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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001
Le Managed Care :
les faits stylisés
Au début des années 1970,
l’administration Nixon
tenta de contenir la hausse
des coûts de santé avec
l’adoption, en 1973, par le
congrès des principaux
textes de loi régissant les
droits et les obligations des
Health Maintenance Organizations (HMO)
et en particulier l’HMO Act amendé en 1976.
Parmi les dispositions légales prises par le
gouvernement américain en faveur de ces
organismes d’assurance, citons l’obligation
faite à tout employeur dirigeant une entre-
prise de plus de 25 salariés de proposer à son
personnel une HMO en plus d’une assurance
conventionnelle. C’est dans cet environne-
ment favorable que les HMO se sont enga-
gées à offrir des prestations à une population
définie en échange d’une somme fixe payée
à l’avance par l’assureur (contrat Capitation).
Les stratégies de réduction des coûts des
entreprises de Managed Care ont rapidement
retenu l’attention des hommes politiques et
des employeurs qui ont décidé de se tourner
massivement vers ces sociétés pour gérer la
santé de leurs employés. Cela s’est produit
au détriment des assureurs traditionnels qui
fonctionnaient selon le régime du paiement
à l’acte (régime Fee-For-Service).
Mais le succès du Managed Care ne fut au
rendez-vous que beaucoup plus tardivement,
dans la seconde moitié des années 1980. Les
adhésions aux HMO ont augmenté de 9 %
par an au cours de cette décennie et cette
croissance s’est poursuivie au début des
années 1990 (1). Dès 1994, les sociétés de ges-
tion des dépenses de santé offraient leurs ser-
vices à 50 millions de personnes, versus
40 millions d’Américains en 1990 (2), 19 mil-
lions à la fin de 1985 et 15,2 millions en 1984.
En 1995, 65 % des employés et leur famille
étaient sous régime Managed Care versus
40 % en 1993. Des formules plus flexibles
comme les programmes de type POS (Point
of Service), qui accordent au patient la pos-
sibilité de consulter un médecin non affilié à
la HMO pour des soins particuliers, ont éga-
lement fait leur apparition, suivies des Indi-
vidual Practice Associations (IPA) dans les-
quelles les médecins continuent à recevoir
des patients dans leur propre cabinet médi-
cal tout en étant rémunérés à l’acte par la
HMO.
Cependant, les promoteurs d’un système de
santé du type Managed Care ont dû admettre
que la préoccupation majeure de ces orga-
nismes est passée de la qualité des soins à
leurs coûts, qui ont été bien maîtrisés à par-
tir de 1991 et 1992 après un dérapage très fort
dans les années 1980. En effet, le pourcen-
tage annuel des dépenses de santé par rap-
port au PNB fut de 13,6 % en 1995, versus
13,4 % en 1992, 12,1 % en 1990, 10,2 % en
1985, 8,9 % en 1980 et
7,1 % en 1970. Dans cette
perspective, les organismes
de Managed Care ont éla-
boré des dispositifs de ges-
tion et de rationnement des
soins, dispositifs qui
incluent le recours à un
réseau limité de fournis-
seurs, la mise en place de
mécanismes du type utiliza-
tion review, qui autorisent le
réexamen des soins afin de s’assurer qu’ils
sont bien nécessaires et appropriés, et l’utili-
sation d’un médecin porte d’entrée (Gate-
keeper) : celui-ci décide si le patient doit ou
non consulter un médecin spécialiste ou s’il
nécessite des soins additionnels et non rou-
tiniers. D’autres dispositifs de contrôle exis-
tent également. Ainsi, lorsque les sociétés de
gestion des dépenses de santé de type HMO
ont recours au principe du withholding, elles
opèrent un transfert partiel du risque finan-
cier en retenant pour elles une part des paie-
ments versés au fournisseur de soins sur une
période donnée. À la fin de cette période, des
comparaisons ont lieu par rapport à un objec-
tif fixé initialement. Si les dépenses sont infé-
rieures à l’objectif, les sommes retenues sont
alors reversées aux fournisseurs de soins. De
plus, sous l’effet de la concurrence entre
HMO, celles-ci ont été contraintes d’abais-
ser le coût de leurs prestations pour séduire
de nouveaux adhérents. De ce fait, les coti-
sations d’assurances maladie de grands
employeurs se sont ralenties à partir du milieu
des années 1990, alors qu’elles connaissaient
une progression soutenue au début de cette
Comme les autres pays occidentaux, les États-Unis sont
depuis 40 ans confrontés à une hausse des
dépenses de santé, non seulement liée au progrès des tech-
nologies médicales et au vieillissement de la population,
mais aussi au fait qu'un nombre croissant d'individus sont
couverts par une assurance santé, que celle-ci soit propo-
sée par leur employeur ou par l’État.
*ESCP, docteur en gestion.
vie profes
Vie professionnelle
Expériences américaines du Managed Care
et satisfaction professionnelle du personnel soignant
D. Simonet*
(1) Entre 1980 et 1992.
(2) Soit 20 % de la population assurée, non
retraitée.
139
décennie. En 1995, celles-ci ont augmenté
pour la première fois moins vite que l’indice
général de l’inflation.
Mais dès la seconde moitié des années 1990,
les HMO doivent affronter de nombreuses
critiques qui émanent aussi bien des asso-
ciations de consommateurs que des praticiens
eux-mêmes. C’est sur ces derniers acteurs de
la santé que nous allons concentrer notre
attention. Ces critiques ont fragilisé la légiti-
mité des organismes de Managed Care dans
l’offre de santé américaine et réduit les pos-
sibilités de voir apparaître un système de
santé comparable en Europe.
Managed Care et pratique
médicale : le mécontentement
croissant des médecins
C’est au cours des années 1990 que les pra-
ticiens ont massivement rejoint les rangs des
HMO. En effet, près de 8 médecins sur 10
sont aujourd’hui intégrés dans une forme ou
une autre d’organisme de Managed Care
versus 1 sur 10 en 1990. Au début des
années 1990, les opportunités de travail pro-
posées par les HMO étaient particulière-
ment attractives. Les médecins qui rejoi-
gnaient les rangs des HMO en retiraient un
certain nombre d’avantages : les salaires n’y
étaient pas plus faibles que dans le système
de santé traditionnel avec paiement à l’acte ;
de plus, ils pouvaient continuer d’exercer
dans un cabinet de médecine indépendant
tout en étant partenaires d’HMO. Ces der-
nières facilitaient également la collecte de
leurs honoraires auprès des employeurs. En
outre, les médecins des HMO peuvent exer-
cer leur activité avec plus de régularité car
elles offrent des horaires stables. Enfin, les
médecins pouvaient difficilement refuser de
rejoindre les organismes de Managed Care
car ils connaissaient alors une situation de
sous-emploi. Au début des années 1990, ils
se montraient même très satisfaits de leurs
conditions de travail dans ce nouvel envi-
ronnement. Ainsi, une étude (1) réalisée en
1993 sur un échantillon de 1 196 médecins (3)
employés par des HMO révéla que 65 %
d’entre eux se déclaraient satisfaits, voire
très satisfaits de leur travail, soit un chiffre
comparable à celui d’une étude antérieure
(1986). Ces résultats se retrouvaient dans
d’autres catégories de personnel soignant :
une enquête (2) réalisée en 1992 sur une
population de 5 000 personnes, non méde-
cins, employées par des sociétés de gestion
des dépenses de santé montra que les aides-
soignants affichaient un taux de satisfaction
élevé, lié à leur niveau de responsabilité, au
travail en équipe, à la sécurité de l’emploi,
au nombre d’heures travaillées, à l’enca-
drement et à la variété des tâches. Ils se mon-
traient en revanche moins satisfaits de leur
charge de travail et des opportunités de car-
rière proposées. Les personnels respon-
sables des problèmes de dépendance
(drogue et alcool… (4)) exprimaient le taux
de satisfaction le plus élevé et les optomé-
tristes le plus faible. Les autres profession-
nels de la santé (psychiatres, conseillers,
psychologues) se sont également montrés
très satisfaits de leurs conditions d’exercice
sous régime Managed Care.
Mais avec l’arrivée à maturité du Managed
Care, la plupart des enquêtes diligentées aux
États-Unis ont révélé une dégradation de la
satisfaction professionnelle des médecins.
Ainsi, une étude (3) menée sous l’égide de
l’Association médicale de Floride et de
l’Association des médecins de Floride (Flo-
rida Physician Association) nous renseigne
sur le degré de satisfaction des médecins
américains sous environnement Managed
Care. Les médecins sous contrat avec les
HMO se montraient moins satisfaits de leurs
revenus actuels et à venir, des possibilités
de formation, du temps consacré aux
patients, de la possibilité d’adresser un
patient à un médecin spécialiste, de la liberté
d’exercice de leur métier et de la qualité des
soins délivrés que leurs homologues restés
dans le régime traditionnel du paiement à
l’acte (Fee-For-Service – FFS). Et comme
le souligne une autre étude (4) réalisée dans
l’État de Washington (5), des réformes sont
même ardemment souhaitées : 80 % des
médecins se prononçaient en faveur d’une
réforme du système actuel et 40 % en faveur
d’un système de santé à payeur unique
(single payer (6)). Leur principale revendi-
cation était la réduction du temps consacré
aux tâches administratives (89 %). Les
médecins des zones rurales, pourtant restées
à l’écart du Managed Care, étaient égale-
ment mécontents, comme le révèle une
étude (5) conduite dans l’État du Minne-
sota (7) : si deux tiers des praticiens interro-
gés ont affirmé que le temps passé avec le
patient n’avait pas diminué avec le Mana-
ged Care, 67 % considéraient que les socié-
tés de gestion des dépenses de santé ne pou-
vaient répondre aux attentes des populations
locales. Les généralistes sous régime Mana-
ged Care étaient fréquemment confrontés à
des conflits d’intérêt préjudiciables à l’as-
suré. Selon une étude menée en 1996 (6), si
la majorité des médecins interrogés ont
affirmé que la qualité des soins leur sem-
blait compromise par la réduction de la
durée de séjour à l’hôpital et par le principe
du Gatekeeping, les femmes, de plus en plus
nombreuses à embrasser la carrière médi-
cale (8), jugeaient le Managed Care plus
sévèrement que les hommes.
Les médecins spécialistes affichent un
mécontentement plus élevé encore. En rai-
(3) 675 questionnaires étaient utilisables.
(4) Chemical dependency conselors.
(5) Près de 1 000 médecins de cet État
acceptèrent de participer à cette étude
conduite entre octobre et novembre 1993.
(6) Dans ce cas, le gouvernement est la princi-
pale source de financement. C’est le cas du
Canada : les fonds proviennent des différentes
provinces, et l’employeur ne joue qu’un rôle
limité dans le financement de l’offre de santé.
(7) Un questionnaire fut envoyé à 798 médecins.
Le taux de réponse fut de 35 % (281 répondants).
(8) Alors qu’en 1980, 8 % des médecins en activité
étaient des femmes, ce chiffre est passé à 25 %
aujourd’hui. Ce pourcentage est plus élevé encore
au sein des dernières promotions de médecins :
près de la moitié des étudiants en médecine arri-
vés sur le marché au cours des cinq dernières
années sont des femmes.
sionnelle
Vie professionnelle
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001 140
son des restrictions apportées à l’accès
direct aux soins de spécialité (9), le Mana-
ged Care risque d’entraîner une réduction
du nombre des spécialistes, un phénomène
qui touche plus particulièrement l’électro-
physiologie (7), la cardiologie, la radiolo-
gie et la dermatologie. Ainsi, une première
étude (8) a mesuré les changements obser-
vés dans la pratique médicale des cardio-
logues sous régime Managed Care. Réali-
sée au printemps 1993, elle portait sur un
échantillon de 1 961 médecins (10) affiliés à
l’American College of Cardiology. Parmi
ceux-ci, 76 % avaient conclu un accord (11)
avec une société de gestion des dépenses de
santé de type HMO (Health Maintenance
Organization) ou PPO (Preferred Provider
Organization). Ceux qui n’avaient aucun
lien avec des organismes de Managed Care
justifiaient ce choix par leur crainte d’une
détérioration de la qualité des soins (12). Plus
de la moitié ont indiqué que le principe du
Gatekeeping n’était pas adapté au traite-
ment des urgences cardiaques. En revanche,
le recours au formulaire n’avait pas modi-
fié leur liberté de prescription. Une autre
étude (9) consacrée aux radiologues révé-
lait que l’intérêt qu’ils portaient à leur
métier était plus faible sous le régime
Managed Care. Des résultats plus favo-
rables ont été observés en dermatologie
(10) : si 70 % de l’activité des praticiens
concernait des problèmes de santé bénins
ou routiniers, 56 % d’entre eux souhaitaient
être confrontés à des cas plus complexes.
Le niveau de satisfaction des dermato-
logues, particulièrement éle(13), était étroi-
tement lié à leur capacité à donner des soins
de qualité, à utiliser pleinement leurs
connaissances et à en acquérir de nouvelles.
Bien que 78 % des médecins dermato-
logues se soient prononcés en faveur d’un
accès direct au patient, 60 % d’entre eux
souhaitaient une participation plus impor-
tante des infirmières et des généralistes.
Mais ces derniers ne se substitueront pro-
bablement pas aux dermatologues, comme
les HMO le proposaient pourtant pour des
raisons d’économies. En effet, pour que
cette substitution se révèle sans danger
pour le patient, les généralistes devraient
d’abord approfondir leur formation en der-
matologie. Enfin, les psychiatres affichent
toujours un niveau de satisfaction profes-
sionnelle élevé. En effet, une enquête (11)
menée auprès de 400 psychiatres indiqua
que 75 % d’entre eux se déclaraient très
satisfaits de l’exercice de leur profession.
Ces difficultés concernent également le
personnel soignant non médecin. En effet,
si les principaux bénéficiaires du Managed
Care sont les grands employeurs, les labo-
ratoires pharmaceutiques et les action-
naires, le personnel hospitalier reste fragi-
lisé. Un rapport intitulé Critical
Challenges – Revitalizing the Health Pro-
fessions for the 21st Century de la fondation
Pew Charitable Trust (1995) annonçait
même la fermeture de près de la moitié des
hôpitaux et le renvoi de 200 000 à
300 000 infirmières et de 40 000 pharma-
ciens. Dans le dessein de réaliser des éco-
nomies, les HMO ont remplacé les infir-
mières expérimentées par des infirmières à
niveau de formation plus faible, ce qui
entraîne un risque pour le patient. Les
contrats de type forfait (capitation) carac-
téristiques des organismes de Managed
Care encouragent l’emploi d’auxiliaires de
santé (Nurse Aids) dont le niveau de quali-
fication, donc le coût, est plus faible. Le
Managed Care s’est également traduit par
une augmentation du nombre des tâches
administratives (documents nécessaires à
l’agrément des procédures médicales par
les compagnies d’assurances notam-
ment…). De plus, les infirmières qui gèrent
un nombre plus élevé de patients ont été
durement touchées par les opérations de
restructuration hospitalière (downsizing)
menées aux États-Unis et aussi au Canada.
En 1996, une étude (12) portant sur
345 infirmières de trois hôpitaux de l’É-
tat d’Ontario évaluait leur degré de satis-
faction professionnelle. Elle montrait que
la restructuration de l’hôpital n’avait que
très peu altéré leur degré de satisfaction,
leur charge de travail et leurs conditions de
vie professionnelle. En revanche, les infir-
mières éprouvaient des inquiétudes quant à
leur évolution de carrière, leur degré d’iden-
tification à l’employeur et l’évolution de
leur relation avec leurs collègues. Les éco-
nomies recherchées par les organismes de
Managed Care ont quelquefois abouti à des
excès préjudiciables aux patients (atteintes
à la qualité des soins…) : certains États (dont
la Californie) doivent aujourd’hui faire
machine arrière et recruter massivement du
personnel infirmier après l’avoir licencié en
grand nombre ces dernières années.
Contractualisation sélective
et encadrement
de la pratique médicale
Les conditions de travail sont aussi devenues
plus difficiles. Un signe de cette instabilité
est à rechercher dans les phénomènes de
contractualisation sélective et d’exclusion qui
affectent les médecins des organismes de
Managed Care. Sur ce sujet, 520 médecins
basés à Alameda, Contra Costa, Fresno, Los
Angeles, Orange, Riverside, Sacramento,
San Bernardino, San Diego, San Francisco,
San Mateo, Santa Clara et Solano Counties
ont été interrogés dans le cadre d’une enquête
(13) (14) consacrée à la fréquence des ruptures
de contrat, aux caractéristiques des médecins
confrontés à ces situations et aux consé-
quences de ces mêmes ruptures. L’étude
vie profes
Vie professionnelle
(9) Obligation de passer par un médecin “porte
d’entrée” (Gatekeeper).
(10) Sur un total de 4 557 médecins qui ont reçu un
questionnaire (soit un taux de réponse de 43 %).
(11) Au moins.
(12) Cette raison fut avancée par 51 % des
médecins qui avaient refusé d’adhérer à la
HMO et par 41 % de ceux qui ne souhaitaient
pas être affiliés à une organisation de type PPO.
(13) 88 % se sont déclarés satisfaits de leur pra-
tique médicale.
(14) L’État de Californie fut choisi pour mener à
bien cette étude. En effet, c’est dans cet État
que la pénétration du Managed Care est la
plus importante et la plus ancienne aussi.
141
révèle que si les ruptures ou les refus de
contrat étaient nombreux (15), le facteur qui
permettait de prédire avec le plus de certitude
la possibilité d’une rupture (ou d’un refus)
de contrat de santé était la taille du cabinet
médical (plus celle-ci était importante, plus
le risque de rupture était faible), la spécialité
médicale concernée (les médecins pédiatres
affichaient le taux le plus faible de rupture ou
de refus de contracter) et l’accréditation du
praticien : ainsi, les médecins certifiés, ou
board certified, avaient une probabilité deux
fois plus importante d’être liés par contrat (au
moins) à un organisme de Managed Care
que les médecins non certifiés ou non board
certified MD. Si les exclusions étaient sur-
tout le fait des sociétés de HMO les moins
expérimentées, des HMO de petite taille et
de celles qui occupaient une part de marché
faible (16), le motif le plus fréquemment avancé
pour justifier cette décision était le nombre
trop élevé de médecins dans la spécialité
concernée.
Le Managed Care n’a pas seulement dété-
rioré la satisfaction professionnelle des méde-
cins, il a également entraîné une dégradation
de la relation entre le médecin et son patient.
Sur ce sujet, une étude (14) portant sur
1076 médecins américains précise l’origine
des difficultés rencontrées dans la relation
médecin-patient sous régime Managed Care :
manque de confiance, dépression, difficultés
de compréhension, mauvaise observance du
traitement et exigences irréalistes de la part
du patient. Les médecins, en particulier ceux
des HMO, étaient plus souvent confrontés à
ce type de problème, que les spécialistes et les
médecins restés dans le système traditionnel
de paiement à l’acte (Fee-For-Service). De
plus, alors que la médecine américaine repo-
sait sur une entente tacite entre le médecin et
son patient pour déterminer le meilleur ser-
vice possible, les accords qui lient les méde-
cins aux sociétés de gestion des dépenses de
santé sont quelquefois si forts qu’ils peuvent
dissuader les médecins de donner au patient
l’intégralité des soins dont celui-ci a besoin.
L’autonomie décisionnelle du médecin n’est
plus protégée. Le patient est d’autant plus vul-
nérable qu’il est dans une situation d’asymé-
trie informationnelle et qu’il ne connaît pas la
nature du contrat (donc les restrictions…) qui
lie son médecin à la société de HMO. Une
illustration de ces difficultés est à rechercher
dans la gag rule (littéralement loi du bâillon),
devenue le symbole de l’intrusion des orga-
nismes de Managed Care dans la relation
médecin-patient. Parce qu’elle interdisait au
médecin de discuter avec son patient des dif-
férents traitements possibles et de l’informer
des arrangements financiers qui le lient à l’as-
sureur, elle représentait une menace pour la
confiance que le public accorde à la profes-
sion médicale. Celle-ci fut cependant aban-
donnée dans pratiquement tous les États amé-
ricains.
Des avancées ont été accomplies. Ainsi, à la
fin de l’année 1999, United Health Group
(Minnesota) décidait de laisser le dernier mot
au médecin au sujet du traitement qu’il
convient de choisir pour le patient. Cette déci-
sion, très favorablement accueillie par l’Ame-
rican Medical Association, devrait être sui-
vie par d’autres HMO, d’autant que United
Health Group est la deuxième société de
Managed Care aux États-Unis après Aetna,
avec 14,5 millions d’assurés. L’argument
invoqué est que le contrôle de l’activité médi-
cale lui coûte plus cher que les économies
réalisées grâce au refus de certains traite-
ments ou opérations. La liberté de choisir un
médecin traitant est également revenue au
centre des préoccupations des HMO. En
effet, elle est toujours un critère important du
choix d’un plan de santé. Son absence
explique en partie l’échec du projet de
réforme de la santé du président Clinton au
début des années 1990. Les HMO ont pris
conscience que les patients adhèrent en prio-
rité aux plans de santé qui leur permettent de
consulter un grand nombre de prestataires de
soins et en particulier un fournisseur de soins
extérieur à leur réseau (panel) de médecins
habituels. Ainsi, l’American College of Sur-
geons a lancé une campagne nationale pour
préserver le droit du patient à choisir son spé-
cialiste, contrant ainsi le principe du Gate-
keeping. Les organismes de Managed Care
ont pris acte de ces critiques affirmant, pour
certains, qu’ils n’ont plus recours à ce prin-
cipe et qu’ils offrent un accès rapide et facile
à la médecine de spécialité.
La pratique médicale des sociétés de ges-
tion des dépenses de santé de type HMO
diffère (17) de celle des assureurs tradition-
nels (15) : la plupart des HMO exigent du
médecin qu’il se conforme à des directives
cliniques (Guidelines). Et si la durée de la
visite médicale est plus courte pour les
patients sous régime Fee-For-Service, les
consultations au sein de la société de ges-
tion des dépenses de santé comportent
davantage de prévention et proposent une
gestion plus planifiée du traitement.
Cependant, les médecins considèrent que
les contrats au forfait (capitation) ont
contribué à dégrader leur satisfaction pro-
fessionnelle (16), la qualité de la relation
médecin-patient et l’accès aux soins (17).
Les HMO s’efforcent également de
réduire la durée des séjours hospitaliers
pour diminuer leurs coûts (18). De plus, le
temps que les médecins consacrent au trai-
tement des tâches administratives a aug-
menté. En effet, si les associations entre
médecins et organismes de Managed Care
fonctionnent sans grande difficulté,
notamment lorsque les demandes d’auto-
risations concernent les procédures médi-
cales les plus simples et les moins oné-
reuses, ce n’est plus vrai pour des
opérations plus complexes. Ainsi, les
médecins et les infirmières sont dans
l’obligation de contacter la société de ges-
tion des dépenses de santé pour la
convaincre de financer certains soins.
Cette barrière administrative est censée
dissuader les médecins de demander des
procédures trop onéreuses pour l’assureur.
Cela influe également sur l’utilisation des
(15) Étaient concernés 22 % des médecins
qui participèrent à l’étude.
(16) Inférieure à 10 %.
(17) L’étude porta sur 82 consultations
réalisées dans le système traditionnel du type
Fee-for-Service et 72 consultations
au sein d’une société de HMO.
sionnelle
Vie professionnelle
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001 142
services hospitaliers : si les médecins se
montrent plus efficaces dans l’utilisation
et la consommation des ressources hospi-
talières, ils sont également plus nombreux
à compenser le bas niveau des rembour-
sements des patients sous régime Mana-
ged Care par une augmentation de la
consommation de services hospitaliers
(examens, consultations…) chez les autres
catégories de patients, notamment ceux
dont la santé est gérée par un assureur tra-
ditionnel (19).
Conclusion
Si ces travaux ont révélé quelques-uns des
éléments de mécontentement du person-
nel soignant américain dans l’environne-
ment Managed Care, ils sont aussi riches
d’enseignement pour les pays européens
qui souhaiteraient mettre en place des dis-
positifs proches de ceux issus de l’expé-
rience américaine. En effet, ils soulignent
les limites mêmes de l’introduction du
Managed Care dans la pratique médicale
et la nécessité de prévoir des garde-fous
afin de limiter les excès du Managed Care
qui non seulement a eu un impact négatif
sur le degré de satisfaction professionnelle
du praticien mais a aussi contribué à
rendre plus difficile la relation de celui-ci
avec son patient. Certains praticiens, obli-
gés de réaliser des consultations à la
chaîne, sont moins motivés par leur métier
alors que la qualité de la relation entre le
médecin et son patient en est un des
aspects les plus gratifiants. Certains méde-
cins changent de carrière et se tournent
aujourd’hui vers la recherche ou l’entre-
prise en raison de ces difficultés.
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vie profes
Vie professionnelle
L’étude porte sur le degré de satisfaction des médecins des professions de
santé aux États-Unis. Elle met en avant quelques-uns des facteurs de mécon-
tentement de la profession médicale tant dans l’organisation des soins que
dans la liberté de soigner. Si toutes les études ne révèlent pas un méconten-
tement général du personnel soignant, l’expérience américaine du Managed
Care s’est accompagnée d’une dégradation de la relation entre le médecin et
son patient. Cependant, il est encore trop tôt pour dire si la dégradation de
la satisfaction professionnelle du personnel soignant risque de se traduire par
une diminution de la qualité des soins délivrés aux patients.
Mots Clés. Managed Care – HMO – Médecin – Satisfaction.
Résumé… Résumé…
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