La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 428 - octobre 2009 | 21
MISE AU POINT
cardiovasculaire grave. Ainsi, chez des patients coro-
nariens stables, l’ajustement itératif sur les comor-
bidités et la sévérité de la maladie coronaire, puis
sur les médiateurs biologiques et finalement sur
les variables comportementales (comme la séden-
tarité) finit par atténuer complètement cette asso-
ciation (10).
La responsabilité des comportements des sujets
dépressifs dans le risque cardiovasculaire est sans
nul doute intuitive. Les sujets dépressifs sont souvent
en retrait, vis-à-vis des autres mais aussi vis-à-vis de
leur santé. Il est démontré qu’ils sont moins enclins
à suivre les recommandations hygiéno-diététiques
et thérapeutiques, en particulier en ce qui concerne
l’autogestion, l’équilibre alimentaire, le maintien
d’une activité physique adaptée et régulière ou
bien la cessation des addictions éventuelles (tabac
en particulier) [11, 12], mais on a vu que l’ajustement
sur les facteurs de risque classiques atténue très peu
la force de l’association statistique entre dépression
et risque cardiovasculaire. Les sujets déprimés sont
également moins observants aux traitements et aux
suivis cliniques (13). L’inobservance thérapeutique
est probablement rendue plus critique du fait de la
polymédication – qui est devenue la règle chez les
patients cardiaques –, de l’âge avancé de la majorité
des patients et, bien entendu, de l’isolement social
fréquent des sujets déprimés. Moins souvent invo-
quée, la iatrogénie et ses conséquences pourraient
également être plus fréquentes chez les patients à
la fois cardiaques et déprimés (14). Il se peut que la
difficulté à suivre et à améliorer l’état de ces patients
fonctionnellement conduise à un excès d’actes et
de traitements divers loin d’être anodins, jusqu’à ce
que la dépression soit reconnue et prise en charge
en parallèle de la maladie cardiaque. Quoique très
difficiles à évaluer en pratique clinique, toutes ces
réalités concourent à diminuer l’espérance de vie
des sujets déprimés, a fortiori s’ils ont une affection
cardiovasculaire associée.
Tout aussi intéressantes et pertinentes sont les hypo-
thèses biologiques qui pourraient lier dépression
et événements cardiovasculaires. Au cours d’une
dépression comme après un IDM ou en cas d’in-
suffisance cardiaque chronique, plusieurs grands
systèmes homéostasiques sont affectés (15) :
– perturbations neurohormonales telles qu’une
hyperactivation sympathique ou une sensibilité
particulière aux catécholamines circulantes ;
– perturbations vago-sympathiques aux dépens
du tonus vagal (réduction de la variabilité de la
fréquence cardiaque et de l’intervalle QT, réduction
de la sensibilité du baroréflexe, etc.). Ces anomalies
communes pourraient expliquer une susceptibi-
lité arythmique, y compris chez les dépressifs sans
histoire cardiaque ;
– perturbations immunitaires, comme une augmen-
tation de la libération de cytokines pro-inflamma-
toires (TNFα, IL-1 et IL-6, etc.) ou de médiateurs
apoptotiques (Fas/Fas ligand), ou une diminution des
cytokines protectrices anti-inflammatoires (IL-10) ;
– hyperaggrégabilité plaquettaire et diminution de
la fibrinolyse physiologique qui pourraient exposer
à un risque thrombotique accru, etc.
De manière encore plus troublante, plusieurs travaux
ont montré que la résolution des manifestations
dépressives, avec ou sans traitement spécifique et
quelle que soit la méthode thérapeutique ayant
permis la guérison (psychothérapie ou prise d’anti-
dépresseurs), tout comme l’amélioration de l’état
clinique après un infarctus ou au cours des cardio-
myopathies (avec les traitements bêtabloquants,
les inhibiteurs du système rénine-angiotensine, etc.)
restaurent les dysfonctionnements de ces grands
systèmes biologiques, qui sont essentiels à la survie
de l’organisme.
Insuffisance de diagnostic
et traitement de la dépression
Identifier et s’attacher à accompagner et à soulager
un patient dépressif contribuent de manière essen-
tielle à la qualité des soins, y compris à la qualité de
la prise en charge de la maladie cardiaque associée
ou sous-jacente. Ce dépistage devrait faire l’objet de
la même attention que celle déployée pour évaluer
le risque de ces patients. On estime pourtant que
seulement un quart des dépressions sont diagnos-
tiquées et que la moitié d’entre elles sont effecti-
vement prises en charge. Ne pas s’occuper d’une
dépression, c’est s’exposer à de multiples difficultés
au quotidien dans la prise en charge de la maladie
cardiaque, dans l’ajustement des thérapeutiques
et dans la négociation et la réussite des inévitables
changements comportementaux.
Il faut reconnaître que, dans ce contexte, le dia-
gnostic d’une dépression n’est pas aisé, car celle-ci
peut être masquée ou intriquée avec le retentisse-
ment fonctionnel de la pathologie cardiaque et des
mécanismes d’adaptation périphérique (décondi-
tionnement musculaire). Le tableau IV rassemble
quelques éléments cliniques fréquents qui doivent
alerter le praticien et faire évoquer, à côté d’une
déstabilisation de la cardiopathie, une composante
dépressive. Ainsi mis en alerte, on peut s’aider de
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