L Dépression et risque cardiovasculaire MISE AU POINT

18 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire n° 428 - octobre 2009
MISE AU POINT
Dépression et risque
cardiovasculaire
Depression and risk of cardiovascular disease
F. Ledru*
* Cardiologie, pôle cardiovasculaire,
hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
L
a dépression est un affect émotionnel qui
regroupe un ensemble de manifestations
cliniques principalement caractérisées par une
humeur triste et/ou un désintérêt dans la plupart
des activités du quotidien, notamment celles qui
étaient auparavant agréables et plaisantes. Il peut
s’y associer d’autres signes psychiques, comporte-
mentaux ou somatiques (tableau I), de sorte que
la présentation clinique n’est souvent ni typique
ni complète. L’intensité de ces symptômes est
également éminemment variable, depuis une
simple tendance dépressive (dépressivité) jusqu’à
une véritable dépression mélancolique. En milieu
de cardiologie, il est important que le praticien
s’intéresse à la dépression chez ses patients, pour
deux raisons : d’une part, les signes somatiques
de dépression peuvent tout à fait prendre le
masque d’une affection cardiovasculaire, être le
motif de consultation et faire “errer” longtemps
un diagnostic d’authentique dépression ; d’autre
part, la dépression chez un patient “cardiaque”
a une valeur pronostique. Même en pratique de
médecine générale, la prépondérance des signes
somatiques peut rendre le diagnostic malaisé pour
un œil – et une oreille – non exercés.
Dépression dans la population
générale : un facteur
de risque d’événement
cardiovasculaire
Dans la population générale française, la dépression
est très fréquente. Selon une enquête réalisée en
2005 par l’Institut national de prévention et d’éduca-
tion pour la santé (Inpes), 8 % des Français âgés de
15 à 75 ans (soit près de 3 millions de personnes) ont
vécu une dépression au cours des 12 mois précédant
l’enquête, et 19 % des Français âgés de 15 à 75 ans
(soit près de 9 millions de personnes) ont vécu ou
vivront une dépression au cours de leur vie. C’est
ainsi la première cause de morbidité psychologique
en médecine générale représentant 10 à 15 % des
motifs de consultation.
Malgré l’hétérogénéité des définitions et des
méthodes de mesure de la dépression utilisées
dans les très nombreux travaux épidémiologiques
de grande ampleur publiés depuis 20 ans, la plupart
des études d’observation et des méta-analyses ont
montré que la survenue de symptômes dépressifs
à un moment donné de l’histoire d’un sujet était
Tableau I. La dépression est un syndrome.
Symptômes psychiques
Les deux signes cardinaux :
une tristesse qui imprègne la perception du présent, du passé et du futur ;
une incapacité à éprouver du plaisir (ou anhédonie): perte d’intérêt, ennui, sensation de mono-
tonie de l’existence, voire vraie douleur morale, comparable à celle du deuil d'un être cher : le monde
paraît vide, rien ne peut avoir assez d'intérêt pour atténuer cette situation pénible, l'avenir n'est plus
porteur d'espoir…
Les autres symptômes psychiques :
–une anxiété : sensation de tension intérieure ou de danger imminent, qui peut être paralysante
ou au contraire susciter de l'agitation (incapacité à rester en place, etc.). Elle peut devenir angoisse
lorsque des symptômes somatiques s'associent à ces peurs;
– des troubles cognitifs, qui sont fonctionnels et réversibles, se manifestant surtout lorsqu'un
effort d'attention est nécessaire (troubles de la concentration, fatigabilité dans certaines tâches
comme la lecture. Chez la personne âgée, les troubles peuvent aller jusqu'à une apparence d'état
démentiel.
Comportement typique
–un ralentissement psychomoteur pouvant aller jusqu’à une paralysie de la pensée et de l’ac-
tion: sensation de fatigue, sentiment que tout est effort, etc., jusqu’au clinostatisme, au repli chez
soi, à l’incurie, à la perte de toute initiative, etc.
Troubles somatiquesvariés
–du sommeil (insomnie ou hypersomnie) ;
–alimentaires (anorexie ou boulimie) ;
–cardiovasculaires (oppression thoracique, malaises, palpitations, dyspnée, etc.) ;
–de la libido (impuissance, frigidité, etc.) ;
–digestifs (troubles fonctionnels intestinaux, difficulté à déglutir, etc.).
La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire n° 428 - octobre 2009 | 19
Points forts
»
La survenue d’une dépression est fréquente dans la population française et chez les patients de cardio-
logie (jusqu’à 30 % des patients).
»Les signes somatiques de dépression peuvent tout à fait simuler des symptômes cardiovasculaires.
»
Qu’elle survienne chez des sujets avec ou sans affection cardiovasculaire préalable, une dépression
est statistiquement associée à un risque plus élevé d’accidents coronaires ou cérébrovasculaires et à une
surmortalité, indépendamment des facteurs de risque et des variables pronostiques classiques.
»
On invoque des mécanismes comportementaux (comportements à risque, inobservance, etc.) mais aussi
des perturbations des grands systèmes homéostatiques comme l’immunité, le système neurovégétatif, etc.
»
La dépression n’a néanmoins pas le statut de facteur de risque cardiovasculaire, car le traitement d’une
dépression n’a pas encore fait la preuve d’une réduction de la morbimortalité.
Mots-clés
Dépression
Infarctus du myocarde
Risque
cardiovasculaire
Pronostic
Highlights
Depression is a common
disorder in the french adult
population. It is even more
prevalent in cardiology prac-
tice, affecting up to one third
of patients.
The somatic symptoms of
depression may mimic cardio-
vascular disorders. Diagnostic
of depression may conse-
quently be missed, unless it
is looked for with appropriate
clinical tools.
Both in people free of cardiac
disease and in already affected
patients, depression has been
associated with a greater occur-
rence of coronary and cere-
brovascular events, including
cardiac mortality, even after
adjustment for the other well-
known risk factors and prog-
nostic variables.
Behavioural mechanisms (such
as unhealthy behaviours, non
compliance to prevention
advices or drugs) together
with the dysfunction of homeo-
static regulation (affecting the
immunity-inflammation and
sympathetic-parasympathetic
systems, etc.) could explain this
association.
However, depression will not
become a true risk factor
until properly designed trials
unambiguously demonstrate
that resolution of depression
is associated with a significant
and clinically relevant reduc-
tion in the occurrence of major
cardiovascular end points.
Keywords
Depression
Myocardial infarction
Cardiovascular risk
Prognosis
associée à un doublement du risque de survenue
d’un événement cardiovasculaire grave, fatal ou non
(infarctus du myocarde [IDM], accident cérébro-
vasculaire, mort subite, etc.) [1-4].
En 2004, une nouvelle confirmation de cette
relation a été apportée par l’étude INTERHEART.
Cette vaste enquête internationale, transversale,
a montré que la part attribuable à une dépression
dans le risque de survenue d’un premier IDM repré-
sentait 9 %, c'est-à-dire autant qu’un diabète (5) !
Globalement, les facteurs psychosociaux (un état
de stress chronique ou une dépression dans cette
étude) repsentaient 32 % des facteurs de risque
d’IDM, au troisième rang des facteurs de risque
cardiovasculaire, derrière un tabagisme et une
hypercholestérolémie, mais loin devant une hyper-
tension ou un diabète.
Ce doublement du risque cardiovasculaire chez les
sujets dépressifs concerne les hommes comme les
femmes, les sujets jeunes comme les seniors, et
persiste après ajustement sur les facteurs de risque
cardiovasculaire classiques. Ceux-ci nexpliquent en
effet que 12 % de la relation entre dépression et
incidence des événements cardiovasculaires graves.
Enfin, des données issues d’études longitudinales
poursuivies durant plusieurs dizaines d’années ont
montré que le risque cardiovasculaire persistait
plus de 20 ans après l’épisode dépressif (6). Nous
verrons plus loin ce qui permet d’expliquer cette
relation.
Dépression chez les patients
cardiaques : fréquente
et masquée
Au cours des diverses pathologies cardiovasculaires,
la dépression est l’affect négatif le plus fréquemment
rencontré (tableau II). Cette prévalence – plus d’un
tiers des patients – est bien plus élevée que dans la
population non malade du même âge (qui est de
l’ordre de 2 à 3 % des hommes, et de 5 à 9 % des
femmes) ainsi que dans la population qui consulte en
médecine générale (cf. supra). La variabilité impor-
tante des prévalences rapportées est sans doute le
reflet des méthodes et des critères utilisés pour poser
le diagnostic (entretiens cliniques structurés versus
scores de dépression à partir d’autoquestionnaires)
et de l’hétérogénéité des populations étudiées en
termes d’âge, de sévérité de la maladie cardiovas-
culaire, etc. La survenue d’une dépression serait plus
fréquente chez les femmes, chez les patients les
plus jeunes, et chez ceux qui cumulent les comor-
bidités ou qui sont les plus physiquement limités,
encore que ces caractéristiques à risque ne soient pas
retrouvées dans toutes les études. Lévolution natu-
relle des symptômes dépressifs au cours du suivi n’est
pas bien connue. En postinfarctus, environ un tiers
des patients “guérissent” au cours de la 1
re
ane,
mais les deux tiers voient leurs symptômes perdurer
ou s’aggraver. Le taux de récurrence chez ceux qui
guérissent” n’est cependant pas connu.
Tableau II. Prévalence de la survenue de symptômes dépressifs chez les patients atteints de cardiopathie.
Symptomatologie
dépressive (%)
Dépression
majeure*(%)
Maladie coronaire
Postinfarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu 27 18
Postpontages coronaires 20 à 25 12 à 20
Coronariens stables ambulatoires 17
Insuffisance cardiaque
Patients hospitalisés 21 à 33 9 à 14
Patients ambulatoires 25 13
Accident vasculaire cérébral constitué 33 –
*Critères de dépression du DSM-IV
(Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
, 4e édition de la Société américaine de
psychiatrie).
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Dépression
et risque cardiovasculaire
MISE AU POINT
Parmi ces dépressions, 30 à 50 % sont considérées
comme majeures (selon les critères du DSM-IV,
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Diseases
– 4e édition) et invalidantes, perturbant la prise en
charge. Toutefois, même dans ces cas-là, la dépres-
sion est rarement typique. Elle est ts souvent
masquée derrière les symptômes cardiovascu-
laires et se manifeste d’ailleurs plus souvent par
des symptômes somatiques, comme une fatigabilité,
des difficultés à aller jusqu’au bout de ses tâches,
des plaintes variées et aspécifiques comme des
malaises, plutôt que par des symptômes psychiques
ou comportementaux plus suggestifs (tableau I).
Autrement dit, pour détecter une dépression, il faut
savoir ne pas interpréter ces symptômes somatiques
seulement sous l’angle cardiologique”, surtout s’ils
sont discordants avec les autres éléments d’évalua-
tion de la maladie cardiaque ou vasculaire.
On notera que l’apparition de symptômes dépres-
sifs n’est pas corrélée à la gravité objective” de
la maladie cardiovasculaire. La dépression semble
plutôt dépendre du degré de vulnérabilité de la
personne et de la qualité du soutien et de l’empathie
que cette dernière trouve autour d’elle, notamment
auprès des soignants.
Dépression chez les patients
cardiaques : un marqueur
pronostique
Ces symptômes dépressifs ne sont pas seulement
une souffrance psychologique venant se surajouter
ou compliquer l’épreuve de la maladie cardiovascu-
laire. Leur survenue chez un patient expose à une
surmortalité cardiaque (multiplication du risque par
2 ou 3), alors que la mortalité non cardiaque n’est
pas affectée (7). L’“effet dépression” persiste après
ajustement sur les diverses variables pronostiques
classiques, comme l’âge, la classe fonctionnelle
NYHA initiale, la fraction d’éjection ventriculaire
gauche, le pic de VO2, l’ancienneté de la cardiopa-
thie, les traitements reçus, etc. (7-9). Ainsi, après un
infarctus, il a été montré qu’une dépression avait un
poids pronostique aussi important que celui de la
fraction d’éjection ventriculaire résiduelle ou de la
prise d’un bêtabloquant (7). Cette relation pronos-
tique est de type “dose-effet” : les patients les plus
dépressifs sont ceux qui ont le pronostic cardiaque
le plus mauvais. Cependant, le risque nest pas limité
aux patients avec une dépression manifeste clini-
quement et reste significatif chez les patients avec
une dépressivité (c'est-à-dire une souffrance minime
dite “infraclinique”).
La convergence des données épidémiologiques
publiées suggère qu’une dépression ou même une
dépressivité survenant au cours de l’évolution d’une
cardiopathie est sans doute plus qu’un épiphé-
nomène ou un facteur confondant. C’est une comor-
bidité fréquente qui affecte le pronostic de la maladie
cardiaque. D’autres éléments suggèrent que le lien
entre dépression et cardiopathie chronique n’est
pas fortuit.
Des causes encore inconnues,
mais des coïncidences
troublantes
Les raisons du doublement de la fréquence des
événements cardiovasculaires graves et de la morta-
lité chez les déprimés, même modérés, ayant ou non
une affection cardiovasculaire associée, ne sont pas
encore clairement établies. On ne connaît d’ailleurs
pas bien la cause des décès chez ces sujets, même
si certaines données suggèrent que la surmorta-
lité pourrait être principalement subite (1), ce qui
orienterait plutôt vers la primauté de mécanismes
arythmiques.
Plusieurs facteurs comportementaux et biologiques
communs aux patients dépressifs et cardiaques ou
qui ont été identifiés chez des patients déprimés
et avec cardiopathie par comparaison avec des
patients présentant le même type de cardiopathie,
mais non déprimés sont invoqués (tableau III). La
liste est longue. Bien évidemment, ces deux grands
cadres explicatifs ne sont pas exclusifs l’un de l’autre,
chacun contribuant à expliquer en partie l’association
observée entre dépression et risque d’événement
Tableau III. Mécanismes possibles par lesquels une dépression peut conduire à des événements
cardiaques graves.
Mécanismes physiopathologiques :
– hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophysaire et hyperactivité sympathique induite ;
– réduction du tonus vagal, augmentation des catécholamines et de la sérotonine circulantes,
sensibilité aux à-coups adrénergiques, risque arythmique, etc. ;
– inflammation chronique, dysimmunité, apoptose, etc. ;
– hyperaggrégabilité plaquettaire, activation endothéliale et réduction du pouvoir fibrinolytique ;
– réduction des contenus membranaires en acides gras polyinsaturés Omega-3 ;
– iatrogénie (y compris toxicité de certains antidépresseurs).
Mécanismes comportementaux :
– déséquilibre alimentaire ;
– sédentarité ;
– inobservance médicamenteuse ;
– pauvreté de l’environnement affectif, isolement social ;
– conduites addictives à risque (tabac, alcool).
La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire n° 428 - octobre 2009 | 21
MISE AU POINT
cardiovasculaire grave. Ainsi, chez des patients coro-
nariens stables, l’ajustement itératif sur les comor-
bidités et la sévérité de la maladie coronaire, puis
sur les médiateurs biologiques et finalement sur
les variables comportementales (comme la séden-
tarité) finit par atténuer complètement cette asso-
ciation (10).
La responsabilité des comportements des sujets
dépressifs dans le risque cardiovasculaire est sans
nul doute intuitive. Les sujets dépressifs sont souvent
en retrait, vis-à-vis des autres mais aussi vis-à-vis de
leur santé. Il est démontré qu’ils sont moins enclins
à suivre les recommandations hygiéno-diététiques
et thérapeutiques, en particulier en ce qui concerne
l’autogestion, l’équilibre alimentaire, le maintien
d’une activité physique adaptée et régulière ou
bien la cessation des addictions éventuelles (tabac
en particulier) [11, 12], mais on a vu que l’ajustement
sur les facteurs de risque classiques atténue très peu
la force de l’association statistique entre dépression
et risque cardiovasculaire. Les sujets déprimés sont
également moins observants aux traitements et aux
suivis cliniques (13). L’inobservance thérapeutique
est probablement rendue plus critique du fait de la
polymédication – qui est devenue la règle chez les
patients cardiaques –, de l’âge avancé de la majorité
des patients et, bien entendu, de l’isolement social
fréquent des sujets déprimés. Moins souvent invo-
quée, la iatrogénie et ses conséquences pourraient
également être plus fréquentes chez les patients à
la fois cardiaques et déprimés (14). Il se peut que la
difficulté à suivre et à améliorer l’état de ces patients
fonctionnellement conduise à un excès d’actes et
de traitements divers loin d’être anodins, jusqu’à ce
que la dépression soit reconnue et prise en charge
en parallèle de la maladie cardiaque. Quoique très
difficiles à évaluer en pratique clinique, toutes ces
réalités concourent à diminuer l’espérance de vie
des sujets déprimés, a fortiori s’ils ont une affection
cardiovasculaire associée.
Tout aussi intéressantes et pertinentes sont les hypo-
thèses biologiques qui pourraient lier dépression
et événements cardiovasculaires. Au cours d’une
dépression comme après un IDM ou en cas d’in-
suffisance cardiaque chronique, plusieurs grands
systèmes homéostasiques sont affectés (15) :
perturbations neurohormonales telles qu’une
hyperactivation sympathique ou une sensibilité
particulière aux catécholamines circulantes ;
perturbations vago-sympathiques aux dépens
du tonus vagal (réduction de la variabilité de la
fréquence cardiaque et de l’intervalle QT, réduction
de la sensibilité du baroréflexe, etc.). Ces anomalies
communes pourraient expliquer une susceptibi-
lité arythmique, y compris chez les dépressifs sans
histoire cardiaque ;
– perturbations immunitaires, comme une augmen-
tation de la libération de cytokines pro-inflamma-
toires (TNFα, IL-1 et IL-6, etc.) ou de médiateurs
apoptotiques (Fas/Fas ligand), ou une diminution des
cytokines protectrices anti-inflammatoires (IL-10) ;
– hyperaggrégabilité plaquettaire et diminution de
la fibrinolyse physiologique qui pourraient exposer
à un risque thrombotique accru, etc.
De manière encore plus troublante, plusieurs travaux
ont montré que la résolution des manifestations
dépressives, avec ou sans traitement spécifique et
quelle que soit la méthode thérapeutique ayant
permis la guérison (psychothérapie ou prise d’anti-
dépresseurs), tout comme l’amélioration de l’état
clinique après un infarctus ou au cours des cardio-
myopathies (avec les traitements bêtabloquants,
les inhibiteurs du système rénine-angiotensine, etc.)
restaurent les dysfonctionnements de ces grands
systèmes biologiques, qui sont essentiels à la survie
de l’organisme.
Insuffisance de diagnostic
et traitement de la dépression
Identifier et s’attacher à accompagner et à soulager
un patient dépressif contribuent de manière essen-
tielle à la qualité des soins, y compris à la qualité de
la prise en charge de la maladie cardiaque associée
ou sous-jacente. Ce dépistage devrait faire l’objet de
la même attention que celle déployée pour évaluer
le risque de ces patients. On estime pourtant que
seulement un quart des dépressions sont diagnos-
tiquées et que la moitié d’entre elles sont effecti-
vement prises en charge. Ne pas s’occuper d’une
dépression, c’est s’exposer à de multiples difficultés
au quotidien dans la prise en charge de la maladie
cardiaque, dans l’ajustement des thérapeutiques
et dans la négociation et la réussite des inévitables
changements comportementaux.
Il faut reconnaître que, dans ce contexte, le dia-
gnostic d’une dépression nest pas aisé, car celle-ci
peut être masquée ou intriquée avec le retentisse-
ment fonctionnel de la pathologie cardiaque et des
mécanismes d’adaptation périphérique (décondi-
tionnement musculaire). Le tableau IV rassemble
quelques éléments cliniques fréquents qui doivent
alerter le praticien et faire évoquer, à côté d’une
déstabilisation de la cardiopathie, une composante
dépressive. Ainsi mis en alerte, on peut s’aider de
Références
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10. Whooley MA, de Jonge P,
Vittinghoff E et al. Depressive
symptoms, health behaviors,
and risk of cardiovascular events
in patients with coronary heart
Trois questions simples...
1. “Durant le mois passé, avez-vous ressenti une baisse de moral ou éprouvé des sentiments de déprime
ou de désespoir ?”
2. “Durant le mois passé, avez-vous déjà ressenti une perte d'intérêt ou de plaisir à réaliser vos activités
quotidiennes ?”
3. “Y a-t-il quelque chose pour lequel vous souhaiteriez une aide ?”
Oui à l'une au moins
des deux premières questions
et à la troisième question
Non aux deux premières
questions
Possible dépression
associée
Pas de dépression
associée
Figure. Dépistage d’une dépression chez un patient cardiaque.
22 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire n° 428 - octobre 2009
Dépression
et risque cardiovasculaire
MISE AU POINT
trois questions “oui/nonsimples qui ont fait la
preuve de leur pertinence dans le dépistage d’une
dépression modérée à sévère chez des patients
en médecine générale et chez des patients coro-
nariens (figure). La réponse “oui” à l’une ou aux
deux premières questions a une sensibilité de plus
de 90 %, mais une faible spécificité (68 %), qui est
toutefois améliorée grâce à la troisième question
(94 %). Globalement, la valeur prédictive négative
de ces 3 questions dépasse 95 %. On peut égale-
ment s’aider d’autoquestionnaires que le patient
peut remplir lui-même très facilement sans trop
solliciter sa concentration. L’un des plus répandus est
le Hamilton Anxiety Depression scale ([HAD], 14 ques-
tions simples, durée inférieure à 5 minutes), qui est
validé principalement chez des patients hospita-
lisés. Le diagnostic de dépression rendu très probable
pourra ensuite être confirmé par un psychiatre en
utilisant les critères du DSM-IV. Il permettra d’évaluer
son intensité et, surtout, la nécessité ou non d’une
prise en charge spécifique, pharmacologique ou non.
Traiter avec pragmatisme
et discernement
Il n’y a actuellement pas de consensus sur le traite-
ment de la dépression des patients cardiaques, car
peu de données sont disponibles. Chez des patients
vus au décours d’un infarctus récent, deux études
ont montré que :
– l’administration d’un antidépresseur inhibiteur de
la recapture de la sérotonine réduit significativement
les symptômes dépressifs et améliore la qualité de
vie, sans faire apparaître de problèmes d’intolérance,
c’est-à-dire sans affecter significativement la fraction
d’éjection ventriculaire gauche, l’ECG (intervalle
QT), le risque rythmique, le risque de réinfarctus,
etc. (16, 17). Dans l’une de ces études, le bénéfice sur
la mortalité et sur la récidive d’infarctus a été étudié,
mais n’a montré qu’une tendance non significative
(14,5 % versus 22,4 %). L’essai n’avait toutefois pas
la puissance statistique pour démontrer un impact
sur ce critère de morbimortalité, qui n’était qu’un
critère secondaire de jugement. Des études simi-
laires sont en cours chez des patients insuffisants
cardiaques en classe NYHA II ;
un soutien psychosocial avec psychothérapie
cognitivo-comportementale (visant à développer
chez les sujets déprimés une prise de conscience
des troubles et de nouvelles attitudes) permet
également de réduire les symptômes dépressifs et
d’améliorer la qualité de vie, sans bénéfice sur la
Tableau IV. Signes devant faire évoquer une dépression associée chez un patient cardiaque.
Contexte du patient
–antécédents familiaux ou personnels de dépression ;
–polypathologies invalidantes.
Présentation et symptômes du patient
–nature subjective des plaintes, symptômes inexpliqués, bizarres ou discordants, utilisation d’ex-
pressions métaphoriques à double sens comme: “J’ai le cœur qui ne va pas”, “Je suis oppressé”,
“Je suis fatigué”, “J’ai des malaises”, etc. ;
–prépondérance de symptômes de type fatigue (plutôt que dyspnée ou blockpnée), anhédonie
(perte de la capacité à éprouver du plaisir dans les activités quotidiennes ou relationnelles autre-
fois plaisantes), irritabilité excessive et inhabituelle, difficultés à dormir ou à aller au bout de ses
tâches quotidiennes, prise ou perte de poids importante en quelques mois, etc.
Difficultés du patient
–faible investissement dans la démarche de prévention et dans la réadaptation, faible obser-
vance, accusation des traitements (“C’est la faute du … [bêtabloquant, etc.]”) qui sont un alibi
d’autant moins crédible qu’on est à distance de l’introduction, hygiène défectueuse… ;
–difficulté à réintégrer la vie sociale ou professionnelle malgré une période de temps raison-
nable après l’événement cardiaque (requêtes répétées pour renouveler l’arrêt de travail, etc.),
contacts sociaux réduits, difficulté à gérer le stress du quotidien ;
–surtout, discordance entre, d’une part, la médiocre qualité de vie vécue par le patient, qui mul-
tiplie éventuellement les appels ou les consultations, et, d’autre part, des performances globales
à l’effort peu affectées (se méfier toutefois d’un déconditionnement musculaire très fréquent
ou d’une participation médiocre du patient aux tests d’effort), ou paramètres cardiovasculaires
“objectifs” plutôt rassurants, ou peu altérés (seuil ischémique élevé, fraction d’éjection préser-
vée, BNP bas, etc.).
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