diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Exophtalmie basedowienne grave Grave’s severe ophtalmopathy A. Retout* Définition L’ophtalmopathie associée aux maladies thyroïdiennes est une urgence diagnostique et thérapeutique, traduction d’un dysfonctionnement thyroïdien et surtout d’une thyroïdite lymphocytaire auto-immune qu’elle peut parfois précéder. Elle peut engager l’avenir visuel par compression du nerf optique ou par atteinte cornéenne grave, voire par perforation cornéenne. Cadre de survenue Elle est habituellement associée à une maladie thyroïdienne autoimmune patente ; une maladie de Basedow dans 90 % des cas, une thyroïdite lymphocytaire de type Hashimoto dans 5 % des cas ou à des anomalies auto-immunes biologiques sans maladie thyroïdienne apparente dans 5 % des cas. La fréquence de survenue de l’ophtalmopathie au cours des dysthyroïdies est difficile à estimer (de 30 % à 62 % des cas) et serait unilatérale une fois sur quatre. Il existe une prédominance féminine à concurrence de 85 %, mais on retrouve une prédominance des formes graves chez l’homme. L’ophtalmopathie procède d’un processus auto-immun en rapport avec un auto-antigène (non identifié) commun aux tissus thyroïdien et péribulbaire. Il existe assurément des facteurs génétiques prédisposants et des facteurs favorisants responsables de formes graves : * Service d'ophtalmologie, hôpital CharlesNicolle, CHU Rouen. 124 – l’âge élevé ; – la consommation de tabac ; – le passage en hypothyroïdie iatrogène ; – et pour certain le traitement par iode radioactif. Signes cliniques Les différents signes cliniques ont été regroupés sous forme d’une classification NOSPECS par Werner en 1969, afin d’évaluer la gravité de l’atteinte oculaire. Elle n’est pas parfaite et ne tient pas compte, pour les tissus mous, du caractère inflammatoire de l’atteinte. D’autres classifications ont vu le jour avec, en particulier, celle de Cabanis selon les données de l’IRM (le score GEMEN). Pour définir la gravité d’une atteinte, la classification NOSPECS est plus parlante et permet de mieux préciser les différents niveaux thérapeutiques. Les signes cliniques sont les suivants : ■ Signes palpébraux La rétraction palpébrale supérieure avec l’asynergie oculo-palpébrale dans le regard vers le bas, la rareté du clignement, le tremblement lors de l’occlusion palpébrale sont des signes de thyréotoxicose qui doivent faire rechercher une pathologie thyroïdienne. Les bords palpébraux sont à distance de la cornée laissant apparaître le blanc de la sclère. ■ L’atteinte des tissus mous Elle est liée à l’inflammation et à l’œdème de la conjonctive et des paupières. Le chémosis conjonctival et l’hyperhémie conjonctivale bulbaire sont surtout en inférieure ou en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 regard des muscles oculomoteurs. Les paupières sont augmentées de volume par l’œdème des tissus souscutanés et des hernies graisseuses rétroseptales formant des poches volumineuses en inférieur et en supéro-interne. La graisse du sourcil est augmentée de volume. ■ L’exophtalmie Uni- ou bilatérale, symétrique ou non, elle est axile non pulsatile et en partie réductible. Elle est quantifiée par l’exophtalmomètre de Hertel. L’aspect ressorti des yeux peut être majoré par la rétraction palpébrale qui concourt, avec la protrusion, à une inocclusion palpébrale, source de complications cornéennes. ■ Les troubles oculomoteurs Ils sont liés à l’œdème graisseux et musculaire. Ils se traduisent par une insuffisance de convergence (fatigue à la lecture prolongée, à la fixation) ou par une limitation des mouvements par défaut d’extensibilité des muscles œdématiés, puis fibrosés entraînant une diplopie permanente dans le champ du muscle déficitaire. Le droit inférieur est le plus souvent touché (60 %), puis le droit médial (25 %) et le droit supérieur (10 %), beaucoup plus rarement le droit latéral. Les muscles rigides et inextensibles entraînent une limitation dans le champ opposé à son action. La diplopie est le plus souvent verticale et le test de Hess-Weiss permet de suivre l’évolution. ■ Les signes cornéens Ils sont occasionnés par la rétraction palpébrale, la raréfaction du clignement et l’exophtalmie source de lagophtalmie, plus un certain degré de sécheresse lacrymale. • La kératite ponctuée superficielle prédominant en inférieur, se traduit par des douleurs oculaires à type de Première partie : thyroïde – parathyroïde picotement et brûlure avec photophobie, larmoiement clair, gène au vent ; le test à la fluorescéine met facilement en évidence l’étendue de la kératite. • Les ulcères cornéens, souvent centraux, sont plus rares. Ils peuvent se surinfecter, puis devenir un abcès et se perforer en l’absence d’un traitement approprié en urgence. La réduction de l’acuité visuelle par perte de transparence de la cornée ou la perte anatomique sont toutefois exceptionnelles. ■ La neuropathie optique Elle est rare, mais grave. Uni- ou bilatérale, alors asymétrique, elle se traduit par une baisse d’acuité visuelle (en dehors de toute atteinte cornéenne). • Le déficit du champ visuel associé est variable : scotome central ou paracentral, déficit arciforme ou hémianopsique. La surveillance du champ visuel, de la vision des couleurs et des contrastes permet le suivi de l’évolution. Le fond d’œil retrouve un œdème ou une pâleur papillaire ou, dans un cas sur deux, une papille normale. On peut également retrouver une dilatation veineuse au fond d’œil ou des plis choroïdiens. L’évolution peut conduire à une perte irréversible plus ou moins complète de la vision en l’absence de traitement rapide. Cette souffrance du nerf optique est liée à l’augmentation du volume des muscles oculomoteurs et de la graisse orbitaire. Cette compression prédomine à l’apex orbitaire et est responsable, soit d’une compression directe du nerf, soit d’une compression de sa vascularisation entraînant son ischémie. • L’augmentation du tonus oculaire, parfois considérable, peut entraîner une souffrance de type glaucomateux qui peut être irréversible. La surveillance de la tension oculaire et son traitement sont impératifs. Les formes sévères sont celles qui associent des signes inflammatoires, une exophtalmie supérieure à 2324 mm au Hertel, des troubles oculomoteurs, cornéens ou une atteinte du nerf optique. Elles nécessiteront un traitement et un suivi ophtalmologique afin d’éviter l’apparition de complications graves ou irréversibles. La forme dite maligne est représentée par l’apparition ou l’aggravation aiguë des différents symptômes : œdème conjonctival et palpébral avec rougeur intense, exophtalmie > 25 mm, limitation importante de la mobilité oculomotrice, inocclusion palpébrale nette, kératite centrale ou abcès, baisse d’acuité visuelle ou atteinte du champ visuel, hypertonie oculaire élevée > 33 mmHg (signes de gravité). Seront en particulier recherchées l’atteinte cornéenne (kératite ou ulcère) devant une inocclusion palpébrale et une limitation de mobilité oculaire et une atteinte du nerf optique (les formes à gros muscles au scanner, une hypertonie oculaire importante) qui font toute la gravité de ces formes malignes et qui nécessitent un traitement en urgence. Ces formes malignes surviennent classiquement lors de modifications brutales de l’état thyroïdien avec passage en hypothyroïdie (iode radioactif, chirurgie thyroïdienne) ou de choc psycho-affectif. Ces formes surviennent plutôt chez les fumeurs et les hommes. Apport de l’imagerie La tomodensitométrie incluant des coupes axiales transverses dans le plan neuro-oculaire et des coupes coronales apporte de nombreux renseignements : la mesure de l’exophtalmie par l’indice oculo-orbitaire sur les coupes axiales, l’hypertrophie musculaire prédominant en postérieur sur les coupes coronales, l’augmentation du compartiment graisseux orbitaire et extra-orbitaire. L’IRM permet de retrouver un hypersignal au centre des muscles en mode T2 traduisant un œdème musculaire et une période active de l’ophtalmopathie. Traitement Traitement curateur L’évolution spontanée de la phase aiguë de la maladie se fait sur une période de 6 mois à deux ans. Cette phase inflammatoire évolue par poussées, éventuellement accompagnées de périodes d’amélioration spontanée partielle. Une phase chronique fibrotique et cicatricielle fait suite, sur un mode plutôt stable. Lors des poussées inflammatoires, la gène fonctionnelle peut être importante et on se méfiera de la survenue de complications ophtalmiques. L’évaluation clinique ophtalmologique recherchera des complications : – cornéenne avec un test fluo ; – oculomotrice avec la survenue d’une diplopie ; – une neuropathie optique avec mesure du tonus oculaire, de l’acuité visuelle et du champ visuel. • Les problèmes cornéens seront améliorés par des larmes artificielles ou mieux par des gels lacrymaux de durée plus prolongée et plus confortable plusieurs fois dans la journée et surtout le soir au coucher avec, si besoin, une occlusion mécanique par pansement occlusif. La tarsorraphie peut être utile temporairement en cas d’exophtalmie majeure avec risque de perforation cornéenne. • La survenue d’une diplopie sera améliorée par le port d’un prisme sur lunette ou par occlusion de l’œil le moins mobile, de préférence. Un geste chirurgical sur les muscles oculomoteurs ne sera réalisé qu’à un stade séquellaire pour supprimer le port de prisme. • La survenue d’une neuropathie optique ou d’une forme maligne nécessitera un traitement médical urgent par corticothérapie. Celle-ci doit se faire à dose immunosuppressive de 1 à 1,5 mg/kg pendant un mois, puis arrêt relativement rapide. La prolongation d’une corticothérapie qui est inefficace est inutile. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 125 diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Dans les formes dites malignes, elle peut être précédée d’un traitement sur trois jours par bolus de Solumédrol®. Dans les formes à prédominance graisseuse, une irradiation rétrobulbaire de 20 grays peut être proposée en dix séances sur deux semaines. Une corticothérapie associée est justifiée pour éviter une aggravation des signes oculaires. La radiothérapie agit essentiellement sur les phénomènes œdémateux, mais peu sur les muscles oculomoteurs et la rétraction palpébrale. La réponse aux traitements est obtenue pour la majorité dans les six semaines, faute de quoi une indication de décompression chirurgicale peut être posée. Les autres traitements médicaux Ils pourront être indiqués dans les formes sévères ou très inflammatoires : la ciclosporine A, les immunosuppresseurs, la plasmaphérèse, mais leur efficacité demande à être confirmée. Ces traitements peuvent être utiles dans les cas résistants à la radiothérapie et la corticothérapie, lorsque les taux d’anticorps antithyroglobuline sont élevés et surtout dans les formes très inflammatoires. 126 Un traitement hypotonisant oculaire par collyres est un traitement adjuvant de la souffrance du nerf optique. Une décompression chirurgicale sera nécessaire en cas d’échec des traitements précédents, sinon elle sera proposée durant la phase séquellaire afin de réduire l’exophtalmie. La décompression améliorera possiblement la motilité oculaire, la neuropathie optique compressive, la rétraction palpébrale ou surtout l’occlusion palpébrale. Cette chirurgie consiste à effondrer les parois osseuses orbitaires, en interne et inférieur d’abord et éventuellement en externe pour permettre l’expansion du contenu orbitaire ; la graisse orbitaire conique et extraconique peut être extraite isolément dans les formes graisseuses pures ou en association avec la décompression osseuse. D’autres gestes chirurgicaux pourront être proposés au stade séquellaire pour restituer le regard. Ils interviendront après la décompression si nécessaire, lors d’une exophtalmie importante. La deuxième étape corrigera les troubles oculomoteurs, puis, en dernier les paupières, avec la correction de la rétraction palpébrale avant de proposer une blépharoplastie esthétique. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 Prévention L’obtention de l’euthyroïdie doit se faire très progressivement sans passage en hypothyroïdie. Aucun traitement radical thyroïdien ne doit être appliqué avant une bonne préparation médicale. Dans les différents traitements proposés, seul l’iode radioactif sans corticothérapie associée serait déconseillé, car pourvoyeur de rebond d’ophtalmopathie. La thyroïdectomie influencerait favorablement, pour certains, l’évolution oculaire par suppression de la source du matériel antigénique. • L’arrêt du tabac est absolument indispensable devant toute maladie de Basedow. Références ■ Adenis JP, Morax S. Pathologie orbito-palpébrale, Masson 1998. ■ Pfeilschifer J, Ziegler R. Smoking and endocrine ophthalmopathy: impact of smoking severity and current vs lifetime cigarette consumption. Clin Endocrinol 1996;45:477-81. ■ Bartalena L, Marcocci C, Tanda ML et al. Orbital radiation therapy for Grave’s ophthalmopathy. Thyroid 2002;12:245-50. ■ Bartalena L, Marcocci C, Pinchera A. On the effects of radioiodine therapy on Grave’s ophthalmopathy. Thyroid 1998;8:533-4.