C H R O N I Q U E D U D R O I T L’erreur, la faute civile et la faute pénale La loi du 10 juillet 2000 redéfinit la faute pénale involontaire ! G. Devers* armi l’amoncellement des textes nouveaux, tous n’ont pas la même importance. C’est avec une réelle satisfaction que, parmi cette production intensive, on relève l’existence d’un texte phare. La loi du 10 juillet 2000 est un texte essentiel. Intervenue dans le cadre d’un consensus politique, elle clôt de très longs débats et marque une étape : la fin de l’identité de la faute civile et de la faute pénale. La question du délit non intentionnel peut paraître technique, mais elle est essentielle. La majorité des plaintes pénales déposées à l’encontre des praticiens est fondée sur cette notion de faute pénale non intentionnelle, soit blessure involontaire, soit homicide involontaire. Plus récemment, les élus locaux ont découvert comment ce texte pouvait les conduire devant le tribunal correctionnel. La préparation de la loi, mal menée (malmenée ?), a pu laisser croire que n’étaient concernés que les décideurs publics. Or, ce texte est d’application générale, même s’il intéresse plus particulièrement ceux qui sont en situation de décision et dont la responsabilité peut être mise en cause indirectement. Par leur décision ou leur absence de décision, ils ont indirectement causé le dommage. C’est le cas du directeur d’établissement, mais c’est aussi celui du médecin qui prescrit un traitement ou qui organise son service. P L’ERREUR OU LA FAUTE ? Dès le premier code pénal de 1808 a été posé pour principe qu’en cas de dommage corporel, la responsabilité pénale pouvait être engagée sans qu’il y ait intention de nuire, dès lors qu’était caractérisée une faute d’imprudence ou de négligence. Cette règle très ancienne est encore parfois méconnue : il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu intention de nuire pour être passible du tribunal correctionnel. La règle a son sens, parce qu’il s’agit de protéger la plus importante des valeurs, la vie humaine. Mais pour exigeante qu’elle soit, la règle n’est pas sans limite. La responsabilité pénale est engagée si le fait générateur, involontaire, peut être qualifié de fautif. L’imprudence et/ou la négligence, qu’elles soient d’action ou d’abstention, caractérisent la faute. En matière médi* Avocat, chargé d’enseignement à l’université Lyon-III. cale, c’est le fondement de la responsabilité. Par là, on distingue la faute et l’erreur. L’erreur est un acte qui se révèle inapproprié, alors qu’il répond aux prescriptions de prudence et de diligence. On peut s’être trompé sans avoir commis de faute. Une erreur de diagnostic ne devient une faute de diagnostic que si les examens attendus n’ont pas été prescrits ou si leur analyse relève une incompétence dans l’interprétation. On doit rapprocher de l’erreur la notion proche qu’est l’aléa thérapeutique. On confond parfois erreur et aléa. Or, l’erreur est une appréciation inexacte qui ne traduit pas de manquement à la précaution nécessaire, alors que l’aléa est un acte non discutable, mais qui a généré un résultat inattendu et non maîtrisable. C’est l’hypothèse d’un acte chirurgical non critiquable, qui a entraîné des complications imprévues. C’est encore la décision prudente, mais qui laisse une part au risque, d’un médecin psychiatre qui, après un examen attentif, décide la sortie d’un patient hospitalisé suite à une tentative de suicide. L’erreur respecte la part d’incertitude inhérente à tout acte médical. Elle ne doit pas être pénalement sanctionnée. L’impunité de l’erreur permet au praticien de prendre le risque nécessaire. Cette notion d’erreur doit rester entendue strictement. En droit médical, il ne peut pas y avoir d’erreur grave. Une erreur grave doit être qualifiée de faute. En revanche, une erreur peut entraîner de graves conséquences : elle ne devient pas une faute pour autant. Les praticiens doivent veiller à défendre ce droit à l’erreur et admettre le principe de la sanction des fautes involontaires. À l’évidence, la distinction entre erreur et faute involontaire est ténue. Dans la pratique judiciaire, c’est souvent le principe de l’opportunité des poursuites du Parquet, ou l’appréciation du tribunal, qui établit l’équilibre. Une meilleure information des patients victimes permettrait d’éviter des plaintes pénales déposées au regard de la gravité du dommage et non de la réalité de la faute, et ce alors même que les procédures orientées vers l’indemnisation offrent un terrain plus favorable aux victimes. Il n’en reste pas moins que la distinction a un sens, et qu’il ne peut y avoir de condamnation pénale qu’en cas de faute, fûtelle involontaire. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 260 - février 2001 21 C H R O N I Q U LA NOUVELLE FAUTE PÉNALE INVOLONTAIRE En matière de dommage corporel, la règle est particulièrement contraignante, car peuvent être pénalement sanctionnées les fautes qui ont participé à la survenance du dommage. Le préjudice étant certain, l’auteur direct du préjudice peut être sanctionné ; mais l’auteur indirect du préjudice peut l’être aussi. L’analyse de la faute pénale involontaire suppose une double appréciation : sur la faute et sur le lien de causalité, causalité qui doit être certaine mais peut être indirecte. C’est l’article 121-3 du Code pénal qui règle la question. Les évolutions législatives suffisent à illustrer l’importance des enjeux. Cette notion, ancienne, avait été remodelée lors de l’adoption du nouveau Code pénal, en juillet 1992. La loi du 16 mai 1996 avait opéré une première modification. Une seconde vient d’intervenir par la loi du 10 juillet 2000. Cet article, un des piliers du Code pénal, a ainsi subi trois modifications en moins de dix ans. On aurait pu souhaiter un processus plus linéaire, mais on doit constater que la nouvelle rédaction de l’article 121-3 témoigne d’une réelle cohérence. Lors de la préparation de la loi, les associations de victimes ont fait connaître leurs préoccupations, concourant ainsi à l’adoption de ce texte de compromis qui paraît équilibré. Il reste à savoir quelle application en fera la jurisprudence. Le droit nouveau mettra quelque temps à se stabiliser. La loi ne crée pas de véritables bouleversements, mais confirme une césure qui était latente dans la jurisprudence : la distinction de la faute pénale et de la faute civile. Le droit sera désormais plus exigeant quand il s’agira d’apprécier la faute civile, alors que la faute pénale bénéficiera, d’une manière modeste mais certaine, d’une part de bienveillance. En application des principes généraux du droit pénal, cette loi “plus favorable” s’applique aux procédures en cours. Il convient de mettre à jour les références et de connaître dans le détail cette disposition législative. Les juristes n’ont pas fini de débattre de cette évolution et de ses conséquences, mais la lecture à l’état brut et quelques commentaires permettent de donner un premier éclairage. Premier alinéa : principe d’intention “Il n’y a point de crime ou de délit sans l’intention de le commettre.” C’est la règle, le principe, ce qui situe les infractions non intentionnelles dans le domaine de l’exception, quand bien même il n’est pas nécessaire de revenir sur l’importance de cette exception, parfaitement justifiée quand il s’agit d’atteinte à l’intégrité de la personne. Deuxième alinéa : mise en danger délibérée “Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.” Cette notion de mise en danger délibérée est une innovation du Code pénal de 1992. La situation est intermédiaire entre l’intention et l’absence d’intention. Le législateur a estimé qu’il est nécessaire de pouvoir réprimer pénalement avant même que le dommage ait eu lieu, dès lors qu’il y a mise en danger délibérée de la personne d’autrui. L’infraction de mise en danger de la personne est définie par l’article 223-1 du Code pénal. 22 E D U D R O I T “Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort, de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende.” La création de cette infraction avait causé quelque émoi dans le milieu médical. L’acte médical suppose très souvent la création d’un risque, et l’on pouvait craindre des dérapages judiciaires. La lecture du texte rassure, tant sont prévues de barrières : risque immédiat de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente, violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence... Les premières décisions de jurisprudence traduisent cette analyse restrictive. À ce jour, les condamnations sont très rares. Toutefois, la mise en danger d’autrui peut être relevée à l’encontre des personnes morales, en l’occurrence les établissements de santé, et l’on sait quelques établissements, non des moindres, qui ont été mis en examen. L’évolution est à suivre. La question est sérieuse mais non préoccupante. Elle laisse place au risque qui est inhérent à l’acte de soins et à la prise de décision. Troisième alinéa : faute pénale non intentionnelle directe “Il y a également délit lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.” Cet alinéa, qui est une modification de la modification de 1996, définit les éléments qui caractérisent la faute d’imprudence ou de négligence. Le juge doit procéder à une appréciation in concreto. Une éventuelle sanction doit préciser les critères qui traduisent l’imprudence ou la négligence. La référence est celle des diligences normales. Le droit ne requiert ni le génie, ni l’héroïsme. De temps immémoriaux, le droit connaît et pratique une notion proche, le comportement du bon père de famille. Mais dès qu’il s’agit de professionnels, de préjudice et d’assurance, le droit civil, marqué par la préoccupation de l’indemnisation des victimes, a considérablement accru ses exigences, passant en quelque sorte du bon père de famille à l’excellent père de famille, créant des régimes d’obligation de résultat et de présomption de responsabilité : la survenance d’un dommage fait présumer l’existence d’une faute et ouvre droit à indemnisation. À ce titre, la loi du 10 juillet 2000 consacre une rupture dans l’analyse : le principe jurisprudentiel séculaire d’unité de la faute civile et pénale a pris fin. La faute civile, qui est la clé de l’indemnisation, peut désormais dériver tranquillement vers les appréciations les plus rigoureuses, alors que la faute pénale reste au niveau des diligences normales. Les victimes, à la recherche de leur indemnisation, auront face à elles un excellent père de famille qui assume tout jusqu’à ses fautes présumées, alors que le procureur de la République, préoccupé de l’ordre social, s’intéressera au bon père de famille, qui ne répond que de son manque de diligence. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 260 - février 2001 Quatrième alinéa : faute pénale non intentionnelle indirecte “Dans le cas prévu à l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont soit violé de manière manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.” Ce 4e alinéa concerne l’auteur indirect du dommage, alors que l’auteur direct dépend du 3e alinéa. L’évolution était sensible pour le 3e alinéa. Elle est nette s’agissant du 4e alinéa. Le texte définit d’abord la notion d’auteur indirect, et cette notion est double. Il s’agit de ceux qui ont créé le dommage ou contribué à créer la situation qui a causé sa réalisation, mais il s’agit aussi des personnes qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter. Dans une même affaire, plusieurs personnes peuvent être considérées comme auteur indirect. Soulignons que la notion d’auteur indirect concerne tous les décideurs, publics ou privés, quel que soit leur secteur d’activité. Il faut ensuite définir la faute qui engage la responsabilité pénale, et cette faute renvoie également à une double notion. La première est la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. Il n’y a pas d’intention de causer le dommage mais violation manifeste d’un texte, et encore d’un texte qui définit une règle précise de prudence ou de sécurité. Au contraire, et c’est une innovation majeure du texte, une violation qui ne serait pas manifestement délibérée n’est pas une faute pénale pour l’auteur indirect. La seconde intervient en l’absence de consigne spécifique de sécurité. L’infraction résulte alors d’une faute caractérisée exposant autrui à un dommage d’une particulière gravité, sans qu’il soit possible d’ignorer ce danger. Le texte permet ainsi trois nouveaux moyens de défense : une faute non caractérisée, l’exposition à un danger qui n’est pas exceptionnellement grave, l’ignorance d’un danger exceptionnellement grave. Les trois conditions étant annulatives pour que soit constituée l’infraction, l’absence d’une seule conduit à l’impunité pénale de l’auteur indirect. Pour l’auteur indirect, la faute pénale est ainsi strictement entendue : violation manifeste d’une règle de sécurité ou création, par action ou omission, d’un danger d’une particulière importance. L’évolution par rapport à l’état antérieur est notable, car la loi ancienne ne faisait aucune distinction. En pratique, un équilibre était trouvé à l’occasion des procédures, mais plus d’une décision judiciaire témoignait d’une véritable sévérité. Désormais, l’auteur indirect n’est pas épargné, mais il est protégé. Le bon père de famille doit donner les consignes et veiller au grain, mais il n’a pas à répondre sur le plan pénal de tous les faits et gestes de ses ouailles. L’évolution est marquante. Ses effets seront sensibles sans qu’il s’agisse pour autant de bouleversements. La sensibilité dans l’opinion publique et parmi les décideurs était exacerbée. Quelques décisions de jurisprudence spectaculaires et, plus encore, des plaintes déposées dans un contexte très médiatique avaient créé un sentiment d’insécurité juridique. Chacun sait que l’annonce spectaculaire de l’engagement d’une procédure crée un dommage considérable, parfois non réparable. L’expérience établit qu’en pratique, notamment par le jeu du principe d’opportunité des poursuites dont dispose le Parquet, n’étaient le plus souvent sanctionnés que des faits qui répondaient réellement au sentiment social de ce qu’est la faute. Toutefois, il convenait de rétablir un équilibre face à ce qui pointait, comme une dérive, la pénalisation excessive de la vie publique et des secteurs décisionnels. Cette loi ne fera pas l’unanimité, mais on peut affirmer qu’elle est bienvenue. Le Parlement a eu le mérite d’avoir su prendre ses responsabilités et rechercher une loi d’équilibre, alors que la tentation aurait pu être de laisser le juge, et d’abord la Cour de cassation, trouver le ton juste. Il restera désormais à savoir comment les termes de cette loi seront interprétés par les tribunaux. L’évolution de la jurisprudence pénale sera suivie avec attention. Les médecins doivent s’y intéresser et ne pas considérer qu’il s’agit là d’un insondable galimatias juridique. Souhaitons qu’elle concoure à une maturation de la conscience collective : c’est une véritable régression de l’esprit que de penser qu’il n’existe de justice qu’au pénal, que si des têtes ne sont pas tombées, la justice n’a pas été rendue. La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du Code pénal doit rassurer les médecins. Le principe de la responsabilité pénale pour faute involontaire subsiste, et il n’a jamais été question de l’abandonner. Cela aurait été un non-sens absolu : l’intégrité de la vie humaine justifie entièrement cette protection. Mais la loi, sans bouleversement, redéfinit le cadre : – le médecin a droit à l’erreur, l’erreur étant entendue comme un acte prudent et diligent, mais dont le résultat s’avère dommageable ; – si le médecin est l’auteur direct du dommage, sa faute sera appréciée de manière très concrète par le juge, invité à tenir compte de toutes les circonstances de fait permettant d’apprécier si ses diligences normales ont été accomplies ; – si le médecin n’est que l’auteur indirect, la sanction de sa faute supposera peu ou prou un réel critère de gravité. À ce stade de l’analyse, un médecin croira peut-être discerner une forme de schizophrénie du droit, dans la mesure où les dernières années se sont caractérisées par le renforcement de règles de responsabilité : information sur tous les risques graves, même s’ils sont exceptionnels, obligation de sécurité de résultat en matière d’hygiène, responsabilité chirurgicale engagée pour tout geste maladroit... Que l’on se rassure, il n’y a là nulle schizophrénie, mais simplement la cohabitation de deux régimes distincts : un droit civil et administratif, préoccupé de l’indemnisation des victimes, tendant à abaisser le seuil d’accès à l’indemnisation, et qui a pour véritable interlocuteur l’assureur ; une responsabilité pénale, orientée vers la répression, qui a pour légitimité de préserver les intérêts généraux que sont l’ordre public et l’équilibre social. L’excellent père de famille des procédures indemnitaires et le bon père de famille des procédures pénales se croiseront parfois, mais leurs chemins sont désormais " bien différents. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 260 - février 2001 23