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22/05/2014 |
Historisme
On entend par historisme une vision de l'histoire et de la science historique qui s'est affirmée au XIXe s. Le
mot appartient à la culture allemande où il est utilisé en 1797 par Friedrich Schlegel pour souligner le
caractère historique de la connaissance de l'homme fondée sur une distinction fondamentale entre passé et
présent. La naissance et le développement de l'historisme sont étroitement liés aux efforts accomplis soit
pour élever l'histoire au rang de science (aspect méthodique), soit pour la considérer dans une perspective
philosophique (aspect idéologique). Ainsi, des historiens comme Leopold von Ranke et Johann Gustav Droysen
soulignent l'unicité des phénomènes historiques, la liberté de l'action et son imprévisibilité. Leurs noms
symbolisent aussi le recours rigoureux à la méthode critique (heuristique, herméneutique) qui marque
l'histoire et les sciences humaines depuis le XIXe s. L'essor de l'historisme ne fut pas non plus sans rapport
avec l'école historique du droit, soit avec les disciples de Friedrich Carl von Savigny, pour qui le droit est le
résultat d'une évolution historique. Cette école influença les études dans des disciplines dont elle subit à son
tour l'influence, comme l'économie politique (Wilhelm Roscher, Gustav Schmoller) et l'histoire. Repris ensuite
par certains philosophes, souvent dans une acception négative, le terme d'historisme finit par désigner chez
Benedetto Croce ou Robin George Collingwood une conception idéaliste de l'historiographie. En français, le
terme historicisme, préféré à historisme, entre dans la langue au XXe s. seulement et se réfère surtout à
l'histoire de l'art.
L'historisme est une notion étroitement associée à la culture nationale et à l'idéologie bourgeoise allemande
du XIXe s. Selon Reinhart Koselleck, l'histoire a été en Allemagne l'équivalent fonctionnel de la Révolution en
France. Contestation, de ce point de vue, de la civilisation française et de son universalisme, l'historisme,
surtout allemand, est aussi une prise de conscience historique d'une bourgeoisie en mal d'histoire, qui
s'invente un passé en créant une tradition incarnant non pas le nouvel ordre social mais la nation elle-même.
Dans une nation qui n'a pas encore de longue tradition, l'histoire est garante, avec la philologie, de la
transmission de l'historiographie et de l'identité nationale par la culture et la langue. Ses grands piliers sont
les institutions d'enseignement et de culture. La défaite allemande en 1918 signifie l'effondrement de ce
modèle culturel et idéologique. Dès lors, la "crise de l'historisme" dans l'entre-deux-guerres ne se limite pas à
une crise des méthodes de la discipline historique, elle exprime l'effondrement de sa fonction culturelle et
idéologique dans la formation des élites et de l'opinion dès la fin du XIXe s.
L'historisme, qui envisage le rapport de l'homme au monde sous un angle essentiellement historique, confère
donc à l'histoire une place prédominante dans la culture du XIXe s. contaminant progressivement l'ensemble
des savoirs; c'est le cas, par exemple, du droit, avec notamment les Suisses Johann Caspar Bluntschli et
Friedrich Ludwig Keller (Ecoles juridiques). A la fin du siècle, de sa chaire de l'université de Bâle, Nietzsche
débat "de l'inconvénient et de l'utilité de l'histoire" avec son collègue Franz Camille Overbeck. Il fait ainsi
écho aux propos antérieurs de Jacob Burckhardt qui s'était interrogé sur les conséquences de la "négation
complète qui s'est opérée à la fin du siècle dernier dans l'Etat, l'art et la vie", c'est-à-dire lors de la
Révolution, aboutissant à "l'effondrement des morales et des religions". A l'irruption de la modernité devait
correspondre une nouvelle interprétation historique que Burckhardt est allé chercher dans un premier temps
dans la Renaissance, qui marque la découverte du monde et de l'homme avant de retrouver plus tardivement
une expression plus pessimiste de la "jeunesse du monde actuel" au Moyen Age, qui marquait l'effondrement
de sa foi dans le progrès.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la notion fait l'objet d'une réévaluation. En histoire, la
discussion se focalise sur la question de l'objectivité et du relativisme de la connaissance historique (Karl
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Lamprecht, Wilhelm Dilthey, Max Weber). Ernst Troeltsch débat avec Karl Barth et Rudolf Bultmann de la
nature essentiellement "historique" ou "dogmatique" du christianisme et de la théologie. Plus tard, Karl
Popper dénoncera la Misère de l'historicisme (1957) qui condamne les sciences sociales à ne jamais être des
sciences si elles s'évertuent à demeurer historiques. C'est encore dans cette perspective intellectuelle que
l'on peut comprendre les débats récents sur l'historisme en Allemagne ou aux Etats-Unis. L'historisme
témoigne d'une crise des traditions qui se manifeste par un retour sur les origines et un récit généalogique
des filiations.
L'histoire a tenu une part importante dans la gestion de la crise de l'ancienne Confédération et la mise en
place du nouvel Etat à partir de 1848. Sans langue ni confession communes, liée à plusieurs espaces culturels
européens et géographiquement diversifiée, la Suisse moderne a fait de l'histoire un élément central de sa
construction en tant que nation (Histoire politique). Les Festspiele, en vogue entre 1886 et 1914, qui
mettaient en scène des événements clés de l'histoire nationale, et l'instauration de la fête nationale en 1891,
qui fixait la naissance de la Confédération au Pacte de 1291, sont des manifestations caractéristiques de
l'historisme en Suisse. L'historiographie a suivi peu ou prou avec des décalages et des spécificités le
développement des études historiques allemandes. L'histoire s'est également autonomisée et
professionnalisée au cours du XIXe s. et dans cette perspective l'historiographie suisse a également été
marquée par l'historisme. Mais l'émergence d'une histoire nationale qui s'efforce d'édifier un passé commun
aux différentes expressions linguistiques et religieuses du pays, concurrent des histoires cantonales, n'exclut
pas la persistance des représentations mythologiques dont la monumentale Histoire de la Confédération
suisse de Jean de Müller (parue en allemand en 1786-1808) est encore exaltée et imitée tout au long du XIXe
s. Le réaménagement des archives fédérales et cantonales, la prolifération des éditions de sources et la
multiplication des ouvrages de vulgarisation manifestent également l'imprégnation historiste dans la société
suisse. Cette culture historique est d'abord celle des vainqueurs de 1848 et il faudra attendre les lendemains
de la Première Guerre mondiale pour assister à l'émergence d'une historiographie économique et sociale ainsi
qu'au retour d'une historiographie conservatrice.
Bibliographie
– J.G. Droysen, Grundriss der Historik, 1868 (nombreuses rééd.)
– F. Jaeger, J. Rüsen, Geschichte des Historismus, 1992
– Ch. Simon, Historiographie: eine Einführung, 1996
Auteur(e): Bertrand Müller
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