Q u e fa i re avec un pat i ent co ron a i r e
sous aspirine qui a mal à l’es t omac ?
M.A. Bigard
(service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy)
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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 1 - janvier-février-mars 2004
La prise d’aspirine à faible dose (< 3 3 0 m g / j )
concerne environ 1,2 million de Français
d’après l’étude cas-témoins de C. Capet et al.
( 1 ) . La présence de symptômes digestifs sur-
venant, de façon au moins hebdomadaire,
dans la population générale est estimée à 10 %
des cas environ, notamment pour les symp-
tômes de reflux et les brûlures épigastriques.
Étant donné la fréquence respective de ces
deux situations, la présence de douleurs épi-
gastriques chez un patient sous aspirine est
une situation fréquente, même en l’absence
de lien de causalité entre les deux.
On manque d’études épidémiologiques sur le
sujet, mais l’aspirine à faible dose ne semble
pas entraîner de douleurs épigastriques, alors
que l’aspirine à doses anti-inflammatoires est
responsable d’un syndrome douloureux iden-
tique à celui causé par les AINS.
La toxicité de l’aspirine à faible dose sur l’es-
tomac et le duodénum résulte d’au moins trois
mécanismes :
des conséquences néfastes sur les méca-
nismes de défense de la muqueuse et l’inhibi-
tion de la synthèse des prostaglandines dans
la muqueuse digestive ;
un effet irritant local dû à la rupture de la
barrière muqueuse et à la rétrodiffusion des
ions H+;
un effet antiagrégant plaquettaire favorisant
le saignement de lésions préexistantes ou de
lésions induites par l’aspirine.
L’effet ulcérogène direct est probablement
moins important qu’on l’avait cru initiale-
ment, et il est possible que les complications
de l’aspirine à faible dose soient en grande
partie dues à son effet antiagrégant.
Il n’y a donc aucune preuve d’un effet ulcéro-
gène direct de l’aspirine à petite dose. En cas
de douleur épigastrique survenant chez un
sujet d’âge moyen ou élevé placé depuis peu
sous aspirine, il est donc conseillé de prati-
quer une endoscopie digestive à la recherche
d’une lésion organique, et surtout d’une
lésion préexistante : œsophagite par reflux,
ulcère gastroduodénal, voire néoplasme gas-
t r i q u e .
Le principal risque de l’aspirine à petite dose
chez les patients coronariens est constitué par
le risque hémorragique digestif.
L’aspirine a une toxicité dose-dépendante
chez le volontaire sain, et même les doses
inférieures à 100 mg/j provoquent des lésions
de la muqueuse gastroduodénale et des pertes
sanguines mesurables.
Les études endoscopiques montrent que l’as-
pirine entraîne, de façon très rapide, des
lésions à type de pétéchies. Ces pétéchies sont
d’autant plus nombreuses que la dose est éle-
vée. Les pétéchies siègent surtout dans l’esto-
mac. Elles peuvent être groupées en amas ou
être disséminées.
Si la prise d’aspirine est poursuivie, les lésions
changent d’aspect, avec une régression des
pétéchies et l’apparition de petites érosions.
Au bout d’un mois de traitement, les lésions
sont moins sévères qu’après 2 à 3 jours de trai-
tement, ce qui témoigne d’une adaptation gas-
trique, notamment par renforcement progres-
sif des moyens de défense de la muqueuse.
La relation dose-dépendante des complica-
tions hémorragiques est bien démontrée. Dans
l’étude de J. Weil et al. ( 2 ), l’odds-ratio passe
de 2,3 pour 75 mg par jour à 3,2 pour 150 m g ,
et à 3,9 pour 300 mg. Dans l’étude cas-
contrôles de A. Lanas et al. ( 3 ), la consomma-
tion d’aspirine à faible dose doublait le risque
d’hémorragie digestive (OR : 2,4 ; IC 95 % :
1,8-3,3), alors que les AINS le multipliaient
par 7 (OR : 7,4 ; IC 95 % : 4,5-12). Le risque
absolu d’hémorragie digestive en cas de
consommation d’aspirine à dose antiagrégante
pendant cinq ans est de 2 à 4 pour 1 000 chez
les sujets d’âge moyen et de 4 à 12 pour 1 0 0 0
chez les sujets âgés (4).
Le risque hémorragique augmente en cas de
coprescription avec un traitement anticoagu-
lant oral. Par ailleurs, la prise concomitante
d’aspirine à faible dose annule le bénéfice
relevé sur la fréquence des complications
digestives observées avec les anti-COX-2. En
revanche, dans le travail de A. Lanas ( 3 ) , la
coprescription de dérivés nitrés réduisait de
40 % le risque d’hémorragie digestive.
Les données de la littérature sur le rôle de
l’infection par H . p y l o r i dans la survenue des
ulcères, compliqués ou non, chez les malades
sous aspirine sont contradictoires et, actuelle-
ment, il n’est pas possible d’en tirer des
recommandations avec un niveau de preuve
suffisant.
Dans l’étude de F.K.L. Chan et al. (5), chez les
patients prenant de l’aspirine (80 mg/j) et
ayant un antécédent d’ulcère hémorragique,
le risque de récidive est faible, à la fois chez
les malades ayant eu une éradication de
H . p y l o r i ( 1 , 9 %) et chez ceux recevant 20 m g