplication n’était décelée (5). Mais voilà, au dernier Workshop on HIV Persistence during Therapy qui a eu lieu en Floride en décembre 2013, un rebond viral, après 8 mois d’indétectabilité, a été rapporté (6). En effet, le réservoir était persistant malgré des outils solides de détection. Ce modèle nous apprend cependant que le seul niveau de réservoir extrêmement bas ne suffit pas à la guérison. Il faut un système immunitaire compétent pour bloquer les quelques cellules résiduelles, voire les détruire, et maintenir un contrôle virologique à long terme, telles les rémissions observées pour certains cancers. Des exemples de telles “rémissions” sont maintenant décrits pour le VIH. Il s’agit de patients ayant été traités très tôt, au moment de leur primo-infection (7). Après quelques années, les traitements ont été interrompus et aucun rebond virologique n’est apparu, alors que l’arrêt thérapeutique date de plus de 7 ans pour certains d’entre eux. Ces patients, dénommés PTC (Post Treatment Controllers), ne sont pas porteurs d’allèles Human Leucocyte Antigen (HLA)protecteurs, comme de nombreux sujets contrôleurs, mais le niveau de leur réservoir est particulièrement bas. Le terme de rémission est encore peu employé alors qu’il semble bien correspondre à l’évolution de ces patients qui gardent des marques de l’infection. L’instauration d’un traitement antirétroviral durant la primo-infection représente l’opportunité clé de pouvoir réduire le réservoir viral et d’aboutir à un statut optimal en termes de reconstitution immunitaire, en comparaison des patients traités en infection chronique, comme le montrent les données des patients de l’étude Visconti en termes d’ADN proviral et de maintien/reconstitution immune (8). Outre ces patients, il a été récemment rapporté le cas d’un enfant de 30 mois (le “bébé du Mississippi”), né par voie basse à 35 semaines d’aménorrhée, d’une femme chez laquelle le VIH avait été dépisté au moment du partum, ce qui explique l’absence de prophylaxie antivirale au moment de la délivrance (9). La contamination est survenue in utero : le diagnostic d’infection par le VIH a été émis après qu’ont été effectués 5 tests différents ; jusqu’à l’âge de 30 mois, les taux de charge virale et d’ADN proviral étaient indétectables et il n’y avait pas d’anticorps anti-VIH après un traitement très précoce entre la trentième heure après la naissance et 18 mois d’âge. Les paramètres d’activation immune sont dans les limites de la normale à 24 et 30 mois. De même, les réponses CD4 et CD8 VIH-spécifiques ne sont pas détectées à 28 mois de vie. Selon les différentes analyses immunovirologiques, il existe chez la mère, 24 mois après l’accouchement, une réactivité vis-à-vis des 9 protéines testées du VIH-1 en l’absence de tout traitement antirétroviral, avec une charge virale VIH à 6 763 copies/ml et un virus considéré comme compétent et infectieux. Ni la mère ni l’enfant n’ont un HLA de classe 1, comme HLAB27 et HLAB57, considéré comme associé à un contrôle spontané de l’infection par le VIH, et la mère et l’enfant sont non mutés pour CCR5 (9). La question “L’enfant est-il guéri du VIH ?” demeure. Pour l’instant, la réponse est : “peut-être.” Cibler ces réservoirs et les explorer sont des enjeux majeurs dans une perspective de “cure” (10). Comme on le voit dans ce qui a été exposé ci-dessus, nous sommes loin d’une perspective d’éradication du VIH. Néanmoins, si l’on veut parler de rémission, on peut tout de même approcher d’autres paramètres tels que l’efficacité des traitements, leur facilité de prise au quotidien, mais aussi tout ce que l’on a appris sur la transmission du VIH. En ce qui concerne l’efficacité des traitements et leur facilité d’intégration au quotidien, il faut reconnaître que des progrès considérables ont été réalisés. Si l’on prend en compte les résultats des derniers essais thérapeutiques évaluant différentes stratégies antirétrovirales, le taux de succès à 48 semaines, défini par une charge virale inférieure à 40 copies, est de l’ordre de 90 % (11, 12). Mots-clés VIH Guérison Patient de Berlin Bébé du Mississippi Highlights » Nearly 70 million individuals are or were infected by the human immunodeficiency virus (HIV) since the start of the epidemic. » A single case of a “cure” has been observed in an adult named “the Berlin patient”. » Current treatments, administered for the patient’s entire life, do not eradicate the infection because they exert no action on the viral reservoir. » Therefore, remission or cure remains a sensitive topic. Keywords HIV Cure Berlin patient Mississippi child La Lettre du Rhumatologue • No 400 - mars 2014 | 33 Objectif RÉMISSION V. Martinez déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. J.L. Meynard déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour BMS, Gilead Sciences, Janssen-Cilag, Abbvie, MSD, ViiV Healthcare et Astellas ; avoir été pris en charge (transport, hôtel, repas), à l’occasion de déplacements pour congrès, par BMS, Gilead Sciences, Janssen-Cilag, Abbvie, MSD, ViiV Healthcare et Astellas. Rémission : infection par le VIH D’une façon plus globale, si l’on regarde les données épidémiologiques relatives aux patients traités en France, plus de 80 % ont une charge virale (CV) indétectable (13). En ce qui concerne l’espérance de vie des personnes infectées par le VIH, plusieurs études ont montré que les patients infectés par le VIH et recevant un traitement efficace sur le plan immunovirologique (CD4 < 500/mm3, CV indétectable) avaient une espérance de vie comparable à celle de la population générale. En 10 ans, l’espérance de vie a gagné 16 ans (14). On comprend donc bien qu’aujourd’hui l’infection par le VIH soit devenue une maladie chronique et que l’enjeu sera de dépister les patients à un stade plus précoce. Les dernières données épidémiologiques françaises montrent en effet, parmi les nouveaux diagnostics, qu’environ 29 % des personnes sont diagnostiquées au stade sida avec moins de 200 CD4 et que seuls 35 % sont diagnostiqués en primo-infection avec plus de 500 CD4 (13). Améliorer le dépistage est donc certainement un enjeu majeur pour les prochaines années. Comme il est stipulé dans le dernier rapport d’experts, la stratégie de dépistage de l’ensemble de la population devrait être réajustée : il pourrait être demandé aux médecins généralistes et spécialistes d’accentuer le dépistage dans certaines situations cliniques et biologiques classiques, en s’aidant notamment des tests de diagnostic rapides (test rapide d’orientation diagnostique [TROD]) [13]. On ne peut pas parler de rémission d’une pathologie sans aborder le risque de transmission qui, bien entendu, alimente la survenue de nouvelles infections. Là encore, les choses sont en train de changer. Il faut reconnaître que, dans ce domaine, les Suisses ont été avant-gardistes. En effet, le “Swiss Statement” a un peu révolutionné les esprits : “Une personne séropositive ne souffrant d’aucune autre maladie sexuellement transmissible (MST) et suivant un traitement antirétroviral avec une virémie entièrement supprimée ne transmet pas le virus par le biais de contacts sexuels.” Cette affirmation reste valable à condition que la personne séropositive observe son traitement à la lettre, soit suivie régulièrement par un médecin, qu’elle ne présente aucune autre MST et que la charge virale soit indétectable (c’est-à-dire < 40 copies/ml) depuis au moins 6 mois (15). Dans la littérature scientifique, plusieurs études longitudinales, dont celle de T.C. Quinn et al., ont montré que le risque de transmission dépend de la charge virale de la personne séropositive dans le cas de couples hétérosexuels sérodiscordants (16). L’étude la plus récente dans ce domaine est l’étude HTPN052, qui montre que le risque de transmission du VIH est diminué de plus de 94 % par un traitement antirétroviral efficace (17). Ces données sont extrêmement importantes, car elles ont conduit en Suisse à l’arrêt du recours à la procréation médicalement assistée (PMA) pour le problème de la transmission virale dans les couples sérodiscordants en cas de VIH contrôlé. Conclusion La prise en charge de l’infection par le VIH a largement évolué au cours des dernières années. Même si l’on ne peut pas parler de rémission au sens propre du terme, puisque l’éradication n’est actuellement pas envisagée, le fait d’avoir, dans des circonstances qui ne demandent qu’à se généraliser, une espérance de vie similaire à celle de la population générale est un résultat majeur. ■ Références bibliographiques 1. Chomont N, El-Far M, Ancuta P et al. HIV reservoir size 7. Hocqueloux L, Prazuck T, Avettand-Fenoel V et al. and persistence are driven by T cell survival and homeostatic Long-term immunovirologic control following antiretroproliferation. Nat Med 2009;15:893-900. viral therapy interruption in patients treated at the time of primary HIV-1 infection. AIDS 2010;24:1598-601. 2. Saez-Cirion A, Hamimi C, Bergamaschi A et al.; ANRS CO18 Cohort. Restriction of HIV-1 replication in macrophages and 8. Hocqueloux L, Avettand-Fènoël V, Jacquot S et al. CD4+ T cells from HIV controllers. Blood 2011;118:955-64. 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