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vie profes
Vie professionnelle
Expériences américaines du Managed Care
et satisfaction professionnelle du personnel soignant
D. Simonet*
Le Managed Care :
les faits stylisés
C
1985, 8,9 % en 1980 et
7,1 % en 1970. Dans cette
perspective, les organismes
de Managed Care ont élaboré des dispositifs de gestion et de rationnement des
soins, dispositifs qui
incluent le recours à un
réseau limité de fournisseurs, la mise en place de
mécanismes du type utilization review, qui autorisent le
réexamen des soins afin de s’assurer qu’ils
sont bien nécessaires et appropriés, et l’utilisation d’un médecin porte d’entrée (Gatekeeper) : celui-ci décide si le patient doit ou
non consulter un médecin spécialiste ou s’il
nécessite des soins additionnels et non routiniers. D’autres dispositifs de contrôle existent également. Ainsi, lorsque les sociétés de
gestion des dépenses de santé de type HMO
ont recours au principe du withholding, elles
opèrent un transfert partiel du risque financier en retenant pour elles une part des paiements versés au fournisseur de soins sur une
période donnée. À la fin de cette période, des
comparaisons ont lieu par rapport à un objectif fixé initialement. Si les dépenses sont inférieures à l’objectif, les sommes retenues sont
alors reversées aux fournisseurs de soins. De
plus, sous l’effet de la concurrence entre
HMO, celles-ci ont été contraintes d’abaisser le coût de leurs prestations pour séduire
de nouveaux adhérents. De ce fait, les cotisations d’assurances maladie de grands
employeurs se sont ralenties à partir du milieu
des années 1990, alors qu’elles connaissaient
une progression soutenue au début de cette
omme les autres pays occidentaux, les États-Unis sont
depuis 40 ans confrontés à une hausse des
dépenses de santé, non seulement liée au progrès des technologies médicales et au vieillissement de la population,
mais aussi au fait qu'un nombre croissant d'individus sont
couverts par une assurance santé, que celle-ci soit proposée par leur employeur ou par l’État.
Au début des années 1970,
l’administration
Nixon
tenta de contenir la hausse
des coûts de santé avec
l’adoption, en 1973, par le
congrès des principaux
textes de loi régissant les
droits et les obligations des
Health Maintenance Organizations (HMO)
et en particulier l’HMO Act amendé en 1976.
Parmi les dispositions légales prises par le
gouvernement américain en faveur de ces
organismes d’assurance, citons l’obligation
faite à tout employeur dirigeant une entreprise de plus de 25 salariés de proposer à son
personnel une HMO en plus d’une assurance
conventionnelle. C’est dans cet environnement favorable que les HMO se sont engagées à offrir des prestations à une population
définie en échange d’une somme fixe payée
à l’avance par l’assureur (contrat Capitation).
Les stratégies de réduction des coûts des
entreprises de Managed Care ont rapidement
retenu l’attention des hommes politiques et
des employeurs qui ont décidé de se tourner
massivement vers ces sociétés pour gérer la
santé de leurs employés. Cela s’est produit
au détriment des assureurs traditionnels qui
fonctionnaient selon le régime du paiement
à l’acte (régime Fee-For-Service).
Mais le succès du Managed Care ne fut au
rendez-vous que beaucoup plus tardivement,
dans la seconde moitié des années 1980. Les
adhésions aux HMO ont augmenté de 9 %
* ESCP, docteur en gestion.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001
par an au cours de cette décennie et cette
croissance s’est poursuivie au début des
années 1990 (1). Dès 1994, les sociétés de gestion des dépenses de santé offraient leurs services à 50 millions de personnes, versus
40 millions d’Américains en 1990 (2), 19 millions à la fin de 1985 et 15,2 millions en 1984.
En 1995, 65 % des employés et leur famille
étaient sous régime Managed Care versus
40 % en 1993. Des formules plus flexibles
comme les programmes de type POS (Point
of Service), qui accordent au patient la possibilité de consulter un médecin non affilié à
la HMO pour des soins particuliers, ont également fait leur apparition, suivies des Individual Practice Associations (IPA) dans lesquelles les médecins continuent à recevoir
des patients dans leur propre cabinet médical tout en étant rémunérés à l’acte par la
HMO.
Cependant, les promoteurs d’un système de
santé du type Managed Care ont dû admettre
que la préoccupation majeure de ces organismes est passée de la qualité des soins à
leurs coûts, qui ont été bien maîtrisés à partir de 1991 et 1992 après un dérapage très fort
dans les années 1980. En effet, le pourcentage annuel des dépenses de santé par rapport au PNB fut de 13,6 % en 1995, versus
13,4 % en 1992, 12,1 % en 1990, 10,2 % en
138
Entre 1980 et 1992.
Soit 20 % de la population assurée, non
retraitée.
(1)
(2)
sionnelle
Vie professionnelle
décennie. En 1995, celles-ci ont augmenté
pour la première fois moins vite que l’indice
général de l’inflation.
Mais dès la seconde moitié des années 1990,
les HMO doivent affronter de nombreuses
critiques qui émanent aussi bien des associations de consommateurs que des praticiens
eux-mêmes. C’est sur ces derniers acteurs de
la santé que nous allons concentrer notre
attention. Ces critiques ont fragilisé la légitimité des organismes de Managed Care dans
l’offre de santé américaine et réduit les possibilités de voir apparaître un système de
santé comparable en Europe.
Managed Care et pratique
médicale : le mécontentement
croissant des médecins
C’est au cours des années 1990 que les praticiens ont massivement rejoint les rangs des
HMO. En effet, près de 8 médecins sur 10
sont aujourd’hui intégrés dans une forme ou
une autre d’organisme de Managed Care
versus 1 sur 10 en 1990. Au début des
années 1990, les opportunités de travail proposées par les HMO étaient particulièrement attractives. Les médecins qui rejoignaient les rangs des HMO en retiraient un
certain nombre d’avantages : les salaires n’y
étaient pas plus faibles que dans le système
de santé traditionnel avec paiement à l’acte ;
de plus, ils pouvaient continuer d’exercer
dans un cabinet de médecine indépendant
tout en étant partenaires d’HMO. Ces dernières facilitaient également la collecte de
leurs honoraires auprès des employeurs. En
outre, les médecins des HMO peuvent exercer leur activité avec plus de régularité car
elles offrent des horaires stables. Enfin, les
médecins pouvaient difficilement refuser de
rejoindre les organismes de Managed Care
car ils connaissaient alors une situation de
sous-emploi. Au début des années 1990, ils
se montraient même très satisfaits de leurs
conditions de travail dans ce nouvel environnement. Ainsi, une étude (1) réalisée en
1993 sur un échantillon de 1 196 médecins (3)
employés par des HMO révéla que 65 %
d’entre eux se déclaraient satisfaits, voire
très satisfaits de leur travail, soit un chiffre
comparable à celui d’une étude antérieure
(1986). Ces résultats se retrouvaient dans
d’autres catégories de personnel soignant :
une enquête (2) réalisée en 1992 sur une
population de 5 000 personnes, non médecins, employées par des sociétés de gestion
des dépenses de santé montra que les aidessoignants affichaient un taux de satisfaction
élevé, lié à leur niveau de responsabilité, au
travail en équipe, à la sécurité de l’emploi,
au nombre d’heures travaillées, à l’encadrement et à la variété des tâches. Ils se montraient en revanche moins satisfaits de leur
charge de travail et des opportunités de carrière proposées. Les personnels responsables des problèmes de dépendance
(drogue et alcool… (4)) exprimaient le taux
de satisfaction le plus élevé et les optométristes le plus faible. Les autres professionnels de la santé (psychiatres, conseillers,
psychologues) se sont également montrés
très satisfaits de leurs conditions d’exercice
sous régime Managed Care.
Mais avec l’arrivée à maturité du Managed
Care, la plupart des enquêtes diligentées aux
États-Unis ont révélé une dégradation de la
satisfaction professionnelle des médecins.
Ainsi, une étude (3) menée sous l’égide de
l’Association médicale de Floride et de
l’Association des médecins de Floride (Florida Physician Association) nous renseigne
sur le degré de satisfaction des médecins
américains sous environnement Managed
Care. Les médecins sous contrat avec les
HMO se montraient moins satisfaits de leurs
revenus actuels et à venir, des possibilités
de formation, du temps consacré aux
patients, de la possibilité d’adresser un
patient à un médecin spécialiste, de la liberté
d’exercice de leur métier et de la qualité des
soins délivrés que leurs homologues restés
dans le régime traditionnel du paiement à
l’acte (Fee-For-Service – FFS). Et comme
le souligne une autre étude (4) réalisée dans
l’État de Washington (5), des réformes sont
139
même ardemment souhaitées : 80 % des
médecins se prononçaient en faveur d’une
réforme du système actuel et 40 % en faveur
d’un système de santé à payeur unique
(single payer (6)). Leur principale revendication était la réduction du temps consacré
aux tâches administratives (89 %). Les
médecins des zones rurales, pourtant restées
à l’écart du Managed Care, étaient également mécontents, comme le révèle une
étude (5) conduite dans l’État du Minnesota (7) : si deux tiers des praticiens interrogés ont affirmé que le temps passé avec le
patient n’avait pas diminué avec le Managed Care, 67 % considéraient que les sociétés de gestion des dépenses de santé ne pouvaient répondre aux attentes des populations
locales. Les généralistes sous régime Managed Care étaient fréquemment confrontés à
des conflits d’intérêt préjudiciables à l’assuré. Selon une étude menée en 1996 (6), si
la majorité des médecins interrogés ont
affirmé que la qualité des soins leur semblait compromise par la réduction de la
durée de séjour à l’hôpital et par le principe
du Gatekeeping, les femmes, de plus en plus
nombreuses à embrasser la carrière médicale (8), jugeaient le Managed Care plus
sévèrement que les hommes.
Les médecins spécialistes affichent un
mécontentement plus élevé encore. En rai675 questionnaires étaient utilisables.
Chemical dependency conselors.
(5)
Près de 1 000 médecins de cet État
acceptèrent de participer à cette étude
conduite entre octobre et novembre 1993.
(6)
Dans ce cas, le gouvernement est la principale source de financement. C’est le cas du
Canada : les fonds proviennent des différentes
provinces, et l’employeur ne joue qu’un rôle
limité dans le financement de l’offre de santé.
(7)
Un questionnaire fut envoyé à 798 médecins.
Le taux de réponse fut de 35 % (281 répondants).
(8)
Alors qu’en 1980, 8 % des médecins en activité
étaient des femmes, ce chiffre est passé à 25 %
aujourd’hui. Ce pourcentage est plus élevé encore
au sein des dernières promotions de médecins :
près de la moitié des étudiants en médecine arrivés sur le marché au cours des cinq dernières
années sont des femmes.
(3)
(4)
vie profes
Vie professionnelle
son des restrictions apportées à l’accès
direct aux soins de spécialité (9), le Managed Care risque d’entraîner une réduction
du nombre des spécialistes, un phénomène
qui touche plus particulièrement l’électrophysiologie (7), la cardiologie, la radiologie et la dermatologie. Ainsi, une première
étude (8) a mesuré les changements observés dans la pratique médicale des cardiologues sous régime Managed Care. Réalisée au printemps 1993, elle portait sur un
échantillon de 1 961 médecins (10) affiliés à
l’American College of Cardiology. Parmi
ceux-ci, 76 % avaient conclu un accord (11)
avec une société de gestion des dépenses de
santé de type HMO (Health Maintenance
Organization) ou PPO (Preferred Provider
Organization). Ceux qui n’avaient aucun
lien avec des organismes de Managed Care
justifiaient ce choix par leur crainte d’une
détérioration de la qualité des soins (12). Plus
de la moitié ont indiqué que le principe du
Gatekeeping n’était pas adapté au traitement des urgences cardiaques. En revanche,
le recours au formulaire n’avait pas modifié leur liberté de prescription. Une autre
étude (9) consacrée aux radiologues révélait que l’intérêt qu’ils portaient à leur
métier était plus faible sous le régime
Managed Care. Des résultats plus favorables ont été observés en dermatologie
(10) : si 70 % de l’activité des praticiens
concernait des problèmes de santé bénins
ou routiniers, 56 % d’entre eux souhaitaient
être confrontés à des cas plus complexes.
Le niveau de satisfaction des dermatologues, particulièrement élevé (13), était étroitement lié à leur capacité à donner des soins
de qualité, à utiliser pleinement leurs
connaissances et à en acquérir de nouvelles.
Bien que 78 % des médecins dermatologues se soient prononcés en faveur d’un
accès direct au patient, 60 % d’entre eux
souhaitaient une participation plus importante des infirmières et des généralistes.
Mais ces derniers ne se substitueront probablement pas aux dermatologues, comme
les HMO le proposaient pourtant pour des
raisons d’économies. En effet, pour que
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 4, avril 2001
cette substitution se révèle sans danger
pour le patient, les généralistes devraient
d’abord approfondir leur formation en dermatologie. Enfin, les psychiatres affichent
toujours un niveau de satisfaction professionnelle élevé. En effet, une enquête (11)
menée auprès de 400 psychiatres indiqua
que 75 % d’entre eux se déclaraient très
satisfaits de l’exercice de leur profession.
Ces difficultés concernent également le
personnel soignant non médecin. En effet,
si les principaux bénéficiaires du Managed
Care sont les grands employeurs, les laboratoires pharmaceutiques et les actionnaires, le personnel hospitalier reste fragilisé. Un rappor t intitulé Critical
Challenges – Revitalizing the Health Professions for the 21st Century de la fondation
Pew Charitable Trust (1995) annonçait
même la fermeture de près de la moitié des
hôpitaux et le renvoi de 200 000 à
300 000 infirmières et de 40 000 pharmaciens. Dans le dessein de réaliser des économies, les HMO ont remplacé les infirmières expérimentées par des infirmières à
niveau de formation plus faible, ce qui
entraîne un risque pour le patient. Les
contrats de type forfait (capitation) caractéristiques des organismes de Managed
Care encouragent l’emploi d’auxiliaires de
santé (Nurse Aids) dont le niveau de qualification, donc le coût, est plus faible. Le
Managed Care s’est également traduit par
une augmentation du nombre des tâches
administratives (documents nécessaires à
l’agrément des procédures médicales par
les compagnies d’assurances notamment…). De plus, les infirmières qui gèrent
un nombre plus élevé de patients ont été
durement touchées par les opérations de
restructuration hospitalière (downsizing)
menées aux États-Unis et aussi au Canada.
En 1996, une étude (12) portant sur
345 infirmières de trois hôpitaux de l’État d’Ontario évaluait leur degré de satisfaction professionnelle. Elle montrait que
la restructuration de l’hôpital n’avait que
très peu altéré leur degré de satisfaction,
leur charge de travail et leurs conditions de
140
vie professionnelle. En revanche, les infirmières éprouvaient des inquiétudes quant à
leur évolution de carrière, leur degré d’identification à l’employeur et l’évolution de
leur relation avec leurs collègues. Les économies recherchées par les organismes de
Managed Care ont quelquefois abouti à des
excès préjudiciables aux patients (atteintes
à la qualité des soins…) : certains États (dont
la Californie) doivent aujourd’hui faire
machine arrière et recruter massivement du
personnel infirmier après l’avoir licencié en
grand nombre ces dernières années.
Contractualisation sélective
et encadrement
de la pratique médicale
Les conditions de travail sont aussi devenues
plus difficiles. Un signe de cette instabilité
est à rechercher dans les phénomènes de
contractualisation sélective et d’exclusion qui
affectent les médecins des organismes de
Managed Care. Sur ce sujet, 520 médecins
basés à Alameda, Contra Costa, Fresno, Los
Angeles, Orange, Riverside, Sacramento,
San Bernardino, San Diego, San Francisco,
San Mateo, Santa Clara et Solano Counties
ont été interrogés dans le cadre d’une enquête
(13) (14) consacrée à la fréquence des ruptures
de contrat, aux caractéristiques des médecins
confrontés à ces situations et aux conséquences de ces mêmes ruptures. L’étude
(9)
Obligation de passer par un médecin “porte
d’entrée” (Gatekeeper).
(10)
Sur un total de 4 557 médecins qui ont reçu un
questionnaire (soit un taux de réponse de 43 %).
(11)
Au moins.
(12)
Cette raison fut avancée par 51 % des
médecins qui avaient refusé d’adhérer à la
HMO et par 41 % de ceux qui ne souhaitaient
pas être affiliés à une organisation de type PPO.
(13)
88 % se sont déclarés satisfaits de leur pratique médicale.
(14)
L’État de Californie fut choisi pour mener à
bien cette étude. En effet, c’est dans cet État
que la pénétration du Managed Care est la
plus importante et la plus ancienne aussi.
sionnelle
Vie professionnelle
révèle que si les ruptures ou les refus de
contrat étaient nombreux (15), le facteur qui
permettait de prédire avec le plus de certitude
la possibilité d’une rupture (ou d’un refus)
de contrat de santé était la taille du cabinet
médical (plus celle-ci était importante, plus
le risque de rupture était faible), la spécialité
médicale concernée (les médecins pédiatres
affichaient le taux le plus faible de rupture ou
de refus de contracter) et l’accréditation du
praticien : ainsi, les médecins certifiés, ou
board certified, avaient une probabilité deux
fois plus importante d’être liés par contrat (au
moins) à un organisme de Managed Care
que les médecins non certifiés ou non board
certified MD. Si les exclusions étaient surtout le fait des sociétés de HMO les moins
expérimentées, des HMO de petite taille et
de celles qui occupaient une part de marché
faible (16), le motif le plus fréquemment avancé
pour justifier cette décision était le nombre
trop élevé de médecins dans la spécialité
concernée.
Le Managed Care n’a pas seulement détérioré la satisfaction professionnelle des médecins, il a également entraîné une dégradation
de la relation entre le médecin et son patient.
Sur ce sujet, une étude (14) portant sur
1 076 médecins américains précise l’origine
des difficultés rencontrées dans la relation
médecin-patient sous régime Managed Care :
manque de confiance, dépression, difficultés
de compréhension, mauvaise observance du
traitement et exigences irréalistes de la part
du patient. Les médecins, en particulier ceux
des HMO, étaient plus souvent confrontés à
ce type de problème, que les spécialistes et les
médecins restés dans le système traditionnel
de paiement à l’acte (Fee-For-Service). De
plus, alors que la médecine américaine reposait sur une entente tacite entre le médecin et
son patient pour déterminer le meilleur service possible, les accords qui lient les médecins aux sociétés de gestion des dépenses de
santé sont quelquefois si forts qu’ils peuvent
dissuader les médecins de donner au patient
l’intégralité des soins dont celui-ci a besoin.
L’autonomie décisionnelle du médecin n’est
plus protégée. Le patient est d’autant plus vul-
nérable qu’il est dans une situation d’asymétrie informationnelle et qu’il ne connaît pas la
nature du contrat (donc les restrictions…) qui
lie son médecin à la société de HMO. Une
illustration de ces difficultés est à rechercher
dans la gag rule (littéralement loi du bâillon),
devenue le symbole de l’intrusion des organismes de Managed Care dans la relation
médecin-patient. Parce qu’elle interdisait au
médecin de discuter avec son patient des différents traitements possibles et de l’informer
des arrangements financiers qui le lient à l’assureur, elle représentait une menace pour la
confiance que le public accorde à la profession médicale. Celle-ci fut cependant abandonnée dans pratiquement tous les États américains.
Des avancées ont été accomplies. Ainsi, à la
fin de l’année 1999, United Health Group
(Minnesota) décidait de laisser le dernier mot
au médecin au sujet du traitement qu’il
convient de choisir pour le patient. Cette décision, très favorablement accueillie par l’American Medical Association, devrait être suivie par d’autres HMO, d’autant que United
Health Group est la deuxième société de
Managed Care aux États-Unis après Aetna,
avec 14,5 millions d’assurés. L’argument
invoqué est que le contrôle de l’activité médicale lui coûte plus cher que les économies
réalisées grâce au refus de certains traitements ou opérations. La liberté de choisir un
médecin traitant est également revenue au
centre des préoccupations des HMO. En
effet, elle est toujours un critère important du
choix d’un plan de santé. Son absence
explique en partie l’échec du projet de
réforme de la santé du président Clinton au
début des années 1990. Les HMO ont pris
conscience que les patients adhèrent en priorité aux plans de santé qui leur permettent de
consulter un grand nombre de prestataires de
soins et en particulier un fournisseur de soins
extérieur à leur réseau (panel) de médecins
habituels. Ainsi, l’American College of Surgeons a lancé une campagne nationale pour
préserver le droit du patient à choisir son spécialiste, contrant ainsi le principe du Gatekeeping. Les organismes de Managed Care
141
ont pris acte de ces critiques affirmant, pour
certains, qu’ils n’ont plus recours à ce principe et qu’ils offrent un accès rapide et facile
à la médecine de spécialité.
La pratique médicale des sociétés de gestion des dépenses de santé de type HMO
diffère (17) de celle des assureurs traditionnels (15) : la plupart des HMO exigent du
médecin qu’il se conforme à des directives
cliniques (Guidelines). Et si la durée de la
visite médicale est plus courte pour les
patients sous régime Fee-For-Service, les
consultations au sein de la société de gestion des dépenses de santé comportent
davantage de prévention et proposent une
gestion plus planifiée du traitement.
Cependant, les médecins considèrent que
les contrats au forfait (capitation) ont
contribué à dégrader leur satisfaction professionnelle (16), la qualité de la relation
médecin-patient et l’accès aux soins (17).
Les HMO s’efforcent également de
réduire la durée des séjours hospitaliers
pour diminuer leurs coûts (18). De plus, le
temps que les médecins consacrent au traitement des tâches administratives a augmenté. En effet, si les associations entre
médecins et organismes de Managed Care
fonctionnent sans grande difficulté,
notamment lorsque les demandes d’autorisations concernent les procédures médicales les plus simples et les moins onéreuses, ce n’est plus vrai pour des
opérations plus complexes. Ainsi, les
médecins et les infirmières sont dans
l’obligation de contacter la société de gestion des dépenses de santé pour la
convaincre de financer certains soins.
Cette barrière administrative est censée
dissuader les médecins de demander des
procédures trop onéreuses pour l’assureur.
Cela influe également sur l’utilisation des
(15)
Étaient concernés 22 % des médecins
qui participèrent à l’étude.
(16)
Inférieure à 10 %.
(17)
L’étude porta sur 82 consultations
réalisées dans le système traditionnel du type
Fee-for-Service et 72 consultations
au sein d’une société de HMO.
vie profes
Vie professionnelle
services hospitaliers : si les médecins se
montrent plus efficaces dans l’utilisation
et la consommation des ressources hospitalières, ils sont également plus nombreux
à compenser le bas niveau des remboursements des patients sous régime Managed Care par une augmentation de la
consommation de services hospitaliers
(examens, consultations…) chez les autres
catégories de patients, notamment ceux
dont la santé est gérée par un assureur traditionnel (19).
Conclusion
Si ces travaux ont révélé quelques-uns des
éléments de mécontentement du personnel soignant américain dans l’environnement Managed Care, ils sont aussi riches
d’enseignement pour les pays européens
qui souhaiteraient mettre en place des dispositifs proches de ceux issus de l’expérience américaine. En effet, ils soulignent
les limites mêmes de l’introduction du
Managed Care dans la pratique médicale
et la nécessité de prévoir des garde-fous
afin de limiter les excès du Managed Care
qui non seulement a eu un impact négatif
sur le degré de satisfaction professionnelle
du praticien mais a aussi contribué à
rendre plus difficile la relation de celui-ci
avec son patient. Certains praticiens, obligés de réaliser des consultations à la
chaîne, sont moins motivés par leur métier
alors que la qualité de la relation entre le
médecin et son patient en est un des
aspects les plus gratifiants. Certains médecins changent de carrière et se tournent
aujourd’hui vers la recherche ou l’entreprise en raison de ces difficultés.
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Résumé… Résumé…
L’étude porte sur le degré de satisfaction des médecins des professions de
santé aux États-Unis. Elle met en avant quelques-uns des facteurs de mécontentement de la profession médicale tant dans l’organisation des soins que
dans la liberté de soigner. Si toutes les études ne révèlent pas un mécontentement général du personnel soignant, l’expérience américaine du Managed
Care s’est accompagnée d’une dégradation de la relation entre le médecin et
son patient. Cependant, il est encore trop tôt pour dire si la dégradation de
la satisfaction professionnelle du personnel soignant risque de se traduire par
une diminution de la qualité des soins délivrés aux patients.
Mots Clés. Managed Care – HMO – Médecin – Satisfaction.
142
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