droit et éthique Droit et éthique La Convention européenne des droits de l’homme : à propos de l’affaire Winterwerp c/ Pays-Bas M. Godfryd* M. Frits Winterwerp, resvement réinséré dans la sortissant néerlandais né en epuis l’arrêt Bozano de 1986 (1), la France a été société et loge à l’extérieur. 1924, est marié depuis Une mise en liberté serait condamnée un certain nombre de fois pour violation de dépourvue de sens, à la 1956 et père de plusieurs enfants. Il travaille, par certaines stipulations de la Convention européenne des lumière des expériences ailleurs, au ministère de la droits de l’homme (CEDH). Mais, la France n’ayant jamais antérieures. Défense nationale. Le 24 été sanctionnée par la Cour de Strasbourg pour “interne- Frits Winterwerp demande juin 1968, son épouse ment” abusif, nous avons donc choisi d’illustrer le fonction- sa mise en liberté à quatre adresse au juge de paix reprises. Aucune démarche d’Amersfoort une requête nement de la Cour européenne des droits de l’homme, par n’aboutit, y compris celle sollicitant l’autorisation de l’affaire Winterwerp c/ Pays-Bas de 1979 (2). Il convient, de 1969 à la suite de le faire admettre, à titre pro- à cet égard, de souligner d’emblée que, la législation néer- laquelle il est même visoire, dans un hôpital landaise étant différente de la nôtre, ce n’est pas tant le entendu par le tribunal d’arpsychiatrique, dans l’intérondissement. L’intéressé rêt de son état de santé mais détail de la procédure qui retiendra notre attention (3) que saisit alors la Commission également dans celui de les principes généraux du droit élaborés par la Cour euro- européenne des droits de l’ordre public. En fait, M. péenne des droits de l’homme à partir de cette espèce. Et l’homme le 13 décembre Winterwerp se trouve déjà celle-ci demeure la décision princeps à partir de laquelle la 1972 : il se plaint d’être dans une telle institution juridiction a forgé une jurisprudence stable, même si arbitrairement privé de sa depuis trois semaines, par liberté et de n’avoir ni été décision du maire, confor- quelques précisions ont pu être apportées par la suite (4). entendu par un tribunal, ni mément à la procédure informé des différentes d’urgence prévue par la loi décisions qui ont prolongé néerlandaise. À la requête est joint un cercertificat du psychiatre hospitalier est ainsi son hospitalisation. La Commission estime tificat médical établi le 20 juin 1968 par un libellé : “Le patient souffre de maladie menque l’article 5 § 4 de la Convention EDH a praticien ayant examiné le requérant pour la tale ainsi caractérisée : psychopathe, vindiété violé et saisit la Cour le 9 mars 1978. Rappremière fois. Il y est mentionné que le pelons que la mise en œuvre du Protocole catif et comploteur, tendance paranoïaque, patient est un homme “schizoïde souffrant n°11 a entraîné la fusion de la Cour et de la très peu digne de confiance, présente des d’idées imaginaires et utopiques qui, depuis Commission le 1er novembre 1998, aboutissignes de démence se manifestant (notamassez longtemps, se détruit lui-même ainsi sant à une Cour permanente (5). Pour revement) par un effacement affectif, tendance que sa famille ; et qu’il n’a pas conscience nir à l’affaire Winterwerp, la Cour EDH rend égocentrique, nécessite grand contrôle et de son état maladif (§ 25 de l’arrêt)”. finalement son arrêt le 24 octobre 1979 (2). soins particuliers. La poursuite du traitement en asile doit être considérée comme Elle admet que, si le juge de paix et le triToujours sur l’initiative de son épouse, puis nécessaire (§ 27).” En 1973, le médecinbunal d’arrondissement constituent bien des sur celle du procureur, l’autorisation d’indirecteur adresse au procureur un certificat tribunaux, encore faut-il que les procédures ternement est renouvelée chaque année par que l’on peut résumer de la sorte : le patient appropriées s’accompagnent de garanties le tribunal d’arrondissement. En 1970, le souffre d’une psychose paranoïaque qui fondamentales. Mais ces garanties d’être peut être soignée avec succès par un traiteentendu ou à tout le moins représenté devant ment médicamenteux ; toutefois, au cours ces instances ont manqué à M. Winterwerp de congés antérieurs, il a omis de prendre la (sauf une fois). De plus, trois demandes d’élargissement ayant été rejetées par le promédication, de sorte qu’il a dû être réinté* CH Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois. cureur (qui ne rend pas de décisions juridicgré après rechute. Le malade est progressi- D Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 10, décembre 2000 370 droit et éthique Droit et éthique tionnelles), ces requêtes ne firent donc pas l’objet d’une décision par un tribunal. Il convient ici de préciser que, selon la jurisprudence européenne, une institution que le droit interne range parmi ses juridictions peut fort bien n’en être pas une au sens de l’article 6 de la CEDH. Lorsqu’elle ne satisfait pas aux conditions exigées par la Cour : l’organe doit être indépendant, impartial, établi par la loi, apte à décider et donc à trancher du litige (6). La Cour conclut donc à l’existence d’une violation de l’article 5 § 4 de la Convention (§ 61). Rappelons également que, pour la Cour, toujours à l’occasion de la même affaire, une détention pour troubles mentaux ne peut être tenue pour régulière que si trois critères sont réunis : – le trouble mental doit être réel, et sa démonstration devant l’autorité nationale compétente établie par une expertise médicale objective ; – ce trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; – la privation de liberté ne peut pas se prolonger au-delà de la persistance de pareil trouble (§ 39). À partir du 23 décembre 1979, F. Winterwerp cesse de se trouver sous le coup d’une mesure d’internement. Il reste cependant librement dans l’hôpital pour continuer à y recevoir des soins. En 1981, à la suite de négociations entre son avocat et le gouvernement néerlandais, ce dernier s’engage à verser une somme de 10 000 florins destinée à couvrir certains frais que le requérant devrait engager pour être admis dans un foyer de postcure. Dans un bref arrêt en date du 27 novembre 1981 (7), la Cour constate que l’accord revêt un “caractère équitable” au sens de l’article 50-5 de son règlement et décide en conséquence de rayer l’affaire du rôle (répertoire général sur lequel le greffe inscrit par ordre chronologique les affaires dont une juridiction est saisie). La Cour européenne des droits de l’homme ne constitue pas un quatrième degré de juridiction. Elle ne peut que constater une vio- lation d’un article de la Convention (et de ses protocoles additionnels) et attribuer une somme forfaitaire au titre de la “satisfaction équitable”. Mais les États membres tiennent ensuite compte de sa jurisprudence et modifient (en principe) leur législation et leur jurisprudence. Pour la France, par exemple, cela fut le cas respectivement pour les écoutes téléphoniques (8) et le changement d’état civil des transsexuels (9). Ce fut le cas également pour la publicité des débats devant les juridictions disciplinaires de l’ordre des médecins mais aussi d’autres organes (10). Références 1. Affaire Bozano c/ France, arrêt du 18 décembre 1986, série A n° 111. 2. Affaire Winterwerp c/ Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A, Vol. 33, § 37 ; AFDI 1980, p. 324, note R. Pelloux ; Ibid 1982, p. 512 ; Cah. dr. eur.1980, p. 464, note G. CohenJonathan. 3. Bodon-Bruzel M, Godfryd M. Ces lois qui passeront le siècle. La loi du 27 juin 1990 sur les personnes hospitalisées en raison de leurs troubles mentaux. Forensic, numéro spécial septembre 2000 : 34-7. 4. Affaire X c/ Royaume-Uni, arrêt du 5 novembre 1981, série A, Vol. 46. Affaire Ashingdane c/ Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A, Vol. 83. Affaire Luberti c/ Italie, arrêt du 23 février 1983, série A, n° 81. 5. Protocole n° 11 portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention, Strasbourg, le 11 mai 1994, série des traités européens, n° 155. 6. Affaire De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, arrêt du 18 juin 1971, A n° 12, § 60. Affaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt du 28 juin 1984, série A n° 80, § 76 in fine. 7. Affaire Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 27 novembre 1981. Application de l’article 50 (devenu article 41), série A n° 47. 8. Affaires Huvig et Kruslin (2 espèces) c/ France, arrêts du 24 avril 1990, série A, n° 176-A et B. 9. Cass. civ. 1re, 21 mai 1990 : JCP éd. G., 1990, II, 21588, concl. de Mme l’avocat général F. Flipo. 10. Décret n° 93-181 du 5 février 1993 relatif au fonctionnement des conseils de l’ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes et de la section disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins (JO 9 févr. 1993). Cons. d’Et. Ass. 14 févr. 1996, Maubleu, Rec. p. 34 ; JCP éd. G., 1996. II. 22669, note M. Lacombe et D. Vion. Nouvelle codification pour la Santé publique Le gouvernement vient de réformer, par voie d’ordonnance (1), la codification (c’està-dire la seule numérotation et à droit constant) de la partie législative du code de la Santé publique. Cette pratique est classique et vise un souci de clarification et de rationalité. Ainsi, le premier article du code devient l’article L. 1111-1, et l’on ne s’étonnera pas de voir qu’il est celui qui octroie au malade le libre choix de son médecin et de son établissement de santé. Les articles relatifs à l’hospitalisation sous contrainte (anciens articles L. 326 à L. 355) deviennent pour ceux qui sont le plus utilisés : Article. L. 333 Art. L. 3212-1 (HDT) Article. L. 333-2 Art. L. 3212-3 (HDT-U) Article. L. 339 Art. L. 3212-9 (sortie de HDT C.A.M) Article. L. 342 Art. L. 3213-1 (arrêté préfectoral de HO) Article. L. 343 Art. L. 3213-2 (arrêté du maire) Article. L. 348-1 Art. L. 3213-8 (levée de HO médico-légal) Article. L. 350 Art. L. 3211-11 (sortie d’essai HDT/HO) Article. L. 351 Art. L. 3211-12 (recours contre HDT/HO) Ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la Santé publique (JO 22 juin 2000). (1) 371