Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n
o
4 - oct.-nov.-déc. 2005
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DOSSIER
thématique
Les enjeux
de la “transition
et du “transfert
après
transplantation
d’organe
Coordinatrice : D. Debray,
service d’hépatologie pédiatrique,
CHU de Bicêtre,
94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex.
Les enjeux et les modalités de la transition
J.P. Dommergues
L’adolescent et ses soignants face au défi de la maladie chronique
P. Alvin (page 220)
Adolescence, greffe de rein...
P. Cochat, F. Nobili,V.Vessière, C. Boisriveaud, E. Morelon, H. Desombre
(page 225)
Transplantation hépatique : portrait d’un adolescent greffé
F. Lacaille (page 231)
Qualité de vie après transplantation rénale à l’adolescence
Ph. Duverger (page 234)
*Fédération de pédiatrie, CHU de Bicêtre, 94275
Le Kremlin-Bicêtre Cedex.
Les enjeux et les modalités de la transition
J.P. Dommergues*
L
e terme de transition désigne le
temps spécifiquement consacré à
préparer, à l’adolescence, puis à assurer,
à l’âge adulte, le transfert de responsabi-
lité du suivi médical des jeunes patients
atteints de maladies chroniques. La réus-
site de ce parcours demande une
réflexion commune sur les modalités et
les enjeux de cette période, qui ne se
résume pas au seul moment du transfert,
mais qui englobe – bien en amont de
celui-ci – toutes les réflexions et toutes
les actions préalables destinées à favori-
ser un processus dynamique de matura-
tion et d’autonomisation (1-3).
Le premier temps consiste à identifier
les obstacles rencontrés par les diffé-
rents acteurs, à savoir l’adolescent, ses
parents, le pédiatre, le médecin et l’équipe
médicale de relais à l’âge adulte (4).
LES OBSTACLES À LA TRANSITION
VENANT DU PÉDIATRE
Mettre fin à des liens souvent très forts
noués avec l’enfant ou l’adolescent et
sa famille n’est pas facile ; l’investis-
sement personnel du pédiatre est d’au-
tant plus fort que ces liens se sont sou-
vent tissés depuis de nombreuses
années, voire depuis la naissance. Le
pédiatre est d’autant plus tenté de pro-
longer la prise en charge que persistent
des problèmes de développement
(retard de croissance, retard pubertaire,
atteinte cognitive) qui lui paraissent
relever avant tout de la compétence
pédiatrique.
Enfin l’intérêt scientifique pour le deve-
nir à l’âge adulte des affections chro-
niques de l’enfant peut inviter les
pédiatres à prolonger le suivi pour
recueillir des informations propres à
leur permettre une “autoévaluation” à
long terme de leur action (3).
LES OBSTACLES À LA TRANSITION
VENANT DE LADOLESCENT
OU DU JEUNE ADULTE
Les mêmes craintes peuvent être parta-
gées par l’adolescent et sa famille : peur
de l’inconnu, peur de perdre une rela-
tion privilégiée. Au pire, l’adolescent
peut avoir l’impression d’être “lâché” à
un moment critique, et il risque
d’éprouver alors un véritable sentiment
d’abandon, qu’il perçoive une aggrava-
tion de sa maladie ou qu’il la redoute
dans un avenir proche.
Cette peur de l’inconnu est souvent
exprimée, et les adolescents confient
leur inquiétude à quitter une structure
familière, un endroit confortable, un
centre fréquenté depuis la naissance.
D’une façon générale, les consultations
et les hospitalisations pédiatriques se
sont toujours passées dans une ambiance
maternante, et le changement d’envi-
ronnement peut être un facteur de désta-
bilisation pour un jeune adulte habitué à
être protégé.
Beaucoup d’adolescents appréhendent
aussi que le médecin d’adultes ne fasse
pas une place assez large aux considéra-
tions personnelles comme au respect de
la qualité de vie. Un exemple en est
fourni par une enquête conduite en Ile-
de-France auprès de jeunes adultes dia-
bétiques venant de passer en médecine
d’adultes. Les résultats montraient que
les jeunes attachaient beaucoup plus
d’importance à la relation humaine qu’à
la prise en charge technique de leur
maladie, pour laquelle ils faisaient
confiance à la compétence des diabéto-
logues (5).
Une autre difficulté fréquemment rap-
portée est le fait d’avoir à côtoyer en
consultation ou en hospitalisation des
adultes atteints de la même affection, et
parfois dans un état de santé très dégra-
dé, préfigurant ce qui risque de leur arri-
ver, ou encore des vieillards malades,
comme en témoignent beaucoup de
jeunes patients lors de leur passage en
milieu adulte (3).
LES OBSTACLES VENANT DES PARENTS
Les parents partagent les craintes et les
réticences de leurs enfants adolescents
malades ; ils ne les estiment pas en me-
sure d’être totalement autonomes, de se
débrouiller seuls dans les structures de
soins pour adultes, de respecter des ren-
dez-vous… Beaucoup de parents consi-
dèrent qu’ils continuent dans bien des cas
à jouer un rôle protecteur. Ils craignent
que le nouveau médecin les ignore totale-
ment ou ne voie en eux que des freins
potentiels de l’autonomisation de l’ado-
lescent ou du jeune adulte malade (4).
Ainsi, l’ensemble de ces réticences se
renforçant les unes les autres, on imagine
aisément une situation dans laquelle le
statu quo pourrait paraître la meilleure
situation, le pédiatre restant le respon-
sable médical “ encore un temps ”... La
phrase, souvent entendue : “Pourquoi
changer s’il n’y a pas de problèmes ?”
justifierait le maintien d’un suivi pédia-
trique des jeunes adultes, avec l’aval des
familles et la caution des jeunes eux-
mêmes dans un monde figé... En réalité,
une telle situation peut s’avérer plus fra-
gile que prévu, et sa stabilité peut à tout
moment être mise à mal par des événe-
ments familiaux ou personnels impré-
vus survenant plus ou moins brutale-
ment, qui peuvent imposer un transfert
vers une équipe adulte à la hâte, dans
des conditions difficiles.
LES ENJEUX RÉELS
ET LA DYNAMIQUE DE LA PHASE
DE TRANSITION
La transition est donc une phase dans
laquelle les réticences au changement
sont nombreuses. Le pédiatre, l’adoles-
cent et sa famille ont à faire un travail
personnel visant à la mise en perspec-
tive des enjeux réels à plus long terme
(4). L’instauration auprès de l’enfant,
dès le début de l’adolescence, d’un style
relationnel qui favorise son autonomie
(le recevoir seul, au moins une partie de
la consultation, respecter la confidentia-
lité, etc.) imprime sa tonalité au proces-
sus de transition. Ce travail fait en
priorité avec l’adolescent modifie
également la place des parents, toujours
interlocuteurs à part entière mais pro-
gressivement “en second”. Il leur per-
met de mieux accepter le principe du
relais et un certain changement de rôle
de leur part.
Dans ce travail relationnel, la nature des
changements mérite d’être abordée
longtemps à l’avance (des mois, des
années) avec l’adolescent et sa famille :
le projet aura ainsi tout le temps de
mûrir…
Valoriser la démarche, la présenter
comme une expérience positive, c’est
aussi permettre une meilleure projection
dans un avenir d’adulte. Être convaincu
que le milieu pédiatrique n’est pas
nécessairement le meilleur pour un
jeune adulte est déjà en soi facteur de
maturation.
Il ne s’agit pas pour le pédiatre de
laisser croire que la prise en charge
sera identique à celle qui était propo-
sée jusque-là ; il faut clairement
annoncer que ce sera “autrement”,
mais aussi et surtout expliquer pour-
quoi “c’est normal que ce soit autre-
ment ”. En effet, si la culture des
pédiatres les porte plus naturellement
à prendre en compte la croissance, le
développement et les soucis de la
famille, la culture des médecins
d’adultes les porte davantage à consi-
dérer l’autonomie du patient, l’inser-
tion dans la vie professionnelle ou les
problèmes de procréation (3). Les
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médecins d’adultes sont parfois mieux
placés que les pédiatres pour répondre
à toutes ces questions qui se posent au
jeune adulte.
LE CONTRAT PASSÉ
AVEC LE RÉFÉRENT
Dans le cadre d’un “contrat de confian-
ce”, les pédiatres souhaitent que, lors
de la phase initiale de la prise en char-
ge en milieu adulte, tous les examens
ne soient pas systématiquement recom-
mencés ; que le traitement ne soit pas
immédiatement et systématiquement
modifié dès la première consultation ;
enfin, que le travail pédiatrique ne soit
pas dénigré par le référent adulte,
même s’il s’agit d’un “nouveau
départ”... Au-delà de sa nécessaire
compétence, deux conditions sont
indispensables pour assurer le succès
de ce changement :
que le référent adulte soit clairement
identifié et personnalisé, et accepte
d’assurer lui-même le suivi ;
qu’il soit prêt à un investissement
personnel en temps et en énergie pour
assumer ce relais toujours délicat.
Les exigences d’écoute de ce jeune
adulte au profil particulier qui a for
sa singularité au long des années du
“vivre avec” la maladie chronique doi-
vent être connues et prises en compte.
Elles sont souvent cruciales au cours
des premières consultations dans les-
quelles doivent se tisser des liens origi-
naux avec le médecin référent. Lors de
ces consultations, un temps suffisant
doit être aménagé pour aborder le vécu
de la maladie, les questions sur l’avenir
professionnel et l’impact de la maladie
sur tous les ingrédients de la qualité de
vie – même si, au premier abord, tout
paraît aller bien et que le jeune adulte
ne semble pas “réclamer” explicite-
ment ce dialogue particulier. C’est sou-
vent au nouveau référent qu’il appar-
tient de “faire les premiers pas” dans
l’abord des questions personnelles,
autorisant ainsi le jeune adulte à
emprunter à son tour la même voie,
désormais ouverte…
Un véritable contrat, explicite ou impli-
cite, devrait être posé. Il nécessite un
accord minimal sur des objectifs com-
muns. Ce travail est d’autant plus facile
qu’une alliance et une convergence de
vues se sont développées au préalable
entre les disciplines pédiatriques et
adultes concernées.
Une bonne connaissance du déroule-
ment des consultations des habitudes
de travail du nouveau référent – est évi-
demment utile pour éviter tout malen-
tendu dommageable au jeune patient et
à ses parents.
De la part du pédiatre, les informa-
tions sur la maladie seront au mieux
transmises au correspondant adulte
par la rédaction d’un document de
synthèse plus que par la totalité des
résumés, souvent fastidieux et redon-
dants... Les informations données doi-
vent être fournies en respectant la vie
personnelle de l’adolescent et la
confidentialité entretenue jusque-là
avec lui.
En retour, il est très important que les
pédiatres puissent avoir une information
médicale au long cours de la part du
médecin référent adulte.
Il ne s’agit pas d’avoir de temps en
temps des nouvelles comme on en
attend d’un être cher parti au loin, mais
de poser avec les médecins d’adultes les
bases d’une coopération permettant de
faire objectivement le bilan de l’action
pédiatrique à long terme dans un véri-
table travail de recherche clinique, qui
peut permettre de souder les médecins
d’enfants et d’adultes dans un projet
fédérateur.
QUE PROPOSER PENDANT LA PHASE
DE TRANSITION ?
Dans les programmes éducatifs de tran-
sition, il est utile de reprendre avec les
adolescents de nouvelles explications
sur la maladie, d’explorer les croyances
propres qu’ils se sont forgées à ce sujet
au fil des ans, de parler de l’avenir, de
savoir évoquer les difficultés de l’obser-
vance, de faire le point des difficultés
qu’il y a à concilier les astreintes de la
maladie et les aspirations de l’adoles-
cence en matière d’épanouissement per-
sonnel, de contact avec les pairs.
L’abord pratique des questions à évo-
quer est repris dans une récente mise au
point de l’équipe de P. Alvin (6) consa-
crée à l’adolescent atteint de maladie
chronique.
Rappelons par exemple que, en matière
de sexualité, la plupart des adolescents
malades ont des aspirations et des com-
portements identiques à ceux des autres
adolescents.
Pouvoir rencontrer leur futur médecin,
rencontrer d’autres jeunes suivis par le
même référent adulte choisi font partie
des souhaits exprimés par les adoles-
cents, et ces vœux pourraient être inté-
grés comme des objectifs de base de ces
phases de transition pour toutes les
maladies chroniques (3). Les associa-
tions de malades sont susceptibles de
jouer un rôle moteur pour aider à mener
à bien ces projets.
LE MOMENT DU TRANSFERT
Il est fonction de la maturité de l’ado-
lescent, de sa famille, plus que de l’âge
civil proprement dit. Certains moments
sont meilleurs que d’autres : l’adoles-
cent et sa famille paraissent mûrs, la
maladie est en phase calme, la croissan-
ce et la puberté sont terminées, les pro-
blèmes personnels de l’adolescence
s’estompent… On peut égaler profiter
de certaines “opportunités” : fin de ter-
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minale, déménagement, début de vie en
couple, voire départ à la retraite du
pédiatre… Il y a aussi les “mauvais
moments” : il faudrait éviter par
exemple de faire ce passage pour des
raisons de non-observance, dans une
ambiance vécue comme punitive... (3).
LE “PASSAGE DU TÉMOIN”
Différentes formules ont pu se mettre en
place en ce qui concerne les consulta-
tions : elles dépendent beaucoup des
moyens humains disponibles et doivent
s’appuyer dans un premier temps sur
des structures existantes. Il peut s’agir
de l’organisation de consultations par
un médecin d’adultes venant en milieu
pédiatrique, à l’inverse de consultations
du pédiatre en milieu d’adultes, de l’as-
sociation des deux formules, de l’orga-
nisation de consultations communes ou
alternées. Chaque formule a ses avan-
tages et ses inconvénients. Programmer
une ou deux consultations communes
permet de bien situer les objectifs et de
répondre d’une seule voix aux ques-
tions : ces consultations, en binôme
médical, sont des temps forts qui
concrétisent pour le jeune et sa famille
la coopération et le relais médical. Elles
ne sont le plus souvent réalisables que
s’il existe une unité de lieu dans un
hôpital accueillant à la fois les enfants et
les adultes. Les consultations alternées
n’ont un intérêt que pendant un temps
limité car, rapidement, il existe un
risque d’ambiguïté dans la prise de res-
ponsabilité et dans la cohérence du lan-
gage tenu au patient, et on court le
risque que, dans certains cas, l’adoles-
cent soit perdu… ou tenté d’en jouer.
CONCLUSION
Nous avons fourni des pistes de
réflexion, mais il faut être réaliste en
soulignant que, à partir des principes
que nous avons rappelés, la phase de
transition s’élabore avant tout en pre-
nant en compte les conjonctures du ter-
rain et les opportunités locales. Le point
commun reste dans tous les cas que
nous sommes face à un adolescent et à
une famille dont la maturité, le degré de
réflexion, l’assentiment pour s’engager
dans une nouvelle relation thérapeu-
tique sont très variables, et qu’il faudra
aider à la réalisation de cette mutation.
Garder à l’esprit l’idée de souplesse
dans ces phases de transition nous paraît
fondamental : il faut imaginer en fonc-
tion de la maladie, du nombre de
patients à transférer, du caractère obli-
gatoirement personnalisé du transfert…
Ce “passage du témoin” dans cette course
de relais médecine d’adolescents-méde-
cine d’adultes restera délicat ; il sera
d’autant mieux vécu que le patient aura
été traité avec un souci d’autonomisa-
tion progressive durant son adolescen-
ce, sans pour autant laisser pour compte
des parents dont la continuité du soutien
reste le plus souvent indispensable, sous
des formes évolutives propres et en
fonction de l’histoire familiale, dont il
importe de connaître et de mobiliser les
forces vives propres à aider dans ces
années où s’élaborent les processus de
transition.
R
ÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
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Maladie chronique à l’adolescence : dix questions
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