ambitieuse, ni trop timorée», M. Mishkin a estimé
que les autorités allemandes ont été trop conserva-
trices, craignant davantage de dépasser la cible que
de rester en deçà.
Ciblage de l’inflation
De plus en plus de pays (y compris parmi les éco-
nomies émergentes) préfèrent cibler l’inflation, car
il est devenu plus difficile de défendre une parité ou
de maîtriser un agrégat monétaire. Ce ciblage sup-
pose une double condition, la publication d’un
objectif d’inflation à moyen terme et un effort de
transparence pour responsabiliser au maximum les
autorités. Il est important aussi que les institutions
soient résolues à atteindre cet objectif et que la
stratégie arrêtée repose sur l’ensemble des infor-
mations disponibles.
La transparence et la communication indisso-
ciables du ciblage de l’inflation sont un atout de
taille. Cette option permet aussi à la banque cen-
trale de se concentrer sur les considérations
d’ordre interne et, en cadrant le débat sur l’infla-
tion à long terme, d’atténuer les pressions inflation-
nistes à court terme. Lorsque le Canada et la Suède
ont choisi de cibler l’inflation, la question n’a plus
été de savoir s’il fallait ajuster immédiatement les
taux pour favoriser la croissance, mais de décider
quelle politique ralentirait le mieux l’inflation
à long terme.
Si l’on insiste souvent sur ses désavantages, le
ciblage de l’inflation a assuré une stabilité des prix
propice à la croissance à long terme (au lieu de la
brider, comme on l’a dit parfois). Et il n’a pas
accentué la volatilité de la production, car il a été
appliqué le plus souvent avec souplesse. Un tel
ciblage recentre la politique monétaire sur l’objectif
d’inflation à long terme, tout en ménageant aux
autorités la latitude nécessaire pour faire face aux
chocs à court terme. En enserrant l’action discré-
tionnaire dans certaines contraintes, il réduit gran-
dement le risque d’incohérence entre les effets à
court et à long terme des mesures prises.
Cela dit, le ciblage de l’inflation n’est pas sans
inconvénient pour les économies émergentes.
L’impact des mesures prises se fait sentir sur l’infla-
tion avec un fort décalage qui tend à diluer les res-
ponsabilités. De même, si ce ciblage peut souligner
les risques liés au dérapage des dépenses, il ne ga-
rantit pas l’amélioration des résultats budgétaires.
Il est fréquent aussi que l’instabilité du taux de
change et la fragilité du système bancaire em-
pêchent les économies émergentes qui ciblent l’in-
flation d’atteindre l’objectif fixé.
Jusqu’ici, les pays développés qui ont choisi cette
option ont assez bien réussi. La production n’a pas
été freinée, car les objectifs d’inflation n’ont pas été
fixés trop bas. La désinflation progressive et la sou-
plesse de la politique menée (face aux chocs sur
l’offre, surtout) ont permis d’éviter que la produc-
tion fluctue trop. Ainsi, avant de cibler l’inflation
au début des années 90, l’Australie répondait aux
dépréciations du taux de change en resserrant sa
politique monétaire; mais, en 1997, elle a répondu à
la crise asiatique en détendant les conditions moné-
taires, et la croissance a continué malgré la dépres-
sion que traversait alors la région. Enfin, le ciblage
de l’inflation améliore la transparence et la com-
munication : depuis que la Banque d’Angleterre est
devenue indépendante en 1997, sa responsabilité
est bien mieux établie. Ce ciblage n’est pas pour au-
tant la solution miracle pour les pays qui ont au dé-
part une inflation assez élevée : dans leur cas, le
coût de la désinflation en termes de croissance ne
semble pas réduit.
Le ciblage de l’inflation gagne du terrain dans les
économies émergentes. Le Chili y a eu recours pour
décélérer l’inflation dans les années 90, même si sa
politique aurait pu être plus transparente et moins
centrée sur le taux de change. Le Brésil, passé très
vite à ce système en 1999, devra raffermir sa poli-
tique budgétaire et l’indépendance de la banque
centrale pour que cette initiative réussisse. Le
Mexique et le Pérou s’acheminent eux aussi vers
un véritable ciblage de l’inflation. L’expérience
montre que le succès de ces régimes dans les écono-
mies émergentes dépend beaucoup de la solidité de
leur système bancaire et de la discipline budgétaire.
Ciblage implicite
M. Mishkin a conclu sa présentation en évoquant
un dernier type d’ancrage. Sous la présidence
d’Alan Greenspan — et avec l’appui du Président
Clinton et du Secrétaire au Trésor —, la Réserve fé-
dérale a opté en effet pour un ancrage nominal im-
plicite plutôt qu’explicite, qui vise à maîtriser l’in-
flation à long terme. Les autorités répondent aux
signes de résurgence possible de l’inflation par un
resserrement préventif de la politique monétaire.
Cette méthode a donné d’excellents résultats
macroéconomiques (une inflation faible et stable,
par exemple), mais M. Mishkin a estimé que la
politique monétaire américaine pourrait être
améliorée même si elle fonctionne bien. Contrai-
rement à celle d’autres pays, en effet, elle manque
de transparence. Le public est aussi plus exposé aux
menaces d’inflation et le débat privilégie le court
terme par rapport au long terme. Le succès du ci-
blage implicite est dû aux décisions judicieuses de
la Réserve fédérale et du Trésor, et n’est donc pas
assuré pour l’avenir. Pour M. Mishkin, il est temps
que les États-Unis pérennisent cette faible inflation
en prenant des mesures irréversibles pour rendre ce
ciblage explicite. Mark Stone
FMI, Département de la monnaie et des changes
Division des opérations monétaires
13 novembre 2000
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