“ L Génériques : deux ou trois choses que je sais d’eux

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ÉDITORIAL
Génériques : deux ou trois choses
que je sais d’eux
A couple of simple things about generics
“
L
Jean-François
Bergmann
Clinique thérapeutique,
service de médecine interne A,
hôpital Lariboisière, Paris.
© La Lettre du Cardiologue,
n° 470-471,
décembre 2013-janvier 2014.
e sujet des génériques est crucial mais aussi polémique. Il a généré quelques
craintes légitimes, beaucoup de peurs fantasmagoriques, quelques cas de patients
interpellant mais peu de preuves cliniques solides… Voici quelques éléments que
je sais des génériques, qui m’ont conduit à me mettre dans le camp des “pro-génériques”.
➤ Rappelons d’abord que 71 % des médicaments généricables sont aujourd’hui, en France,
utilisés sous forme de génériques, sans que cette évolution n’ait posé de réel problème
sanitaire ; 86 % des antibiotiques sont des génériques et nous n’avons pas vu de flambée
de germes résistants ; les génériques des statines n’ont pas entraîné de remontée
du cholestérol. Il est intéressant de noter que les produits génériques “sensibles” sont aussi
ceux qui sont utilisés dans les situations à forte symbolique symptomatique : épilepsie,
hyperthyroïdie, insomnie, douleur, et c’est finalement plus le ressenti et la crainte
du patient qui engendrent la suspicion que la notion de “marge thérapeutique étroite”.
➤ Les bornes d’équivalence pour une étude de bioéquivalence entre un générique
et un princeps ont été artificiellement fixées à 80 %-125 %. Cela peut paraître énorme :
lorsque j’achète 1 kg de pommes, je ne veux pas que l’on m’en donne 800 g, et l’épicier
ne veut pas m’en donner 1,250 kg ! Mais il faut dire et redire que ce n’est pas la moyenne
des données pharmacocinétiques qui doit être entre ces bornes d’équivalence,
mais l’ensemble de l’intervalle de confiance de la donnée pharmacocinétique mesurée.
Dans des études de bioéquivalence chez quelques dizaines de volontaires sains,
cet intervalle de confiance est d’au moins 10 % à gauche et à droite de la moyenne,
ce qui fait que finalement les chiffres de bioéquivalence entre le princeps et le générique
sont le plus souvent différents de moins de 5 %. De plus, la variabilité interindividuelle
et intra-individuelle (d’un jour à l’autre) de pharmacocinétique d’un médicament
princeps est bien supérieure à 20 %, alors que l’on parle bien d’un princeps.
➤ On essaie de nous faire peur avec ces modifications mineures de pharmacocinétique,
mais n’oublions pas que, lorsqu’un malade est insuffisamment bêtabloqué avec 5 mg
de bisoprolol, on passe directement à 7,5 mg, soit une variation de 50 % ! À l’inverse,
on donnera la même dose de clopidogrel à une femme de 45 kg et à un homme
de 120 kg. Alors n’allons pas chercher des poux dans les cheveux des génériques
et de leurs minimes variations cinétiques sans réelles conséquences cliniques
démontrées.
➤ Il ne faut pas non plus parler éternellement du transfert d’un générique vers un autre
générique. D’une part, les pharmaciens sont souvent fidèles aux mêmes marques
de génériques, et les malades sont aussi fidèles à leur pharmacien. D’autre part, chaque
générique est comparé directement au princeps et non pas à un autre générique,
ce qui diminue les risques de différence lorsqu’on passe d’un générique à un autre.
Il faut d’ailleurs noter qu’il y a aussi des différences de fabrication au cours du temps
pour un même médicament princeps, et il y a parfois autant de différence entre deux
lots d’un princeps qu’il y en a entre un princeps et son générique.
➤ Les excipients, différents entre le princeps et le générique, ont souvent été accusés
de générer des effets indésirables spécifiques. Cela est vrai, mais cela est vrai dans
les deux sens : certains excipients spécifiques du princeps peuvent être moins bien
supportés que les excipients du générique !
La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 4 - avril 2014 |
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ÉDITORIAL
➤ Les erreurs liées à des différences de forme, de goût, de couleur, ont été décrites et sont
légitimement à craindre. Cependant, de nouveaux textes de loi autorisent maintenant
les génériques à avoir une similitude de présentation par rapport au princeps.
➤ En termes de médecine fondée sur les preuves, il n’y a finalement pas grand-chose
de solide concernant une toxicité spécifique des génériques. La pharmacovigilance
au niveau mondial ne fait pas apparaître de différence, et aucun effet indésirable spécifique
n’a été rattaché à un générique sans qu’il ait été préalablement décrit avec le princeps.
Finalement, beaucoup de cas cliniques ont été rapportés, des études de pharmacocinétique
ou des travaux in vitro (par exemple pour l’antibiothérapie) ont laissé planer des doutes,
mais dans l’exercice de praticien, au niveau d’une population, aucune étude contrôlée
n’a fait apparaître un risque spécifique.
Mais ne soyons pas angéliques ; des problèmes existent, notamment la nécessité
d’un contrôle des sites de fabrication et une meilleure organisation de la pharmacovigilance
qui incombent, même pour les génériques, au laboratoire du princeps, ce qui est pour
le moins paradoxal ! Les problèmes rencontrés avec les génériques ont presque toujours été
induits par des situations où soit le prescripteur, soit le pharmacien, soit le malade, était
récalcitrant. La pression des organismes payeurs induit des utilisations contre la volonté
du médecin ou du malade, et c’est souvent de là que partent la peur, l’intolérance, puis l’effet
indésirable. Un générique de Dépakine® n’est pas un plus mauvais antiépileptique, mais
si le malade inquiet de s’être vu contraint à un traitement qui lui fait peur se remet à boire,
n’arrive pas à dormir et regarde la télévision à des heures indues, il risque de refaire une crise
d’épilepsie, non pas en raison d’une moindre activité pharmacologique du générique mais
parce que celui-ci aura généré un comportement délétère… Pour moi, le générique est
d’abord et avant tout une affaire de confiance : si le trio médecin-pharmacien-malade est
convaincu de la similitude du rapport bénéfice/risque, le générique sera indifférenciable
du princeps dans la vie quotidienne ; si l’on force l’un des acteurs, les problèmes surgiront.
Actuellement, la politique des décideurs est de “favoriser” le pharmacien : sa marge est
conservée, voire augmentée, lorsqu’il substitue par un générique. D’où une vision favorable
des génériques par les pharmaciens et une vision défavorable par les médecins qui se sentent
“en perte de pouvoir”. Si les politiques avaient préféré “favoriser” les médecins (par exemple
en payant 1 ou 2 euros de plus la consultation conduisant à la prescription de génériques
et en baissant la marge des pharmaciens), cela aurait été les médecins qui auraient été
favorables et les pharmaciens contre… Mais ce qui compte c’est que le malade soit bien
soigné, et le service rendu par les génériques est identique à celui apporté par le princeps.
L’auteur déclare avoir reçu
des honoraires de Sanofi,
Janssen, GSK, BMS, Amgen,
AstraZeneca, Prioritis,
Novartis, Bayer.
À l’inverse de la reine d’Angleterre, qui dit “ne jamais expliquer, ne jamais se plaindre”
(“never explain, never complain”), je pense que, dans le monde du générique, il faut surtout
toujours expliquer pour que le malade n’ait pas à se plaindre. Essayons donc de convaincre,
mais ne forçons pas un malade qui n’est pas convaincu.
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”
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