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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 10, décembre 2000
M. Frits Winterwerp, res-
sortissant néerlandais né en
1924, est marié depuis
1956 et père de plusieurs
enfants. Il travaille, par
ailleurs, au ministère de la
Défense nationale. Le 24
juin 1968, son épouse
adresse au juge de paix
d’Amersfoort une requête
sollicitant l’autorisation de
le faire admettre, à titre pro-
visoire, dans un hôpital
psychiatrique, dans l’inté-
rêt de son état de santé mais
également dans celui de
l’ordre public. En fait, M.
Winterwerp se trouve déjà
dans une telle institution
depuis trois semaines, par
décision du maire, confor-
mément à la procédure
d’urgence prévue par la loi
néerlandaise. À la requête est joint un cer-
tificat médical établi le 20 juin 1968 par un
praticien ayant examiné le requérant pour la
première fois. Il y est mentionné que le
patient est un homme “schizoïde souffrant
d’idées imaginaires et utopiques qui, depuis
assez longtemps, se détruit lui-même ainsi
que sa famille ; et qu’il n’a pas conscience
de son état maladif (§ 25 de l’arrêt)”.
Toujours sur l’initiative de son épouse, puis
sur celle du procureur, l’autorisation d’in-
ternement est renouvelée chaque année par
le tribunal d’arrondissement. En 1970, le
certificat du psychiatre hospitalier est ainsi
libellé : “Le patient souffre de maladie men-
tale ainsi caractérisée : psychopathe, vindi-
catif et comploteur, tendance paranoïaque,
très peu digne de confiance, présente des
signes de démence se manifestant (notam-
ment) par un effacement affectif, tendance
égocentrique, nécessite grand contrôle et
soins particuliers. La poursuite du traite-
ment en asile doit être considérée comme
nécessaire (§ 27).” En 1973, le médecin-
directeur adresse au procureur un certificat
que l’on peut résumer de la sorte : le patient
souffre d’une psychose paranoïaque qui
peut être soignée avec succès par un traite-
ment médicamenteux ; toutefois, au cours
de congés antérieurs, il a omis de prendre la
médication, de sorte qu’il a dû être réinté-
gré après rechute. Le malade est progressi-
vement réinséré dans la
société et loge à l’extérieur.
Une mise en liberté serait
dépourvue de sens, à la
lumière des expériences
antérieures.
Frits Winterwerp demande
sa mise en liberté à quatre
reprises. Aucune démarche
n’aboutit, y compris celle
de 1969 à la suite de
laquelle il est même
entendu par le tribunal d’ar-
rondissement. L’intéressé
saisit alors la Commission
européenne des droits de
l’homme le 13 décembre
1972 : il se plaint d’être
arbitrairement privé de sa
liberté et de n’avoir ni été
entendu par un tribunal, ni
informé des différentes
décisions qui ont prolongé
son hospitalisation. La Commission estime
que l’article 5 § 4 de la Convention EDH a
été violé et saisit la Cour le 9 mars 1978. Rap-
pelons que la mise en œuvre du Protocole
n°11 a entraîné la fusion de la Cour et de la
Commission le 1er novembre 1998, aboutis-
sant à une Cour permanente (5). Pour reve-
nir à l’affaire Winterwerp, la Cour EDH rend
finalement son arrêt le 24 octobre 1979 (2).
Elle admet que, si le juge de paix et le tri-
bunal d’arrondissement constituent bien des
tribunaux, encore faut-il que les procédures
appropriées s’accompagnent de garanties
fondamentales. Mais ces garanties d’être
entendu ou à tout le moins représenté devant
ces instances ont manqué à M. Winterwerp
(sauf une fois). De plus, trois demandes
d’élargissement ayant été rejetées par le pro-
cureur (qui ne rend pas de décisions juridic-
Depuis l’arrêt Bozano de 1986 (1), la France a été
condamnée un certain nombre de fois pour violation de
certaines stipulations de la Convention européenne des
droits de l’homme (CEDH). Mais, la France n’ayant jamais
été sanctionnée par la Cour de Strasbourg pour “interne-
ment” abusif, nous avons donc choisi d’illustrer le fonction-
nement de la Cour européenne des droits de l’homme, par
l’affaire Winterwerp c/ Pays-Bas de 1979 (2). Il convient,
à cet égard, de souligner d’emblée que, la législation néer-
landaise étant différente de la nôtre, ce n’est pas tant le
détail de la procédure qui retiendra notre attention (3) que
les principes généraux du droit élaborés par la Cour euro-
péenne des droits de l’homme à partir de cette espèce. Et
celle-ci demeure la décision princeps à partir de laquelle la
juridiction a forgé une jurisprudence stable, même si
quelques précisions ont pu être apportées par la suite (4).
* CH Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois.
droit et éthique
Droit et éthique
La Convention européenne des droits de l’homme :
à propos de l’affaire Winterwerp c/ Pays-Bas
M. Godfryd*
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tionnelles), ces requêtes ne firent donc pas
l’objet d’une décision par un tribunal. Il
convient ici de préciser que, selon la juris-
prudence européenne, une institution que le
droit interne range parmi ses juridictions
peut fort bien n’en être pas une au sens de
l’article 6 de la CEDH. Lorsqu’elle ne satis-
fait pas aux conditions exigées par la Cour :
l’organe doit être indépendant, impartial,
établi par la loi, apte à décider et donc à tran-
cher du litige (6). La Cour conclut donc à
l’existence d’une violation de l’article 5 § 4
de la Convention (§ 61).
Rappelons également que, pour la Cour, tou-
jours à l’occasion de la même affaire, une
détention pour troubles mentaux ne peut être
tenue pour régulière que si trois critères sont
réunis :
– le trouble mental doit être réel, et sa
démonstration devant l’autorité nationale
compétente établie par une expertise médi-
cale objective ;
– ce trouble doit revêtir un caractère ou une
ampleur légitimant l’internement ;
– la privation de liberté ne peut pas se pro-
longer au-delà de la persistance de pareil
trouble (§ 39).
À partir du 23 décembre 1979, F. Winter-
werp cesse de se trouver sous le coup d’une
mesure d’internement. Il reste cependant
librement dans l’hôpital pour continuer à y
recevoir des soins. En 1981, à la suite de
négociations entre son avocat et le gouver-
nement néerlandais, ce dernier s’engage à
verser une somme de 10 000 florins desti-
née à couvrir certains frais que le requérant
devrait engager pour être admis dans un
foyer de postcure. Dans un bref arrêt en date
du 27 novembre 1981 (7), la Cour constate
que l’accord revêt un “caractère équitable”
au sens de l’article 50-5 de son règlement et
décide en conséquence de rayer l’affaire du
rôle (répertoire général sur lequel le greffe
inscrit par ordre chronologique les affaires
dont une juridiction est saisie).
La Cour européenne des droits de l’homme
ne constitue pas un quatrième degré de juri-
diction. Elle ne peut que constater une vio-
Le gouvernement vient de réformer, par voie d’ordonnance (1), la codification (c’est-
à-dire la seule numérotation et à droit constant) de la partie législative du code de
la Santé publique. Cette pratique est classique et vise un souci de clarification et de
rationalité. Ainsi, le premier article du code devient l’article L. 1111-1, et l’on ne
s’étonnera pas de voir qu’il est celui qui octroie au malade le libre choix de son
médecin et de son établissement de santé.
Les articles relatifs à l’hospitalisation sous contrainte (anciens articles L. 326 à
L. 355) deviennent pour ceux qui sont le plus utilisés :
Article. L. 333 Art. L. 3212-1 (HDT)
Article. L. 333-2 Art. L. 3212-3 (HDT-U)
Article. L. 339 Art. L. 3212-9 (sortie de HDT C.A.M)
Article. L. 342 Art. L. 3213-1 (arrêté préfectoral de HO)
Article. L. 343 Art. L. 3213-2 (arrêté du maire)
Article. L. 348-1 Art. L. 3213-8 (levée de HO médico-légal)
Article. L. 350 Art. L. 3211-11 (sortie d’essai HDT/HO)
Article. L. 351 Art. L. 3211-12 (recours contre HDT/HO)
(1) Ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la Santé publique
(JO 22 juin 2000).
lation d’un article de la Convention (et de
ses protocoles additionnels) et attribuer une
somme forfaitaire au titre de la “satisfaction
équitable”. Mais les États membres tiennent
ensuite compte de sa jurisprudence et modi-
fient (en principe) leur législation et leur
jurisprudence. Pour la France, par exemple,
cela fut le cas respectivement pour les
écoutes téléphoniques (8) et le changement
d’état civil des transsexuels (9). Ce fut le cas
également pour la publicité des débats devant
les juridictions disciplinaires de l’ordre des
médecins mais aussi d’autres organes (10).
Références
1.
Affaire Bozano c/ France, arrêt du 18
décembre 1986, série A n° 111.
2.
Affaire Winterwerp c/ Pays-Bas, arrêt du 24
octobre 1979, série A, Vol. 33, § 37 ; AFDI
1980, p. 324, note R. Pelloux ; Ibid 1982, p.
512 ; Cah. dr. eur.1980, p. 464, note G. Cohen-
Jonathan.
3.
Bodon-Bruzel M, Godfryd M. Ces lois qui
passeront le siècle. La loi du 27 juin 1990 sur les
personnes hospitalisées en raison de leurs
troubles mentaux. Forensic, numéro spécial sep-
tembre 2000 : 34-7.
4.
Affaire X c/ Royaume-Uni, arrêt du 5
novembre 1981, série A, Vol. 46. Affaire
Ashingdane c/ Royaume-Uni, arrêt du 28 mai
1985, série A, Vol. 83. Affaire Luberti c/ Italie,
arrêt du 23 février 1983, série A, n°81.
5.
Protocole n°11 portant restructuration du
mécanisme de contrôle établi par la
Convention, Strasbourg, le 11 mai 1994, série
des traités européens, n°155.
6.
Affaire De Wilde, Ooms et Versyp c/
Belgique, arrêt du 18 juin 1971, A n° 12, § 60.
Affaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt
du 28 juin 1984, série A n°80, § 76 in fine.
7.
Affaire Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 27
novembre 1981. Application de l’article 50
(devenu article 41), série A n°47.
8.
Affaires Huvig et Kruslin (2 espèces) c/ France,
arrêts du 24 avril 1990, série A, n°176-A et B.
9.
Cass. civ. 1re, 21 mai 1990 : JCP éd. G.,
1990, II, 21588, concl. de Mme l’avocat géné-
ral F. Flipo.
10.
Décret n°93-181 du 5 février 1993 relatif
au fonctionnement des conseils de l’ordre des
médecins, des chirurgiens-dentistes et des
sages-femmes et de la section disciplinaire du
Conseil national de l’ordre des médecins (JO
9 févr. 1993). Cons. d’Et. Ass. 14 févr. 1996,
Maubleu, Rec. p. 34 ; JCP éd. G., 1996. II.
22669, note M. Lacombe et D. Vion.
Nouvelle codification pour la Santé publique
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