Nouveautés thérapeutiques en neurologie et psychiatrie en 2006 Prof. JM. Maloteaux, Service de Neurologie, Cliniques St Luc et Unité de Pharmacologie, UCL, Bruxelles L’année 2006 fut elle caractérisée par de réelles nouveautés en matière de pharmacothérapie neuropsychiatrique ? Indiscutablement oui si l’on considère les aspects fondamentaux, les idées sous-jacentes aux développements et les mécanismes d’action de certains nouveaux médicaments. Mais si l’on considère les apports cliniques réels, le bilan est beaucoup plus modeste. C’est la conclusion que nous tirons régulièrement ces dernières années et cela doit nous amener à reconnaître le dynamisme et les travaux de la recherche et développement des industries pharmaceutiques mais aussi à tempérer les affirmations des départements de marketing des mêmes entreprises. Une originalité de certains nouveaux médicaments commercialisés ou enregistrés cette année réside dans le mécanisme d’action. Des agonistes partiels, (aripiprazole, varenicline), des antagonistes de récepteurs jusqu’ici peu ciblés tel le récepteur aux cannabinoïdes (rimonabant), des voies d’administration originales ou encore des médicaments développés pour le traitement de maladies rares : il y a de nombreux exemples du dynamisme des chercheurs et cela mérite une admiration certaine. Le coût des nouveaux médicaments est de plus en plus élevé pour un apport clinique parfois peu important par rapport aux produits plus anciens et cela nous impose une réflexion de plus en plus critique en matière de rapport coût/efficacité. Tabagisme et dépendance Les conséquences très graves du tabagisme justifient totalement une recherche de nouvelles molécules qui aident à réduire voire supprimer la dépendance. La nicotine par voie transcutanée et le bupropion (au mécanisme proche d’antidépresseurs) sont disponibles mais agissent de façon peu sélective. Récemment, les recherches fondamentales dans le domaine de la dépendance ont indiqué que la plupart des dépendances impliquent les mécanismes de « récompense » qui sont localisés dans les structures cérébrales profondes : l’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens et les structures limbiques. Cette voie du tegmentum ventral au noyau accumbens utilise comme neuro-médiateur essentiel la dopamine, qui est libérée sous l’effet de stimulations diverses : opioides, alcool, cannabis, amphétamines, cocaine, nicotine, … Il existe donc sur les cellules et prolongements de cette voie nerveuse profonde des récepteurs spécifiques (et souvent des sous-types particuliers) pour ces différentes substances dont la nicotine. Cette voie est une voie physiologique dont le rôle est de sélectionner de aliments « appétents », des substances agréables à consommer, mais aussi des activités gratifiantes ou plaisantes (activités sociales, ludiques, sportives, sexuelles…) mais c’est aussi une redoutable porte d’entrée pour des substances et des toxiques qui via une stimulation excessive entraînent de la dépendance. La nicotine est l’une des molécules de la fumée de tabac, elle stimule les récepteurs nicotiniques cérébraux et exerce divers effets centraux et périphériques directs mais elle agit aussi sur le noyau accumbens pour induire une libération de dopamine rapide et modulée. Cette dernière est à l’origine de la « satisfaction » et de l’envie de poursuivre la prise; c’est la base de la dépendance. Ce récepteur nicotinique cérébral du noyau accumbens est un soustype particulier parmi la vingtaine de récepteurs de la nicotine. Les récepteurs de la nicotine sont des pentamères constitués de sous-unités différentes et la sous-unité alpha4beta2 est spécifiquement impliquée dans la dépendance. Les modèles expérimentaux ont largement démontré que l’absence de ce sous-type dans les modèles de rongeurs transgéniques se traduit 1 par une perte de dépendance et par une nette diminution de la libération de dopamine dans le noyau accumbens en réponse à la stimulation nicotinique. Les chercheurs ont dès lors focalisé leurs travaux sur des dérivés inhibiteurs, mais plus précisément agonistes partiels de ce soustype de récepteur nicotinique. Les résultats expérimentaux sont remarquables : la varenicline (champix®) se lie avec une forte affinité mais n’active que modérément le récepteur, elle le bloque aux doses plus élevées. Elle antagonise l’effet de la nicotine éventuellement prise simultanément et réduit la consommation de tabac. Elle réduit les effets agréables et la recherche de nicotine (dépendance). Les effets indésirables sont peu nombreux (digestifs et neurologiques) et acceptables. Chez l’animal, il y a un effet inhibiteur net sur la voie dopaminergique de la « récompense ». Sur papier, c’une molécule très intéressante et le mécanisme d’action est très original. Les études cliniques sont positives mais moins enthousiasmantes : une réduction du tabagisme (environ 15%) au terme d’un an, une réduction de la consommation à plus long terme, peu d’effets indésirables graves, une efficacité supérieure au placebo et au bupropion mais pas un effet spectaculaire. L’effet s’atténue au fil des mois et il n’y a pas de réduction de la prise de poids qui accompagne souvent l’arrêt du tabac. Au vu de la gravité des effets du tabac, une efficacité modérée peut être considérée comme un réel apport thérapeutique. Des études comparatives avec la nicotine transdermique manquent mais l’efficacité est supérieure à celle du bupropion. Le médicament était déjà enregistré par la FDA aux Etats-Unis, il est enregistré au niveau européen depuis décembre 2006 (Champix®), il est disponible sur prescription mais pas encore remboursé. Excès pondéral, système cannabinoïde et rimonabant (acomplia®) Les molécules disponibles pour la prise en charge de l’obésité sont peu nombreuses et le problème clinique est énorme. Des risques graves ont entrainé le retrait de la fenfluramine et de la dexfenfluramine et plus récemment l’interdiction des amphétamines. L’orlistat a des effets indésirables assez importants et la sibutramine (dérivé de type antidépresseur) également. L’orlistat a un mécanisme périphérique et inhibe la résorption de lipides au niveau intestinal. Les autres médicaments exercent essentiellement leurs effets sur les amines cérébrales (sérotonine, norepinephrine) et indirectement produisent une stimulation dopaminergique du nucleus accumbens (cfr. varenicline). Le rimonabant est une entité nouvelle, au mécanisme d’action très différent : c’est un antagoniste des récepteurs du cannabis, de type CBR1 cérébraux. Le cannabis agit de façon spécifique dans le système nerveux central sur des récepteurs très comparables à ceux de la morphine ou de la dopamine ; un couplage à un système effecteur (protéine G) entraîne de multiples effets dont la stimulation de la voie tegmentoventrale (dopaminergique) et du nucleus accumbens. Les récepteurs cannabinoides sont présents dans diverses zones du système nerveux central et ils influencent l’appétence : appétence ou plaisir de consommer des aliments, des boissons, des substances telle le tabac et l’alcool … Le cannabis et les cannabinoïdes ont un effet stimulant de l’appétit ; un inhibiteur des récepteurs CBR1 devrait au contraire réduire la recherche d’aliments, de boissons ou de substances (tabac-nicotine) agréables… Les études précliniques vont dans le sens de cette théorie des récepteurs. Les essais cliniques indiquent des résultats beaucoup plus modestes. Dans la dépendance tabagique, les essais cliniques sont non concluants et l’EMEA (agence européenne des médicaments) a refusé l’indication au vu des résultats présentés. Dans l’indication du traitement de l’obésité, l’enregistrement fut approuvé mais les résultats sont modestes : une perte de 4 à 5 Kg est observée en un an de traitement lorsque le rimonabant (20 mg/j.) est associé au régime par rapport au placebo. Peu d’effets indésirables sont notés mais l’effet ne se maintient pas et à l’arrêt du traitement. Certaines revues concluent à un effet modeste, inférieur à celui de l’orlistat et on ne peut certainement 2 pas parler d’une réussite clinique correspondant aux espoirs fondés sur un mécanisme d’action nouveau. Schizophrénie et antipsychotiques. Ici aussi une molécule introduite il y a un peu plus d’un an est originale dans son mécanisme d’action (aripiprazole, abilify®) mais d’un apport thérapeutique jusqu’à présent limité. L’originalité de ce médicament antipsychotique est de ne pas bloquer complètement la transmission dopaminergique au contraire des autres antipsychotiques. L’aripiprazole est un agoniste partiel qui permet une activité dopaminergique basale mais inhibe une transmission excessive. Cette propriété pharmacologique est remarquable et permet d’envisager moins d’effets indésirables (liés au blocage dopaminergique soutenu), un effet éventuel dans les situations de dépendance et toxicomanie, et un effet antipsychotique plus modulé… Les études cliniques n’ont jusqu’à présent pas montré de supériorité de cet antipsychotique dans le traitement des psychoses et certains risque ont été récemment soulevés (risque suicidaire accru). Molécule originale au mécanisme d’action plus physiologique, l’aripiprazole n’a pas encore fait la preuve d’une supériorité au niveau thérapeutique. Nouveaux médicaments antiparkinsonniens. L’azilect®, rasagiline, est un nouvel antagoniste de la monoamine oxidase (MAOB) qui se révèle très proche de la selegiline. La MAOB est l’enzyme impliquée dans le catabolisme de la dopamine et l’effet de la lévodopa est donc prolongé mais il n’y a pas de preuve de neuroprotection. Le stalevo® (association de levodopa-carbidopa-entacapone) est une association logique d’un point de vue thérapeutique mais chère. Le duodopa® est une forme de levodopa administrable par voie de jejunostomie sous forme de gel dans de rares cas où le patient ne peut plus prendre un traitement par voie orale et où les fluctuations de l’effet thérapeutique sont majeures. Extrêmement couteux et lourd à installer (intervention-jejunostomieconservation et utilisation des poches de traitement,), ce traitement ne concernera que de rares cas de patients très invalidés au point de vue moteur avec une conservation des fonctions intellectuelles. La tolcapone (tasmar®) a été retirée il y a quelques années à la suite de complications hépatiques graves. Le médicament qui est un inhibiteur de la COMT est aussi destiné à réduire le métabolisme de la lévodopa. Le risque de toxicité persiste si des contrôles réguliers ne sont pas effectués et ce médicament devrait rester d’utilissation très limitée. Un agoniste dopaminergique (rotigotine, neupro®) administré par voie transdermique a été enregistré en 2006, d’efficacité limitée et inférieure à celle d’agonistes utilisés par voie orale (ropinirole), son intérêt restera limité. Le dossier d’enregistrement de la rivastigine (exelon®) dans la maladie de Parkinson associée à des troubles cognitifs (démence de type Alzheimer) avait été refusé par l’agence européenne. A la suite de compléments d’information l’avis fut favorable mais les experts indépendants furent peu enthousiastes. Le médicament est enregistré et devrait être remboursé dans certaines conditions mais sont intérêt es contesté. Alors que la maladie de Parkinson était traitée par des dérivés anticholinergiques il y a quelques années, et l’est encore parfois actuellement, on propose ici un anticholinestérasique qui a évidemment des effets indésirables sur le tremblement, les fonctions digestives et dont l’effet sur les fonctions cognitives est très modeste. Certains agonistes dopaminergiques sont très efficaces dans le traitement du syndrome des jambes sans repos et une indication spécifique du pramipexole concerne cette indication. 3 Certains agonistes dopaminergiques dérivés de l’ergot de seigle (mais pas tous) présentent un risque particulier de fibrose péritonéale, pleurale ou péricardique et en outre de fibrose des valves cardiaques. De récents articles du New Engl. J. Med décrivent le mécanisme d’action et les cellules impliquées : une activation sérotoninergique (5HT2B) de cellules des valves cardiaques s’accompagne de stimulation de facteurs trophiques et de fibrose des valves dont les conséquences peuvent être graves et parfois infra-cliniques. Ces médicaments doivent être évités. Autres Quelques nouveaux médicaments dans le domaine du traitement des migraines (topiramate), de l’épilepsie ou des troubles psychiatriques bipolaires (lamictal, lambipol®) seront discutés. Les antidépresseurs du groupe des SSRIs sont toujours très utilisés, des recommendations concernant les risques suicidaires et les risques en cas de grossesse ont été formulées par l’EMEA. L’agomélatine, valdoxan® (impliquant le sytème mélatonergique et le système sérotoninergique) devrait représenter un antidépresseur au mode d’action nouveau mais la commercialisation est retardée. L’atomoxétine, strattera® est un nouveau médicament indiqué dans le traitement des troubles de l’attention avec hyperactivité (ADHD) et un dérivé du gamma hydroxybutyrate (oxybate, xyrem®) devrait être disponible pour le traitement de la narcolepsie. Un dérivé (métabolite) de la risperidone à effet retard enrichira le volet des neuroleptiques avec un mécanisme d’action conventionnel mais une pharmacocinétique intéressante. Le sertindole (serdolect®) est un antipsychotique qui avait été retiré il y a deux ans en raison de risques cardiaques par allongement de l’espace QT. Il a été réintroduit pour le traitement en seconde ligne de la psychose mais il persiste un risque cardiaque potentiel qui nécessite des précautions et il ne peut être envisagé qu’en cas d’échec d’autres traitements. ----------------------------------------------- 4