ÉDITORIAL Profil lipidique et risque cardiovasculaire : quand et comment le mesurer ? Lipid profile and cardiovascular risk: how and when this evaluation has to be done? J. Ferrières* D ans le domaine des pathologies cardiovasculaires, la fin des années 1990 et le début des années 2000 resteront marqués par le risque lié aux lipides. L’hyper­tension artérielle et le tabagisme avaient annoncé l’ouverture du bal, mais c’est dans le domaine des lipides qu’il y a eu le plus d’essais thérapeutiques en un espace de temps aussi court. Les extensions récentes des autorisations de mise sur le marché des statines ont accentué encore la nécessité de dépister et de mieux traiter le risque cardiovasculaire lié aux lipides. De manière très synthétique, l’ère des statines a montré le rôle central du LDL-cholestérol dans l’athérosclérose vasculaire. C’est ainsi que la prescription d’une exploration d’une anomalie lipidique est devenue l’examen biologique de référence pour apprécier le risque et choisir le meilleur traitement. Quelle est la meilleure période pour dépister ce risque cardiovasculaire lié aux lipides ? Cela dépend avant tout du type de prévention cardiovasculaire considéré. En prévention primaire, deux situations cliniques différentes sont rencontrées. Chez l’enfant issu d’une famille de patients porteurs d’affection cardiovasculaire précoce et chez lequel on a pu déterminer des valeurs élevées de cholestérol, le dosage des fractions lipidiques sera réalisé le plus tôt possible, dès l’âge de 8 ans. Ce n’est pas forcément avant l’âge de la puberté que le traitement par statines sera institué chez ces enfants à haut risque, mais cela permettra de bien suivre l’évolution du risque chez ces enfants et en particulier, de ne pas voir apparaître d’autres facteurs que pourraient entraîner le tabagisme ou l’obésité. Chez l’adulte en prévention primaire, le débat a longtemps été vif sur la nécessité de réaliser un bilan biologique lipidique. Aujourd’hui, la situation s’est apaisée et tout médecin est en droit de demander, tous les 5 ans, un bilan biologique lipidique chez un adulte sain. Bien évidemment, cette détermination biologique sera réalisée plus fréquemment si d’autres facteurs de risque majeurs survenaient. *Service de cardiologie B, CHU de Rangueil, Toulouse. 4 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 436 - juin 2010 Chez le patient porteur d’une affection cardiovasculaire, la surveillance doit être plus rigoureuse et les bilans biologiques doivent être réalisés beaucoup plus souvent. La question la plus ardue est celle qui se pose aux cardiologues pratiquant leur spécialité dans les soins intensifs. Après de longs débats et de nombreuses publications (1), il est désormais admis que l’on peut réaliser en urgence un bilan biologique non à jeun chez des sujets admis pour syndrome coronaire aigu. Cette détermination initiale permettra d’orienter rapidement le traitement médicamenteux et, surtout, d’instituer un traitement par statines dès les premières heures. Même si toutes les études ne sont pas convergentes, il semble prouvé que la prescription rapide de statines chez les patients porteurs de syndromes coronaires aigus influence favorablement le pronostic et, en particulier, la diminution des rechutes ischémiques. Malgré de nombreuses recommandations et une baisse continue du risque cardiovasculaire dans les suites d’un événement aigu, les événements récurrents sont toujours présents. La chronicité de l’athérosclérose vasculaire est liée à la physiopathologie de cette maladie, mais cela ne doit pas pour autant nous faire baisser les bras. Face à un patient vasculaire à haut risque, il faut bien sûr contrôler l’ensemble des facteurs de risque, dont le LDL-cholestérol. Chez certains patients dont le risque cardiovasculaire paraît particulièrement élevé et dont le contrôle des facteurs lipidiques semble réalisé, il faudra penser au dosage de la lipoprotéine (a). Il faut concevoir la lipoprotéine (a) comme une LDL encore plus agressive, et sa détermination permettra d’intensifier le traitement par les hypolipidémiants. Plus récemment, la cardiologie préventive s’est intéressée aux lipoprotéines liées aux triglycérides et aux HDL. Les triglycérides restent un facteur de risque controversé (2). Cependant, les remnants de VLDL et les lipoprotéines IDL semblent associés à un risque cardiovasculaire significatif (3-4). De manière indépendante, les lipoprotéines HDL, quand elles sont basses, influencent fortement le pronostic ÉDITORIAL cardio­vasculaire à long terme (5). Les données biologiques dont nous disposons en pratique quotidienne en cardiologie ne sont, en général, pas suffisantes pour établir avec précision le risque cardiovasculaire lié aux lipides. Ce sont souvent des déterminations plus complexes, par ultracentrifugation ou par détermination des apolipoprotéines AI ou B, qui pourront nous permettre d’avancer dans la physiopathologie des rechutes. Néanmoins, la triade lipidique représentée par l’évaluation du LDL-cholestérol, du HDL-cholestérol et des triglycérides permet de stratifier relativement bien le risque cardiovasculaire à long terme. En France, ce risque est loin d’être maîtrisé. Dans la récente étude DYSIS (DYSlipidemia International Study), les patients à haut risque sont loin d’être parfaitement contrôlés. Chez ces patients français qui ont tous été mis sous statines de manière chronique, 51,8 % ne sont pas à l’objectif d’1 g/l pour le LDL-cholestérol, 22,8 % ont un HDL-cholestérol bas et 37,3 % ont des triglycérides élevées (6). En conclusion, les dyslipidémies jouent un rôle central dans l’athérosclérose vasculaire. Leur évaluation doit être particulièrement précise et répétée lorsque le risque cardiovasculaire est élevé. En France, les objectifs thérapeutiques sont vérifiés à l’aide d’un contrôle biologique simple. Cette évaluation biologique doit permettre de vérifier si le LDLcholestérol est aux objectifs et doit s’assurer que le HDLcholestérol et les triglycérides sont proches des valeurs normales. Dans le cas contraire, ce sont de nouvelles thérapeutiques hygiéno-diététiques ou médicamenteuses qui doivent être entreprises. ■ Références bibliographiques 1. Pitt B, Loscalzo J, Ycas J, Raichlen JS. Lipid levels after acute coronary syndromes. J Am Coll Cardiol 2008;51(15):1440-5. 2. Sarwar N, Danesh J, Eiriksdottir G et al. Triglycerides and the risk of coronary heart disease: 10,158 incident cases among 262,525 participants in 29 Western prospective studies. Circulation 2007;115(4):450-8. 3. Nordestgaard BG, Benn M, Schnohr P, Tybjaerg-Hansen A. Nonfasting triglycerides and risk of myocardial infarction, ischemic heart disease, and death in men and women. JAMA 2007;298(3):299-308. 4. Bansal S, Buring JE, Rifai N, Mora S, Sacks FM, Ridker PM. Fasting compared with nonfasting triglycerides and risk of cardiovascular events in women. JAMA 2007;298(3):309-16. 5. Barter P, Gotto AM, LaRosa JC et al.; Treating to New Targets Investigators. HDL cholesterol, very low levels of LDL cholesterol, and cardiovascular events. N Engl J Med 2007;357(13):1301-10. 6. Ferrières J, Bérard E, Crisan O, Bongard V. Residual dyslipidemia after statin treatment in France: prevalence and risk distribution. Arch Cardiovasc Dis 2010 (in press).