LA NOUVELLE FAUTE PÉNALE INVOLONTAIRE
En matière de dommage corporel, la règle est particulièrement
contraignante, car peuvent être pénalement sanctionnées les
fautes qui ont participé à la survenance du dommage. Le préju-
dice étant certain, l’auteur direct du préjudice peut être sanc-
tionné ; mais l’auteur indirect du préjudice peut l’être aussi.
L’analyse de la faute pénale involontaire suppose une double
appréciation : sur la faute et sur le lien de causalité, causalité qui
doit être certaine mais peut être indirecte.
C’est l’article 121-3 du Code pénal qui règle la question. Les évo-
lutions législatives suffisent à illustrer l’importance des enjeux.
Cette notion, ancienne, avait été remodelée lors de l’adoption du
nouveau Code pénal, en juillet 1992. La loi du 16 mai 1996 avait
opéré une première modification. Une seconde vient d’intervenir
par la loi du 10 juillet 2000. Cet article, un des piliers du Code
pénal, a ainsi subi trois modifications en moins de dix ans. On
aurait pu souhaiter un processus plus linéaire, mais on doit consta-
ter que la nouvelle rédaction de l’article 121-3 témoigne d’une
réelle cohérence. Lors de la préparation de la loi, les associations
de victimes ont fait connaître leurs préoccupations, concourant
ainsi à l’adoption de ce texte de compromis qui paraît équilibré.
Il reste à savoir quelle application en fera la jurisprudence. Le
droit nouveau mettra quelque temps à se stabiliser.
La loi ne crée pas de véritables bouleversements, mais confirme
une césure qui était latente dans la jurisprudence : la distinction
de la faute pénale et de la faute civile. Le droit sera désormais
plus exigeant quand il s’agira d’apprécier la faute civile, alors
que la faute pénale bénéficiera, d’une manière modeste mais cer-
taine, d’une part de bienveillance. En application des principes
généraux du droit pénal, cette loi “plus favorable” s’applique aux
procédures en cours. Il convient de mettre à jour les références
et de connaître dans le détail cette disposition législative. Les
juristes n’ont pas fini de débattre de cette évolution et de ses
conséquences, mais la lecture à l’état brut et quelques commen-
taires permettent de donner un premier éclairage.
Premier alinéa : principe d’intention
“Il n’y a point de crime ou de délit sans l’intention de le commettre.”
C’est la règle, le principe, ce qui situe les infractions non inten-
tionnelles dans le domaine de l’exception, quand bien même il
n’est pas nécessaire de revenir sur l’importance de cette excep-
tion, parfaitement justifiée quand il s’agit d’atteinte à l’intégrité
de la personne.
Deuxième alinéa : mise en danger délibérée
“Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en
danger délibérée de la personne d’autrui.”
Cette notion de mise en danger délibérée est une innovation du
Code pénal de 1992. La situation est intermédiaire entre l’inten-
tion et l’absence d’intention. Le législateur a estimé qu’il est
nécessaire de pouvoir réprimer pénalement avant même que le
dommage ait eu lieu, dès lors qu’il y a mise en danger délibérée
de la personne d’autrui.
L’infraction de mise en danger de la personne est définie par
l’article 223-1 du Code pénal.
“Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de
mort, de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une
infirmité permanente par la violation manifestement délibérée
d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence impo-
sée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement
et de 100 000 F d’amende.”
La création de cette infraction avait causé quelque émoi dans le
milieu médical. L’acte médical suppose très souvent la création
d’un risque, et l’on pouvait craindre des dérapages judiciaires.
La lecture du texte rassure, tant sont prévues de barrières : risque
immédiat de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente, vio-
lation manifestement délibérée d’une obligation particulière de
sécurité ou de prudence... Les premières décisions de jurispru-
dence traduisent cette analyse restrictive. À ce jour, les condam-
nations sont très rares. Toutefois, la mise en danger d’autrui peut
être relevée à l’encontre des personnes morales, en l’occurrence
les établissements de santé, et l’on sait quelques établissements,
non des moindres, qui ont été mis en examen. L’évolution est à
suivre. La question est sérieuse mais non préoccupante. Elle
laisse place au risque qui est inhérent à l’acte de soins et à la
prise de décision.
Troisième alinéa : faute pénale non intentionnelle directe
“Il y a également délit lorsque la loi le prévoit, en cas de faute
d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obliga-
tion de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les dili-
gences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de
ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que
du pouvoir et des moyens dont il disposait.”
Cet alinéa, qui est une modification de la modification de 1996,
définit les éléments qui caractérisent la faute d’imprudence ou
de négligence. Le juge doit procéder à une appréciation in
concreto. Une éventuelle sanction doit préciser les critères qui
traduisent l’imprudence ou la négligence. La référence est celle
des diligences normales. Le droit ne requiert ni le génie, ni
l’héroïsme. De temps immémoriaux, le droit connaît et pratique
une notion proche, le comportement du bon père de famille.
Mais dès qu’il s’agit de professionnels, de préjudice et d’assu-
rance, le droit civil, marqué par la préoccupation de l’indemni-
sation des victimes, a considérablement accru ses exigences, pas-
sant en quelque sorte du bon père de famille à l’excellent père de
famille, créant des régimes d’obligation de résultat et de pré-
somption de responsabilité : la survenance d’un dommage fait
présumer l’existence d’une faute et ouvre droit à indemnisation.
À ce titre, la loi du 10 juillet 2000 consacre une rupture dans
l’analyse : le principe jurisprudentiel séculaire d’unité de la faute
civile et pénale a pris fin. La faute civile, qui est la clé de l’indem-
nisation, peut désormais dériver tranquillement vers les appré-
ciations les plus rigoureuses, alors que la faute pénale reste au
niveau des diligences normales. Les victimes, à la recherche de
leur indemnisation, auront face à elles un excellent père de
famille qui assume tout jusqu’à ses fautes présumées, alors que
le procureur de la République, préoccupé de l’ordre social, s’inté-
ressera au bon père de famille, qui ne répond que de son manque
de diligence.
CHRONIQUE DU DROIT
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no260 - février 2001