M I S E A U P O I N T Immunothérapies du lupus systémique : innovations et perspectives Immunotherapy of systemic lupus erythematosus ! J. Sibilia* Mots-clés : Lupus - Traitements - Biothérapie Immunothérapie. Keywords : Lupus - Treatments - Biotherapy - Immunotherapy. L e traitement du lupus repose classiquement sur les corticoïdes et les immunomodulateurs conventionnels. Ces médicaments ont l’avantage, mais aussi l’inconvénient, d’agir de façon non spécifique sur de multiples cibles de la cascade inflammatoire. Des progrès importants ont été faits pour améliorer leur utilisation et pour évaluer l’intérêt des différentes molécules issues de l’expérience de la greffe et du traitement des syndromes lymphoprolifératifs. Depuis quelques années, une meilleure connaissance de l’immunopathologie du lupus a permis une véritable explosion de nouveaux traitements “biologiques”. L’espoir est non seulement d’agir plus spécifiquement, mais surtout de réduire les effets indésirables. Cette nouvelle “palette” de biothérapies va enrichir l’arsenal thérapeutique. Cela pourra permettre d’avoir des médicaments dont le spectre d’action sera plus “étroit”, mais qui seront capable de traiter certaines complications. Ainsi, dans l’avenir, la stratégie thérapeutique du lupus pourrait s’organiser autour de trois axes principaux : 1. un traitement “de fond” immunomodulateur caractérisé par un rapport bénéfice/risque intéressant, permettant une utilisation prolongée ; 2. des traitements d’appoint “ciblés” permettant de traiter les complications (cytopénie, néphropathie...), en évitant l’utilisation répétée d’immunosuppresseurs et/ou de fortes doses de corticoïdes ; 3. une prise en charge précoce et, si possible, une prévention de la morbidité liée en particulier au risque cardiovasculaire et au risque osseux ostéoporotique. Ce type de traitement “personnalisé” est probablement plus adapté à l’expression polymorphe du lupus. * Service de rhumatologie, CHU, 67098 Strasbourg. La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 LES IMMUNOSUPPRESSEURS ET IMMUNOMODULATEURS CLASSIQUES : QUELQUES DONNÉES D’ACTUALITÉ (tableau I) Le cyclophosphamide (Endoxan®) Le cyclophosphamide reste un traitement de référence dans les complications sévères du lupus (1). La toxicité des doses cumulatives a justifié de nouvelles études, notamment dans les atteintes rénales. Dans une étude prospective multicentrique (Euro-Lupus), 90 néphropathies lupiques (prolifératives diffuses) ont été traitées par de fortes doses “classiques” ou des doses plus faibles de cyclophosphamide (2). Tous les patients ont reçu 3 bolus de 750 mg de méthylprednisolone avec une corticothérapie de relais à dose initiale de 0,5 mg/kg/j. Cette corticothérapie dégressive a été maintenue pendant 30 mois à dose faible. Dans le groupe forte dose, 8 bolus de cyclophosphamide (0,5 à 0,7 g/m2 [max 1,5 g/bolus]) ont été administrés en 12 mois. Le groupe faible dose a été traité par 6 bolus de 500 mg de cyclophosphamide en 3 mois. Dans les deux groupes, un relais par azathioprine (2 mg/kg/j) était instauré 15 jours après le dernier bolus. Après un suivi de 41,3 mois en moyenne, les taux de rémission (71 % dans le groupe faible dose versus 54 % dans le groupe forte dose [NS]) et de rechute rénale (27 % dans le groupe faible dose versus 29 % dans le groupe forte dose) sont comparables dans les deux groupes. Le nombre d’infections sévères était deux fois plus important (10/45) dans le groupe forte dose que dans le groupe faible dose (5/44). Il n’y a pas eu de décès. Ainsi, des doses plus faibles et mieux tolérées de cyclophosphamide pourraient être utilisées pour le traitement d’induction des néphropathies lupiques sévères. Néanmoins, la dose minimale efficace et la procédure thérapeutique de relais restent à discuter. Pour permettre l’utilisation de fortes doses de cyclophosphamide (200 mg/kg), une stratégie de traitement immuno-ablatif, comparable à celle utilisée dans les lymphoproliférations malignes, a été proposée dans les lupus particulièrement sévères. Différents protocoles thérapeutiques, combinant de fortes doses de cyclophosphamide avec éventuellement une irradiation lymphoïde totale et/ou un traitement antilymphocytaire suivi d’une autogreffe de cellules souches (avec ou sans sélection anti23 M I S E A U P O I N T CD34), ont été proposés. Dans la plupart des cas, cette procédure a permis une rémission assez prolongée (3). Dans les registres de l’EBMT (European Group for Blood and Marrow Transplantation) et l’EULAR (European League Against Rheumatism) en 2001, 23 lupus ont bénéficié d’une chimiothérapie immuno-ablative suivie d’une autogreffe de cellules souches. Parmi ces patients, 14 ont été considérés en rémission après un suivi moyen de 14 mois, mais 3 sont décédés pendant la procédure thérapeutique. Récemment, l’expérience d’un groupe américain, qui a “greffé” depuis 1996 15 lupus particulièrement sévères, a démontré une plus faible morbidité et l’absence de mortalité liée à la procédure. Parmi 12 patients suivis plus d’un an après la greffe, 10 n’ont plus d’immunosuppresseur et seuls 2 ont rechuté (3). Pour évaluer l’intérêt de cette stratégie, un suivi est nécessaire pour déterminer les risques mais aussi la fréquence des récidives, qui surviennent assez souvent dans les deux à trois ans après le traitement, comme cela a été décrit dans des observations récentes (4). L’utilisation de fortes doses de cyclophosphamide (50 mg/kg/j pendant 4 jours), combiné à des facteurs de croissance (G-CSF 5 µg/kg/j) mais sans greffe de cellules souches, a été évaluée chez 6 patients souffrant d’un lupus sévère et rebelle. Cette procédure a permis d’obtenir une rémission complète chez 4 d’entre eux. Cette expérience préliminaire a été complétée par une autre étude ouverte de 14 lupus traités de façon comparable et suivis 4 ans. Il n’y a pas eu de décès, et cette stratégie a permis 36 % de rémissions complètes de longue durée et 50 % de réponses partielles malgré une résistance préalable aux immunosuppresseurs conventionnels (5). Cette expérience démontre l’efficacité des fortes doses de cyclophosphamide, dont l’utilisation simplifiée peut s’envisager sans l’autogreffe. La ciclosporine (Neoral®) La ciclosporine a été évaluée dans quelques études contrôlées, surtout dans les néphropathies. Ce traitement peut être efficace, mais le rapport bénéfice/risque est assez modeste, en particulier quand il existe une altération de la fonction rénale. Le tacrolimus ou FK 506 (Prograf®) Le tacrolimus est un inhibiteur de l’activité lymphocytaire potentiellement efficace dans le lupus. Cette molécule a été utilisée avec succès par voie générale chez 3 patients souffrant d’un lupus cutané rebelle au cyclophosphamide et à la ciclosporine. Des études complémentaires sont en cours. Le 2-chloro-2’-déoxyadénosine (2-cdA) Cet immunosuppresseur, utilisé dans les lymphoproliférations, a été évalué par l’étude ouverte de 12 patients atteints de néphropathie lupique proliférative diffuse. Une efficacité significative a été observée chez près de 50 % des patients, mais cette molécule n’est pas dénuée d’effets indésirables (cytopénie, infections...). Les autres immunosuppresseurs La cytarabine et la fludarabine ont été utilisées avec efficacité chez quelques patients atteints de lupus réfractaire, mais exposent à un risque de lymphopénie profonde. Le thalidomide Le thalidomide est une molécule qui a démontré son efficacité dans les lupus cutanés réfractaires. Des données récentes permettent de mieux comprendre les mécanismes d’action de cette molécule, qui a notamment des effets anti-TNFα (7). Son utilisation est limitée par des effets indésirables assez nombreux (somnolence, troubles digestifs, neuropathies), mais aussi par un risque de thrombose. En effet, des thromboses ont été observées sous thalidomide dans le myélome, et, récemment, 5 patients atteints de lupus cutané réfractaire (dont deux formes systémiques) ont développé des complications thrombotiques veineuses et artérielles après l’introduction du thalidomide (50 à 100 mg/j). Ce risque thrombogène doit être évalué avant la prescription, en particulier quand il existe des anticorps antiphospholipides et d’autres facteurs de risque, comme un tabagisme et une contraception hormonale. Le méthotrexate Le méthotrexate est un inhibiteur des folates qui a de multiples actions immunomodulatrices. Différentes études préliminaires, utilisant des doses très variables (7,5 à 50 mg/semaine), avaient suggéré une efficacité sur les manifestations articulaires mais aussi sur d’autres atteintes inflammatoires (sérite, myosite) (6). Dans une étude rétrospective, Rahman et al. ont montré une réduction de 60 % des manifestations articulaires (versus 12 % dans le groupe témoin) chez des lupus résistants aux antipaludéens de synthèse. Carneiro et Sato ont évalué l’efficacité du méthotrexate (15-20 mg/semaine) versus placebo dans une étude prospective contrôlée en double aveugle chez 41 lupiques. Après 6 mois de traitement, le méthotrexate a permis d’améliorer les manifestations articulaires, les lésions cutanées et, globalement, le score SLEDAI. Ces effets ont permis de réduire la dose des corticoïdes. 24 Tableau I. Les principaux immunomodulateurs et immunosuppresseurs utilisés dans le lupus systémique. 1. Les immunosuppresseurs " le cyclophosphamide “dose classique” " le cyclophosphamide “forte dose” avec ou sans autogreffe de cellules souches " le 2-chloro-2’-déoxyadénosine " la fludarabine " la cytarabine 2. Les immunomodulateurs " le méthotrexate " le léflunomide " la ciclosporine " le tacrolimus " le mycophénolate mofétil " le thalidomide La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 M LES NOUVEAUX IMMUNOMODULATEURS (tableau I) Le mycophénolate mofétil (Cellcept®) I S E A U P O I N T SLEDAI, une amélioration des critères biologiques (VS) et une réduction de la corticothérapie. Dans une autre étude, qui a inclus 20 lupus souffrant de manifestations articulaires n’ayant pas répondu au méthotrexate ou à l’hydroxychloroquine, le léflunomide a permis une rémission complète de ces manifestations. D’autres études sont en cours pour évaluer l’efficacité de la tolérance de cette molécule dans le lupus. Le mycophénolate mofétil (MMF) est une drogue originale développée dans la transplantation d’organes. Cette molécule bloque l’inosine monophosphate déshydrogénase lymphocytaire, ce qui entraîne une inhibition de la synthèse des purines. Schématiquement, le MMF entraîne une réduction de l’activité lymphocytaire. Expérimentalement, le MMF est LES NOUVELLES BIOTHÉRAPIES : UNE bénéfique dans les modèles murins de lupus, et quelques études ouvertes avaient suggéré son efficacité chez l’homme, IMMUNO-INTERVENTION RATIONNELLE en particulier dans les néphropathies résistantes au cyclophosphamide. Chan et al. ont mené une étude randomisée Les nouvelles biothérapies ont de multiples “cibles” spécicontrôlée contre placebo qui a démontré le bénéfice du MMF fiques impliquées dans l’immunopathologie du lupus (2 g/j pendant 6 mois puis 1g/j pendant les 6 mois suivants) (figure 1). comparé au cyclophosphamide (2,5 mg/kg/j pendant 6 mois) puis azathioprine (1,5 mg/kg/j pendant 6 mois) (8). Cette stratégie a permis un taux de rémission de l’ordre de 80 % comparable dans les deux groupes. En revanche, il y a plus de complications dans le groupe cyclophosphamide (33 % d’infections, 23 % d’aménorrhée, 19 % d’alopécie) que dans le groupe MMF (19 % d’infections). Néanmoins, il faut signaler que cette étude n’a inclus que 42 patients atteints pour la plupart de néphropathies prolifératives diffuses assez peu sévères. De plus, parmi ces patients, 46 % ont rechuté dans le groupe MMF contre seulement 17 % dans le groupe cyclophosphamide (p = 0,019) au-delà de la première année de l’étude. Récemment, l’étude ouverte de 21 lupus rénaux et extrarénaux mal contrôlés par différents immunosuppresseurs a démontré une efficacité du MMF, ce qui pourrait suggérer que cette molécule soit une alternative thérapeutique intéressante. Une étude originale a évalué l’intérêt de l’association du MMF à un inhibiteur spécifique de la cyclo-oxygénase 2 (COX-2) dans un modèle de lupus murin (souris NZB/W). Cette combinaison a permis d’optiFigure 1. Sites d’immuno-intervention dans le schéma pathogénique du lupus. miser l’amélioration des lésions rénales histologiques 1 Inhibition des lymphocytes T 6 Modulation cytokinique 6. 2 Inhibition des lymphocytes B 7 Régulation des FcγR et biologiques (protéinurie). L’intérêt d’utiliser un 7. 3 Inhibition des voies de costimulation 8 Régulation de la digestion enzymatique 8. inhibiteur de la COX-2 s’explique, dans ce modèle 4 Modulation (vaccination) peptidique des nucléohistones par les DNases murin, par l’existence d’une COX-2 rénale capable de 5 Inhibition de l’action du complément 9 Aphérèse des autoanticorps 9. produire du thromboxane A2, dont l’effet est délétère. Le léflunomide (Arava®) Le léflunomide est un inhibiteur des pyrimidines qui a démontré son efficacité dans la polyarthrite rhumatoïde. Quatre études ouvertes ont évalué l’intérêt du léflunomide dans le lupus. Remer et al. ont traité 18 patients atteints de lupus, évolutifs malgré un traitement préalable (9). Dix des 14 patients qui ont été traités pendant 3 mois ont répondu favorablement avec une amélioration du score La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 Les inhibiteurs des lymphocytes T Différentes approches peuvent être envisagées pour bloquer les lymphocytes autoréactifs, qui sont des cellules clés dans le lupus systémique. Les anticorps monoclonaux anti-CD4 ont été évalués dans le lupus murin (NZB/NZW et MRL-Fas [lpr]) avec une efficacité significative, mais il n’y a pas eu d’étude clinique chez l’homme. 25 M I S E A U P O I N T Les anticorps anti-CD5 couplés à la chaîne α de la ricine ont été évalués dans une étude préliminaire, et ont témoigné d’une certaine efficacité dans les néphropathies lupiques. Les inhibiteurs de la costimulation Les cellules présentatrices de l’antigène (CPA) expriment à leur surface différentes molécules de costimulation, en particulier B7 et CD40 (figure 1). L’interaction de B7 avec son ligand CD28 exprimé à la surface des cellules T induit un signal indispensable à l’activation de ces lymphocytes. B7 peut aussi se lier avec un autre ligand appelé CTLA4 dont l’expression à la surface des lymphocytes T est induite par le signal B7-CD28. L’interaction B7-CTLA4 se fait avec une affinité supérieure, empêchant ainsi l’induction du signal d’activation B7-B28. Ce rétrocontrôle négatif va donc avoir un effet inhibiteur de l’activation lymphocytaire. D’autres voies de costimulation, qui pourraient avoir une importance dans la pathogénie du lupus (ICOS, PD-L1 et 2...), sont potentiellement des cibles thérapeutiques d’avenir (figure 2). Figure 2. Les voies de costimulation : cellule présentatrice de l’antigène (CPA) lymphocyte T (LT) 1. Les membres de la superfamille B7-CD28 CD28 CTLA4 : Cytotoxic T Lymphocyte Antigen 4 B7-1, B7-2 ICOS et ICOS ligand : Inductible T-Cell Co-Stimulator PD1 : Programmed Death-1 PDL-1 et PDL-2 : Programmed Death-Ligand 1 et 2 2. Les membres de la famille CD40 - CD40 ligand (CD154) 3. Les autres voies CD2 - LFA3 ICAM1 - LFA1 Parmi ces nouvelles voies : • Le système ICOS L/ICOS intervient dans les coopérations LT CD4 # B, permettant la prolifération de LB matures producteurs d’Ig, en particulier en favorisant la synthèse d’IL-10, IL-4, IL-5 (type Th2). • Le système PD-1/PD-L intervient surtout dans le contrôle inhibiteur des lymphocytes T, en particulier de la prolifération des LT CD4 et CD8 et de la synthèse de cytokines. Par analogie avec la voie B7/CTLA4, la voie PD-1/PD-L inhibe l’activation induite par la voie B7/CD28. 26 Les inhibiteurs de la voie B7-B28/CTLA4 : le CTLA4-Ig Le développement d’une protéine de fusion formée de CTLA4 et d’une portion d’immunoglobuline (CTLA4-Ig) est capable de se fixer sur B7 et d’empêcher ainsi l’interaction activatrice B7-B28. Ainsi, cette molécule originale mime l’action physiologique du CTLA4 et bloque l’activation lymphocytaire T. Elle a démontré son efficacité dans des modèles de néphropathies lupiques, utilisée seule ou en combinaison avec le cyclophosphamide. Elle prolonge la survie, réduit l’intensité de la néphropathie et bloque la production d’autoanticorps. Des études chez l’homme sont en cours. Les inhibiteurs de la voie CD40 - CD40 ligand L’autre voie de costimulation repose sur l’interaction entre le CD40 exprimé par les CPA et le CD40 ligand (gp 39 ou CD154) exprimé par des lymphocytes T activés. Le CD40 est exprimé par les lymphocytes B qui sont des CPA accessoires facilitant les phénomènes de coopération entre lymphocytes T et B, responsables notamment de la production d’autoanticorps. Expérimentalement, le blocage de cette voie par un anticorps monoclonal anti-CD40 ligand a permis d’améliorer la survie de souris lupiques, de réduire la gravité de l’atteinte rénale et d’inhiber la production d’autoanticorps. Les premières études chez l’homme avec deux anticorps monoclonaux anti-CD40 ligand différents n’ont pas confirmé formellement l’efficacité de cette approche (10). D’autres études sont en cours pour évaluer le rapport bénéfice/risque de ce traitement, qui pourrait nécessiter d’être combiné avec une autre molécule. Dans une étude récente, l’association d’un anticorps monoclonal antiCD40 ligand et du CTLA4-Ig chez la souris NZB/WF1 a démontré une efficacité très supérieure à l’utilisation en monothérapie de ces deux traitements. Des inhibiteurs des lymphocytes B L’inactivation des lymphocytes B au cours du lupus peut s’envisager en faisant appel à des inhibiteurs spécifiques. Un anticorps monoclonal anti-CD20 : le rituximab (Mabthera®) Le CD20 est un antigène de surface spécifique du lymphocyte B qui joue un rôle important dans la prolifération et la différenciation de ces cellules. Un anticorps monoclonal chimérique anti-CD20 (rituximab) a été développé avec efficacité dans les lymphomes B. Ce traitement est aussi efficace dans certaines formes de cytopénies auto-immunes réfractaires. Dans le lupus, deux études ouvertes, ayant inclus 18 et 6 patients, ont permis d’améliorer les signes généraux et les manifestations cutanées et articulaires (11). Cette efficacité s’accompagne d’une déplétion en lymphocytes B périphériques mais, paradoxalement, sans réduction significative du taux d’anti-ADN natif dans l’une de ces études. L’efficacité pourrait être corrélée comme dans les lymphomes au génotype des récepteurs FcγRIII, dont le polymorphisme module l’expression du lupus, ou par l’apparition d’anticorps anti-rituximab. La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 M Un inhibiteur du système BLyS Le système BLyS (B Lymphocyte Stimulator) est un système d’activation spécifique des lymphocytes B qui permet leur prolifération et la synthèse des immunoglobulines. BLyS, qui est aussi appelé BAFF, THANK, TALL-1 et zTNF4, est un membre de la super-famille du TNF. Il peut se fixer sur trois récepteurs appelés TACI, BCMA et BAFF-R (figure 3). Le rôle de ce système a été démontré dans les lupus murins et humains, mais également dans d’autres maladies auto-immunes, en particulier le syndrome de Gougerot-Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde. Chez l’homme, il existe une élévation de BLyS sérique corrélée aux taux d’immunoglobulines, et surtout aux anti-ADN natif (12). Le traitement de lupus murin avec une protéine de fusion formée du récepteur TACI et d’un fragment d’immunoglobulines (TACI-Ig) améliore la survie et réduit la progression de la maladie. Un anticorps monoclonal humain anti-BLyS est actuellement évalué chez l’homme, mais d’autres approches sont envisagées (BLyS receptor soluble, analogue de BLyS). Figure 3. Le système BLyS (B Lymphocyte Stimulator). • BLyS (B Lymphocyte Stimulator) est un membre de la superfamille des TNF ligands. Il est synonyme de BAFF (B-cell-activating factor belonging to the TNF family), de TALL-1 (TNF and ApoL-regulated leukocyte-expressed ligand 1), de THANK (TNF homologue that activates apoptosis, NF-κB, JNK) TNF SF20 (TNF superfamille member 20) et Z TNF F4. Cette protéine est produite par des cellules de la lignée myéloïde (monocyte, macrophage...), les cellules dendritiques et les lymphocytes T. • APRIL (a proliferation-inducing ligand), proche de BLyS, est plutôt produit par différents tissus épithéliaux et les macrophages. • BLyS et APRIL sont libérés sous l’effet d’une protéase. – BLyS se fixe sur des récepteurs spécifiques appelés BCMA (B cell maturation antigen), TACI (transmembrane activator and calcium modulator and cyclophilin, ligandinteractor) et BAFF R (BAFF receptor). Ces récepteurs sont exclusivement exprimés par les lymphocytes B mais, de façon plus modeste, par les lymphocytes T. – APRIL se fixe sur différents récepteurs, mais pas sur BAFF R. Il existe peut-être un récepteur spécifique (APRIL R), qui n’est pas formellement identifié. La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 I S E A U P O I N T Des toléragènes spécifiques des lymphocytes B Le développement de molécules capables d’inhiber directement et plus spécifiquement les lymphocytes B producteurs d’autoanticorps est une approche fort intéressante. Le LJP 394 : un toléragène spécifique des lymphocytes producteurs d’anti-ADN natif Le LJP 394 est formé de quatre bras d’oligonucléotides (ADN) double brin fixés sur une plate-forme non immunogénique en polyéthylène glycol. Cette molécule induit l’anergie des lymphocytes B car ses “bras” oligonucléotidiques peuvent se fixer et “ponter” les anticorps anti-ADN membranaires présents sur les lymphocytes B “autoréactifs”. Ainsi, cette molécule ne peut être utilisée que chez des patients dont le lupus se caractérise par la présence d’anti-ADN natif de forte affinité. Chez l’homme, une première étude avec une injection unique de LJP 394 a démontré l’induction d’une chute rapide des taux d’anti-ADN natif. Une étude contrôlée du LJP 394 contre placebo, effectuée chez 58 patients souffrant de lupus avec anticorps anti-ADN natif, a confirmé son efficacité en induisant une réduction de 58 % des taux d’anti-ADN natif après 8 semaines de traitement (13). La tolérance, en particulier l’immunogénicité, a été satisfaisante. Une autre étude contrôlée a évalué l’effet préventif de l’atteinte rénale en étudiant plus de 200 patients ayant des antécédents de néphropathie lupique avec des taux d’anti-ADN natif supérieurs à 15 UI/ml au test de Farr. Ces patients ont été traités toutes les semaines par 100 mg de LJP ou placebo en courte injection intraveineuse. Cette étude contre placebo a été arrêtée prématurément en raison de l’efficacité du LJP 394, qui a démontré un effet protecteur rénal, en particulier chez les patients ayant des antiADN natif de forte affinité. Une nouvelle étude contrôlée contre placebo est en cours pour confirmer ces résultats et évaluer le bénéfice/risque de ce traitement au long cours. Le LJP 1082 : un toléragène des lymphocytes producteur d’anticorps anti-ß2GP1 Le même principe a été utilisé pour bloquer les lymphocytes B producteurs d’antiphospholipides (anti-ß2GP1). Après la démonstration de l’efficacité chez le rat immunisé avec la ß2GP1, une étude contrôlée contre placebo a été commencée chez des patients atteints d’un syndrome des antiphospholipides avec anti-ß2GP1. La vaccination peptidique L’intérêt de cette approche est aussi son “élégance” immunologique, et surtout son innocuité, mais dans une affection polyclonale aussi polymorphe que le lupus, il n’est pas certain qu’il existe un peptide (ou a fortiori un épitope) reconnu de façon consensuelle. Néanmoins, différentes approches peuvent être proposées. Schématiquement, il a été démontré que les régions VH des autoanticorps contiennent des peptides reconnus par les lymphocytes T des lupus murins et humains. Ces épitopes T participent à la régulation et la sélection des lymphocytes B auto27 M I S E A U P O I N T réactifs. Expérimentalement, leur utilisation dans des modèles murins permet de réduire l’évolutivité du lupus, mais il est vraisemblable que la dose utilisée, la voie d’administration et la phase de la maladie conditionnent leur effet. À titre d’exemple, l’injection d’épitope T (région VH) à de jeunes souris NZB-NZm (F1) peut accélérer la production d’autoanticorps et aggraver l’atteinte rénale. Cette stratégie a été utilisée chez l’animal et chez l’homme, mais des études complémentaires sont en cours. Des inhibiteurs de l’activation du complément Dans le lupus, le complément joue un rôle important, en particulier dans l’atteinte rénale, car il amplifie les lésions inflammatoires induites par les dépôts d’immuns-complexes. Récemment, il a été démontré que le complément intervenait aussi dans le mécanisme lésionnel des complications thrombotiques et obstétricales du syndrome des antiphospholipides. Ainsi, différentes approches ont été développées pour essayer d’inhiber directement le C5 ou ses précurseurs (C3 convertase). Par exemple, chez l’homme, un anticorps monoclonal chimérique anti-C5, capable de bloquer spécifiquement la dégradation du C5 en C5a et b, a démontré une tolérance acceptable justifiant des études d’efficacité actuellement en cours (14). Dans un modèle murin (souris MRL/Lpr), la transfection d’un régulateur soluble du complément, appelé Crrγ (soluble complement receptor-1-related gene/protein γ), protège les souris de l’atteinte rénale (15). Cet effet se traduit par une réduction des dépôts de C3 glomérulaire, alors qu’il n’y a aucune différence en ce qui concerne les dépôts glomérulaires d’IgG, les taux d’anti-ADN natif et de facteurs rhumatoïdes et le poids des organes lymphoïdes comparativement à des souris MRL/Lpr non transgéniques. Ce travail suggère donc l’efficacité d’un inhibiteur de la C3 convertase (sCrrγ), en particulier en cas d’atteinte rénale. Les autres procédés immunomodulateurs Les plasmaphérèses Les plasmaphérèses permettent d’épurer les immuns-complexes, le complément et les immunoglobulines, mais aussi de restaurer les capacités de phagocytose et la fonction des cellules suppressives (16). Dans le lupus, les plasmaphérèses sont envisagées en cas de complications graves, comme le suggèrent près d’une centaine de publications, mais cela semble particulièrement intéressant dans le purpura thrombotique thrombopénique (microangiopathie), les hémorragies alvéolaires, les néphropathies résistantes à l’Endoxan® ou le syndrome catastrophique des antiphospholipides. Cette procédure peut être utilisée pendant la grossesse, ce qui a aussi justifié son utilisation dans le bloc auriculo-ventriculaire congénital avec anti-Ro/SS-A, mais sa place dans la stratégie de prévention et de traitement du BAVC ne sera pas détaillée dans cet article. Les plasmaphérèses semblent plus efficaces quand elles sont synchronisées avec des bolus de cyclophos28 phamide, comme cela a été démontré dans trois études contrôlées, mais cette combinaison pourrait majorer le risque infectieux. Ainsi, compte tenu du rapport bénéfice/risque, les plasmaphérèses doivent être réservées aux complications menaçant le pronostic vital. Les immunoabsorptions spécifiques (aphérèse) Les aphérèses avec la protéine A. La protéine A peut épurer les immunoglobulines en les fixant par leur portion Fc. Cette immunoabsorption, qui est validée dans la polyarthrite rhumatoïde, n’a pas été étudiée dans le lupus, mais elle a permis de traiter quelques thrombopénies sévères et rebelles. Les aphérèses des anti-ADN natif. Dans le lupus, l’aphérèse des anti-ADN natif a démontré une certaine efficacité (17). Récemment, un système d’aphérèse original des anti-ADN natif a été développé. Il s’agit d’un polymère stable formé d’ADN double brin couplé à un anticorps monoclonal murin anti-CR1 (récepteur de type 1 du complément). L’objectif est de capter les anti-ADN natif par les ADN qui forment une extrémité du polymère et de se fixer par l’anti-CR1 de l’autre extrémité sur les récepteurs CR1 des globules rouges. Cette molécule, testée préalablement chez des primates, a été évaluée dans une première étude chez 5 lupus avec anti-ADN natif. Une injection unique a permis de réduire significativement le taux d’anti-ADN natif sans effet indésirable significatif. Les aphérèses par le C1q. Récemment, l’utilisation d’une colonne immunoabsorbante composée de C1q a démontré une certaine efficacité chez 8 patients lupiques (18). Cette colonne permet d’éliminer les activateurs non immunologiques du complément (CRP, ADN, fibronectine, fibrinogène et lypopolysaccharide), mais aussi les anticorps anti-C1q impliqués dans la pathogénie du lupus. Les immunoglobulines intraveineuses (Ig i.v.) L’action des Ig i.v. dépend des fragments Fc des immunoglobulines (blocage des récepteurs FcγR et inhibition de l’activation du complément) et des fragments Fab (inhibition cytokinique et régulation idiotypique). Il a été démontré que les préparations d’Ig i.v. pouvaient contenir des anticorps antiFas capables d’induire l’apoptose des lymphocytes T et B et des monocytes ainsi que des anticorps anti-idiotype des antiADN natif susceptibles de freiner leur synthèse. Dans le lupus, les Ig i.v. sont utiles pour le traitement des cytopénies (thrombopénie, érythroblastopénie) et des troubles hémorragiques liés à un autoanticorps anti-VIII ou anti-VII. De façon plus anecdotique, les Ig i.v. ont été utilisées avec succès dans de nombreuses autres situations : atteinte du système nerveux central, pancytopénie, atteinte cutanée rebelle, hémorragie alvéolaire. Néanmoins, le sujet le plus controversé reste leur intérêt dans les atteintes rénales sévères (19). Dans une étude randomisée, Buletis et al. ont comparé les Ig i.v. et le cyclophosphamide chez 14 lupus atteints de néphropathies sévères. Les patients ont été randomisés après 6 mois de cyclophosphamide pour être traités soit par Ig i.v., soit par la poursuite du cyclophosphamide pendant 18 mois. L’efficacité a été comparable, mais avec moins d’effets indésirables dans La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 M le groupe Ig i.v. En conclusion, les Ig i.v. peuvent être utilisées dans certaines circonstances, mais il n’y a actuellement aucune étude randomisée double aveugle permettant de confirmer leur intérêt. De plus, il faut rester attentif à un certain nombre de risques, notamment d’insuffisance rénale, de méningite aseptique et, de façon plus inattendue, d’infarctus du myocarde. Les récepteurs solubles des fragments Fc des immunoglobulines (FcγR) Les FcγR sont impliqués dans la pathogénie du lupus chez la souris et l’homme. Les souris lupiques dépourvues de FcγR (FcγR I/III -/-) ne développent pas d’atteinte rénale, et des études récentes montrent que l’utilisation des récepteurs (FcγR) solubles pourrait être efficace dans des modèles de lupus murins. L’élimination enzymatique des autoantigènes (ADN) par la DNase Dans le lupus, une des anomalies majeures est l’incapacité à éliminer des complexes autoantigéniques, en particulier les nucléosomes. Théoriquement, certains composants (ADN) de ces immuns-complexes doivent être éliminés de l’organisme grâce à des enzymes spécifiques appelées DNase I et II. Récemment, il a été démontré dans le lupus une réduction de l’activité de la DNase dans le sérum et les urines. Chez l’homme, les anomalies génomiques des DNases (DNase I) semblent rares, décrites chez moins de 10 % des patients. Cependant, l’utilisation thérapeutique d’une DNase recombinante humaine chez l’animal et chez l’homme a démontré une efficacité clinique ou biologique qui mérite d’être vérifiée. L’immunomodulation cytokinique Des données expérimentales ont suggéré qu’il existe deux étapes cytokiniques successives au cours du lupus. La première est caractérisée par la synthèse de cytokines Th1 (IL-2, IFNγ), suivie par celle de cytokines Th2 (IL-4, IL-10), parallèlement à la décroissance de la synthèse d’IL-2 et d’IFNγ. Cette induction Th2 pourrait être liée à un excès d’immuns-complexes capables d’activer les macrophages et de favoriser la synthèse d’IL-10 et d’IL-6. En outre, pendant toute la durée de la maladie, il y a une production excessive de cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL-1 et IL-18), en particulier dans certains tissus (rein, peau...). Ainsi, le rôle des lymphocytes Th1 paraît primordial. Comme cela a été expérimentalement démontré dans la myasthénie, le rôle des lymphocytes Th1 dans une maladie auto-immune présumée plutôt Th2 (humorale) semble lié à l’IFNγ. L’IFNγ, qui est produit par les lymphocytes Th1, agit en régulant l’activation des lymphocytes B en augmentant l’expression de CD27 ligand à leur surface. La voie CD27 ligandCD27 permet une coopération lymphocyte T-B responsable de la production d’IgG2a et IgG2b et IgG3. Parmi toutes ces cytokines, certaines sont des cibles thérapeutiques importantes. L’IL-10 et, récemment, le TNFα ont donné lieu à des études chez l’homme, mais d’autres pistes sont en cours d’évaluation. La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 I S E A U P O I N T Les inhibiteurs de l’interleukine 10 (IL-10) L’IL-10 est une cytokine importante dans le lupus. Ses taux sériques sont corrélés à l’activité clinico-biologique de la maladie, mais les cellules mononucléées circulantes produisent aussi spontanément de l’IL-10, indépendamment des poussées de la maladie (20). Cette hyperproduction est certainement, au moins en partie, déterminée génétiquement, comme le suggère l’étude du polymorphisme de l’IL-10. Cependant, elle est aussi la conséquence de phénomènes immunitaires tissulaires comme le dépôt d’immuns-complexes, qui peut induire la synthèse d’IL-10 macrophagique. L’Il-10 est une cytokine particulière, car elle est capable d’inhiber l’activation lymphocytaire T, notamment en réduisant la synthèse d’IL-12 et l’expression des molécules de costimulation (B 7.1 et 7.2) des CPA. Cette action suppressive, synergique de celle du TGFß, s’exerce sur l’ensemble des populations lymphoïdes, même celles qui sont suppressives. À l’inverse, l’originalité de l’IL-10 est de pouvoir stimuler les lymphocytes B, en particulier les lymphocytes B autoréactifs producteurs d’anti-ADN natif. Chez l’homme, un anticorps monoclonal murin (IgG 1 antiIL-10) a été évalué dans une étude ouverte chez 6 patients atteints de lupus actif corticodépendant (20). Ce traitement a permis une réduction des lésions cutanées et des manifestations articulaires ainsi qu’une amélioration du score SLEDAI et une réduction de la corticothérapie. Cependant, ce bénéfice ne s’accompagne pas d’une réduction significative des taux d’anti-ADN natif, ce qui suggère qu’un anti-IL-10 pourrait avoir d’autres effets sur les lymphocytes B ou sur d’autres cellules impliquées dans le lupus (cellules endothéliales, fibroblastes) (20). Une étude contrôlée avec un anticorps anti-IL10 humain est en cours. D’autres inhibiteurs, comme l’AS101 (ammonium dioxoethylene-0,0’ tellurate), ont été évalués avec succès dans des modèles animaux. Les inhibiteurs du TNF alpha Le TNFα participe de différentes manières à la régulation de la réponse immunitaire, en particulier en intervenant dans l’éducation thymique et la régulation des lymphocytes T et B périphériques. Il est habituel d’observer des taux sériques élevés de TNFα dans les lupus compliqués d’atteintes viscérales, en particulier rénales, mais aussi cutanées. Cette synthèse excessive de TNFα pourrait être génétiquement déterminée, comme l’ont montré plusieurs études, suggérant la prédominance d’un polymorphisme du promoteur du TNFα (TNFα-308A) dans le lupus. Des travaux récents ont aussi démontré qu’un polymorphisme particulier du récepteur de type II (TNFα RII) était associé au lupus dans la population japonaise. Cet excès de TNFα peut sembler “paradoxal”, car le lupus est habituellement considéré comme une maladie auto-immune “humorale” (de type Th2). Comme nous l’avons vu précédemment, le rôle des lymphocytes Th1 (producteurs d’IFNγ) est important, même dans des affections auto-immunes présumées Th2. 29 M I S E A U P O I N T Certains éléments suggèrent l’intérêt d’évaluer les anti-TNFα dans le lupus (21). Cependant, l’utilisation des anti-TNFα peut se compliquer par l’apparition de phénomènes d’auto-immunisation, qui sont en fait essentiellement biologiques (autoanticorps). Des anticorps antinucléaires (notamment des antiADN natif) ont été observés chez 5 à 25 % des patients traités par infliximab ou etanercept, alors que la fréquence des authentiques lupus induits semble rare, même si quelques observations ont été décrites. Dans une étude récente, Charles et al. ont démontré que l’apparition d’anticorps anti-ADN natif, détectés par un test de Farr, est assez fréquente (7 % des cas), mais il s’agissait dans la quasi-totalité des cas d’IgM de faible affinité (22). Dans cette étude, l’unique patient qui avait des IgG anti-ADN natif a été le seul à développer un lupus. Les mécanismes qui favorisent les manifestations auto-immunes induites par les anti-TNF sont assez mal connus, mais différentes hypothèses sont discutées : " Les anti-TNFα (en particulier l’infliximab) sont capables de lyser les cellules productrices de TNFα, favorisant ainsi le relargage d’autoantigènes intracellulaires. " Les anti-TNFα peuvent réduire l’expression de CD44, qui est une molécule d’adhésion, favorisant la clairance des débris d’apoptose des polynucléaires neutrophiles. " Les anti-TNFα peuvent inhiber la réponse cytotoxique dirigée contre les lymphocytes réactifs, comme cela a été démontré dans un modèle expérimental de réaction de greffon contre l’hôte. L’ensemble de ces données est assez complexe, mais suggère malgré tout le rôle délétère du TNFα dans les lésions lupiques. Dans un travail récent, Aringer et al. ont démontré, en immunohistochimie semi-quantitative, que le taux de TNFα présent dans les reins lupiques était corrélé à la sévérité de l’atteinte rénale (23). Deux patients atteints de néphropathie proliférative diffuse ont été traités par infliximab (300 mg à S0, S2, S6, S10) avec une efficacité qui s’est traduite par une réduction de la protéinurie sans modification de la créatinine, et surtout sans l’apparition de complication lupique. Ainsi, les anti-TNF pourraient être utiles en cas d’inflammation viscérale sévère, en particulier rénale. Néanmoins, une connaissance plus approfondie des mécanismes lésionnels, notamment neurologiques, et une évaluation du risque thrombotique semblent nécessaires avant de proposer éventuellement un anti-TNF chez un patient atteint de lupus. Les inhibiteurs de l’interféron α (IFNα) Récemment, il a été démontré au cours du lupus un excès d’interféron α (IFNα) susceptible de favoriser la différenciation des monocytes en cellules dendritiques. Ces cellules sont particulièrement utiles pour “capter” les débris cellulaires antigéniques afin de les présenter et d’activer des lymphocytes T. La présentation d’autoantigènes (nucléosomes) est capable de stimuler des lymphocytes autoréactifs, qui vont alors stimuler des lymphocytes B producteurs d’autoanticorps. Le développement d’anticorps monoclonaux humanisés anti-IFNα devrait permettre d’agir efficacement sur cet excès d’IFNα (24). 30 Les inhibiteurs de l’interféron γ (IFNγ) Cette cytokine Th1 semble particulièrement importante au cours du lupus murin et humain. L’IFNγ est impliqué dans l’immunité cellulaire (Th1), mais aussi dans la maturation des lymphocytes B sécréteurs d’IgG2a. Expérimentalement, l’injection d’IFNγ aggrave la plupart des lupus murins (souris NZB et MRL-Fas [lpr]). Si ces souris sont rendues déficientes en IFNγ ou traitées par un anticorps monoclonal ou un récepteur soluble, la maladie s’améliore. Malgré cela, il n’y pas eu d’étude chez l’homme, car cette cytokine a des effets biphasiques difficiles à moduler. Les inhibiteurs de l’interleukine 12 (IL-12) L’IL-12, produite par les cellules présentatrices de l’antigène (cellules dendritiques, macrophages), induit une prolifération lymphocytaire Th1 caractérisée par la sécrétion d’IFNγ. Dans le lupus, il existe un excès d’IL-12, qui peut être à l’origine de l’excès d’IFNγ. Cependant, le rôle de l’Il-12 est discuté, car il a été observé une baisse des taux d’IL-12 chez des patients atteints de néphropathie. Malgré le développement d’inhibiteurs de l’IL-12 (anticorps monoclonaux), ce traitement n’a pas encore été évalué dans le lupus humain. Les inhibiteurs de l’interleukine 6 (IL-6) L’IL-6 est une cytokine multipotente sécrétée par de très nombreuses cellules. Dans le lupus, elle est synthétisée en excès par les macrophages sous l’effet de différents stimuli, en particulier un excès d’immuns-complexes. Cette cytokine, essentiellement pro-inflammatoire, participe aussi à l’activation des lymphocytes B autoréactifs producteurs d’autoanticorps. Différentes molécules anti-IL-6 (anticorps monoclonaux, antirécepteurs de l’IL-6) ont été développées, mais, pour l’instant, elles n’ont pas été utilisées dans le lupus chez l’homme. Les inhibiteurs de l’interleukine 18 (IL-18) L’IL-18 est une cytokine d’origine essentiellement macrophagique qui a de nombreuses actions pro-inflammatoires. Comme l’IL-12, elle est capable d’induire une réponse Th1 caractérisée par la production d’IFNγ. Récemment, il a été démontré qu’elle était surexprimée en cas d’atteinte rénale lupique sévère. L’IL-18 pourrait être une cible thérapeutique intéressante, comme cela a été montré dans un modèle d’atteinte rénale ischémique. Les inhibiteurs de l’interleukine 1 (IL-1) Le rôle de l’IL-1 a été moins bien étudié dans le lupus, mais cette interleukine pourrait participer aux lésions tissulaires. Le transforming growth factor ß (TGFß) Le TGFß est une molécule clé dans la régulation de la tolérance. La tolérance périphérique met en jeu différents systèmes, en particulier des cellules suppressives capables d’éliminer les lymphocytes autoréactifs. Expérimentalement, le transfert de cellules productrices de TGFß dans un modèle de réaction de greffon contre l’hôte (GVH) a permis la suppression des manifestations auto-immunes, en particulier une régression de l’atteinte rénale (protéinurie) et une baisse de la La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003 M synthèse d’anticorps anti-ADN natif. Ces constatations suggèrent que le TGFß pourrait être utilisé comme un régulateur des cellules autoréactives, notamment dans le lupus. Les souris MRL/Lpr traitées par du TGFß (transfert d’un plasmide codant l’ARN du TGFß) ont été significativement améliorées avec un allongement de la survie et une réduction de la synthèse d’immunoglobulines et d’anti-ADN natif. L’interleukine 2 (IL-2) L’IL-2 est une cytokine qui permet, en synergie avec le TGFß, l’induction de cellules suppressives. Dans le lupus, il est généralement observé un déficit en IL-2. Ce déficit pourrait s’expliquer par différents mécanismes, notamment par la synthèse excessive d’une protéine appelée CREM (cAMP response element modulator) capable de se fixer et de bloquer une séquence du promoteur de l’IL-2. L’utilisation d’oligonucléotides antisens inhibant l’expression de l’ARN messager de CREM des lymphocytes T lupiques restaure une production normale d’IL-2. Dans un modèle murin (souris MRL/Lpr), l’injection de plasmide codant pour l’ADN de l’IL-2 réduit significativement la survie et augmente la production d’autoanticorps. I S E A U P O I N T L’interleukine 4 (IL-4) C’est une cytokine Th2 qui, comme l’IL-10, est potentiellement immunosuppressive, mais qui participe aussi à l’induction de la production d’anticorps. Peu d’études ont été réalisées, mais l’injection d’IL-4 peut améliorer certaines formes de lupus murin. L’interleukine 11 (IL-11) L’interleukine 11 est un facteur de croissance des mégacaryocytes qui possède aussi des propriétés anti-inflammatoires. Récemment, l’utilisation d’IL-11 humaine recombinante a permis la correction d’une thrombopénie lupique réfractaire compliquée d’hémorragies sévères. LES IMMUNOTHÉRAPIES DU FUTUR Différentes “pistes” d’immunothérapies futuristes peuvent être envisagées : " L’inhibition des lymphocytes T autoréactifs, en agissant par exemple sur leur migration, est un exemple qui doit être .../... M I S E A U P O I N T .../... étudié. Un inhibiteur des intégrines α4 (natalizumab) a récemment donné des résultats extrêmement intéressants dans la sclérose en plaques et la maladie de Crohn. Ce type de traitement peut également être envisagé dans le lupus. D’autres approches sont envisageables, notamment l’intervention sur des facteurs de régulation isotypiques comme T-Bet et sur des mécanismes régulateurs de l’apoptose. " La modulation des phénomènes d’activation et de migration cellulaires est une piste possible. À titre d’exemple, l’inhibition du MCP-1 (monocyte chemo-attractant protein 1) permet de réduire l’infiltrat mononucléé dans le rein lupique d’une souris. " La régulation des phénomènes de coopération cellulaire, en agissant sur de nouvelles voies (ICOS, PD), est une option qui devrait également être étudiée. 5. Petri M, Jones R, Brodsky R. 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Ces dernières années ont vu le développement de multiples thérapeutiques innovantes fondées sur différentes approches rationnelles : " l’inhibition de la synthèse d’autoanticorps pathogènes (immunosuppresseurs, modulation cytokinique, vaccination idiotypique, inducteur d’une tolérance, modulation des voies de costimulation...) ; " l’élimination ou le blocage des dépôts d’autoanticorps et d’immuns-complexes (plasmaphérèse, aphérèse, élimination enzymatique des autoantigènes, immunoglobulines intraveineuses...) ; " l’inhibition des agressions tissulaires par ces immuns-complexes (immunosuppression, modulation cytokinique [antiTNFα], inhibiteur du C3 et C5...). Cette diversification de l’arsenal thérapeutique, en particulier des biothérapies, fait du lupus un champ d’action privilégié pour l’utilisation de nouvelles stratégies d’immunointervention. $ 14. Strand V. Monoclonal antibodies and other biologic therapies. Lupus 2001 ; 10 : 216-21. 15. Holers VM, Girardi G, Mo L et al. 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