Mise au point Mécanisme d’action comparé des différents antipsychotiques M. Bourin* B ien que les neuroleptiques classiques (antipsychotiques typiques) se soient révélés efficaces dans le traitement de la schizophrénie, ils entraînent un large éventail d’effets indésirables, d’où la recherche de posologies minimales efficaces et l’utilisation assez fréquente de correcteurs antiparkinsoniens. Par ailleurs, les neuroleptiques sont plus e ff icaces sur la symptomatolog i e p r o d u c t ive que sur les symptômes déficitaires de la maladie, enfin 25 % des patients y sont résistants. Le développement de nouveaux médicaments dans le traitement de la schizop hrénie s’est alors orienté vers des molécules ayant peu d’effets indésirables, mais permettant aussi un meilleur traitement des symptômes déficitaires (1). Les premières hypothèses reliaient les symptômes positifs de la schizophrénie à un hyperfonctionnement dopaminergique et les symptômes négatifs à un hypofonctionnement dopaminerg i q u e . Elles ont ensuite été complétées par des études concernant d’autres neuromédiateurs : la sérotonine exerce un rétrocontrôle négatif sur la sécrétion de la dopamine dans certaines régions cérébrales ; le glutamate inhibe l’activité d o p a m i n e rgique sous-corticale ( 2 ). L’hypothèse biochimique actuellement retenue est un déficit de la transmission dopaminergique nigrostriée et mésoc o rticale, contrastant avec un excès de neurotransmission dans l’aire mésolimbique. Les stratégies de développement des antipsychotiques qui en découlent visent non plus seulement à développer des * EA 3256, neurobiologie de l’anxiété et de la dépression, faculté de médecine, Nantes. médicaments spécifiques d’un type de récepteur dopaminergique, mais à synthétiser des molécules possédant des effets différents selon la région anatomique cérébrale concernée. Classification des nouvelles molécules et conséquences thérapeutiques Antipsychotiques exerçant un antagonisme des récepteurs dopaminergiques Pendant de nombreuses années, on connaissait seulement deux types de récepteurs dopaminergiques : les récepteurs D1, activateurs de l’adénylate cyclase, et les récepteurs D2, inhibiteurs. Désormais, on distingue cinq classes de récepteurs : les récepteurs D1 et D5 sont couplés à une protéine Gs et les récepteurs D2 et D4 à une protéine Gi, le récepteur D3 est un autorécepteur présynaptique de rétrocontrôle négatif (3). Les neuroleptiques classiques, comme l’halopéridol se fixent davantage sur le récepteur D2. Les benzamides substitués exercent un blocage préférentiel D2-D3 (4). La sélectivité pour le récepteur D4 de la clozapine pourrait expliquer sa supériorité d’action dans la schizop h r énie résistante (5). L’abondance du récepteur D2 traduit une expression ubiquitaire, en particulier dans le néostriatum et l’hypophyse, où son blocage est à l’origine des effets indésirables moteurs et neuroendocriniens des neuroleptiques conventionnels. Ce blocage au niveau du système limbique explique l’effet thérapeutique des neuroleptiques conventionnels sur les symptômes productifs et la réduction Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004 des hallucinations et du délire. Mais ils bloquent également la transmission dopaminergique au niveau des autres zones cérébrales, aggravant ainsi potentiellement les symptômes déficitaires et pouvant contribuer au déve l o p p e m e n t des dyskinésies tardives (6). • Les antagonistes des récepteurs D1 L’intérêt pour le récepteur dopaminergique D1 s’est accru lors de l’analyse de résultats d’études explorant l’interaction entre les récepteurs D1 et D2 ( 9 ). Les dérivés du thioxantène (flupentixol et zuclopenthixol) et la clozapine ont une affinité plus forte pour ce récepteur que les phénothiazines. • Les antagonistes des récepteurs D2 et D3 Des recherches ont été effectuées sur le développement d’antagonistes sélectifs des récepteurs D2 avec des actions préférentielles sur le système dopaminergique au niveau du système mésolimbique comparé au système nigrostriatal. Le récepteur D3 est localisé dans l’aire limbique, et il est absent dans l’hypophyse et le striatum. Les benzamides substitués exercent un blocage assez sélectif des récepteurs D2 et D3 (7). De plus, certains d’entre eux, comme le sulpiride, bloquent préférentiellement, à faible dose, l’autorécepteur présynaptique D3, d’où son activité sur les symptômes déficitaires. Des essais cliniques ont démontré que le sulpiride est un antipsychotique efficace ; cependant, son profil d’effets indésirabl e s , e n particulier les symptômes ex t r a py r a midaux et l’hyperprolactinémie, n’apparaît pas lié à sa sélectivité au niveau des récepteurs D2 (8). 201 Mise au point • Les antagonistes des récepteurs D4 La répartition de l’ARNm codant pour la synthèse de ce récepteur montre qu’il prédomine dans les zones limbiques et mésocorticales. L’antagonisme de ce récepteur pourrait expliquer la supériorité d’action de la clozapine et de l’olanzapine dans le traitement de la schizophrénie résistante. Des études post mortem ont montré qu’il existait chez les schizophrènes une densité importante de ce soustype de récepteurs. À l’heure actuelle, on ne peut toutefois faire le lien entre la densité des récepteurs et la réponse au traitement, ni dire s’il s’agit d’un facteur prédisposant à la maladie (10). Neuroleptiques exerçant un antagonisme simultané au niveau des récepteurs 5 HT2 et D2 Des neurones sérotoninergiques, originaires des noyaux du raphé, exercent un tonus inhibiteur sur la transmission dopaminergique dans les zones nigrostriées et mésocorticales en limitant la synthèse et la libération de la dopamine. Chez le schizophrène, cette inhibition de la dopamine par le contrôle sérotoninergique serait exagérée, expliquant en part i e l’ hypo-activité dopaminergique nigrostriée et mésocorticale. Cette inhibition peut être levée par des molécules antagonistes sérotoninergiques. Le primum movens de la supériorité des nouveaux antipsychotiques par rapport aux neuroleptiques conventionnels est leur propriété a n t a g oniste 5 HT2. L’antagonisme de l’activité sérotoninergique dans les zones nigrostriées et frontales permet une amélioration de la symptomatologie déficitaire et une diminution des effets extrapyramidaux, conduisant à une meilleure tolérance. C e rtains neuroleptiques classiques, comme les dérivés du thioxantène, exercent une modeste activité antagoniste 5 HT2, mais très inférieure à celle observ é e pour la rispéridone ou la clozapine. Dans le cas de cette dernière, l’occupation 5 HT2 est prédominante par rapport à l’effet antagoniste D2. La rispéridone est un dérivé de la fa m i l l e du benzioxazole, avec des propriétés antagonistes 5 HT2 aussi importantes que ses propriétés antagonistes D2. Plusieurs études en double aveugle versus halopéridol et placebo chez des schizophrènes chroniques (11, 12) ont montré que la rispéridone a un effet antipsychotique puissant, avec un effet thérapeutique optimal dans la zone de 4 à 8 mg/j. Son efficacité est supérieure sur la symptomatologie positive et son action, plus rapide. Les résultats concernant la symptomatologie négative, contradictoires selon les études, ont été méta-analysés, et on peut conclure que la rispéridone produit une meilleure amélioration des symptômes déficitaires comparativement à l’halopéridol. Bien que la rispéridone produise peu d’effets ex t r a pyramidaux, elle n’en est pas complètement exempte, et a éga l e m e n t une action sur la sécrétion de prolactine. Antipsychotiques exerçant un antagonisme sélectif sérotoninergique • Les antagonistes 5 HT2 Bien que beaucoup de neuroleptiques, dont la thioridazine et la clozapine, soient potentiellement des antagonistes 5 HT2, des antagonistes sélectifs des récepteurs 5 HT2 ont été récemment développés (13). • Les antipsychotiques bloquant simultanément de nombreux récepteurs Les neuroleptiques actifs dans la schizophrénie résistante se fixent sur de nombreux récepteurs : dopaminergiques, sérotoninergiques, α- a d é n e rg i q u e s, muscariniques, histaminiques H1, qu’ils antagonisent. Le rapport 5 HT2/D2 est supérieur à un et la fixation dopaminergique prédomine au niveau des récepteurs limbiques et mésocorticaux D1 et D4. La première molécule possédant ce profil était la clozapine ; le profil de l’olanzapine est identique. La clozapine a été développée au début des années 1960 comme un dérivé de la famille des dibenzodiazépines. Il a été démontré qu’elle avait des propriétés antipsychotiques supérieures ou égales à celles des neuroleptiques disponibles à cette époque, mais avec moins de risques de symptômes extrapyramidaux et d’hyperprolactinémie (14). Elle n’entraîne pas de dyskinésies tardives, et pourrait même avoir un effet curatif sur les dyskinésies tardives, provoquées par d’autres neuroleptiques. Au milieu des années 1970, les essais cliniques avec la clozapine en Amérique du Nord ont été arrêtés parce qu’elle induisait des agranulocytoses. L’intérêt clinique de la clozapine a été récemment retrouvé après qu’une étude clinique importante avait pu démontrer que son efficacité était supérieure dans le traitement des patients présentant une schizophrénie résistante (environ 30 % des ces patients ont été améliorés). Récemment, la clozapine a reçu une autorisation de mise sur le marché aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe, avec des conditions restrictives à cause de ses effets hématologiques gr aves, notamment l’agranulocytose, qui est observée chez 0,8 % des sujets traités. La seule indication approuvée, à l’heure actuelle, est le “traitement de la schizophrénie résistante”, à condition qu’une surveillance régulière et rapprochée des paramètres hématologiques soit effectuée. De plus, une action sur les perturbations cognitives avec amélioration de l’attention, de l’affluence verbale et de la mémoire de rappel a été décrite, et on connaît son efficacité sur le troubles cognitifs du Parkinson idiopathique. À côté des effets anticholinergiques décrits ci-dessus, il faut noter la surve n u e d’hypersialorrhées (33 % des sujets) et de prises de poids, parfois i m p o rtantes gênant les malades, ainsi que le risque de convulsions dose-dépendant (1 % à 4,4 %) (15). L’olanzapine possède une efficacité supérieure à celle de l’halopéridol sur la 202 Mise au point symptomatologie à la fois positive et négative. Les études menées contre halopéridol ont montré une efficacité supérieure de l’olanzapine sur la symptomatol ogie dépressive et les idées suicidaires et une amélioration plus marquée de la qualité de vie à 52 semaines, significative dès les premiers mois de traitement (16). La tolérance est bonne, avec peu d’effets extrapyramidaux, pas de dyskinésie tardive et pas d’agranulocytose ( 1 7 ). • Les agonistes partiels des récepteurs D2 Un nouveau médicament, l’aripiprazole (Abilify®), va être lancé sur le marché français dans les prochains mois, après une première mise sur le marché, aux États-Unis, en décembre 2002. Ce produit est un agoniste partiel des récepteurs dopaminergiques D2 de haute affinité. Il est ainsi possible d’obtenir une activité agoniste en fonction de la dose, au niveau présynaptique. L’agoniste présynaptique empêche la libération de la dopamine, quand la dose est trop élevée. Au niveau postsynaptique, si la libération de dopamine est fa i bl e, l e mé d i ca me n t s t im u l e l a libération de dopamine. En tant qu’agoniste partiel, l’aripiprazole induit ainsi une réponse similaire, mais d’intensité moindre par rapport à un agoniste complet. De plus, il a une haute affinité pour le récepteur. Ainsi, la liaison avec le récepteur, qu’il soit présynaptique ou postsynaptique, est plus importante que la liaison de la dopamine avec ce même récepteur. Cet agoniste partiel, entrant cependant en compétition avec l’agoniste complet qu’est la dopamine, peut être considéré selon les cas comme agoniste ou comme antagoniste, en fonction de la quantité de dopamine dans la synapse. Un article récent montre que la schizophrénie peut être liée à un dysfonctionnement des récepteurs présynaptiques, ce qui pourrait être un avantage de l’utilisation de l’aripiprazole (18). En présence de la réserpine, qui a tendance à vider les granules de dopamine, l’aripiprazole a l’avantage de continuer à stimuler les récepteurs dopaminergiques, même en présence d’une quantité très importante de dopamine. Comme la buspirone, l’aripiprazole joue en outre le rôle d’agoniste partiel des récepteurs 5 HT1A. Sur le plan clinique, l’efficacité de ce produit débute dès la dose de 10 mg. La meilleure efficacité est observée avec des doses de 15 et de 30 mg, qui ne sont associées qu’à de faibles effets indésirables (19). L’aripiprazole agit en fonction de la pathologie du malade, comme un agoniste présynaptique ou postsynaptique. Les doses n’ont dès lors pas besoin d’être augmentées. Il peut même être utile de les diminuer. Le profil pharmacologique du produit est donc le suivant : – agoniste des récepteurs D2 et 5 HT1A ; – antagoniste des récepteurs 5 HT2. Il s’agit bien d’une nouvelle génération d’antipsychotiques, puisque l’aripiprazole ne bloque pas les récepteurs, mais peut bloquer l’activité dopaminergique en cas d’excès de dopamine. La sérotonine permet d’exercer une action inhibitrice sur les récepteurs d o p a m i n e rgiques centraux. Or, cette interaction peut être antagonisée par les récepteurs 5 HT2. Les neuroleptiques classiques possèdent cette propriété, mais ils sont par ailleurs des antagonistes des récepteurs D2. Conclusion C e rtaines preuves ex p é r i m e n t a l e s p e rmettent aux neurobiologistes de penser aujourd’hui que le système d o p a m i n e rgique est certainement au cœur du traitement de la schizophrénie et qu’une multitude de réglages sont possibles, probablement en fonction de facteurs génétiques. Selon les structures cérébrales, en effet, les interactions sont plus ou moins importantes entre le GABA, le sy stème dopaminergique et Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004 la sérotonine. Cela peut expliquer le syndrome d’hypofrontalité qui frappe les malades atteints de schizophrénie, dont l’intelligence s’éteint progressive m e n t ou dont la démence se développe. Les études menées sur le syndrome d’hypofrontalité montrent que les mécanismes se situent à deux niveaux : – des anomalies de la décarboxylase de l’acide glutamique ; – la perturbation de la balance DA/GABA/ Glu, résultant du blocage excessif des récepteurs D2. Il convient de rappeler que les troubles c ognitifs peuvent être accentués par l’action des antipsychotiques, qui agissent sur le signal intercellulaire de traduction. Il est ainsi préférable de prescrire des médicaments qui agissent comme des régulateurs plutôt que comme des freins – ce qui peut constituer un avantage pour l’aripiprazole. Références 1. Altamura CA. Novel antipsych o t i c s and the problem of clinical stabilization in schizophrenia: are they stabilizer rather than typical compounds? Int Clin Psychopharmacol 1996;11:153-5. 2. 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