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Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004
Bien que les neuroleptiques classiques
(antipsychotiques typiques) se soient
révélés efficaces dans le traitement
de la schizophrénie, ils entraînent un
large éventail d’effets indésirables, d’où
la recherche de posologies minimales
efficaces et l’utilisation assez fréquente
de correcteurs antiparkinsoniens. Pa r
ailleurs, les neuroleptiques sont plus
e fficaces sur la symptomatolog i e
p r o d u c t i ve que sur les symptômes
déficitaires de la maladie, enfin 25 %
des patients y sont résistants.
Le développement de nouveaux médica-
ments dans le traitement de la schizo-
p hrénie s’est alors orienté vers des
molécules ayant peu d’effets indésirabl e s ,
mais permettant aussi un meilleur traite-
ment des symptômes déficitaires (1).
Les premières hypothèses reliaient les
symptômes positifs de la schizophrénie
à un hyperfonctionnement dopaminer-
gique et les symptômes négatifs à un
hypofonctionnement dopaminerg i q u e .
Elles ont ensuite été complétées par
des études concernant d’autres neuro-
médiateurs : la sérotonine exerce un
rétrocontrôle négatif sur la sécrétion
de la dopamine dans certaines régions
c é r é b r a l e s ; le glutamate inhibe l’activ i t é
d o p a m i n e r gique sous-corticale ( 2 ) .
L’ h ypothèse biochimique actuellement
retenue est un déficit de la transmission
dopaminergique nigrostriée et mésoc o r-
ticale, contrastant avec un exs de neuro-
transmission dans l’aire mésolimbique.
Les stratégies de développement des
antipsychotiques qui en découlent visent
non plus seulement à développer des
dicaments spécifiques d’un type
de récepteur dopaminergique, mais à
synthétiser des molécules possédant
des effets différents selon la région
anatomique rébrale concernée.
Classification des nouvelles
molécules et conséquences
thérapeutiques
Antipsychotiques exerçant
un antagonisme des récepteurs
dopaminergiques
Pendant de nombreuses années, on
connaissait seulement deux types de
récepteurs dopaminergiques : les récep-
te u r s D1, activateurs de l’adénylate cy c l a s e,
et les récepteurs D2, inhibiteurs.
Désormais, on distingue cinq classes de
récepteurs : les récepteurs D1 et D5 sont
couplés à une protéine Gs et les récep-
teurs D2 et D4 à une protéine Gi, le
récepteur D3 est un autorécepteur présy-
naptique de trocontrôle négatif ( 3 ). Les
neuroleptiques classiques, comme l’halo-
p é r i d o l se fixent davantage sur le récep-
teur D2. Les benzamides substitués
exercent un blocage préférentiel D2-D3
( 4 ) .La sélectivité pour le récepteur D4
de la clozapine pourrait expliquer sa
supériorité d’action dans la schizo-
p h r énie résistante (5).
L’abondance du récepteur D2 traduit
une expression ubiquitaire, en part i c u l i e r
d a n s le néostriatum et l’hy p o p h yse,
son blocage est à l’origine des eff e t s
i n d é s i r a bles moteurs et neuroendocri-
n i e n s des neuroleptiques conve n t i o n n e l s .
Ce bl o c a g e au niveau du système lim-
bique explique l’effet thérapeutique
des neuroleptiques conventionnels sur les
symptômes productifs et la réduction
des hallucinations et du délire. Mais ils
bloquent également la transmission
d o p a m i n e r gique au nive a u des autres
zones cérébrales, aggr avant ainsi poten-
tiellement les symptômes déficitaires et
p o u v ant contribuer au déve l o p p e m e n t
des dyskinésies tardives ( 6 ) .
Les antagonistes des récepteurs D1
Lintérêt pour le récepteur dopaminer-
gique D1 s’est accru lors de l’analy s e
de résultats d’études explorant l’inter-
action entre les récepteurs D1 et D2 ( 9 ).
Les dérivés du thioxantène (flupentixol
et zuclopenthixol) et la clozapine ont
une affinité plus forte pour ce récepteur
que les phénothiazines.
Les antagonistes des récepteurs D2
et D3
Des recherches ont été effectuées sur
le développement d’antagonistes sélectifs
des récepteurs D2 avec des actions préfé-
rentielles sur le système dopaminerg i q u e
au niveau du système mésolimbique
comparé au système nigrostriatal. Le
récepteur D3 est localisé dans l’aire
limbique, et il est absent dans l’hypo-
physe et le striatum.
Les benzamides substitués exercent un
blocage assez sélectif des récepteurs D2
et D3 ( 7 ) . De plus, certains d’entre eux,
comme le sulpiride, bloquent préféren-
tiellement, à fa i b le dose, l’autorécepteur
présynaptique D3, d’où son activité sur
les symptômes déficitaires. Des essais
cliniques ont démont que le sulpiride est
un antipsychotique efficace ; cependant,
son profil d’effets indésirabl e s , e n
p a r ticulier les symptômes ex t r a py r a -
midaux et l’hy p e r prolactinémie, napparaît
pas lié à sa lectivité au niveau des
récepteurs D2 (8).
Mécanisme d’action comparé
des différents antipsychotiques
M. Bourin*
*E A 3256, neurobiologie de l’anxiété
e t de la dépression, faculté de médecine,
Nantes.
202
Mise au point
Les antagonistes des récepteurs D4
La répartition de l’ARNm codant pour
la synthèse de ce récepteur montre qu’il
prédomine dans les zones limbiques et
m é s o c o r ticales. L’antagonisme de ce
cepteur pourrait expliquer la supériori
d’action de la clozapine et de l’olanzapine
dans le traitement de la schizophrénie
résistante. Des études post mortem ont
montré qu’il existait chez les schizo-
phrènes une densité importante de ce sous-
type de récepteurs. À l’heure actuelle,
on ne peut toutefois faire le lien entre la
densité des récepteurs et la réponse au
traitement, ni dire s’il s’agit d’un facteur
prédisposant à la maladie (10).
Neuroleptiques exerçant un antago-
nisme simultané au niveau des
récepteurs 5 HT2 et D2
Des neurones sérotoninergiques, origi-
naires des noyaux du raphé, exercent un
tonus inhibiteur sur la transmission
dopaminergique dans les zones nigro-
striées et mésocorticales en limitant la
synthèse et la libération de la dopamine.
Chez le schizophrène, cette inhibition de
la dopamine par le contrôle sérotoniner-
gique serait exagérée, expliquant en part i e
l’ hy p o - a c t i vi dopaminergique nigr o s t r i é e
et mésocorticale.Cette inhibition peut
être levée par des molécules antagonistes
sérotoninergiques. Le primum movens
de la supériorité des nouveaux antipsy-
chotiques par rapport aux neuroleptiques
conventionnels est leur propriété a n t a g o-
niste 5 HT2. L’ a n t a g o n isme de l’act i v i t é
s é r o t o n i n e r gique dans les zones nigro-
striées et frontales permet une amélioration
de la symptomatologie déficitaire et une
diminution des effets extrapyramidaux,
conduisant à une meilleure tolérance.
C e r tains neuroleptiques classiques,
comme lesrivés du thioxanne, exe r c e n t
une modeste activité antagoniste 5 HT2,
mais très inférieure à celle observ é e
pour la rispéridone ou la clozapine.
Dans le cas de cette dernière, l’occupation
5HT2 est prédominante par rapport à
l’effet antagoniste D2.
La rispéridone est un déri de la fa m i l l e
du benzioxazole, avec des propriétés
antagonistes 5 HT2 aussi importantes que
ses propriétés antagonistes D2. Plusieurs
études en double aveugle versus halopé-
r i dol et placebo chez des schizophrènes
chroniques (11, 12) ont mont que la ris-
ri d o n e a un effet antipsychotique puissant,
avec un effet thérapeutique optimal dans
la zone de 4 à 8 mg/j. Son efficacité est
supérieure sur la symptomatologie positive
et son action, plus rapide. Les résultats
c o n c e r nant la symptomatologie néga t ive ,
contradictoires selon les études, ont été
m é t a - a n a lysés, et on peut conclure que
la risridone produit une meilleure
amélioration des symptômes défi c i t a i r e s
comparativement à l’halopéridol. Bien
que la rispéridone produise peu d’eff e t s
ex t r a pyramidaux, elle nen est pas
complètement exempte, et a éga l e m e n t
une action sur la sécrétion de prolactine.
Antipsychotiques exerçant
un antagonisme sélectif
sérotoninergique
Les antagonistes 5 HT2
Bien que beaucoup de neuroleptiques,
dont la thioridazine et la clozapine,
soient potentiellement des antagonistes
5 HT2, des antagonistes sélectifs des
récepteurs 5 HT2 ont été récemment
développés (13).
Les antipsychotiques bloquant
simultanément de nombreux
récepteurs
Les neuroleptiques actifs dans la
schizophrénie résistante se fixent sur de
nombreux récepteurs : dopaminerg i q u e s ,
s é r o t o n i n e r giques, α- a d é n e rg i q u e s, m u s -
c a r i n i q u e s , histaminiques H1, qu’ils
antagonisent. Le rapport 5 HT2/D2 est
supérieur à un et la fixation dopaminer-
gique prédomine au niveau des récepteurs
limbiques et mésocorticaux D1 et D4.
La première mocule possédant ce
profil était la clozapine ; le profil de
l’olanzapine est identique.
La clozapine a été développée au début
des années 1960 comme un dérivé de la
famille des dibenzodiazépines. Il a été
démontré qu’elle avait des propriétés
antipsychotiques supérieures ou égales à
celles des neuroleptiques disponibles à
cette époque, mais avec moins de risques
de symptômes extrapyramidaux et d’hy-
perprolactinémie (14). Elle n’entraîne
pas de dyskinésies tardives, et pourrait
même avoir un effet curatif sur les
d y s k inésies tardives, provoquées par
d ’ a u t r e s neuroleptiques.
Au milieu des années 1970, les essais
cliniques avec la clozapine en Amérique
du Nord ont été arrêtés parce qu’elle
induisait des agranulocytoses. L’intérêt
clinique de la clozapine a été récemment
retrouvé après qu’une étude clinique
importante avait pu démontrer que son
efficacité était supérieure dans le traite-
ment des patients présentant une schizo-
phrénie résistante (environ 30 % des ces
patients ont été améliorés). Récemment,
la clozapine a reçu une autorisation de
mise sur le marché aussi bien en
Amérique du Nord qu’en Europe, avec
des conditions restrictives à cause de ses
e f fets hématologiques gr aves, notamment
l’agranulocytose, qui est observée chez
0,8 % des sujets traités.
La seule indication approuvée, à l’heure
actuelle, est le “traitement de la schizo-
phrénie résistante”, à condition qu’une
surveillance régulière et rapprochée des
paramètres hématologiques soit effec-
tuée. De plus, une action sur les pertur-
bations cognitives avec amélioration de
l’attention, de l’affluence ve r b a l e et de la
mémoire de rappel a été décrite, et on
connaît son efficacité sur le troubles
cognitifs du Parkinson idiopathique. À
côté des effets anticholinergiques décrits
ci-dessus, il faut noter la surve n u e
d’hypersialorrhées (33 % des sujets) et
de prises de poids, parfois i m p o rt a n t e s
gênant les malades, ainsi que le risque
de convulsions dose-dépendant (1 % à
4,4 %) (15).
L’olanzapine possède une effi c a c i t é
supérieure à celle de l’halopéridol sur la
203
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004
symptomatologie à la fois positive et
n é g a t ive. Les études menées contre halo-
p é r i d o l ont montré une efficacité supé-
rieure de l’olanzapine sur la symptoma-
tol ogie dépressive et les idées suicidaires
et une amélioration plus marquée de la
qualité de vie à 52 semaines, signifi c a t i ve
s les premiers mois de traitement (16).
La tolérance est bonne, avec peu d ’ e f f e t s
ex t r a py r a m i d a u x , pas de dyskiné s i e t a r d i ve
et pas d’agr a n u l o cytose ( 1 7 ).
Les agonistes partiels des récepteurs
D2
Un nouveau médicament, l’aripiprazole
(Abilify®), va être lancé sur le marché
français dans les prochains mois, après
une première mise sur le marché, aux
États-Unis, en décembre 2002.
Ce produit est un agoniste partiel des
récepteurs dopaminergiques D2 de
haute affinité. Il est ainsi possible d’ob-
tenir une activité agoniste en fonction
de la dose, au niveau présynaptique.
L’agoniste présynaptique empêche la
libération de la dopamine, quand la dose
est trop élevée. Au niveau postsynap-
tique, si la libération de dopamine est
fa i b le, le médicament stimule la
libération de dopamine.
En tant qu’agoniste partiel, l’aripiprazole
induit ainsi une réponse similaire, mais
d’intensité moindre par rapport à un
agoniste complet. De plus, il a une haute
affinité pour le récepteur.Ainsi, la liai-
son avec le récepteur, qu’il soit présy-
naptique ou postsynaptique, est plus
importante que la liaison de la dopamine
avec ce même récepteur. Cet agoniste
partiel, entrant cependant en compéti-
tion avec l’agoniste complet qu’est la
dopamine, peut être considéré selon les
cas comme agoniste ou comme antago-
niste, en fonction de la quantité de dopa-
mine dans la synapse. Un article récent
montre que la schizophrénie peut être
liée à un dysfonctionnement des récep-
teurs présynaptiques, ce qui pourr a i t
être un avantage de l’utilisation de
l’aripiprazole (18).
En présence de laserpine, qui a tendance
à vider les granules de dopamine,
l’aripiprazole a l’avantage de continuer
à stimuler les récepteurs dopaminerg i q u e s ,
même en présence d’une quantité très
i m p o r tante de dopamine. Comme la
buspirone, l’aripiprazole joue en outre
le rôle d’agoniste partiel des récepteurs
5 HT1A. Sur le plan clinique, l’effi c a c i t é
de ce produit débute dès la dose de
10 mg. La meilleure efficacité est obser-
vée avec des doses de 15 et de 30 mg,
qui ne sont associées qu’à de faibles
effets indésirables (19). L’aripiprazole
agit en fonction de la pathologie du
malade, comme un agoniste présynap-
tique ou postsynaptique. Les doses n’ont
dès lors pas besoin d’être augmentées. Il
peut même être utile de les diminuer.
Le profil pharmacologique du produit
est donc le suivant :
agoniste des récepteurs D2 et 5 H T 1 A ;
– antagoniste des récepteurs 5 HT2.
Il s’agit bien d’une nouvelle génération
d’antipsychotiques, puisque l’aripipra-
zole ne bloque pas les récepteurs, mais
peut bloquer l’activité dopaminergique
en cas d’excès de dopamine.
La sérotonine permet d’exercer une
action inhibitrice sur les récepteurs
d o p a m i n e rgi ques centraux. Or, cette
interaction peut être antagonisée par les
récepteurs 5 HT2. Les neuroleptiques
classiques possèdent cette propriété,
mais ils sont par ailleurs des antago-
nistes des récepteurs D2.
Conclusion
C e r taines preuves ex p é r i m e n t a l e s
p e r mettent aux neurobiologistes de
penser aujourdhui que le système
d o p a m i n e rgi que est certainement au
cœur du traitement de la schizophrénie
et qu’une multitude de réglages sont
possibles, probablement en fonction de
facteurs génétiques. Selon les structures
cérébrales, en effet, les interactions sont
plus ou moins importantes entre le
GABA, le sy stème dopaminergique et
la sérotonine. Cela peut expliquer le
syndrome d’hypofrontalité qui frappe les
malades atteints de schizophrénie, dont
l’intelligence s’éteint progr e s s ive m e n t
ou dont la démence se développe. Les
études menées sur le syndrome d’hypo-
frontalité montrent que les mécanismes
se situent à deux niveaux :
des anomalies de la décarboxylase de
l’acide glutamique ;
la perturbation de la balance DA / G A B A /
Glu, résultant du blocage excessif des
récepteurs D2.
Il convient de rappeler que les troubles
c ognitifs peuvent être accentués par
l’action des antipsychotiques, qui agis-
sent sur le signal intercellulaire de tra-
duction. Il est ainsi préférable de prescrire
des médicaments qui agissent comme
des régulateurs plutôt que comme des
freins ce qui peut constituer un ava n t a g e
pour l’aripiprazole.
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