vie profes Vie professionnelle Expériences américaines du Managed Care et satisfaction professionnelle du personnel soignant D. Simonet* Le Managed Care : les faits stylisés C 1985, 8,9 % en 1980 et 7,1 % en 1970. Dans cette perspective, les organismes de Managed Care ont élaboré des dispositifs de gestion et de rationnement des soins, dispositifs qui incluent le recours à un réseau limité de fournisseurs, la mise en place de mécanismes du type utilization review, qui autorisent le réexamen des soins afin de s’assurer qu’ils sont bien nécessaires et appropriés, et l’utilisation d’un médecin porte d’entrée (Gatekeeper) : celui-ci décide si le patient doit ou non consulter un médecin spécialiste ou s’il nécessite des soins additionnels et non routiniers. D’autres dispositifs de contrôle existent également. Ainsi, lorsque les sociétés de gestion des dépenses de santé de type HMO ont recours au principe du withholding, elles opèrent un transfert partiel du risque financier en retenant pour elles une part des paiements versés au fournisseur de soins sur une période donnée. À la fin de cette période, des comparaisons ont lieu par rapport à un objectif fixé initialement. Si les dépenses sont inférieures à l’objectif, les sommes retenues sont alors reversées aux fournisseurs de soins. De plus, sous l’effet de la concurrence entre HMO, celles-ci ont été contraintes d’abaisser le coût de leurs prestations pour séduire de nouveaux adhérents. De ce fait, les cotisations d’assurances maladie de grands employeurs se sont ralenties à partir du milieu des années 1990, alors qu’elles connaissaient une progression soutenue au début de cette omme les autres pays occidentaux, les États-Unis sont depuis 40 ans confrontés à une hausse des dépenses de santé, non seulement liée au progrès des technologies médicales et au vieillissement de la population, mais aussi au fait qu'un nombre croissant d'individus sont couverts par une assurance santé, que celle-ci soit proposée par leur employeur ou par l’État. Au début des années 1970, l’administration Nixon tenta de contenir la hausse des coûts de santé avec l’adoption, en 1973, par le congrès des principaux textes de loi régissant les droits et les obligations des Health Maintenance Organizations (HMO) et en particulier l’HMO Act amendé en 1976. Parmi les dispositions légales prises par le gouvernement américain en faveur de ces organismes d’assurance, citons l’obligation faite à tout employeur dirigeant une entreprise de plus de 25 salariés de proposer à son personnel une HMO en plus d’une assurance conventionnelle. C’est dans cet environnement favorable que les HMO se sont engagées à offrir des prestations à une population définie en échange d’une somme fixe payée à l’avance par l’assureur (contrat Capitation). Les stratégies de réduction des coûts des entreprises de Managed Care ont rapidement retenu l’attention des hommes politiques et des employeurs qui ont décidé de se tourner massivement vers ces sociétés pour gérer la santé de leurs employés. Cela s’est produit au détriment des assureurs traditionnels qui fonctionnaient selon le régime du paiement à l’acte (régime Fee-For-Service). Mais le succès du Managed Care ne fut au rendez-vous que beaucoup plus tardivement, dans la seconde moitié des années 1980. Les adhésions aux HMO ont augmenté de 9 % * ESCP, docteur en gestion. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001 par an au cours de cette décennie et cette croissance s’est poursuivie au début des années 1990 (1). Dès 1994, les sociétés de gestion des dépenses de santé offraient leurs services à 50 millions de personnes, versus 40 millions d’Américains en 1990 (2), 19 millions à la fin de 1985 et 15,2 millions en 1984. En 1995, 65 % des employés et leur famille étaient sous régime Managed Care versus 40 % en 1993. Des formules plus flexibles comme les programmes de type POS (Point of Service), qui accordent au patient la possibilité de consulter un médecin non affilié à la HMO pour des soins particuliers, ont également fait leur apparition, suivies des Individual Practice Associations (IPA) dans lesquelles les médecins continuent à recevoir des patients dans leur propre cabinet médical tout en étant rémunérés à l’acte par la HMO. Cependant, les promoteurs d’un système de santé du type Managed Care ont dû admettre que la préoccupation majeure de ces organismes est passée de la qualité des soins à leurs coûts, qui ont été bien maîtrisés à partir de 1991 et 1992 après un dérapage très fort dans les années 1980. En effet, le pourcentage annuel des dépenses de santé par rapport au PNB fut de 13,6 % en 1995, versus 13,4 % en 1992, 12,1 % en 1990, 10,2 % en 138 Entre 1980 et 1992. Soit 20 % de la population assurée, non retraitée. (1) (2) sionnelle Vie professionnelle décennie. En 1995, celles-ci ont augmenté pour la première fois moins vite que l’indice général de l’inflation. Mais dès la seconde moitié des années 1990, les HMO doivent affronter de nombreuses critiques qui émanent aussi bien des associations de consommateurs que des praticiens eux-mêmes. C’est sur ces derniers acteurs de la santé que nous allons concentrer notre attention. Ces critiques ont fragilisé la légitimité des organismes de Managed Care dans l’offre de santé américaine et réduit les possibilités de voir apparaître un système de santé comparable en Europe. Managed Care et pratique médicale : le mécontentement croissant des médecins C’est au cours des années 1990 que les praticiens ont massivement rejoint les rangs des HMO. En effet, près de 8 médecins sur 10 sont aujourd’hui intégrés dans une forme ou une autre d’organisme de Managed Care versus 1 sur 10 en 1990. Au début des années 1990, les opportunités de travail proposées par les HMO étaient particulièrement attractives. Les médecins qui rejoignaient les rangs des HMO en retiraient un certain nombre d’avantages : les salaires n’y étaient pas plus faibles que dans le système de santé traditionnel avec paiement à l’acte ; de plus, ils pouvaient continuer d’exercer dans un cabinet de médecine indépendant tout en étant partenaires d’HMO. Ces dernières facilitaient également la collecte de leurs honoraires auprès des employeurs. En outre, les médecins des HMO peuvent exercer leur activité avec plus de régularité car elles offrent des horaires stables. Enfin, les médecins pouvaient difficilement refuser de rejoindre les organismes de Managed Care car ils connaissaient alors une situation de sous-emploi. Au début des années 1990, ils se montraient même très satisfaits de leurs conditions de travail dans ce nouvel environnement. Ainsi, une étude (1) réalisée en 1993 sur un échantillon de 1 196 médecins (3) employés par des HMO révéla que 65 % d’entre eux se déclaraient satisfaits, voire très satisfaits de leur travail, soit un chiffre comparable à celui d’une étude antérieure (1986). Ces résultats se retrouvaient dans d’autres catégories de personnel soignant : une enquête (2) réalisée en 1992 sur une population de 5 000 personnes, non médecins, employées par des sociétés de gestion des dépenses de santé montra que les aidessoignants affichaient un taux de satisfaction élevé, lié à leur niveau de responsabilité, au travail en équipe, à la sécurité de l’emploi, au nombre d’heures travaillées, à l’encadrement et à la variété des tâches. Ils se montraient en revanche moins satisfaits de leur charge de travail et des opportunités de carrière proposées. Les personnels responsables des problèmes de dépendance (drogue et alcool… (4)) exprimaient le taux de satisfaction le plus élevé et les optométristes le plus faible. Les autres professionnels de la santé (psychiatres, conseillers, psychologues) se sont également montrés très satisfaits de leurs conditions d’exercice sous régime Managed Care. Mais avec l’arrivée à maturité du Managed Care, la plupart des enquêtes diligentées aux États-Unis ont révélé une dégradation de la satisfaction professionnelle des médecins. Ainsi, une étude (3) menée sous l’égide de l’Association médicale de Floride et de l’Association des médecins de Floride (Florida Physician Association) nous renseigne sur le degré de satisfaction des médecins américains sous environnement Managed Care. Les médecins sous contrat avec les HMO se montraient moins satisfaits de leurs revenus actuels et à venir, des possibilités de formation, du temps consacré aux patients, de la possibilité d’adresser un patient à un médecin spécialiste, de la liberté d’exercice de leur métier et de la qualité des soins délivrés que leurs homologues restés dans le régime traditionnel du paiement à l’acte (Fee-For-Service – FFS). Et comme le souligne une autre étude (4) réalisée dans l’État de Washington (5), des réformes sont 139 même ardemment souhaitées : 80 % des médecins se prononçaient en faveur d’une réforme du système actuel et 40 % en faveur d’un système de santé à payeur unique (single payer (6)). Leur principale revendication était la réduction du temps consacré aux tâches administratives (89 %). Les médecins des zones rurales, pourtant restées à l’écart du Managed Care, étaient également mécontents, comme le révèle une étude (5) conduite dans l’État du Minnesota (7) : si deux tiers des praticiens interrogés ont affirmé que le temps passé avec le patient n’avait pas diminué avec le Managed Care, 67 % considéraient que les sociétés de gestion des dépenses de santé ne pouvaient répondre aux attentes des populations locales. Les généralistes sous régime Managed Care étaient fréquemment confrontés à des conflits d’intérêt préjudiciables à l’assuré. Selon une étude menée en 1996 (6), si la majorité des médecins interrogés ont affirmé que la qualité des soins leur semblait compromise par la réduction de la durée de séjour à l’hôpital et par le principe du Gatekeeping, les femmes, de plus en plus nombreuses à embrasser la carrière médicale (8), jugeaient le Managed Care plus sévèrement que les hommes. Les médecins spécialistes affichent un mécontentement plus élevé encore. En rai675 questionnaires étaient utilisables. Chemical dependency conselors. (5) Près de 1 000 médecins de cet État acceptèrent de participer à cette étude conduite entre octobre et novembre 1993. (6) Dans ce cas, le gouvernement est la principale source de financement. C’est le cas du Canada : les fonds proviennent des différentes provinces, et l’employeur ne joue qu’un rôle limité dans le financement de l’offre de santé. (7) Un questionnaire fut envoyé à 798 médecins. Le taux de réponse fut de 35 % (281 répondants). (8) Alors qu’en 1980, 8 % des médecins en activité étaient des femmes, ce chiffre est passé à 25 % aujourd’hui. Ce pourcentage est plus élevé encore au sein des dernières promotions de médecins : près de la moitié des étudiants en médecine arrivés sur le marché au cours des cinq dernières années sont des femmes. (3) (4) vie profes Vie professionnelle son des restrictions apportées à l’accès direct aux soins de spécialité (9), le Managed Care risque d’entraîner une réduction du nombre des spécialistes, un phénomène qui touche plus particulièrement l’électrophysiologie (7), la cardiologie, la radiologie et la dermatologie. Ainsi, une première étude (8) a mesuré les changements observés dans la pratique médicale des cardiologues sous régime Managed Care. Réalisée au printemps 1993, elle portait sur un échantillon de 1 961 médecins (10) affiliés à l’American College of Cardiology. Parmi ceux-ci, 76 % avaient conclu un accord (11) avec une société de gestion des dépenses de santé de type HMO (Health Maintenance Organization) ou PPO (Preferred Provider Organization). Ceux qui n’avaient aucun lien avec des organismes de Managed Care justifiaient ce choix par leur crainte d’une détérioration de la qualité des soins (12). Plus de la moitié ont indiqué que le principe du Gatekeeping n’était pas adapté au traitement des urgences cardiaques. En revanche, le recours au formulaire n’avait pas modifié leur liberté de prescription. Une autre étude (9) consacrée aux radiologues révélait que l’intérêt qu’ils portaient à leur métier était plus faible sous le régime Managed Care. Des résultats plus favorables ont été observés en dermatologie (10) : si 70 % de l’activité des praticiens concernait des problèmes de santé bénins ou routiniers, 56 % d’entre eux souhaitaient être confrontés à des cas plus complexes. Le niveau de satisfaction des dermatologues, particulièrement élevé (13), était étroitement lié à leur capacité à donner des soins de qualité, à utiliser pleinement leurs connaissances et à en acquérir de nouvelles. Bien que 78 % des médecins dermatologues se soient prononcés en faveur d’un accès direct au patient, 60 % d’entre eux souhaitaient une participation plus importante des infirmières et des généralistes. Mais ces derniers ne se substitueront probablement pas aux dermatologues, comme les HMO le proposaient pourtant pour des raisons d’économies. En effet, pour que Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001 cette substitution se révèle sans danger pour le patient, les généralistes devraient d’abord approfondir leur formation en dermatologie. Enfin, les psychiatres affichent toujours un niveau de satisfaction professionnelle élevé. En effet, une enquête (11) menée auprès de 400 psychiatres indiqua que 75 % d’entre eux se déclaraient très satisfaits de l’exercice de leur profession. Ces difficultés concernent également le personnel soignant non médecin. En effet, si les principaux bénéficiaires du Managed Care sont les grands employeurs, les laboratoires pharmaceutiques et les actionnaires, le personnel hospitalier reste fragilisé. Un rappor t intitulé Critical Challenges – Revitalizing the Health Professions for the 21st Century de la fondation Pew Charitable Trust (1995) annonçait même la fermeture de près de la moitié des hôpitaux et le renvoi de 200 000 à 300 000 infirmières et de 40 000 pharmaciens. Dans le dessein de réaliser des économies, les HMO ont remplacé les infirmières expérimentées par des infirmières à niveau de formation plus faible, ce qui entraîne un risque pour le patient. Les contrats de type forfait (capitation) caractéristiques des organismes de Managed Care encouragent l’emploi d’auxiliaires de santé (Nurse Aids) dont le niveau de qualification, donc le coût, est plus faible. Le Managed Care s’est également traduit par une augmentation du nombre des tâches administratives (documents nécessaires à l’agrément des procédures médicales par les compagnies d’assurances notamment…). De plus, les infirmières qui gèrent un nombre plus élevé de patients ont été durement touchées par les opérations de restructuration hospitalière (downsizing) menées aux États-Unis et aussi au Canada. En 1996, une étude (12) portant sur 345 infirmières de trois hôpitaux de l’État d’Ontario évaluait leur degré de satisfaction professionnelle. Elle montrait que la restructuration de l’hôpital n’avait que très peu altéré leur degré de satisfaction, leur charge de travail et leurs conditions de 140 vie professionnelle. En revanche, les infirmières éprouvaient des inquiétudes quant à leur évolution de carrière, leur degré d’identification à l’employeur et l’évolution de leur relation avec leurs collègues. Les économies recherchées par les organismes de Managed Care ont quelquefois abouti à des excès préjudiciables aux patients (atteintes à la qualité des soins…) : certains États (dont la Californie) doivent aujourd’hui faire machine arrière et recruter massivement du personnel infirmier après l’avoir licencié en grand nombre ces dernières années. Contractualisation sélective et encadrement de la pratique médicale Les conditions de travail sont aussi devenues plus difficiles. Un signe de cette instabilité est à rechercher dans les phénomènes de contractualisation sélective et d’exclusion qui affectent les médecins des organismes de Managed Care. Sur ce sujet, 520 médecins basés à Alameda, Contra Costa, Fresno, Los Angeles, Orange, Riverside, Sacramento, San Bernardino, San Diego, San Francisco, San Mateo, Santa Clara et Solano Counties ont été interrogés dans le cadre d’une enquête (13) (14) consacrée à la fréquence des ruptures de contrat, aux caractéristiques des médecins confrontés à ces situations et aux conséquences de ces mêmes ruptures. L’étude (9) Obligation de passer par un médecin “porte d’entrée” (Gatekeeper). (10) Sur un total de 4 557 médecins qui ont reçu un questionnaire (soit un taux de réponse de 43 %). (11) Au moins. (12) Cette raison fut avancée par 51 % des médecins qui avaient refusé d’adhérer à la HMO et par 41 % de ceux qui ne souhaitaient pas être affiliés à une organisation de type PPO. (13) 88 % se sont déclarés satisfaits de leur pratique médicale. (14) L’État de Californie fut choisi pour mener à bien cette étude. En effet, c’est dans cet État que la pénétration du Managed Care est la plus importante et la plus ancienne aussi. sionnelle Vie professionnelle révèle que si les ruptures ou les refus de contrat étaient nombreux (15), le facteur qui permettait de prédire avec le plus de certitude la possibilité d’une rupture (ou d’un refus) de contrat de santé était la taille du cabinet médical (plus celle-ci était importante, plus le risque de rupture était faible), la spécialité médicale concernée (les médecins pédiatres affichaient le taux le plus faible de rupture ou de refus de contracter) et l’accréditation du praticien : ainsi, les médecins certifiés, ou board certified, avaient une probabilité deux fois plus importante d’être liés par contrat (au moins) à un organisme de Managed Care que les médecins non certifiés ou non board certified MD. Si les exclusions étaient surtout le fait des sociétés de HMO les moins expérimentées, des HMO de petite taille et de celles qui occupaient une part de marché faible (16), le motif le plus fréquemment avancé pour justifier cette décision était le nombre trop élevé de médecins dans la spécialité concernée. Le Managed Care n’a pas seulement détérioré la satisfaction professionnelle des médecins, il a également entraîné une dégradation de la relation entre le médecin et son patient. Sur ce sujet, une étude (14) portant sur 1 076 médecins américains précise l’origine des difficultés rencontrées dans la relation médecin-patient sous régime Managed Care : manque de confiance, dépression, difficultés de compréhension, mauvaise observance du traitement et exigences irréalistes de la part du patient. Les médecins, en particulier ceux des HMO, étaient plus souvent confrontés à ce type de problème, que les spécialistes et les médecins restés dans le système traditionnel de paiement à l’acte (Fee-For-Service). De plus, alors que la médecine américaine reposait sur une entente tacite entre le médecin et son patient pour déterminer le meilleur service possible, les accords qui lient les médecins aux sociétés de gestion des dépenses de santé sont quelquefois si forts qu’ils peuvent dissuader les médecins de donner au patient l’intégralité des soins dont celui-ci a besoin. L’autonomie décisionnelle du médecin n’est plus protégée. Le patient est d’autant plus vul- nérable qu’il est dans une situation d’asymétrie informationnelle et qu’il ne connaît pas la nature du contrat (donc les restrictions…) qui lie son médecin à la société de HMO. Une illustration de ces difficultés est à rechercher dans la gag rule (littéralement loi du bâillon), devenue le symbole de l’intrusion des organismes de Managed Care dans la relation médecin-patient. Parce qu’elle interdisait au médecin de discuter avec son patient des différents traitements possibles et de l’informer des arrangements financiers qui le lient à l’assureur, elle représentait une menace pour la confiance que le public accorde à la profession médicale. Celle-ci fut cependant abandonnée dans pratiquement tous les États américains. Des avancées ont été accomplies. Ainsi, à la fin de l’année 1999, United Health Group (Minnesota) décidait de laisser le dernier mot au médecin au sujet du traitement qu’il convient de choisir pour le patient. Cette décision, très favorablement accueillie par l’American Medical Association, devrait être suivie par d’autres HMO, d’autant que United Health Group est la deuxième société de Managed Care aux États-Unis après Aetna, avec 14,5 millions d’assurés. L’argument invoqué est que le contrôle de l’activité médicale lui coûte plus cher que les économies réalisées grâce au refus de certains traitements ou opérations. La liberté de choisir un médecin traitant est également revenue au centre des préoccupations des HMO. En effet, elle est toujours un critère important du choix d’un plan de santé. Son absence explique en partie l’échec du projet de réforme de la santé du président Clinton au début des années 1990. Les HMO ont pris conscience que les patients adhèrent en priorité aux plans de santé qui leur permettent de consulter un grand nombre de prestataires de soins et en particulier un fournisseur de soins extérieur à leur réseau (panel) de médecins habituels. Ainsi, l’American College of Surgeons a lancé une campagne nationale pour préserver le droit du patient à choisir son spécialiste, contrant ainsi le principe du Gatekeeping. Les organismes de Managed Care 141 ont pris acte de ces critiques affirmant, pour certains, qu’ils n’ont plus recours à ce principe et qu’ils offrent un accès rapide et facile à la médecine de spécialité. La pratique médicale des sociétés de gestion des dépenses de santé de type HMO diffère (17) de celle des assureurs traditionnels (15) : la plupart des HMO exigent du médecin qu’il se conforme à des directives cliniques (Guidelines). Et si la durée de la visite médicale est plus courte pour les patients sous régime Fee-For-Service, les consultations au sein de la société de gestion des dépenses de santé comportent davantage de prévention et proposent une gestion plus planifiée du traitement. Cependant, les médecins considèrent que les contrats au forfait (capitation) ont contribué à dégrader leur satisfaction professionnelle (16), la qualité de la relation médecin-patient et l’accès aux soins (17). Les HMO s’efforcent également de réduire la durée des séjours hospitaliers pour diminuer leurs coûts (18). De plus, le temps que les médecins consacrent au traitement des tâches administratives a augmenté. En effet, si les associations entre médecins et organismes de Managed Care fonctionnent sans grande difficulté, notamment lorsque les demandes d’autorisations concernent les procédures médicales les plus simples et les moins onéreuses, ce n’est plus vrai pour des opérations plus complexes. Ainsi, les médecins et les infirmières sont dans l’obligation de contacter la société de gestion des dépenses de santé pour la convaincre de financer certains soins. Cette barrière administrative est censée dissuader les médecins de demander des procédures trop onéreuses pour l’assureur. Cela influe également sur l’utilisation des (15) Étaient concernés 22 % des médecins qui participèrent à l’étude. (16) Inférieure à 10 %. (17) L’étude porta sur 82 consultations réalisées dans le système traditionnel du type Fee-for-Service et 72 consultations au sein d’une société de HMO. vie profes Vie professionnelle services hospitaliers : si les médecins se montrent plus efficaces dans l’utilisation et la consommation des ressources hospitalières, ils sont également plus nombreux à compenser le bas niveau des remboursements des patients sous régime Managed Care par une augmentation de la consommation de services hospitaliers (examens, consultations…) chez les autres catégories de patients, notamment ceux dont la santé est gérée par un assureur traditionnel (19). Conclusion Si ces travaux ont révélé quelques-uns des éléments de mécontentement du personnel soignant américain dans l’environnement Managed Care, ils sont aussi riches d’enseignement pour les pays européens qui souhaiteraient mettre en place des dispositifs proches de ceux issus de l’expérience américaine. En effet, ils soulignent les limites mêmes de l’introduction du Managed Care dans la pratique médicale et la nécessité de prévoir des garde-fous afin de limiter les excès du Managed Care qui non seulement a eu un impact négatif sur le degré de satisfaction professionnelle du praticien mais a aussi contribué à rendre plus difficile la relation de celui-ci avec son patient. Certains praticiens, obligés de réaliser des consultations à la chaîne, sont moins motivés par leur métier alors que la qualité de la relation entre le médecin et son patient en est un des aspects les plus gratifiants. Certains médecins changent de carrière et se tournent aujourd’hui vers la recherche ou l’entreprise en raison de ces difficultés. Références 1. Scheckler WE, Schulz R, Moberg P. Physician satisfaction with the development of HMOs in Dane county : 1983-1993. Wis Med J 1994 ; 93(8) : 444-6. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001 2. Freeborn DK, Hooker RS. Satisfaction of physician assistants and other nonphysician providers in a managed care setting. Public Health rep 1995 ; 110(6) : 714-9. 3. Ahern M. Survey of Florida physicians. Charactéristics and satisfaction. J Fla Med assoc 1993 ; 80(11) : 752-7. 4. Malter AD, Emerson LL, Krieger JW. Attitudes of Washington State physicians toward health care reform. West J Med 1994 ; 161(1) : 29-33. 5. Wenworth K, Crabtree J, Mitchell J, Boulger J. Managed Care in rural Minnesota. Family physicians attitudes and perception. Minn Med 1998 ; 81(6) : 39-44. 6. Feldman DS, Novack DH, Gracely E. Effects of managed care on physician-patient relationships, quality of care, and the ethical practice of medicine : a physician survey. Arch Intern Med 1998 ; 158(15) : 1626-32. 7. Cannom DS, Ruggio J. Specialty care at the crossroads : electrophysiology practice in the managed-care era. Good Samaritan Hospital, Los Angeles, CA, USA. Prog Cardiovasc Dis 1996 ; 38(5) : 401-6. 8. DeMaria AN, Engle MA, Harrison DC et al. Managed Care involvement by cardiovascular specialists : prevalence, attitudes and influence on practice. J Am coll Cardiol 1994 ; 23(5) : 1245-53. 9. Deitch CH, Chan WC, Sunshine JH, Shaffer KA. Profile of US radiologists at middecade : overview of findings from the 1995 survey of radiologists. Radiology 1997 ; 202(1) : 69-77. 10. Weinberg DJ, Engasser PG. Dermatologists in Kaiser Permanente-northern California. Satisfaction, perceived constraints, and policy options. Arch Dermatol 1996 ; 132(9) : 1057-63. 11. De Lisa JA, Kirshblum S, Jain SS et al. Practice and career satisfaction among psychiatrists. A national survey. Am J Phys Med Rehabil 1997 ; 76(2) : 90-101. 12. Armstrong Stassen M, Cameron SJ, Horsburg ME. The Impact of organizational downsizing on the job satisfaction of nurses. Canadian Journal of Nursing Administration 1996 ; 9(4) : 8-32. 13. Bindman AB, Grumbach K, Vranizan K et al. Selection and exclusion of primary care physicians by managed care organizations. JAMA 1998 ; 279(9) : 675-9. 14. Levison W, Stiles WB, Inui TS, Engle R. Physician frustration in communicating with patient. Good Samaritan Hospital and Medical center, Portland, OR 97210. Med Care 1993 ; 31(4) : 285-95. 15. Callahan EJ, Bertakis KD. A comparison of physician-patient interaction at Fee-For-Service and HMO sites. Fam Pract Res J 1993 ; 13(2) : 171-8. 16. Tyrance PH Jr, Sims S, Ma’luf N et al. Capitation and its effects on physician satisfaction. Cost Qual Q J 1999 ; 5(1) : 12-8. 17. Cykert S, Hansen C, Layson R, Joines J. Primary care physicians and capitated reimbursement. Experience, attitudes and predictors. J Gen Intern Med 1997 ; 12(3) : 192-4. 18. Miller RH, Luft H. Managed Care plan Performance since 1980 : a literature analysis. JAMA 1994 ; 271(19) : 1512-9. 19. Van Horn RL, Burns LR, Wholey DR. The impact of physician involvement in managed care on efficient use in hospital resources. Med Care 1997 ; 35(9) : 873-89. Résumé… Résumé… L’étude porte sur le degré de satisfaction des médecins des professions de santé aux États-Unis. Elle met en avant quelques-uns des facteurs de mécontentement de la profession médicale tant dans l’organisation des soins que dans la liberté de soigner. Si toutes les études ne révèlent pas un mécontentement général du personnel soignant, l’expérience américaine du Managed Care s’est accompagnée d’une dégradation de la relation entre le médecin et son patient. Cependant, il est encore trop tôt pour dire si la dégradation de la satisfaction professionnelle du personnel soignant risque de se traduire par une diminution de la qualité des soins délivrés aux patients. Mots Clés. Managed Care – HMO – Médecin – Satisfaction. 142